Les enfants de migrants dans les écoles maternelles françaises

Les enfants de migrants dans les écoles maternelles françaises

Les enfants de migrants dans les écoles maternelles françaises

 La situation des jeunes enfants de migrants dans les institutions éducatives en France est assez particulière, due à des spécificités nationales à ce sujet. En se basant sur le principe républicain d’égalité, tous les enfants sont considérés sans différences et la diversité linguistique, culturelle ou autre n’est pas officiellement prise en compte à l’école maternelle. Ainsi, les enfants provenant des familles ayant immigré en France sont « invisibles », considérés comme des enfants parmi les autres (Brougère, Guénif Souilamas, & Rayna, 2007). L a qualité de l’accueil des jeunes enfants de migrants dans le (pré)scolaire en France Peu nombreuses sont les recherches qui portent sur les jeunes enfants de migrants en France dans le cadre des institutions éducatives avant l’âge de six ans. C’est le cas de la recherche internationale Children Crossing Borders qui porte sur l’accueil des enfants (de) migrants dans les structures (pré)scolaires de plusieurs pays : France, Allemagne, Italie, Angleterre et États-Unis. Cette recherche a été coordonnée par Tobin et s’appuie sur une méthode qu’il a élaborée, dans une approche comparatiste et poststructuraliste. L’objectif était de saisir le point de vue des parents migrants et des enseignants afin de comprendre leur vision sur l’accueil des enfants (de) migrants dans les structures (pré)scolaires de cinq pays. L’approche ethnographique polyphonique proposée a été initialement développée par Tobin dans l’ouvrage Preschool in Three Cultures (Tobin, Wu, & Davidson, 1991), une comparaison entre les institutions préscolaires du Japon, de Chine et des États-Unis. La méthode encourage l’expression des voix multiples (les parents, les enseignants) des institutions de la petite enfance. Des montages vidéo des journées dans ces institutions ont le but de stimuler le dialogue entre ces acteurs sur des aspects de la vie quotidienne, dans les contextes culturels étudiés. À la recherche Children Crossing Borders ont participé au total 1500 parents et professionnels pour des entretiens collectifs dans chaque pays, avec le support 23 des montages vidéo de 20 minutes des journées types de classes accueillant des enfants âgés de 4 ans (Tobin, 2016; Tobin, Arzubiaga, & Mantovani, 2007). En France, plusieurs travaux ont été publiés suite à la recherche Children Crossing Borders (Brougère, 2010; Brougère et al., 2007; Brougère, Guénif-Souilamas, & Rayna, 2008; Brougère, Rayna, & Guénif-Souilamas, 2008; Rayna, 2014). Le chapitre « De l’usage de l’altérité pour comprendre le préscolaire » (Brougère et al., 2007) présente la perspective francophone du projet, en se focalisant sur les enfants (de) migrants à l’école maternelle. Les auteurs présentent les premiers résultats à partir de l’analyse du regard croisé des voix des parents et des professionnels sur la vie des enfants au sein de l’école maternelle. Les analyses visent à proposer des éléments concernant les enjeux des diversités dans le cadre des structures d’accueil de la petite enfance afin de re-penser l’éducation des jeunes enfants (Brougère & Vandenbroeck, 2008). Le chapitre met en évidence des caractéristiques nationales de l’éducation (pré)scolaire, comme l’omniprésence de la consigne, la place réduite du jeu par rapport au travail à l’école maternelle, le rôle d’intégration de la langue française d’un côté et les langues maternelles « cachées » d’un autre côté, le temps de défoulement des pauses de récréation. Cette école de la République se veut égalitaire, unifiée et n’accepte pas les différences culturelles, elles sont visibles chez les enfants (de) migrants seulement s’ils posent des problèmes, en particulier l’échec scolaire. Du côté des parents migrants, notamment les mères, elles s’inquiètent pour le manque du care au sein de l’école maternelle, par exemple en ce qui concerne les soins pendant la récréation. Pour ces parents, l’apprentissage de la langue française, langue qui permettrait la réussite scolaire de leurs enfants, est en tension avec le maintien du lien familial, qui se crée à travers la langue maternelle, et dont les mères craignent la perte. Comment l’école maternelle est-elle vue par les professionnels des autres pays participants à la recherche Children Crossing Borders ? Le regard extérieur à partir des États-Unis est étonné par certains aspects du modèle français d’éducation (pré)scolaire, comme la discipline ou le manque de supervision pendant la récréation. Les professionnels français, avec le même étonnement, critiquent la liberté donnée aux enfants aux États-Unis et le manque de cadre, comme le manque d’apprentissages scolaires. Le bilinguisme des structures américaines est vu à la fois comme une richesse et comme une barrière pour apprendre l’anglais, tandis qu’en France, sous le principe républicain d’égalité, les enfants (de) migrants sont moins respectés en ce qui concerne la diversité linguistique, en les entraînant jusqu’à des formes de mutisme. Parmi les travaux réalisés dans l’approche internationale présentée, certains se sont intéressés au point de vue des enfants (Bove, 2007; Gill, 2007; Rayna, 2007, 2010, 2011). Ainsi, dans 24 l’article « La vie quotidienne à l’école maternelle. Qu’en disent les enfants de migrants et les autres » Rayna (2014), après avoir fait l’état de littérature des travaux des children’s perspectives, s’attache à analyser les discours enfantins sur la tension jeu-apprentissage scolaire et les questions de langue et d’identité à l’école maternelle. Son étude a été menée à travers des méthodes renouvelées pour écouter la voix des enfants. En s’appuyant sur l’approche mosaïque (Clark, 2004; Clark & Moss, 2011) qui conjugue des méthodes traditionnelles avec des techniques nouvelles (dessins, photos, histoires etc.) afin de privilégier l’agency (pouvoir d’agir) et la participation des enfants dans la recherche, Rayna transfère l’approche de Children Crossing Borders pour recueillir des données sur le point de vue des enfants. Les enfants des classes de moyenne section, qui correspond à la deuxième année de scolarisation en école maternelle, ont été invités, en petit groupe, à visionner des montages vidéo sur une école maternelle et d’en discuter avec les chercheurs. Une analyse thématique s’est faite à partir des énoncés des enfants, de leurs propos, ainsi que de leur communication non verbale comme la mimique, le ton de la voix, les mouvements. Les enfants se sont ainsi exprimés sur des aspects liés au jeu, à l’apprentissage, au soin et aux langues. « Ici tu n’as pas ta voix ! » (Rayna, 2014, p. 179) sont les mots d’un enfant qui exprime une réalité de l’école maternelle française en ce qui concerne les langues des migrants. Autant l’anglais ou une autre langue internationale est valorisée comme une richesse pour l’enfant, autant le bilinguisme des enfants de migrants est vu comme une barrière dans leur réussite scolaire. Ces périodes de silences des enfants venus d’ailleurs laissent entendre des violences linguistiques subies, en lien avec l’identité culturelle des enfants.

Troubles linguistiques des jeunes enfants de migrants

Dès que des problèmes font surface, les enfants de migrants deviennent « visibles », ils se distinguent dans le groupe classe, car ils ont besoin d’être pris en charge, et cela même tôt, dès l’école maternelle, quand les troubles linguistiques se remarquent. Leur analyse a été développée dans des approches psychologiques. Dans le cadre de la clinique transculturelle, l’article de Di Meo et al. (2015) porte sur le mutisme chez les enfants, et notamment chez les enfants de migrants. L’intérêt de l’étude consiste dans les données empiriques, présentées sous forme de vignette clinique. Il s’agit d’une fille de Sri-Lanka caractérisée par son silence sélectif à l’entrée en école maternelle. Ce trouble psychologique est défini par les auteurs 25 comme « l’impossibilité pour l’enfant de parler devant des personnes étrangères alors même qu’il y arrive avec des personnes plus familières. L’enfant parle à la maison dans sa famille alors qu’à l’école il est silencieux » (Di Meo et al., 2015 : 217). Dans le cas étudié, le mutisme est dû en partie au parcours migratoire traumatisant de la famille de l’enfant. Les résultats montrent que les silences de cette petite fille – qui a été prise en charge thérapeutique à travers deux dispositifs : le groupe bilingue et la consultation transculturelle – rendent compte du « conflit de loyauté, faire face avec la dépression maternelle et la séparation, la révolte contre le pays d’accueil qui traite mal, la frayeur et la question de la transmission du trauma » (Di Meo et al., 2015, p. 222). Comme cet article, d’autres études (Aubry & Espasa, 2003; Bensekhar, Simon, Rezzoug, & Moro, 2015; Joubaud, 2008) mettent en évidence les enjeux psychoaffectifs des enfants qui grandissent en situation migratoire. Comme les auteurs le soulignent, ce mutisme sélectif est quatre fois plus fréquent chez les enfants migrants bilingues que chez des enfants non-migrants monolingues. Ces troubles du langage sont liés aux difficultés rencontrées par les enfants lors des contacts avec le monde extérieur à leur famille, qui, le plus souvent est représenté par les institutions éducatives, notamment l’école maternelle, quand ils rencontrent pour la première fois la langue française. Di Meo et al. (2015) soulignent également que ce mutisme extra-familial traduit des problèmes de métissage entre deux cultures, de séparation des enfants de leurs parents et des enjeux de loyauté vis-à-vis de la culture d’origine. Dans une lignée similaire, l’étude de Bossuroy, Amalini et Moro (2011) porte sur les souffrances subies par des enfants de migrants dont la langue familiale n’est pas celle de l’école. L’article est basé sur le projet de création du dispositif ELAL d’Avicenne, ELAL étant l’acronyme d’Evaluation Langagière des enfants Allophone et primo arrivants, un test traduisible dans toutes les langues (et pas seulement en français, qui fausse les résultats en ce qui concerne les troubles langagiers des enfants de migrants) et permettant d’évaluer la compétence en langue maternelle. L’introduction présente la situation de souffrance des certains enfants de migrants due au clivage entre le milieu domestique et celui scolaire, notamment à l’entrée en école maternelle. En effet, pour la plupart des enfants de migrants il s’agit d’une première rencontre avec une autre langue, d’autres valeurs et comportements. Ils sont sans médiateur, sans interprète et essaient de cacher leur différence en imitant les autres. Ces situations peuvent générer des sentiments forts d’abandon, d’insécurité et de solitude. La méthodologie conjugue des tests d’évaluation du langage, des entretiens avec les parents et des collaborations avec les professionnels des écoles. Les enfants participants à l’étude sont âgés de 5-6 ans, en grande 26 section de maternelle ; ils sont nés en France, de parents venus d’ailleurs ayant migré en France ; les deux parents parlent la même langue à la maison (tamoul au Sri Lanka, l’arabe en Algérie et le soninké au Mali). Les premiers résultats montrent la présence de peu de profils dysharmoniques : soit les enfants sont à l’aise dans les deux langues, soit dans aucune. Les auteurs constatent que les enfants maîtrisant bien la langue de leurs parents semblent apprendre plus facilement une seconde langue. Ce projet de recherche-action a débouché sur un dispositif maintenant disponible au grand public, notamment pour les professionnels des écoles travaillant avec des enfants de migrants. Ce dispositif créé par le Centre du langage du Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Avicenne (Bobigny, Seine-Saint-Denis, France) est présenté plus en détail par Wallon et al. (2008). 

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