Les stratégies de remplacement du consultant

Les stratégies de remplacement du consultant

 Nous voici arrivés au terme du récit, que je souhaite clôturer en décrivant la façon dont ma mission chez ENERGYCORP s’est terminée. Au moment de la signature de la propale, je me suis engagé auprès d’Henri pour une durée maximum de six mois, pour des raisons liées à mon travail de recherche. Il a pourtant annoncé à Gérard que j’étais disponible un an et m’a demandé de ne pas démentir l’information : « pour l’instant j’ai besoin de le rassurer parce qu’il veut quelqu’un qui soit engagé sur une longue durée, mais une fois que tu seras en poste ce sera très facile de faire monter quelqu’un du bureau projet et d’assurer la continuité » (Notes de terrain, mai 2011), explique-t-il alors. Deux mois avant la date de départ prévue, en octobre, je prends la liberté d’aborder le sujet pour avoir le temps d’anticiper la suite. Henri me fait alors la remarque suivante : 201 Ecoute, je trouve ça dommage que tu veuilles quitter la mission mais je suis d’accord. Tu m’as bien rendu service et tu as fait du bon travail, donc je ne vais pas jouer celui qui veut te bloquer, et je vais tout faire pour t’aider. Par contre, il faut qu’on trouve un moyen de faire que tout se passe bien sur les projets et d’assurer une continuité des choses, en faisant monter des gens du bureau projet de Maison-Mère. (Notes de terrain, septembre 2011) Henri souhaite me remplacer par un membre de son équipe, plutôt que d’avoir recours à un autre consultant externe. Au reste, il veut que ce changement de personnes n’impacte pas la bonne marche de la mission et la satisfaction de Gérard. Cette « transition en douceur » est importante pour lui, car le jeune bureau projet a besoin de gagner en visibilité en plaçant les membres de son équipe sur des projets phares, autant que du soutien politique de Gérard qui, en tant que directeur général d’une filiale, a l’attention des dirigeants de Maison-Mère. Henri me demande donc assez rapidement « de bien faire comprendre à Gérard que je ne travaille pas tout seul, mais qu’on est une équipe » (Notes de terrain, octobre 2011) et que les membres du bureau projet basés chez Maison-Mère m’apportent un soutien logistique important (ce qui est inexact). Je prends donc l’habitude, dans mes communications, de remplacer le « je » par « nous » ou par « le bureau projet ». Mon nom disparaît des emails, des comptes-rendus, des présentations et je deviens progressivement cette personne collective qu’Henri souhaite voir apparaître. Je me mets à communiquer ostensiblement sur mes déplacements chez Maison-Mère pour montrer la collaboration étroite entre les consultants internes et moi. Par ailleurs, Lara vient m’aider à plusieurs reprises au plus fort de la réorganisation ; je prends soin de la présenter à tout le monde, de prétendre, à la demande d’Henri, qu’elle est l’auteur de plusieurs documents importants (ce qui est inexact). Je joue donc le jeu de mon client avec bonne volonté, parce que j’estime que c’est la meilleure solution, même si je fais remarquer à plusieurs reprises à Henri que ConsultCorp serait ravi de continuer à intervenir sur cette mission, que je peux lui présenter des « profils » au besoin. Mais il n’est pas intéressé. Il s’interroge sur la bonne personne à choisir en interne pour me remplacer, compte tenu de la difficulté de la mission et du personnel à sa disposition. Sur ce sujet, Lara remarque : 202 Le problème de cette mission, c’est que tu dois en permanence faire le grand écart entre des tâches de pilotage, participer au copil et tutoyer les directeurs, et des tâches à beaucoup plus faible valeur ajoutée comme la compilation de données et l’organisation de réunions. Comment veux-tu que les mecs te prennent au sérieux si tu fais le job de la secrétaire pour commencer et qu’ensuite tu participes aux réunions en te positionnant comme un interlocuteur de même niveau que les directeurs ? Si d’un côté tu passes tes journées à te palucher les bases de données, et que derrière tu les accompagnes dans la conduite de leurs projets […] ce n’est pas viable à long terme, ça brouille ton positionnement, ça brouille ton image. Et compte tenu de la charge de travail, on peut facilement mettre un senior et un junior à travailler en équipe. (Notes de terrain, novembre 2011) Henri cherche donc à « vendre cette idée à Gérard », laquelle permet par rebond de faire passer mon départ pour un effort d’optimisation des ressources, comme il me l’explique dans ces termes : Surtout, tu ne lui dis rien sur ton départ, moi je lui ai dit que j’avais décidé de te remplacer par deux internes, un junior et un senior, pour le même prix, parce qu’on n’était pas assez bons sur les tâches de pilotage et qu’il fallait jongler entre différents types d’activités. Il a trouvé que c’était une bonne idée. Alors maintenant, je vais lui faire rencontrer des profils, et surtout il n’a pas besoin de savoir que tu dois partir. (Notes de terrain, novembre 2011) Le plan aurait pu fonctionner, mais deux difficultés majeures compliquent la situation : d’une part, les relations entre Henri et Gérard sont largement dégradées par le projet SIMM ; d’autre part, Henri n’a pas de profil adapté à cette mission dans son équipe. Il fait rencontrer plusieurs personnes à Gérard qui les renvoie toutes sans ambages. La situation est donc momentanément bloquée, et le sujet mis sous le tapis pendant plusieurs semaines très inconfortables pour moi. Je cherche à faire pression sur Henri en lui expliquant que je dois impérativement quitter la mission en décembre. Il finit par annoncer mon départ à Gérard, début décembre, sans m’en informer, au cours d’une réunion où les deux hommes discutent, selon les mots d’Henri, de « l’avenir du bureau projet », au plus chaud de la controverse sur SIMM. Il m’explique après coup qu’il a présenté la chose comme une nécessité, due à des engagements professionnels contractés de mon côté 203 pour la suite. « Mais je ne lui ai pas dit à quel moment tu allais partir, précise-t-il » (Notes de terrain, décembre 2011). Je suis furax de ce changement de discours, car depuis six mois je garde le secret, et me trouve aujourd’hui dans une position difficile vis-à-vis de Gérard. Ce dernier reste néanmoins assez sobre lorsque, plus tard, nous abordons la question, et se contente de remarquer que « j’aurais pu le prévenir » (Ibid.). Voyant la situation entre les deux hommes empirer et l’échéance de mon départ arriver dangereusement, je me mets néanmoins à presser Henri quotidiennement pour qu’il trouve un « repreneur » à mes multiples dossiers. Il me répond, de façon assez tendue : Mais qu’est-ce que tu crois, je suis très embêté par la réaction de Gérard, je ne comprends pas pourquoi il réagit comme ça et je ne vois pas ce que je peux faire de plus. S’il ne veut plus de l’aide du bureau projet, je ne vais pas le forcer, et tu n’imagines pas dans quelle position ça me met par rapport au directeur général adjoint de Maison-Mère qui veut absolument qu’on reste positionné chez ENERGYCORP, pour la visibilité du bureau projet et pour justifier la taille de mon équipe. (Notes de terrain, septembre 2011) Il me demande alors de « tenter quelque chose », de faire mon possible pour en discuter avec Gérard et de soutenir les collaborateurs qu’il lui propose, ce que je fais, à plusieurs reprises, sans succès. Au contraire, le directeur général me laisse entendre à demi-mot qu’il pourraitêtre intéressé par un profil ConsultCorp en même temps qu’il multiplie les critiques à l’endroit de Maison-Mère. C’est là une opportunité pour moi, car si je parviens à vendre à Gérard une mission ConsultCorp, je peux espérer une prime de fin d’année. Je discute donc de cette « option » avec Henri, à laquelle il réagit favorablement : « écoute, moi tout ce que je veux c’est qu’il [le directeur général] soit content et que les choses aillent pour le mieux, s’il veut un « ConsultCorp » pas de problème, et puis je peux rester en supervision et on peut même trouver un moyen de s’arranger avec Charles, il y a toujours un moyen de s’arranger [ConsultCorp avait aussi une équipe de consultants chez Maison-Mère et tout intérêt à être en bons termes avec Henri]. Et puis sinon je pourrais peut-être en parler à un directeur associé de chez Morpheus » (Notes de terrain, septembre 2011). Charles, qui jusqu’à présent m’a laissé les coudées franches pour gérer la sortie de mission, est ravi par l’idée d’une revente et multiplie les tractations en interne pour trouver un profil adéquat, car il reste convaincu qu’il faut « au moins un manager » chez ENERGYCORP et qu’il sait qu’Henri est prêt à mettre Morpheus en compétition avec nous. 204 Comme rien à ce stade n’est formulé explicitement, Henri me demande de lui donner un peu de temps pour discuter une dernière fois avec Gérard avant d’impliquer ConsultCorp, ce que je fais volontiers. C’est alors qu’un soir, il m’appelle à mon bureau pour me dire, avec une voix forte et joyeuse : « Ecoute, je viens d’avoir Gérard au téléphone, on a mis les choses au clair et il n’a aucun problème avec le bureau projet, il est d’accord pour que je lui envoie deux nouveaux profils de juniors, va le voir pour caler les dates d’entretien et tiens-moi au courant » (Notes de terrain, septembre 2011). Mon ambition commerciale un peu déçue, je m’exécute et passe directement dans le bureau du directeur général. Voici la teneur de notre conversation : – [Consultant] Bonjour, je viens vous voir comme convenu avec Henri pour trouver une date d’entretien pour rencontrer deux nouveaux profils juniors du bureau projet… – Si c’est des juniors comme les autres, ce n’est même pas la peine. – [Surprise et gène] C’est-à-dire que je viens d’avoir Henri au téléphone et vous avez convenu ensemble … – Je m’en fous, je ne veux pas perdre mon temps, qu’est-ce que vous en pensez, vous ? – Ce sont de bons profils mais effectivement ils sortent d’école. – Alors ce n’est pas la peine, je ne veux pas de ça. Je veux quelqu’un avec un peu de bouteille et qui a l’habitude de bosser, je ne veux pas quelqu’un qui vienne faire ses classes chez moi. – L’idée était qu’il travaille en binôme avec un profil plus expérimenté en charge de la supervision. Il y a beaucoup de tâches à faible valeur ajoutée. – Attendez, moi je veux déjà quelqu’un à plein-temps, pour bosser, avec nous, après on verra. – Plus un profil de senior, 30-35 ans ? – Pas forcément si vieux, vous, vous avez fait l’affaire, mais je veux quelqu’un qui puisse évoluer dans un environnement comme le nôtre […]. – Je vois… et vous seriez disposé à rencontrer un consultant de chez ConsultCorp ? (Notes de terrain, décembre 2011) Gérard acquiesce et me dit qu’il est prêt à rencontrer rapidement un associé du cabinet et à discuter d’une proposition commerciale pour la poursuite de la mission avec ConsultCorp. Au 205 reste, il rejette ouvertement la formule junior-senior proposée par Henri. Je suis un peu décontenancé par ce revirement soudain de situation, il faut comprendre que le climat reste très tendu dans le contexte du projet SIMM, mais je suis aussi ravi de la nouvelle et préviens Charles dans la foulée. Il me félicite chaudement. Je lui demande également des conseils sur la façon de se comporter avec Henri, car je suis entré dans la pièce pour placer quelqu’un du bureau projet, et j’en sors avec « une touche pour ConsultCorp ». Il répond : C’est simple, tu lui expliques les choses comme elles se sont passées et tu restes transparent, t’as fait ton job, t’as été réglo, ce n’est pas ton problème si Gérard te demande ouvertement de rencontrer un consultant, ne te fais pas de mouron pour ça c’est leurs histoires. Toi tu es transparent et tu lui fais un reporting rapide. (Notes de terrain, décembre 2011) J’appelle donc Henri pour lui faire part de ma discussion avec le directeur général d’ENERGYCORP. Il semble lui aussi parfaitement dérouté par la réaction de Gérard avec qui il vient de discuter au téléphone ; presque démuni devant tant d’inconséquence, il me répond : « je ne comprends pas… pourtant on s’était dit que c’était bon […] de quoi avez-vous parlé… […] c’est vrai il a dit ça » ? Puis, il conclut en affirmant qu’il a fait le maximum, que maintenant « je peux faire ce que je veux avec ConsultCorp, lui va consacrer ses efforts à convaincre le directeur général adjoint de Maison-Mère que la mission ENERGYCORP n’est pas indispensable au bureau projet, plutôt que de chercher à convaincre Gérard de collaborer » (Ibid.). 

ConsultCorp et la qualification du besoin 

J’entre par la suite en contact avec l’associé de ConsultCorp. Le profil pressenti pour me remplacer est celui d’un directeur de 45 ans récemment arrivé dans le cabinet. Charles m’annonce la nouvelle : « on va lui [au directeur général] proposer Thierry [un directeur ConsultCorp] comme profil, pour qu’il voie qu’on a du répondant et qu’on peut entrer en compétition avec Morpheus ; après l’idée c’est aussi de le positionner sur une période assez courte parce qu’il y a des opportunités de revente, pas durablement ». (Notes de terrain, décembre 2011) 206 Je retrouve donc Thierry et l’associé un midi chez ConsultCorp pour discuter de ma mission. En trente minutes, je leur communique un maximum d’éléments sur ENERGYCORP, le contexte, le programme de restructuration et les différents sujets, de manière assez descriptive. Puis leur présente de façon plus analytique les « grands enjeux de la mission et la problématique du grand écart de valeur ajoutée entre tâches de pilotage et tâches opérationnelles » (Ibid.) ; les opportunités de revente, le tempérament de Gérard, la relation entre Henri et Gérard, etc. Après quoi nous parlons longuement du profil adéquat pour me remplacer car l’associé cherche à « qualifier » le besoin du client pour cette mission. Mon inquiétude porte sur le fait que Thierry est disponible pour une courte période, or Gérard a insisté sur son besoin de continuité. Par ailleurs, le profil du directeur de ConsultCorp justifie un taux journalier élevé, et j’ai peur qu’un groupe comme ENERGYCORP ne puisse supporter un tel coût. L’associé me fait remarquer : C’est sûr que quand tu me présentes tes activités il y a un écart important […]. Je ne vais pas mettre le même profil s’il s’agit de faire du pilotage et du combat de cheveux gris avec les directeurs, ou de l’admin plus sur des tâches opérationnelles. Parce que je ne peux pas demander à Thierry de faire de la base de données, tu comprends ce n’est pas pour ça qu’il a signé chez ConsultCorp et pour nous ça n’a pas beaucoup d’intérêt. […] Et tu penses que ce qui est le plus important pour Gérard c’est la continuité ou la séniorité […] Bon, même si c’est la continuité on va y aller avec Thierry pour lui montrer ce qu’on peut lui offrir et on ajustera au besoin, qui peut le plus peut le moins […]. (Notes de terrain, décembre 2011) Quelques jours plus tard, l’associé et Thierry se présentent chez ENERGYCORP pour rencontrer Gérard et discuter d’une possible collaboration. A ma demande79, je n’assiste pas à la réunion, et me contente de les attendre à la sortie dans le hall. Ils sortent finalement tout sourire et m’expliquent que ça s’est bien passé, que « mon briefe » était bon, que Gérard s’en est rendu compte et qu’ils ont parlé tout de suite du contenu. « Et puis j’avais l’impression de l’avoir croisé quelque part […], c’est lui qui a fini par me remettre à la fin du rendez-vous, on était ensemble à l’école… Pas dans la même promo mais on avait fait une activité char à voiles ensemble » (Ibid.) ajoute l’associé très confiant. Pour lui, « c’est conclu à 90% », 79 Car je dois quitter le cabinet et cherche à me désengager au maximum. 207 Gérard doit simplement leur envoyer des éléments formalisés sur son besoin pour qu’ils lui renvoient une propale dans la foulée. J’ai du mal à cacher ma joie en entendant ces mots, car je sais que chez ConsultCorp, les consultants touchent un bonus de 3% du montant global des missions qu’ils parviennent à vendre. En rentrant chez moi, je passe le trajet à faire des calculs dans ma tête. Néanmoins, la semaine suivante, Gérard ne donne plus de nouvelles. Je reçois au contraire un email étrange d’un consultant indépendant qui me propose une rencontre pour que je lui présente le projet HORIZON 2013. J’appelle Henri pour lui en parler ; il me suggère de voir ce que ça donne, de jouer la transparence quoi qu’il arrive, et de ne pas hésiter à lui transmettre « tous nos dossiers, tous nos outils, toutes les informations pour que les choses se passent bien » (Notes de terrain, décembre 2011). Je décide tout de même d’aller en discuter avec Gérard en avançant que « mes supérieurs chez ConsultCorp n’ont pas reçu les informations que vous deviez leur envoyer et me demandent ce qui se passe » (Ibid.). Gérard m’enjoint de transférer mes dossiers à Bridget afin que le consultant indépendant puisse reprendre la main. Sur les raisons de son choix, il précise simplement : « le bureau projet ne nous appartient pas assez ». ConsultCorp étant déjà client chez Maison-Mère, il semble craindre que nous « jouions sur les deux tableaux ». En sortant du bureau, je suis abasourdi, et m’en veux de n’avoir pas anticipé que le directeur général risquait de me faire le même coup qu’à Henri. Je fais par la suite la réunion prévue avec le consultant indépendant et lui présente notre travail en toute transparence. Nous passons quelques jours à approfondir tous les sujets. Il a environ soixante-cinq ans et reste très aimable avec moi ; il m’explique « qu’il n’a rien fait pour avoir la mission, que c’est Gérard qui l’a sollicité ». Bizarrement, c’est lui qui m’emmène dîner au restaurant avec Bridget pour fêter mon départ80. C’est même le seul qui marque le coup. Aucun des directeurs fonctionnels ne prend la peine de me remercier. Certains ne répondent même pas à mes sollicitations pour leur dire au revoir. J’ai un bref entretien avec Gérard au cours duquel nous revenons sur la mission. Je fais le transfert de mes dossiers à Bridget, qui m’avoue gentiment que « j’allais lui manquer, et que ce ne serait pas la 80 J’aurais l’occasion de fêter la mission à plusieurs reprises avec Henri les semaines suivantes. 208 même chose de travailler avec [le consultant indépendant] » (Notes de terrain, décembre 2011). J’organise également, à la demande de mon successeur, une rencontre entre Henri et lui. Après leur entretien, qui se passe très cordialement, ce dernier me fit remarquer « si Gérard veut travailler avec [consultant indépendant] pourquoi pas ? Par contre, s’ils comptent sur Bridget pour être le chef de projet à plein temps de la restructuration ils prennent un risque… ». Je lui expliquai pour ma part que j’étais « totalement blasé, pour le bureau projet d’une part, mais surtout pour ma prime de fin d’année ». Je garde de cette sortie de mission un sentiment partagé, tumultueux ; un sentiment de tension et d’empressement mêlés ; l’angoisse d’une expertise saturée de conflit politique ; la peur d’abdiquer mon autorité ; le dilemme moral contenu par une allégeance pratique au client ; la motivation commerciale ; les enjeux de continuité ; la qualification du besoin ; les difficultés à agir dans une organisation où les changements brutaux et injustifiés de décision sont la norme. Mon dernier jour chez ENERGYCORP, fin décembre, je quitte l’entreprise à la nuit tombée, alors que tout est calme. Je me sens joyeux et léger, car les épisodes du SIMM et de ma succession ont pesé sur mon moral. J’ai la satisfaction intime d’avoir contribué, modestement et à ma manière, au projet de l’entreprise. Personne, sauf peut-être Henri et Bridget, ne sait à quel point j’ai porté ce projet à bout de bras, dans des conditions souvent difficiles, presque toujours ingrates. Je ne m’en plains pas, car j’ai aussi eu de grandes satisfactions : la principale étant d’avoir eu une réelle capacité d’action sur les choses et les gens. Parfois ambiguë, confuse peut-être, mais réelle : j’en reste convaincu. Un peu déçu de l’adieu sommaire de mes collaborateurs d’un temps, je me reprends rapidement, déjà tendu vers l’avenir, les nouveaux projets, une nouvelle mission. J’ai en tête cette remarque, un peu vulgaire, d’un de mes collègues de ConsultCorp : « quand t’es consultant, tu tires ton coup et tu te barres ; quelle que soit la situation, quelles que soient les difficultés, tu sais que c’est du court terme, et tu penses déjà à la suite ». (Notes de terrain, janvier 2010)

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