Les thérapies anticancéreuses orales dispensées en officine

Biologie des cancers

Les cancers sont un groupe hétérogène de maladies où des cellules anormales prolifèrent de manière anarchique en échappant aux contrôles normaux qui s’exercent au sein de leur tissu d’origine. Ces cellules sont capables d’envahir d’autres tissus que leur tissu d’origine. C’est une pathologie multifactorielle et multiévènementielle. En effet, un ensemble de facteurs interagissant entre eux est nécessaire pour que le cancer se développe. Ces facteurs peuvent être externes, ils sont liés à l’environnement (pollution, rayonnement, virus…) ou au mode de vie (alimentation, alcool, tabac…). D’autres facteurs peuvent être internes comme l’âge et l’hérédité .
Les cancers peuvent être classés selon le tissu et le type cellulaire dont ils proviennent. Ainsi, ils peuvent être classifiés de la manière suivante :
­Les tumeurs solides sont caractérisées par une masse individualisée : Les carcinomes représentent 90% des cancers, ils proviennent des cellules épithéliales. L’épithélium est un tissu qui recouvre les surfaces internes ou externes. Les carcinomes épidermoïdes ou malpighiens dérivent de l’épithélium de Malpighi (peau, œsophage, VADS, col utérin, poumon), les adénocarcinomes dérivent d’un épithélium glandulaire exocrine ou endocrine (sein, prostate, colon, estomac, thyroïde, poumon) et les carcinomes excréto-urinaires dérivent des voies urinaires (uretère, vessie, urètre).
Les sarcomes sont issus de structures mésenchymateuses (ostéosarcomes, liposarcomes, rhabdomyosarcomes) , Les tumeurs neuroectoblastiques sont les tumeurs du système nerveux central , Les tumeurs de structure embryonnaire,­ Les cancers hématopoïétiques affectent le sang ou les organes lymphoïdes (leucémies, lymphomes, myélomes).

Le cancer : une maladie des gènes

Le cancer est une maladie génétique, des altérations génétiques interviennent dans l’ADN des cellules somatiques. Des agents dits cancérogènes peuvent provoquer des modifications génétiques. Il existe de nombreux agents génotoxiques. Ces agents peuvent être physiques comme les rayons UV et les rayonnements ionisants. Ils peuvent être d’origine endogène, formés au cours du métabolisme cellulaire ou d’origine exogène, apportés dans l’organisme par l’alimentation ou l’air respiré. Les facteurs exogènes sont de deux types : ceux présents dans les aliments et ceux synthétisés par l’homme (produits chimiques). En parallèle de ces phénomènes génétiques nous pouvons retrouver des phénomènes épigénétiques qui ne vont pas modifier la séquence de l’ADN mais sont capables de changer l’expression des gènes.
Il est difficile d’identifier les gènes dont les altérations sont à l’origine d’un cancer. Mais, certains gènes ont été identifiés comme altérés dans de nombreuses tumeurs. Les altérations génétiques et épigénétiques touchent deux classes de gènes en particulier : les oncogènes et les gènes suppresseurs de tumeur. Ces gènes sont impliqués dans la régulation de fonctions majeures (développement, croissance, homéostasie). Les proto­oncogènes sont des gènes cellulaires susceptibles de devenir suite à une mutation des oncogènes. Les oncogènes sontdes gènes cellulaires altérés capables de transformer une cellule normale en une cellule cancéreuse. Ils sont suractivés ou surexprimés dans les cellules cancéreuses .
Les gènes suppresseurs de tumeur peuvent être mutés ou inactivés. La perte de leur fonction peut conduire à la formation de cellules cancéreuses. Les deux allèles du gène doivent être altérés à la différence des oncogènes .

Le cancer : une maladie hétérogène

Une hétérogénéité est retrouvée entre les différents types de cancers mais aussi entre patients pour un même type de cancer. On parle d’hétérogénéité inter­tumorale. Par exemple, les cancers du sein peuvent présenter différentes caractéristiques moléculaires : cancer du sein hormono­dépendant, cancer du sein surexprimant HER2, tumeur « triple négative »… L’hétérogénéité peut être aussi intra­tumorale c’est­à­dire que pour une même tumeur on retrouve une hétérogénéité spatiale et temporelle. Une hétérogénéité peut être retrouvée entre la tumeur et les métastases mais aussi entre les cellules cancéreuses au sein d’une même tumeur. Cette hétérogénéité pose de nombreux problèmes et conduit à une efficacité réduite des traitements. Il en découle une nécessité de rechercher des cibles pertinentes et de développer des traitements personnalisés.

Les alkylants

Les alkylants sont les plus anciennes thérapies anticancéreuses. Ce sont des agents qui forment des adduits covalents avec l’ADN . Les alkylants réalisent une alkylation des bases hétérocycliques de l’ADN sur des sites particuliers : L’oxygène en position 6 de la guanine (O6), l’azote en position 7 de la guanine (N7), l’azote en position 3 de la cytosine (N3) et l’azote en position 1 de l’adénine (N1). Cette liaison covalente ne peut être réparée qu’après excision des bases et resynthèse de l’ADN. Les agents alkylants peuvent être monofonctionnels ou plurifonctionnels (le plus souvent bifonctionnels) selon leur nombre de sites réactifs capables d’engendrer une réaction d’alkylation. Les alkylants monofonctionnels réalisent une seule réaction d’alkylation. Les alkylants bifonctionnels peuvent se fixer sur deux atomes potentiels, ils sont plus efficaces car ils forment des ponts intra ou inter­catenaires qui empêchent l’ouverture de la double hélice de l’ADN lors de la transcription ou de la réplication.
Nous pouvons nous demander si l’alkylation seule est suffisante pour engendrer l’apoptose cellulaire. Il faut dans ce cas que les lésions occasionnées par ces agents ne soient pas réparées. Par ailleurs, les agents alkylants de par leur structure et donc leur mécanisme d’action sont des agents cancérogènes. Ils vont s’attaquer globalement à l’ADN sans cibler les cellules cancéreuses d’où leur cytotoxicité .
Le caractère mutagène des lésions est constaté lorsque les adduits engendrés par la réaction d’alkylation sont chimiquement stables et touchent les atomes impliqués dans l’appariement des bases. La stabilité des adduits formés peut avoir des conséquences importantes. Elle varie en fonction de l’atome impliqué (azote ou oxygène) et de la base touchée. La génotoxicité va être liée à une erreur de correction de ces lésions par le système de réparation de l’ADN. La base endommagée est conservée dans l’ADN nouvellement répliqué .

Les inhibiteurs des topoisomérases

Il existe deux topoisomérases aux structures et aux mécanismes d’action différents mais qui vont être complémentaires. Ce sont des enzymes qui interviennent dans la formation/déformation de la structure super­enroulée de l’ADN. Elles déroulent l’ADN et le coupent de manière transitoire pour faciliter sa détorsion, ce qui est nécessaire pour réaliser sa transcription et sa réplication. Ce mécanisme permet le passage des polymérases qui est indispensable pour la réplication de l’ADN . La topoisomérase I coupe transitoirement un seul des deux brins de la double hélice d’ADN puis transfère l’autre brin au travers de la coupure avant de les relier. Alors que la topoisomérase II coupe transitoirement les deux brins de l’ADN ce qui permet le passage d’un autre segment de l’ADN dans l’ouverture puis relie les deux brin.
Les inhibiteurs des topoisomérases I et II vont empêcher la religature de l’ADN après son clivage par stabilisation du complexe covalent topoisomérase­ADN, ce qui conduit à l’arrêt de la réplication et donc à l’apoptose de la cellule .

Table des matières

Introduction
I. Généralités 
I.1 Les Cancers et leur prise en charge thérapeutique 
I.1.1 Biologie des cancers
I.1.1.1 Définition
I.1.1.2 Le cancer : une maladie hétérogène
I.1.1.3 Le cancer : une maladie cellulaire
I.1.1.3.1 Maintien des signaux prolifératifs
I.1.1.3.2 Insensibilité aux signaux antiprolifératifs
I.1.1.3.3 Échappement à l’apoptose
I.1.1.3.4 Potentiel réplicatif illimité
I.1.1.3.5 Stimulation de l’angiogenèse
I.1.1.3.6 Capacité de migration et d’invasion
I.1.1.3.7 Quatre nouvelles caractéristiques décrites
I.1.1.4 Le cancer : une maladie des gènes
I.1.1.5 Le cancer : une maladie tissulaire
I.1.1.6 La cancérogenèse : un processus multi­étapes
I.1.1.6.1 Initiation
I.1.1.6.2 Promotion
I.1.1.6.3 Invasion et progression
I.1.2 Épidémiologie des cancers en France
I.1.2.1 Incidence des cancers
I.1.2.2 Mortalité des cancers en France
I.1.2.3 Prévalence des cancers en France
I.1.3 Stratégies de prise en charge du cancer
I.1.3.1 Chirurgie
I.1.3.2 Radiothérapie
I.1.3.3 Traitements médicamenteux
I.1.3.3.1 Chimiothérapie conventionnelle ou cytotoxique
I.1.3.3.2 Thérapies ciblées
I.1.3.3.3 Hormonothérapie
I.1.3.3.4 Immunothérapie
I.2 Développement de la voie orale dans la prise en charge du cancer
I.2.1 Parcours de soin
I.2.1.1 Parcours de soin d’un patient traité par thérapie anticancéreuse orale
I.2.1.2 Parcours de soin d’un patient traité par chimiothérapie injectable
I.2.2 Critères de choix de la voie orale
I.2.2.1 Avantages
I.2.2.1.1 Amélioration de la qualité de vie
I.2.2.1.2 Implication du patient dans son traitement
I.2.2.1.3 Adaptation du dosage
I.2.2.2 Inconvénients
I.2.2.2.1 Observance
I.2.2.2.2 Variation de la biodisponibilité
I.2.2.2.3 Impact sur la relation soignants­soignés
I.2.2.3 Point de vue des patients
II. Les thérapies anticancéreuses orales disponibles à l’officine 
II.1 Introduction
II.2 Chimiothérapies conventionnelles
II.2.1 Les alkylants
II.2.2 Antimétabolites
II.2.2.1 Analogues des folates
II.2.2.2 Analogues des purines
II.2.2.3 Analogues des pyrimidines
II.2.2.4 Autres antimétabolites
II.2.3 Les inhibiteurs des topoisomérases
II.2.4 Poisons du fuseau
II.2.5 Autres chimiothérapies conventionnelles
II.2.6 Effets indésirables des chimiothérapies conventionnelles
II.2.6.1 Toxicité hématologique
II.2.6.1.1 Anémie
II.2.6.1.2 Leucopénie
II.2.6.1.3 Thrombopénie
II.2.6.2 Toxicité digestive
II.2.6.2.1 Nausées et vomissements
II.2.6.2.2 Diarrhées
II.2.6.2.3 Constipation
II.2.6.2.4 Mucite
II.2.6.3 Toxicité cutanée et des phanères
II.2.6.3.1 Syndrome main­pied
II.2.6.3.2 Alopécie
II.2.6.3.3 Onychose
II.2.6.4 Toxicité cardiaque
II.2.6.5 Toxicité pulmonaire
II.2.6.6 Toxicité neurologique
II.2.6.7 Toxicité gonadique et fœtale
II.2.6.8 Second cancer
II.3 Les thérapies ciblées disponibles à l’officine 
II.3.1 Les inhibiteurs des récepteurs tyrosine kinase
II.3.1.1 Les inhibiteurs de l’EGFR
II.3.1.1.1 Erlotinib (TARCEVA ®)
II.3.1.1.2 Gefitinib (IRESSA ®)
II.3.1.1.3 Afatinib (GIOTRIF ®)
II.3.1.1.4 Lapatinib (TYVERB ®)
II.3.1.2 Les inhibiteurs du récepteur ALK
II.3.1.3 Inhibiteur de BTK
II.3.2 Les inhibiteurs de protéine kinases cytoplasmiques
II.3.2.1 Inhibiteurs de BCR‐ABL
II.3.2.1.1 Imatinib
II.3.2.1.2 Dasatinib (SPRYCEL ®)
II.3.2.1.3 Nilotinib (TASIGNA ®)
II.3.2.1.4 Bosutinib (BOSULIF ®)
II.3.2.2 Inhibiteurs de la voie des MAP kinases
II.3.2.2.1 Inhibiteur de B‐RAF
II.3.2.2.2 Inhibiteurs de MEK
II.3.2.3 Inhibiteur de la Voie PI3Kinase AKT MTOR
II.3.2.3.1 Inhibiteur de mTOR
II.3.2.4 Inhibiteur de JAK
II.3.2.5 Inhibiteur CDK 4/6
II.3.3 Les antiangiogéniques
II.3.3.1.1 Sunitinib (SUTENT ®)
II.3.3.1.2 Sorafenib (NEXAVAR ®)
II.3.3.1.3 Pazopanib (VOTRIENT ®)
II.3.3.1.4 Axitinib (INLYTA ®)
II.3.3.1.5 Regorafenib (STIVARGA ®)
II.3.3.1.6 Lenvatinib (LENVIMA ®)
II.3.4 Inhibiteur de la voie de signalisation Hedgehog
II.3.5 Effets indésirables des thérapies ciblées
II.3.5.1 Fatigue
II.3.5.2 Toxicité hématologique
II.3.5.3 Toxicité cutanéomuqueuse
II.3.5.3.1 Syndrome main pied
II.3.5.3.2 Toxicité à type de prurit, éruptions cutanées, rash, érythème et dermite acnéiforme
II.3.5.3.3 Lésions des ongles
II.3.5.3.4 Fragilité capillaire
II.3.5.3.5 Stomatites et mucites
II.3.5.3.6 Photosensibilité
II.3.5.4 Toxicité gastro‐intestinale
II.3.5.4.1 Nausées et vomissements
II.3.5.4.2 Diarrhées
II.3.5.5 Toxicité cardio‐vasculaire
II.3.5.5.1 Allongement de l’espace QT
II.3.5.5.2 Insuffisance cardiaque
II.3.5.5.3 Hypertension artérielle
II.3.5.5.4 Risque thrombo­embolique
II.3.5.6 Dysthyroïdies
II.3.5.7 Toxicité pulmonaire
II.4 Hormonothérapie
II.4.1 L’hormonothérapie dans le cancer du sein
II.4.1.1 Les anti­oestrogènes
II.4.1.2 Les anti­aromatases
II.4.1.3 Progestatifs
II.4.1.4 Effets indésirables de l’hormonothérapie du cancer du sein
II.4.1.4.1 Les anti­oestrogènes
II.4.1.4.2 Les inhibiteurs de l’aromatase
II.4.1.4.3 Les progestatifs
II.4.2 L’Hormonothérapie dans le cancer de la prostate
II.4.2.1 Les anti­androgènes.
II.4.2.1.1 Les anti­androgènes de première génération
II.4.2.1.2 Anti­androgènes de seconde génération
II.4.2.2 Les inhibiteurs de la biosynthèse des androgènes
II.4.2.3 Effets indésirables de l’hormonothérapie du cancer de la prostate
II.4.2.3.1 Gynécomastie
II.4.2.3.2 Troubles de la sexualité
II.4.2.3.3 Bouffées de chaleur
II.4.2.3.4 Toxicité digestive
II.4.2.3.5 Troubles visuels
II.4.2.3.6 Troubles hépatiques
II.4.2.3.7 Troubles respiratoires
III. Rôle du pharmacien d’officine dans la délivrance des thérapies anticancéreuses orales
III.1 Le pharmacien d’officine intervenant dans le lien ville­hôpital
III.2 Accompagnement du patient à l’officine
III.2.1 Conditions de prescription et de délivrance
III.2.2 Protocole de dispensation
III.2.2.1 Accueil et prise en charge du patient
III.2.2.2 Lecture et analyse de l’ordonnance
III.2.2.3 Préparation de l’ordonnance
III.2.2.4 Commentaire de l’ordonnance avec le patient
III.2.2.5 Conseils d’utilisation des thérapies anticancéreuses orales
III.2.2.6 Conclusion de la première dispensation
III.2.2.7 Le renouvellement
III.3 Difficultés liées aux thérapies anticancéreuses orales 
III.3.1 Connaître et identifier les effets indésirables des thérapies anticancéreuses orales
III.3.1.1 Conseils de prévention des effets indésirables
III.3.1.2 Rôle du pharmacien dans la survenue de ces effets indésirables
III.3.1.2.1 Toxicité hématologique
III.3.1.2.2 Toxicité cardiaque
III.3.1.2.3 Toxicité pulmonaire
III.3.1.2.4 Dysthyroïdies
III.3.1.2.5 Toxicité digestive
III.3.1.2.6 Dénutrition
III.3.1.2.7 Toxicités dermatologiques
III.3.1.2.8 Lésions des ongles
III.3.1.2.9 Rétention, œdèmes, jambes lourdes
III.3.1.2.10 Thrombose veineuse
III.3.1.2.11 Bouffées de chaleur
III.3.1.2.12 Douleurs musculosquelettiques, arthralgies
III.3.1.2.13 Diminution de la densité minérale osseuse
III.3.2 Interactions
III.3.2.1 Interactions médicamenteuses
III.3.2.2 Interactions avec l’alimentation
III.3.2.3 Automédication
III.3.3 Observance et adhésion au traitement
III.3.3.1 Définitions
III.3.3.1.1 Observance thérapeutique
III.3.3.1.2 Adhésion thérapeutique
III.3.3.2 Méthodes d’évaluation de l’observance thérapeutique
III.3.3.2.1 Méthodes directes
III.3.3.2.2 Méthodes indirectes
III.3.3.3 Problème de l’observance
III.3.3.4 Facteurs influençant l’adhésion au traitement
III.3.3.4.1 Facteurs liés à la thérapie
III.3.3.4.2 Facteurs liés au patient
III.3.3.4.3 Facteurs liés à la maladie
III.3.3.4.4 Facteurs liés au système de santé et aux professionnels de santé
III.3.3.4.5 Facteurs liés aux caractéristiques socio­économiques
III.3.3.5 Conséquences de la non adhésion au traitement
III.4 Stratégies pour améliorer la prise du traitement et son observance
III.4.1 Entretiens pharmaceutiques
III.4.2 Éducation thérapeutique du patient (ETP)
III.5 Besoins et attentes des officinaux 
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes

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