L’humanisme chez Juan Madrid à travers Un beso de amigo

L’humanisme chez Juan Madrid à travers Un beso de amigo

La bourgeoisie capitaliste

À l‟époque féodale, le bourgeois était l‟habitant du bourg, l‟ancienne petite ville fortifiée (Burg, en allemand, signifie «château-fort »), par opposition, d‟une part, au vilain (l‟habitant de la villa du maître et travailleur de la terre), et, d‟autre part, à ce maître lui-même, le seigneur447. «La liberté par l’argent et par la sécurité, ou l’argent dans la liberté ou la sécurité, formant l’essence des bourgeois [écrit Félix Colmet Daage], il était normal qu’on les retrouvât tout d’abord dans les villes»448. Ni nobles ni serfs, les bourgeois désavouaient souvent l‟autorité contraignante de la noblesse qui, de par leurs impôts, grevaient leurs activités mercantiles. Ils demandèrent à être placés sous l‟autorité directe des rois. Des «lettres de bourgeoisie» leur furent délivrées un peu partout en Europe, et surtout en France, où leurs privilèges étaient hautement protégés par la monarchie capétienne449. Marchande, la bourgeoisie migrera vers d‟autres secteurs d‟activités au gré des avancées technologiques et de la diversification des moyens de production. C‟est cette recherche perpétuelle du profit qui semble gouverner toute l‟action du bourgeois qui a orienté les thèses de Werner Sombart450 vers la conceptualisation d‟un «tempérament bourgeois». L‟économiste allemand parle de prédispositions psychiques, inégalement réparties chez les hommes, qui font que le bourgeois résulte d‟une certaine prédisposition naturelle, presque congénitale: Il semblerait presque que la différence entre le bourgeois et le nonbourgeois ne soit que l’expression d’une autre, plus profonde et plus générale, de celle notamment qui sépare les hommes en général […] en deux grandes catégories, dont l’une comprend les individus au tempérament expansif, les individus qui dépensent et se dépensent, et l’autre les individus au tempérament concentré, ceux qui vivent rentrés en eux-mêmes et épargnent. L’homme a pour trait caractéristique fondamental ou la luxuria ou l’avaritia (opposition que les anciens connaissaient déjà et à laquelle les scolastiques attachaient une importance particulière): certains hommes sont indifférents aux biens intérieurs et extérieurs qu’ils repoussent, parce qu’ils sont conscients de leur propre richesse; tandis que d’autres accumulent les biens, les cultivent, veillent sur eux et s’attachent à ne jamais dépenser plus qu’ils   ne possèdent, soit en richesses spirituelles, soit en forces, soit en richesses matérielles, soit en argent […]. L’un n’attache de la valeur qu’aux activités susceptibles de rehausser la distinction et la dignité de l’homme en tant que personnalité; les autres attachent une valeur égale à toutes les occupations, pour autant qu’elles servent au bien général, c’està-dire pour autant qu’elles sont «utiles». Il s’agit là d‟une différence infiniment importante dans la manière d’envisager et de comprendre la vie, et selon que l’une ou l’autre de ces conceptions prend le dessus, nous nous trouvons en présence d’une civilisation toute différente451 . Selon Sombart, cette opposition s‟applique non seulement sur les deux tempéraments, mais rejaillit même sur les manifestations de l‟un et l‟autre. Entre la bourgeoisie et l‟amour, de quelque degré qu‟il soit, il existe une relation antithétique. On vit soit pour l‟amour, soit pour l‟intérêt économique: «Vivre pour l‟amour c‟est dépenser, vivre pour l‟économie c‟est épargner»452. Rien de ce qui ne touche pas à l‟économie ne doit occuper la conscience du bourgeois. Il se vante de ses exploits économiques et fonde sa vie sur l‟épargne, les recettes. Au précepte «que les dépenses ne dépassent jamais nos revenus» vient s’ajouter, se superposer celui-ci: «dépenser moins qu’on ne possède, épargner»453 . L‟esprit capitaliste, qui se manifeste par la recherche effrénée «[…] d‟un profit, d‟un intérêt, d‟une plus-value boursière, d‟une marge spéculative, se prêtant avec complaisance aux investissements quand s‟ouvrent les perspectives de bénéfices»454, est né du tempérament bourgeois. Cet esprit capitaliste présente une extension qui diffère d’un peuple à l’autre. On retrouve ses premières manifestations en Italie, et tout particulièrement dans la ville de Florence dont les «[…] habitants étaient animés au XIVe siècle d’une passion fiévreuse (on est tenté de dire: américaine) du gain, d’un zèle vraiment amoureux pour le travail. Florence est cette ville que les pères, avant de mourir, chargeaient, par une disposition testamentaire, de punir d’une amende de 1.000 florins d’or leurs fils qui ne s’adonneraient pas à une occupation régulière»455. Cet esprit s‟étendra sur tout le vieux continent, mais surtout chez les anglais et les allemands.

les guerres

À côté de l‟amour, le thème de la guerre reste l‟un des plus traités dans la littérature. La guerre, ce «fruit de la dépravation des hommes», cette «maladie convulsive»463 , continue d‟inspirer encore aujourd‟hui la plume de nombre d‟écrivains et de penseurs. Les survivants eux-mêmes ont souvent senti la nécessité de témoigner de l‟horreur de leur expérience, et ce, dans différents genres. À ce titre, la première guerre mondiale semble avoir ravi la vedette aux Muses de Platon. Pour la seule période de 1915 à 1928, deux cent quarante six ouvrages de combattants ont été répertoriés par Jean Norton Cru464 . Selon le critique littéraire, les récits de guerre sont toujours difficiles à mener, surtout quand on veut être véridique. Difficiles à écrire parce qu‟il faut trouver les mots, et surmonter l‟angoisse de n‟être pas cru. D‟où le découragement de ceux qui pensent que «l‟essentiel de la guerre est ce qui n‟a jamais été dit parce que cela ne peut se traduire en paroles humaines»465 . Nous consacrerons alors la bienheureuse audace des écrivains qui, comme La Bruyère, avaient très tôt «entrepris d‟exprimer l‟inexprimable, de dire l‟indicible»466. La mort du jeune Soyecour, dont on pense qu‟il eut à être le précepteur, inspira à l‟auteur français un véritable réquisitoire contre la guerre, fille de la convoitise des humains: La guerre a pour elle l’antiquité; elle a été dans tous les siècles: on l’a toujours vue remplir le monde de veuves et d’orphelins, épuiser les familles d’héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. Jeune Soyecour! Je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable; je plains cette mort prématurée qui te joint à ton intrépide frère, et t’enlève à une cour où tu n’as fait que te montrer: malheur déplorable, mais ordinaire! De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres; et pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire; ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus solide réputation; et ils ont depuis renchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l’injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s’abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté467 . Il importe peu de remonter le temps pour déterminer avec exactitude la date du premier conflit entre humains qui a été vidé par la voie des armes. La tragique récurrence des pulsions bellicistes l‟emporte sur toute autre considération. Sur trois mille cinq cents ans d’histoire connue, il n’y a eu que deux cents ans de paix en général468 . Outre les causes déjà énoncées par La Bruyère, le rapport du Secrétaire Générale de l‟ONU, en date du 18 juillet 2006, insiste sur la responsabilité des politiques malencontreuses de nos dirigeants: Un grand nombre de conflits armés trouvent leur origine dans les défaillances des systèmes, des institutions et des pratiques de gouvernance et d‟administration publique. Tel est en particulier le cas lorsque les politiques de l‟État manquent Ŕdélibérément ou par inadvertanceŔ à répondre de manière impartiale aux besoins sociaux, économiques et politiques. Les inégalités horizontales qui découlent (ou donnent l‟impression de découler) d‟une gestion déficiente conduisent fréquemment à des conflits qui peuvent devenir violents, en particulier lorsque les clivages ethniques, régionaux ou religieux existants se doublent d‟une répartition inéquitable des biens collectifs469 . Ce serait alors une vaine entreprise que de vouloir attribuer une cause unique aux guerres. Les causes sont non seulement multiples mais elles peuvent interagir entre elles. L‟élément, que ne souligne pas les deux extraits sus mentionnés et qui à l‟heure actuelle est à l‟origine de la majorité des conflits armés, est ce que nous désignerons sous l‟appellation de «narcissisme religieux»: un groupe, une société ou un état tout entier se sent investi d‟une mission civilisatrice, ou même divine. Les deux déflagrations qui ont secoué la planète ne sont dues, au dire des historiens et autres spécialistes, qu‟au pathologique extrémisme de l‟humain. 467Jean de La Bruyère. Les Caractères.Version électronique: Htp://www.inlibroveritas.net, 1688, pp.214- 215. 468 Maurice Torrelli. Le droit international humanitaire que sais-je? Paris: P.U.F., 1985, p.3. Cité par Michel-Cyr Djiena Wembou et Daouda Fall. Droit international humanitaire: théorie générale et réalités africaines. Paris: L‟Harmattan, 2000, p.29. 469Nations Unies. «Rapport d‟activité Secrétaire général sur la prévention des conflits armés». http://www.ipu.org/splz-f/unga06/conflict.pdf, (consulté le 07/10/2011), p.12. 152 «Le temple» de la guerre, selon la polémologie, repose sur quatre piliers: la volonté, la létalité, la technicité et la symbolicité470. La volonté est consubstantielle à tout fait de guerre. Karl Von Clausewitz affirme dans ses écrits que «La guerre est la continuation de la politique par d‟autres moyens, à savoir violents»471. La guerre surgit de par la volonté affichée de l‟un des antagonistes au moins de renoncer à résoudre le différend par des «moyens spécifiquement humains -le dialogue, le droit, le pardonpour revenir aux pratiques irrationnelles de la lutte sanglante, du meurtre ou de l‟asservissement, de la destruction»472 . Les causes des conflits armés, quel que soit leur caractère, maintiennent toujours intacte la nature de leur subordonnant: des vies humaines sauvagement interrompues. Cette létalité est constitutive à la guerre, d‟autant plus que la paix ne se différencie de son antonyme que par «une mortalité [qui] ne comporte pas une part d‟homicides collectifs, organisés et dirigés»473. Ces homicides collectifs et organisés motivent pleinement la publication d’Alain Monck, Marie, la responsable, c’est la guerre474 . Jean, le personnage principal du roman, jeune soldat envoyé au front, loin des bras tendres de sa bien aimée, est en proie à de bien tristes réflexions: Aujourd’hui encore, dans la même tranchée, à essayer de survivre ensemble et revenir de cette guerre affreuse, tueuse d’espoirs, d’amour, nous avons vu tant d’hommes tombés, d’amis, de frères, heureux de vivre, la tête emplie de projets, l’un désirant reprendre ses études, l’autre se marier et suivre la voie du père à la ferme. Tous avaient la même envie, ne pas mourir, retourner aux pays et enfin vivre, rattraper les trois années écoulées à se battre, à tuer, à creuser des fossés, installer des barbelés. Pourtant la balle qui les fauche, la baïonnette qui perce leur corps, ne leur demande pas s’ils sont d’accord. À chaque fois que l’un disparait, un père, une mère, une épouse, une fiancée va pleurer, sa vie détruite à jamais de ne plus revoir l’être aimé475 . 470François Bernard Huygh. «Qu‟est ce que la guerre. Anthologie de textes sur la polémologie». Disponible sur: Http://www.huyghe.fr/, (consulté le 08/10/2011), p.4. 471Cité par Roger Troisfontaines. Á propos de l‟université. Namur: Presses Universitaires de Namur, 1989, p.47. 472 Ibid. 473 Gaston Bouthoul. La paix. Paris: P.U.F., 1974, p.31. 474Alain Monck. Marie, la responsable, c’est la guerre. Version électronique: Http://www.inlibroveritas. net, (consulté le 02/03/2009). 475 Ibid., p.2. 153 La létalité de la guerre, comme le soulignent le monologue de Jean, est le fait d‟une technicité (balle, baïonnette, etc.). Il n y a pas de guerres sans armes. Des séries de mutations très rapides ont multiplié, à des puissances exponentielles les capacités destructrices de l‟être humain. De l‟épée à la bombe nucléaire, en passant par la poudre noire, la bombe atomique, les armes biologiques et chimiques, l‟arme militaire a permis à l‟humain «[…] d‟accéder à la toute-puissance, mais dans l‟ordre de la destruction et de la mort»476 . Les éléments de la symbolicité, les plus visibles sans conteste, sont l‟uniforme et les insignes du clan ou le drapeau. Ils participent tous de la caution morale du conflit armé que les belligérants perçoivent comme juste477. Toute guerre déclenchée résulte de l‟affirmation préalable d‟une communauté persuadée de «son existence comme force historique qui ne se représente l‟ennemi et ne se convainque qu‟il a des raisons de tuer ou de mourir. Elles peuvent être très diverses: augmenter sa collection de crânes, gage de prestige dans certaines civilisations, renverser le nouvel Hitler (Milosevic, Saddam Hussein…) et d‟établir une paix démocratique universelle dans d‟autres cultures»478 . Ethnique, civile ou internationale, les guerres chez Juan Madrid ont le même sinistre dénominateur commun: l’anéantissement de toute humanité chez l’homme. Celuici fait preuve d‟une violence inouïe envers son semblable pour assouvir son désir de vaincre. Dans Gente bastante extraña, les soldats du Coronel Malewo Tongo font fi de l’intégrité physique de la personne humaine. Ils mutilent leurs compatriotes et arborent fièrement leurs macabres trophées, devant le journaliste qui était venu les interviewer: Al terminar la frugal comida, este corresponsal preguntó por el origen de las orejas y manos ensartadas en alambres y juncos que algunos de estos valientes luchadores por la libertad de su patria llevaban prendidas del hombro. “Las hemos cogido como recuerdo de los muertos del general Ojén Mabarreto, ese perro traidor y salvaje que hace empalar a los prisioneros y que no cumple ninguna de las disposiciones de las 476Ivo Rens. «La recherche pour la paix et son double». Conférence prononcée dans le cadre d’une manifestation du Musée d’Éthnographie de Genève sur La Paix. Disponible sur: Http://www.gipri. ch/spip.php?article171, (consulté le 30/10/ 2011). 477 Nous nous permettons de reprendre le propre terme de Alberico Gentilis qui, dans son De jure bellis publié en 1597, parlait de la guerre en ces termes: «Armorum publicorum justa contentio» (La guerre est un conflit armé, public et juste). Cité par François Bernard Huygh, op.cit., p.3. 478 Ibid. 154 Convenciones de Ginebra de 1914 y 1921, ratificadas por las naciones unidas en 1948 y 1962”479 (pp.23-24). Le discours du soldat de Gente bastante extraña reflète le «désengagement moral»480, caractéristique de tous les combattants de guerre. Ce processus «complexe» s‟accomplit principalement à travers les justifications des violations («Nous les avons pris des cadavres des partisans du général Ojén Mabarreto en guise de souvenir») et la déshumanisation de l’ennemi («ce chien traître et sauvage qui fait empaler les prisonniers et ne respecte aucune des dispositions des Conventions de Genève de 1914 et de 1921, ratifiées par les nations unies en 1948 et en 1962»). L‟obéissance à l‟autorité et la soumission au groupe font que [Le soldat] qui commet un acte répréhensible se considère souvent non pas comme un bourreau, mais comme une victime. Il se sent victime, il se croit victime, on lui dit qu‟il est victime, et cela lui donne le droit de tuer ou de commettre des atrocités. Il appartient au camp des vaincus, au camp des humiliés, aux damnés de la terre, aux dépossédés, à ceux avec qui l‟Histoire s‟est montrée injuste […]. Une des raisons souvent invoquées pour justifier le non-respect du DIH est que le peuple, l‟ethnie, la race ou le pays qui se bat pour sa survie ne peut pas s‟embarrasser de considérations humanitaires et de règles susceptibles de l‟affaiblir. Pour ce peuple, la fin justifie les moyens481 . Négation de toute compassion ou amitié pour cet autre que moi, la guerre exacerbe ainsi l‟intolérance, ce refus du droit à la différence. Robert Luis Stevenson Sartoris, un des principaux personnages de Gente bastante extraña, relate les terribles massacres auxquels avait abouti, cinquante ans auparavant, l‟arrogance d‟un homme et de son peuple:

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
Origine et évolution du concept
CHAPITRE 1
Origine du concept
CHAPITRE 2
Evolution du concept
DEUXIEME PARTIE
Vision madridiste de l‟homme
CHAPITRE
L‟amour
CHAPITRE 2
L‟amitié et la fidélité
CHAPITRE 3
Le sens de la dignité et de l‟honneur
CHAPITRE 4 La tolérance et la solidarité
TROISIEME PARTIE
Les obstacles à l‟idéal humaniste selon Juan Madrid
CHAPITRE 1 La religion
CHAPITRE 2 La police
CHAPITRE 3 La bourgeoisie capitaliste
CHAPITRE 4 Les guerres
QUATRIEME PARTIE Pertinence de l‟humanisme madridiste
CHAPITRE 1 L‟Humanisme: Quelle écriture ?
CHAPITRE 2 L‟humanisme madridiste: Res factae/Res fictae
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
INDEX NOMINUM
INDEX RERUM

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