L’INTERVENTION DU JUGE DANS LA VIE DES SOCIETES COMMERCIALES

L’INTERVENTION DU JUGE DANS LA VIE DES SOCIETES COMMERCIALES

les sanctions de l’abus de minorité

Deux situations doivent être distinguées selon qu’il s’agit de sanctionner un abus négatif ou un abus positif. 1. la sanction de l’abus positif 298. Aux termes de l’article 1 al.1, de l’AUSC GIE «les associés minoritaires peuvent engager leur responsabilité en cas d’abus de minorité». On sait que l’article 8 du code des obligations civiles et commerciales oblige celui par la faute duquel un préjudice est né à le réparer.  L’abus de minorité positif n’est pas expressément prévu par l’AUSC GIE contrairement à l’abus négatif. Mais, il s’agit d’une hypothèse susceptible de se poser en jurisprudence dans l’espace ohada. 299. Lorsque les minoritaires réussissent en effet de façon abusive à faire adopter une mesure ou une délibération, il va falloir faire œuvre de jurisprudence. La sanction devrait être la même que dans le cas d’un abus de majorité : la mesure ou la délibération litigieuse devra être annulée. Des dommages intérêts peuvent également être alloués à la société et éventuellement aux majoritaires. S’il s’agit de sanctionner une action en justice abusive les minoritaires seront déboutés de leur demande et condamnés à des dommages intérêts, cette réparation pécuniaire pourrait ne pas être seulement symbolique si, par exemple, cette action s’insère dans une politique de harcèlement systématique des dirigeants de la société4. 300. Contrairement à la sanction de l’abus de minorité positif qui ne soulève pas de difficultés, la sanction de l’abus de minorité négatif apparaît, quant à elle, plus complexe. 2. la sanction de l’abus négatif 301. Beaucoup plus délicate est en effet la question de la sanction de l’abus négatif, lorsque la décision souhaitée par les majoritaires au nom de l’intérêt social ne peut être adoptée par suite d’un blocage des minoritaires. Plusieurs sanctions sont envisageables. Certaines sanctions de l’abus de minorité consacrent une véritable immixtion ; leur étude est donc renvoyée à la deuxième partie de cette thèse. Les sanctions envisagées à ce niveau sont celles qui rentrent dans les pouvoirs normaux du juge. 304. Il y a d’abord la dissolution qui peut être demandée par les majoritaires dans la mesure où les abus témoignent d’une mésentente telle entre les associés qu’elle aboutit à une situation irrémédiable et empêche la continuation de la société (article 200 AUSC GIE). On aboutit en effet en cas d’abus de minorité, comme en cas d’abus d’égalité, à un blocage, situation totalement différente de celle provoquée par l’abus de majorité. Mais la dissolution n’est pas le plus souvent souhaitée par les majoritaires qui, grâce à la mesure qu’ils ont proposée et qui n’a pu être adoptée, souhaitent au contraire la continuation de la société. En revanche, si la dissolution est réclamée par les seuls minoritaires, la demande pourrait être aisément rejetée, car il est de jurisprudence constante qu’un associé ne peut se prévaloir d’une cause de dissolution qu’il a lui-même créée en provoquant un trouble social6. 305. Il y a ensuite l’allocation de dommages et intérêts décidée par les tribunaux. En effet, la possibilité de condamner les minoritaires à verser des dommages et intérêts aux majoritaires et à la société ne fait aucun doute. Il suffit aux demandeurs de prouver la faute (l’abus de minorité, le ou les préjudices et lien de causalité.Le montant des dommages intérêts auquel peuvent être condamnés les minoritaires est souvent très important. Certains attendent de ces condamnations un effet dissuasif capital sur les minoritaires, qui pourront être ainsi amenés à revoir leur position dans un sens plus conforme à l’intérêt social. Il ne fait pas de doute que les magistrats peuvent jouer ici un rôle décisif dès lors que l’on saura qu’une jurisprudence ferme s’est établie sur le montant des dommages intérêts alloués en cas d’abus de minorité. 307. Toutefois, cette réparation par l’octroi de dommages intérêts risque le plus souvent d’être insuffisante : dans le meilleur des cas, les minoritaires paieront les dommages intérêts mais la résolution litigieuse tant attendue n’aura toujours pas été adoptée. C’est pourquoi, la cour de cassation a décidé qu’ « hormis l’allocation d’éventuels dommages intérêts, il existe d’autres solutions permettant la prise en compte de l’intérêt social ».La formule est trop suggestive. Certains auteurs8considèrent qu’elle « s’accorde parfaitement à l’idée que dans le domaine de la responsabilité civile, le juge peut ordonner, à la demande de la victime, la réparation qui lui apparaît la plus appropriée» ; ce qui réserve au minimum, selon cet auteur, la condamnation de l’auteur du dommage(à la minorité opposante) à voter sous astreinte la résolution que requiert l’intérêt social et pourquoi pas la possibilité d’ordonner par jugement 7 Cass. Com janvier 1992, op. cit. note 3. 8 Hervé Le Nabasque, note sous cass. Com. janvier 1992 susvisé. 7 l’augmentation du capital en recourant à la technique du jugement valant acte. 309. Mais à la vérité, cet auteur va plus loin que le juge qui consciemment a refusé de franchir le rubicond parce qu’habité par le doute. Sa certitude dans cette affaire se limite à constater l’inexactitude de l’assertion de la cour d’appel de Paris qui affirma le 26 janvier 1990 que la circonstance de l’abus de minorité ne peut aboutir qu’à l’allocation de dommages intérêts. Mais la cour de cassation ne dit pas en dehors des dommages intérêts, à quel autre mode de sanction la cour de Paris devrait elle faire appel. 3. Peu de temps après l’arrêt Vitama, la cour de cassation déjà hésitante dans les modes de sanction a, par un arrêt du juillet 19929, ajouté de la fumée au brouillard. En effet, les hauts magistrats ne se contentant pas d’un moyen fondé sur l’absence d’abus de minorité, ont éprouvé le besoin de reparler de cet abus dans un deuxième moyen qui n’était pas réellement nécessaire en droit pour casser la décision attaquée. Les faits de l’espèce étaient simples. 3. Une associée minoritaire de société à responsabilité limitée avait demandé aux juges du fond l’annulation d’une décision de transformation en société anonyme, cette décision ayant été votée à l’unanimité des associés présents et représentés mais à une majorité inférieure à 9 Cass. Com JUILLET 1992, JCP 1992, II, 21944, note J.F Barbièri ; Bull Joly 1992, note P. Le Cannu. 8 celle des trois quarts des parts sociales requise par l’article 69 de la loi du 24 juillet 19660. Cette transformation était cependant entrée dans les faits depuis plusieurs années. La cour d’appel de Limoges avait refusé de faire droit à cette demande au motif que cette associée avait commis un abus de minorité en s’abstenant systématiquement de participer aux décisions intéressant la vie sociale. 3. Cet arrêt fut censuré par la cour de cassation qui déclara que même si l’abus avait été commis, un tel abus « n’était pas susceptible d’entraîner la validité de la décision irrégulière », ce qui d’ailleurs selon la cour n’était pas le cas. Les termes de cet arrêt peuvent laisser penser que la cour a souhaité exclure de ces moyens la faculté pour les juges du fond de valider des résolutions conformes à l’intérêt social et abusivement bloquées. 3. Une telle interprétation serait à notre avis hâtive. En effet, pour débouter Madame SIX de sa demande, les juges de la cour de Limoges ont estimé que l’abus de minorité commis par celle-ci avait produit des effets dommageables pour l’intérêt social qui ne pouvaient être justement réparés que par le rejet de l’action en nullité. L’action de Madame Six pouvait en effet paraître tardive puisque la société avait fonctionné sous sa nouvelle forme depuis 1986. Les juges du fond ont ainsi entendu sanctionner d’une façon qui leur paraissait équitable l’attitude de 0 Les articles 374 et 181 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et le GIE prévoient l’unanimité des associés pour la transformation d’une SARL en SA. 9 l’associée minoritaire, passive pendant plusieurs années, en n’accueillant pas son action en nullité1. On peut voir à travers cette position l’application simple de l’adage nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans. 3. Le raisonnement des juges du fond est censuré par la haute juridiction qui se fonde sur la violation du texte qui détermine les conditions de transformation d’une SARL en SA. Il est permis de penser que par cet arrêt, la cour referme partiellement la voie ouverte par l’arrêt Vitama en ce sens qu’elle refuserait aux juges du fond le principe du droit de valider une décision prise sans l’assentiment d’un associé minoritaire si ce refus est abusif. 3. Nous estimons qu’une telle conclusion serait inexacte. Il est plus raisonnable de considérer que les hauts magistrats aient souhaité sanctionner en l’espèce le raisonnement des juges du fond consistant à dénier à un associé le droit de se prévaloir d’une action en nullité au prétexte que par ailleurs il se serait rendu coupable d’abus. 3. Comme l’a soutenu Monsieur Hervé Le Diascorn2, cet attendu de l’arrêt s’explique surtout dans la mesure où le défaut de démonstration d’une atteinte grave à l’intérêt de la société ne permettait pas de légitimer une violation aussi manifeste des dispositions légales. 1 Limoges 23 avril 1990, Juris-Data n° 0459. 2 Note sous arrêt Six, juillet 1992, Rec. Dalloz 1993, Jurisp. P. 279. 0 3. A la différence de l’arrêt Six, l’arrêt Flandin3 éclaire beaucoup plus la portée de l’arrêt Vitama sur la question controversée des sanctions de l’abus de minorité. 318. Les faits étaient très simples. Des associés minoritaires (Joseph et Michel Flandin) avaient d’abord voté contre un projet de résolution tendant à augmenter le capital d’une SARL afin de porter son montant à 50000 francs conformément aux dispositions de la loi du 1er mars 1984 qui imposait aux sociétés d’y procéder avant le 1er mars 1989 sous peine de dissolution de plein droit. Trois (3) ans plus tard, ils s’étaient abstenus de participer à une assemblée appelée à statuer sur une autre augmentation de capital d’un montant plus élevé. 319. D’abord l’arrêt rappelle subsidiairement que les deux éléments de l’abus doivent être soigneusement établis par le juge, puisqu’on l’invite à apprécier et l’intérêt social et « l’égoïsme plus fort que nature » qui en forme le nœud4. 320. Aussi, faut-il que l’adoption de la résolution soit nécessaire (et pas seulement utile) à la préservation des intérêts sociaux. C’est ce que rappelle, en l’espèce la cour de cassation lorsqu’elle souligne, sur le grief articulé par les majoritaires, que l’augmentation de capital de la SARL, à hauteur des 50000 francs légalement imposée était bien « nécessaire à la survie de la société » puisque le non respect des dispositions de la loi expose la société à une cause de dissolution de plein droit. 

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE L’INTERVENTION PRUDENTE DU JUGE DANS LE TRAITEMENT DES QUESTIONS METTANT EN CAUSE LE FONCTIONNEMENT
DE LA SOCIETE
TITRE I L’INTERVENTION PRUDENTE DU JUGE DANS L’EXAMEN DES ACTES
CHAPITRE I L’ANNULATION DES ACTES
SOCIAUX
CHAPITRE II LA DETERMINATION DU CONTENU DES ACTES
CONCLUSION DU TITRE I
TITRE II L’INTERVENTION PRUDENTE DU JUGE DANS L’EXAMEN DES POUVOIRS
CHAPITRE I LA PRUDENCE LIEE AUX PRESCRIPTIONS LEGALES
CHAPITRE II LA PRUDENCE LIEE A LA NECESSITE DU MAINTIEN DE L’EQUILIBRE DES POUVOIRS
CONCLUSION DU TITRE II
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
DEUIXIEME PARTIE L’INTERVENTION HARDIE
DU JUGE DANS LE TRAITEMENT DES CONFLITS
METTANT EN JEU LA SURVIE DE LA SOCIETE
TITRE I L’INTERVENTION HARDIE DU JUGE
DANS LE TRAIRMRNT DES CONFLITS POUVANT
ENTRAINER LA PARALYSIE DE LA SOCIETE
CHAPITRE I LA MISE A L’ECART DES ORGANES
LEGAUX AU PROFIT D’UN ORGANE JUDICIAIRE
CHAPITRE II LA NOMINATION D’ORGANES
D’ASSISTANCE AUX COTES DES ORGANES
LEGAUX COMPETENTS
CONCLUSION DU TITRE I
TITRE II L’INTERVENTION HARDIE DU JUGE DANS
LE TRAITEMENT DES QUESTIONS POUVANT
ENTRAINER LA DISPARITION DE LA SOCIETE
CHAPITRE I LES SOLUTIONS ATTEIGNANT
L’ASSOCIE
CHAPITRE II LES MESURES TOUCHANT
LA SOCIETE PERSONNE MORALE
CONCLUSION DU TITRE II
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE384 à 386
CONCLUSION GENERALE

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