Mécanismes de l’immunothérapie épicutanée des allergies alimentaires

Mécanismes de l’immunothérapie épicutanée des
allergies alimentaires

Tolérance naturelle

Chez un individu sain (non allergique), la tolérance naturelle est la réponse du système immunitaire vis-à-vis des allergènes de l’environnement. Dès les premières années de vie, un mécanisme actif de tolérance se met en place. Il peut prendre place au niveau du tube digestif lors de l’ingestion d’aliments, ou de la peau lors de contacts cutanés ou plus rarement des voies respiratoires lors d’inhalation d’allergènes alimentaires disséminés dans l’air, ou de pollens homologues à certains allergènes alimentaires (Brough et al., 2015; Chinthrajah et al., 2016; Mäkinen-Kiljunen and MussaloRauhamaa, 2002; Sussman et al., 2010). Ce mécanisme de tolérance est possible grâce aux caractéristiques de ces interfaces épithéliales qui sont composées 1) d’une structure anatomique permettant une entrée contrôlée des allergènes extérieurs (barrière épithéliale), 2) d’un microbiote spécifique, 3) d’un ensemble de cellules immunitaires qui sondent en permanence les molécules de l’environnement pour maintenir une tolérance ou au contraire activer une réponse effectrice en cas de danger. Les allergènes alimentaires, principalement des glycoprotéines, ne présentent pas de motifs assimilés à des signaux de danger, à la différence des pathogènes. En conséquence, une réponse adaptatrice régulatrice prédominante se met en place (Figure 4). 40 Figure 4 Tolérance naturelle face aux allergènes de l’environnement 1: L’allergène pénètre l’épithélium et est pris en charge par les cellules dendritiques du tissu (à savoir dans la peau: LC épidermiques, cDC1 et cDC2 dermiques; dans le tube digestif: CD103+ DC) 2:Les DC qui ont capté l’allergène migrent avec un état d’activation immature ou semi-mature dans les GLD. En absence de signaux de costimulation forts, ils activent des LTREG spécifiques d’une part, et induisent l’anergie ou la délétion des LT naïfs spécifiques d’autre part. 3:En retour, les LTREG activés inhibent i) les DC via l’interaction de CTLA-4 avec CD80/CD86, ii) les LT naïfs ou effecteurs via la production d’adénosine et de TGF-β, et iii) promeuvent une commutation isotypique IgA des LB via la sécrétion de TGF-β et d’IL-10 4:Les LB produisent des IgA spécifiques qui participent en particulier à la tolérance immunitaire du tube digestif Tolérance orale La tolérance orale est rendue possible par la structure particulière de l’épithélium digestif. En effet, elle comprend un revêtement de cellules épithéliales liées par des jonctions serrées (=épithélium), en contact direct avec la lumière du tractus digestif (Figure 5). Les cellules épithéliales sont principalement des entérocytes associés à des cellules en gobelet et des cellules à plis microscopiques (appelées cellules M). Les cellules en gobelet permettent la production de mucus qui limite la pénétration du microbiote et des allergènes à travers l’épithélium. L’absence de mucus empêche la tolérance orale. Les cellules M possèdent des récepteurs spécifiques d’antigènes bactériens de la lumière intestinale afin de les présenter aux cellules dendritiques ou lymphocytes B locaux. Elles participent à l’homéostasie entre le microbiote intestinal et le système immunitaire. 41 Figure 5 : Tolérance immunitaire face aux antigènes dans l’intestin (adapté de Yu et al., 2016) Lors d’ingestion d’allergènes, ces derniers pénètrent l’épithélium intestinal et sont pris en charge par les macrophages CX3CR1+ ou les DC sous-épithéliales. Les macrophages sont capables de transférer l’antigène aux DC. A l’homéostasie, en absence de signaux de danger, les DC CD103+ migrent dans les ganglions lymphatiques drainants, produisent du TGF-β et de l’acide rétinoïque et présentent l’antigène aux LT naïfs. Cette activation à bas bruit induit préférentiellement des LTREG et entraine au contraire l’anergie ou la délétion des LTh2. Les LTFH activés par les DC induisent principalement des LB producteurs d’IgA. En effet, l’épithélium est associé à un tissu conjonctif de support, la lamina propria (LP), et au « tissu lymphoïde associé au tube digestif » (GALT, Gut Associated Lymphoid Tissue) qui est distribué tout au long du tube digestif. La LP et le GALT sont 42 tous deux riches en cellules immunitaires. Le GALT est un lieu d’activation et de différentiation de lymphocytes T et B naïfs. En revanche, la lamina propria correspond davantage à une zone où des lymphocytes T déjà activés s’accumulent. Le GALT est matérialisé par les plaques de Peyer (PP) au niveau du petit intestin (iléon en particulier), ainsi que des tissus lymphoïdes solitaires isolés (SILTs, solitary isolated lymphoid tissues) distribués dans le petit et grand intestin (Fenton et al., 2020). Ces GALT représentent un organe lymphoïde tertiaire où de nombreux lymphocytes T et B, ainsi que des macrophages et cellules dendritiques, sont localisés, facilitant la mise en place d’une réponse adaptative. Plus spécifiquement, les plaques de Peyer forment un dôme sous-épithélial constitué de follicules lymphocytaires B, de zones interfoliculaires riches en lymphocytes T, surmonté d’un épithélium intestinal enrichi en cellules M (« microfold cells »). Les antigènes et allergènes de la lumière intestinale arrivant au contact de l’épithélium intestinal peuvent être capturés par différentes voies pour être rapidement pris en charge par le système immunitaire : x Paracytose (passage entre les cellules épithéliales) x Transcytose (passage dans les entérocytes ou cellules en gobelet) x Endocytose par les cellules M des plaques de Peyer x Capture directe par un macrophage ou une cellule dendritique, par extension d’une dendrite entre les cellules épithéliales ou au travers d’une cellule M via un pore (Lelouard et al., 2012) Lors de l’ingestion d’aliments, les potentiels allergènes sont capturés au niveau de l’épithélium intestinal et pris en charge par principalement deux types de cellules immunitaires : les macrophages CX3CR1+ et les cellules dendritiques résidentes CX3CR1- CD103+ (CD11b+ ou CD11b-) situés dans la lamina propria et le GALT. A noter que les macrophages peuvent directement transférer l’antigène aux cellules dendritiques (Mazzini et al., 2014). Chez un individu sain, ces macrophages vont produire de l’IL-10, tandis que les cellules dendritiques après maturation et activation, sécrètent de l’acide rétinoïque et du TGF-β, et présentent l’allergène aux lymphocytes T du GALT/LP ou des ganglions lymphatiques drainants après migration. Cet ensemble de cytokines anti-inflammatoires permet une activation majeure de 43 lymphocytes LT CD4+ régulateurs (LTREG). Les LTREG induits peuvent être de nature différente (Figure 6) (Roncarolo et al., 2018): Figure 6 Les trois catégories principales de LT régulateurs et leurs mécanismes d’action. Les LTREG FoxP3+ naturels (thymiques ou périphériques) peuvent inhiber une réponse immunitaire via la production de cytokines (TGF-β, IL-35, IL-10), de molécules cytotoxiques (granzyme B), d’adénosine (via CD39 et CD73). Également, ils peuvent capter l’IL-2 du milieu environnant ou inhiber par contact direct via CTLA-4 (se fixant sur CD80/86). Les LTREG non conventionnels n’expriment pas le facteur de transcription FoxP3 : les LTr1 sécrètent une forte quantité d’IL-10 régulatrice tandis que les LTREG LAP+ sécrètent majoritairement du TGF-E. 1) Les LTREG naturels (nLTREG) CD4+CD25+FoxP3+, qui exercent leur action via le TGF-β, l’IL-10, et un ensemble de récepteurs inhibiteurs de surface (CD25, CTLA4, LAG-3, CD39, CD73, PD-1, …) et se divisent en deux sous-groupes (Sakaguchi et al., 2020): a. Les LTREG thymiques (tLTREG) qui acquièrent l’expression de FoxP3 dans le thymus. b. Les LTREG périphériques (pLTREG) qui dérivent de LTconv FoxP3- et qui acquièrent l’expression du Foxp3 en périphérie (organes lymphoïdes secondaires). Ils ont un répertoire distinct de celui des tLTREG leur permettant de jouer un rôle complémentaire. 2) Les LTREG non conventionnels FoxP3- (sous-populations de LT auxiliaires) qui se différencient à partir de lymphocytes T naïfs périphériques et acquièrent leur fonction régulatrice dans les organes lymphoides secondaires ; ils ont également un répertoire TCR distinct de celui des tLTREG. On distingue: a. Les LTREG de type 1 (Tr1) CD4+CD45RA-CD25-FoxP3-LAG3+CD49b+, qui produisent principalement de l’IL-10, mais également du TGF-β (Groux et al., 1997). Comme les nLTREG, ils peuvent produire de l’adénosine antiinflammatoire grâce aux ectonucléotidases membranaires CD39 et CD73 qui catabolisent l’ATP extracellulaire. 44 b. Les LTREG de type 3 (Th3) : CD4+CD25-FoxP3-LAP+ (LAP, latent associated peptide) dont le mécanisme de suppression dépend principalement du TGF-β. Le TGF-β (homodimère) produit par ces cellules forme un complexe avec le LAP qui empêche son activité (forme inactive du TGF-β, appelée TGF-β latent). Pour que le TGF-β joue son rôle et puisse se fixer sur son récepteur à la surface d’autres cellules, il doit être libéré du LAP. Cette libération/activation peut notamment se faire par l’action de protéases de la matrice extracellulaire ou d’intégrines contenant les chaines DV (Robertson and Rifkin, 2016). Une fois libéré le TGF-β pourra se fixer sur son récepteur activant la voie canonique des protéines Smad dans la cellule cible.

Tolérance cutanée

Les allergènes alimentaires ne sont pas uniquement ingérés, ils pénètrent également la peau. A ce titre, ils engendrent une réponse immunitaire tolérogène naturelle ou, au contraire, ils peuvent induire un phénomène de sensibilisation (Du Toit et al., 2016). La peau est considérée aujourd’hui comme un organe immunitaire à part entière du fait de la présence de nombreuses cellules immunitaires (Figure 7) (Bird et al., 2018a; Guttman-Yassky et al., 2019). De plus, elle présente une très grande surface épithéliale (~30m2) en interaction avec le microbiote cutané (Gallo, 2017). Ainsi, le système immunitaire est constamment stimulé par les antigènes de l’environnement et délivre une réponse tolérogène en absence de danger. La peau possède une structure constituée de l’extérieur vers l’intérieur de trois principales couches : l’épiderme, le derme et l’hypoderme. L’épiderme non vascularisé est majoritairement formé de kératinocytes qui ont un rôle essentiel de structure et de barrière physique (Goleva et al., 2019). Ces cellules se différencient de l’intérieur (couche basale) vers l’extérieur (couche cornée) pour former une couche de cellules mortes kératinisées très denses qui limitent la pénétration d’agents extérieurs (physique, chimique, microbien). Les kératinocytes vivants des couches intermédiaires sont capables de présenter des antigènes sur leurs complexes majeurs d’histocompatibilité de classe I (et II dans des conditions inflammatoires), de sécréter des cytokines et chimiokines pour maintenir une homéostasie tissulaire (Kim et al., 2009; Tamoutounour et al., 2019). En outre, l’épiderme contient des cellules immunitaires essentielles pour l’homéostasie : cellules de Langerhans (LC), lymphocytes T résidents mémoires (TRM). Les LC qui sont des cellules présentatrices 46 d’antigène représentent 2-5% des cellules épidermiques : elles patrouillent et captent en permanence les antigènes de l’environnement. Elles possèdent un fort pouvoir tolérogène qui permet de maintenir l’intégrité du tissu et d’activer principalement des LTREG en l’absence de signaux de danger (Mercedes Gomez de Agüero et al., 2012; Seneschal et al., 2012). L’épiderme contient de nombreux follicules pileux qui forment des invaginations. Ces follicules pileux sont des lieux de contact et d’entrée privilégié pour le microbiote et les antigènes extérieurs. En dessous de l’épiderme se situe le derme, majoritairement constitué de fibroblastes producteurs de la matrice extracellulaire. Le derme contient également de nombreuses cellules immunitaires résidentes : des cellules dendritiques conventionnelles de type 1 et 2 (cDC1, cDC2), des cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDC), des macrophages, des mastocytes, des cellules lymphoides innées, des lymphocytes T, des lymphocytes B (Egbuniwe et al., 2015). L’ensemble de ces cellules immunitaires associés au tissu cutané forme une structure intégrée appelée « tissu lymphoïde associé à la peau » qui de par son organisation peut répondre rapidement à un pathogène ou un stimulus local (Streilein, 1983). Ce concept a plus récemment été adapté aux conditions inflammatoires, où il a été observé que les cellules immunitaires cutanées s’organisent pour former des groupes périvasculaires, alors appelés tissus lymphoïdes inductibles associés à la peau (iSALT, « inducible skin associated lymphoid tissue »). Cette structure favorise l’interaction entre DC et LT CD4+ ou LT CD8+. De plus, les iSALT sont formés autour des capillaires sanguins et favorisent donc les échanges et le recrutement de monocytes, neutrophiles depuis la circulation. Ainsi, en prévenant la formation de ces structures, il est possible de limiter l’intensité des réponses d’eczéma allergique de contact (Honda et al. 2016; Natsuaki et al. 2014).

Table des matières

REMERCIEMENTS
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE .
1 ALLERGIE ALIMENTAIRE
1.1 HISTORIQUE
1.2 DEFINITION
1.3 PREVALENCE
1.4 ALLERGENES RESPONSABLES
1.5 EVOLUTION DE LA MALADIE
1.6 CLASSIFICATION PAR ENDOTYPE
1.7 ETIOLOGIE
1.7.1 Facteurs de risque intrinsèques
1.7.2 Facteurs de risque extrinsèques
1.8 IMPACT SOCIO-ECONOMIQU
1.9 SYMPTOMES
1. PHYSIOPATHOLOGIE
1..1 Tolérance naturelle
1..2 Rupture de tolérance : Sensibilisation
1..3 Réponse/Réaction allergique
1. DIAGNOSTIC
1. PRISE EN CHARGE
2 IMMUNOTHERAPIES ALLERGENIQUES (ITA)
2.1 HISTORIQUE, PRINCIPE DES ITA
2.2 DIFFERENTS PROTOCOLES EXISTANTS (VOIES D’ADMINISTRATION)
2.2.1 Préparation de l’allergène pour les ITA
2.2.2 Immunothérapie orale (OIT)
2.2.3 Immunothérapie sublinguale (SLIT)
2.2.4 Immunothérapie allergénique épicutanée (EPIT)
2.2.5 Comparaison des différentes voies de désensibilisation
2.3 MECANISMES IMMUNITAIRES DE L’IMMUNOTHERAPIE ALLERGENIQUE (ITA)
2.3.1 Lymphocytes T régulateurs
2.3.2 Lymphocytes T effecteurs: anergie et déviation du profil cytokinique
2.3.3 Lymphocytes T folliculaires régulateurs (LTFR)
2.3.4 Lymphocytes B régulateurs (LBREG)
2.3.5 Déviation isotypique des anticorps (IgE / IgG)
2.3.6 Désactivation des mastocytes, basophiles
2.3.7 Cellules lymphoïdes innées
2.3.8 Impact sur les monocytes, macrophages et cellules dendritique
2.3.9 Mécanismes d’action associés à EPIT
3 LES CELLULES DENDRITIQUES CUTANEES : INTERFACE ENTRE L’ALLERGENE ET LA REPONSE ADAPTATIVE
3.1 GENERALITES SUR LES DC
3.2 CLASSIFICATION DES CELLULES DENDRITIQUES
3.2.1 Cellules de Langerhans
3.2.2 Cellules dendritiques conventionnelles
3.2.3 Autres types de cellules dendritiques cutanées
3.3 FONCTIONS DES DC CUTANEES
3.3.1 Réponse immunitaire de type-1 (Th1)
3.3.2 Réponse immunitaire de type-2 (Th2)
3.3.3 Réponse immunitaire de type- (Th)
3.3.4 Réponse anticorps
3.3.5 Réponse immunitaire tolérogène
DEUXIEME PARTIE : PROJET DE RECHERCHE
1 CONTEXTE ET OBJECTIFS DU PROJET
2 RESULTATS
ARTICLE N°1 : CONTRIBUTION DES CELLULES DE LANGERHANS A L’EFFICACITE DE L’IMMUNOTHERAPIE EPICUTANEE
ARTICLE N°2 : SPECIALISATION FONCTIONNELLE DES CDC2 ET DES LC AU COURS D’EPIT
3 DISCUSSION
3.1 SYNTHESE DES RESULTATS
3.2 LIMITES DE L’ETUDE
3.3 MECANISMES ASSOCIES A LA DESENSIBILISATION
3.3.1 Quel est le lien entre LTREG, LTh1, LTh et efficacité de désensibilisation ?
3.3.2 Quelle est la place des anticorps dans la désensibilisation ?
3.3.3 Quels mécanismes modulent le phénotype et la fonction des cellules dendritiques au cours
d’EPIT?
3.4 STRATEGIES D’AMELIORATION DU TRAITEMENT
3.4.1 Modification de l’allergène et utilisation d’adjuvants
3.4.2 Co-administration de biologiques .
3.4.3 Méthode de délivrance de l’allergène
4 CONCLUSIONS
5 PROJETS DE RECHERCHE ANNEXES
6 REFERENCES

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