Permutations aléatoires et matrices aléatoire

Permutations aléatoires et matrices aléatoire

Équivalence de Baik-Deift-Johansson : l’approche déterminantale

Dans la section 4.2, nous avons vu que si Mz,B(t,ζ) est la mesure sur les partitions obtenue en modulant le système cohérent des z-mesures (Mz,n)n∈N par la loi binomiale négative B(t, ζ), alors les processus ponctuels F⋆(Mz,B(t,ζ) ) et D⋆(Mz,B(t,ζ) ) sont déterminantaux. De plus, on peut donner une expression explicite des noyaux correspondants en termes de fonctions hypergéométriques (voir le théorème 3.3 de [BO00]). Lorsque z tend vers l’infini et ζ = θ/t tend vers 0, la loi Mz,n tend vers la mesure de Plancherel Mn, et la loi binomiale négative B(t, ζ) tend vers la loi de Poisson P(θ). Par suite, la mesure de Plancherel poissonisée MP(θ) = P(θ)(|λ|) M|λ| (λ) = θ |λ| e −θ  dim λ |λ|! 2 correspond à un processus ponctuel déterminantal D⋆(MP(θ) ) dont le noyau s’obtient par passage à la limite du cas des z-mesures, cf. [BOO00, théorèmes 1 et 2]. Une autre approche possible pour le calcul du noyau de ce processus est l’utilisation du formalisme des mesures de Schur ; en effet, MP(θ) est la mesure de Schur de paramètres t = t ′ = (√ θ, 0, 0, . . .), voir page 55. Si r est un paramètre réel, on rappelle que la fonction de Bessel de première espèce Jr est la série de fonctions Jr(z) = ∞ ∑ n=0 (−1) n n! Γ(r + n + 1)  z 2 r+2n , de sorte que Jm(z) est le coefficient de x m dans le développement en série de Laurent de e zx/2 e −z/2x , cf. [Wat44, chapitre 2]. Or, pour les paramètres t et t ′ précédemment décrits, la fonction J(x) = exp(T(x)) décrite dans la section 4.2 est exactement ezx/2 e −z/2x avec z = 2 √ θ. Par conséquent, KD⋆(MP(θ) ) (x, y) = ∞ ∑ n=0 Jx+n+1/2(2 √ θ) J−y−n−1/2(−2 √ θ) = ∞ ∑ n=0 Jx+n+1/2(2 √ θ) Jy+n+1/2(2 √ θ) = √ θ  Jx−1/2(2 √ θ) Jy+1/2(2 √ θ) − Jx+1/2(2 √ θ) Jy−1/2(2 √ θ)  x − y , la seconde égalité découlant de l’invariance de la fonction J par la transformation x 7→ −x −1 , et la troisième égalité étant une conséquence des relations de Lommel pour un produit Jµ(z) Jν(z) de fonctions de Bessel, voir [Wat44, §5.4]. En utilisant les formules de Debye pour l’asymptotique des fonctions de Bessel lorsque l’argument complexe z tend vers l’infini (cf. [Wat44, chapitre 8]), ainsi que des techniques de « dépoissonisation » reliant MP(θ) et Mn lorsque θ ∼ n → ∞, on en déduit le résultat suivant : Proposition 5.6 (Asymptotique du processus ponctuel associé à la mesure de Plancherel, [BOO00]). Soit (x n )n∈N = (x n 1 < · · · < x n k )n∈N une suite de vecteurs d’entiers telles que les limites finies ou infinies ai = limn→∞ x n √ i n ; dij = limn→∞ (ai − aj) 67 Chapitre 5. Permutations aléatoires et matrices aléatoires. existent pour tous indices i et j. On note ρn la fonction de corrélation discrète du processus ponctuel D⋆(Mn), où Mn est la mesure de Plancherel d’ordre n. 1. Si xn se scinde en deux parties yn et zn dont la distance tend vers l’infini, alors limn→∞ ρn(x n ) = (limn→∞ ρn(y n )) × (limn→∞ ρn(z n )). Autrement dit, les comportements locaux en des endroits distincts sont asymptotiquement indépendants. 2. Si xn reste non scindée et si a = a1 = · · · = ak est un point de ] − 2, 2[ , alors limn→∞ ρn(x n ) = det(S a (dij)), où Sa est le noyau sinus discret : S a (x) = sin(arccos(a/2) x) πx . Au bord de la forme limite (c’est-à-dire avec a = ±2), le noyau sinus discret convenablement renormalisé dégénère en le noyau d’Airy, ce qui compte tenu de la proposition 5.5 fournit une preuve de l’équivalence de Baik-Deift-Johansson, cf. [BOO00, §4]. Cette preuve est assurément la plus naturelle, puisqu’elle repose simplement sur l’étude asymptotique des fonctions de corrélation des processus X = (X1, X2, . . .) et X = (Y1,Y2, . . .). En contrepartie, elle utilise des propriétés fines des fonctions de Bessel et des fonctions d’Airy, et ces arguments semblent difficiles à généraliser ; nous reviendrons sur ce point dans la section 7.1. 

Équivalence de Baik-Deift-Johansson : l’approche géométrique

Une seconde preuve de nature plus conceptuelle est due à A. Okounkov ([Oko00]), et elle repose sur des interprétations combinatoires (géométriques) des polynômes traciaux de matrices aléatoires et des polynômes traciaux en les éléments de Jucys-Murphy dans l’algèbre du groupe symétrique. Nous concluons ce chapitre et la partie d’introduction de ce mémoire en exposant les arguments principaux de cette approche, qui laisse entrevoir des connections inattendues entre la théorie asymptotique des représentations et des problèmes géométriques tels que la théorie des invariants de Gromov-Witten et le décompte de structures combinatoires sur des surfaces (cartes et revêtements). Cette approche a motivé la recherche d’une interprétation géométrique des observables de diagrammes présentées dans le chapitre 2 ; on renvoie en particulier à [S´06a, S´06b] pour de plus amples détails sur ce point. Compte tenu du théorème de Lévy reliant la convergence en loi d’une suite de variables aléatoires à celle des fonctions caractéristiques (voir l’exemple 5.5 dans [Bil69, chapitre 1]), le théorème 5.1 est équivalent à l’assertion suivante : si Xb(ξ) = ∑ ∞ j=1 exp(Xj ξ) et Yb(ξ) = ∑ ∞ j=1 exp(Yj ξ) sont les transformées de Laplace des mesures ∑ ∞ j=1 δXj et ∑ ∞ j=1 δYj , alors pour tout entier s > 1 et tous paramètres ξ1, . . . , ξs strictement positifs, limn→∞ E h Xb(ξ1)· · · Xb(ξs) i = limn→∞ E h Yb(ξ1)· · · Yb(ξs) i , l’existence de la limite pour le terme de droite étant garantie par le théorème de Tracy-Widom. Fixons des paramètres positifs ξ1, . . . , ξs , et des entiers positifs pairs ki ∼ ξi n 2/3 ; on note k = ∑ s i=1 ki . Le polynôme tracial M(k1, . . . , ks) = (2 √ n) −k E  » s ∏ i=1 tr Mki # 68 5.3. Équivalence de Baik-Deift-Johansson : l’approche géométrique. est principalement déterminé par les puissances des plus grandes valeurs propres en valeur absolue (donc, celles au bord du spectre). Comme  λj 2 √ n ki ∼  1 + Yj n 2/3 ξi n 2/3 → exp(Yj ξi), M(k1, . . . , ks) a par conséquent la même asymptotique que E[Yb(ξ1)· · · Yb(ξs)]. De plus, la formule de Wick fournit un développement topologique de M(k1, . . . , ks) : M(k1, . . . , ks) = 1 2 k ∑ S n χ(S)−s |Map(k1, . . . , ks ; S)| , la somme étant effectuée sur les classes d’homéomorphisme de surfaces compactes éventuellement non connexes. Ainsi, du côté des matrices aléatoires, le problème est ramené à celui de l’asymptotique des nombres de cartes |Map(k1, . . . , ks ; S)|. Du côté des partitions aléatoires, les analogues des fonctions M(k1, . . . , ks) sont les polynômes traciaux C(k1, . . . , ks) = 2 −k √ n s−k E[∏ s i=1 (Li) ki ], où les Li sont les éléments de JucysMurphy L1 = (1, 2) + (1, 3) + · · · + (1, n) ; L2 = (2, 3) + · · · + (2, n) ; · · · et où E[·] désigne l’espérance de l’espace de probabilité non commutatif CSn, c’est-à-dire (1/n!)tr(·). Notons que les Li ici définis diffèrent légèrement des Ji du paragraphe 1.5 ; ils ont néanmoins les mêmes propriétés, et en particulier, leurs actions sur un module de Specht V µ ont pour valeurs propres les contenus des cases de µ.

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