Recherche de variations pathogéniques dans le trouble bipolaire par séquençage d’exome

Recherche de variations pathogéniques dans le trouble bipolaire par séquençage d’exome

L’héritabilité manquante

La faible augmentation du risque conféré par la présence des allèles retrouvés par les GWAS ne permet pas d’expliquer l’ensemble de l’agrégation familiale qui est observée dans le trouble bipolaire. De nombreuses explications à cette héritabilité manquante ont été suggérées. Manolio (25) et Maher (38) proposent six endroits où cette héritabilité pourrait être « cachée » et des stratégies de recherche pour éclairer la génétique des maladies complexes.

Un plus grand nombre de variations avec un effet modéré pas encore trouvées

L’incapacité à trouver des gènes pourrait s’expliquer par les limites des GWAS. Ces études ont identifié de nombreuses polymorphismes nucléotidiques simples (SNP) qui co-occurrent avec une maladie ou un autre trait chez des milliers de personnes. Mais un SNP donné représente un bloc de matériel génétique. Ainsi, par exemple, si deux personnes partagent une de ces variantes à un endroit précis, ils peuvent tous les deux êtres notés comme ayant la même version d’un gène lié au trouble bipolaire dans cette région, même si une personne porte une mutation relativement rare qui a un effet important sur la maladie. L’étude d’association pourrait permettre d’identifier une variante responsable de la clinique, mais en moyenne à travers des centaines de personnes il pourrait donner l’impression que ses effets sont assez faibles, l’effet de la mutation serait ainsi diluée. Les chercheurs auraient alors besoin de séquencer les gènes candidats et leurs régions avoisinantes chez des milliers de personnes pour mettre en évidence de nouvelles associations majeures avec la maladie.

Des variations plus rares non présentes dans les systèmes de génotypage disponibles

Une grande partie de la spéculation sur l’héritabilité manquante de GWAS a porté sur la contribution possible des variations de basse fréquence allélique (MAF), définie ici comme inférieure à 0,5%. Ces variations ne sont pas suffisamment fréquentes pour être capturées par les techniques de génotypage utilisées dans les GWAS actuels, et leurs tailles d’effet ne sont pas suffisamment grandes pour être détectées par les analyses de liaison classiques. Récemment, la présence dans le génome humain d’un nombre très important de variations à basse fréquence révélé par les études d’exomes (39) a suggéré l’implication possible de ces variants rares dans des formes monogéniques de la maladie, ce qu’implique une très forte hétérogénéité génétique des maladies complexes. Nous nous intéressons à cet aspect de la génétique du trouble bipolaire. L’hypothèse des variations rares (40) propose qu’une proportion importante de la prédisposition héréditaire aux maladies chroniques humaines relativement fréquentes peut être due à la sommation des effets d’une série de variations dominantes de faible fréquence (MAF < 1%), d’une variété de gènes différents agissant de manière indépendante, chacun conférant une augmentation modérée mais facilement détectable du risque relatif. Ces variations rares seront principalement spécifiques à une population donnée en raison d’un effet fondateur résultant de la dérive génétique. En raison de leur faible fréquence et de leur contribution modérée individuelle à la susceptibilité globale à une maladie, les variations rares ne seront pas détectables par des études d’association de la population basée sur l’utilisation de marqueurs polymorphes, même lors de très grandes GWAS. Ceci est le fondement de la nécessité de stratégies assez différentes pour la découverte de chaque type de variation selon leur fréquence dans la population (tableau 3) :  les variations fréquentes dépendent du génotypage à grande échelle d’un grand nombre de cas et des témoins pour être certain de la signification statistique d’une association soupçonnée à un SNP ;  les variations rares, par contre, dépendent du séquençage vaste des gènes candidats soigneusement sélectionnés, ou des exomes entiers dans un nombre relativement élevé de cas choisis, avec une analyse approfondie des effets fonctionnels de toutes les variations présumés. Les deux types d’études supposent que les effets génétiques et environnementaux sont pondérés, de sorte que dans la conception expérimentale, c’est l’effet «marginal» d’une variation qui est en cours d’évaluation. Type de variation Fréquence allélique minimale Implications pour l’analyse Très fréquente entre 5 et 50% GWAS actuels Peu fréquente entre 1 et 5% GWAS utilisant les variations cataloguées en 1000 Genomes project (MAF<1%) Rare <1% mais encore polymorphe dans une ou plusieurs populations humaines Séquençage d’exome chez des populations malades avec un phénotype extrême défini ou par analyse de la co-ségrégation intrafamilial Privée restreinte aux malades et les apparentés Séquençage d’exomes pour analyse de la coségrégation des variations chez des familles atteintes Tableau 3 – Méthodes d’analyse des variations causales des maladies complexes (41) Bien que l’identification systématique de variations rares associées à des maladies communes n’ait pas encore été possible, plusieurs variations rares ont néanmoins été identifiées à un risque important aux maladies neuropsychiatriques. C’est le cas de l’autisme, la déficience mentale, l’épilepsie et la schizophrénie où il a été démontré que des variations rares structurelles du type CNV influencent le risque relatif des maladies (42). En outre, il semble possible que certains des signaux GWA actuels pourrait refléter l’effet de multiples variations rares qui ont été créditées aux variations fréquentes (43). Pris ensemble, ces observations soutiennent l’idée de longue date que les variants rares pourraient être les principaux moteurs des maladies courantes (44). Ce modèle de variation fonctionnelle rare n’est pas incompatible avec l’absence de résultats des études de liaison pour la plupart des maladies fréquentes. Les variations qui augmentent le risque de maladie en moins de quatre fois génèrent des effets de liaison inconsistants (41), laissant une marge pour la présence de nombreuses variations rares avec un fort impact sur le risque de maladie. 3. Des variations structurelles mal détectées par les études actuelles Une autre hypothèse, permettant d’expliquer l’héritabilité non retrouvée par les études d’association, est basée sur l’observation d’une surabondance d’anomalies chromosomiques chez les patients atteints de certaines pathologies psychiatriques, comme l’autisme et la schizophrénie, par rapport aux témoins (45). Ces résultats ont récemment été confirmés en 35 analysant de manière quantitative les puces à ADN utilisées pour les études d’association. Ainsi, une diminution ou une augmentation du taux de fluorescence observée pour plusieurs marqueurs contigus suggérerait respectivement la présence d’une délétion ou d’une insertion, notées CNV, pour copy number variations. Grozeva et al. (46) se sont intéressés au rôle des CNV dans le trouble bipolaire. Dans le cadre du Wellcome Trust Case Control Consortium, ils ont recherché l’association de CNV larges (>100 000 pb) et rares (fréquence dans la population générale inférieure à 1%), entre un groupe de malades et de contrôles pour estimer leur contribution à la susceptibilité au trouble bipolaire, et ont comparé les résultats à ceux retrouvés dans la schizophrénie. Les malades et les témoins ne diffèrent pas dans la charge totale de CNV. Ils retrouvent que les deux pathologies diffèrent par rapport à la charge de CNV en général et par l’association avec des CNV spécifiques en particulier. Ils proposent que les données sont compatibles avec la possibilité que la présence de grandes suppressions rares peut modifier le phénotype chez les personnes à risque de psychose de tel sorte que ceux qui possèdent de tels événements sont plus susceptibles d’évoluer vers une schizophrénie, et ceux qui n’en ont pas sont plus susceptibles d’être diagnostiqués comme ayant un trouble bipolaire. Un nombre de CNV inférieur dans le trouble bipolaire que dans la schizophrénie pourrait aider à expliquer le niveau généralement plus élevé de fonctionnement cognitif vu dans le trouble bipolaire que dans la schizophrénie. De la même façon, notre groupe n’a pas pu mettre en évidence une augmentation du nombre de CNV identique à celle que nous avions pu mettre en évidence dans la schizophrénie, les troubles envahissants du développement et le retard mental (45) (47).

Une faible puissance pour détecter les interactions gène-gène

La plupart des gènes travaillent en concert avec des partenaires proches, et il est possible que les effets de l’un sur l’héritabilité ne puissent pas être trouvés sans connaître les effets des autres. Ceci est un exemple de l’épistasie, dans laquelle un gène masque l’effet d’un autre. Dans leur étude, l’International Schizophrenia Consortium a testé si plusieurs milliers d’allèles ayant un très faible effet individuel pourraient substantiellement participer au risque de développer la pathologie. En utilisant plus de 74 000 SNP ayant un faible effet sur une cohorte de plus de 3 000 cas et 3 000 témoins, ils ont utilisé des seuils de significativité (PT) de plus en plus larges, allant de 0,1 à 0,5 pour ainsi inclure des proportions croissantes de variations de faible effet. Ils ont ainsi pu constater que les scores de risque augmentent à fur et à mesure que les SNP associés à la maladie augmentent. Pour un seuil de PT égal à 0,5, incluant 537 655 SNPs, 3% de la variance phénotypique serait expliquée, contre 2% si on se 36 réfère au seuil de PT de 0,1. Enfin dans ce même article, les auteurs ont montré que cette composante polygénique était grandement partagée par les individus atteints de trouble bipolaire (48). 5. Une prise en compte inadéquate de l’environnement Il existe à ce jour des doutes persistantes quant à la manière précise dont l’environnement a été pris en compte dans les études d’agrégation familiale. L’environnement, dont on suppose, comme nous l’avons vu précédemment, qu’il joue un rôle important dans la vulnérabilité aux troubles psychiatriques, peut également expliquer une part de l’héritabilité par son interaction avec les gènes. Plusieurs types d’environnement peuvent intervenir dans le déclenchement de ces maladies, comme l’histoire personnelle des patients, qui est dépendante des évènements de vie qu’ils ont rencontré. Caspi et ses collaborateurs (49) ont été dans les premiers à mettre en évidence que l’accumulation d’évènements de vie stressants augmentait significativement le risque de dépression chez les individus porteurs de l’allèle court du gène codant le transporteur de la sérotonine, mais pas chez ceux porteurs de l’allèle long. Une équipe française a de son côté montré que la présence de traumatismes dans l’enfance influait sur l’âge d’apparition des premiers symptômes dans le trouble bipolaire (50) et que cette corrélation n’était vraie, une fois encore, que chez les individus homozygotes pour l’allèle court du gène SLC6A4. Cependant, les deux études incluant le plus grand nombre de sujets ne retrouvent pas cette association (51). Ces exemples montrent comment le patrimoine génétique des individus les rend plus ou moins vulnérables à des facteurs environnementaux susceptibles de déclencher des troubles psychiatriques. Ainsi, la réponse à un facteur environnemental serait conditionnée par le génotype d’un individu au sens où l’effet de ce facteur d’environnement n’est observable que chez les sujets porteurs d’allèles de susceptibilité. Cette perspective ouvre de nouvelles voies de réflexion en psychiatrie, par l’étude des interactions gène/environnement, et propose des modèles de compréhension des mécanismes étiologiques sous-tendant certaines maladies psychiatriques.

Des phénotypes psychiatriques mal délimités

Bien que les outils génétiques modernes soient utilisés pour tenter de comprendre le fondement des maladies psychiatriques, elles utilisent des échantillons qui sont constitués selon les définitions du phénotype qui sont enracinées dans les concepts diagnostic de la fin 37 du 19ème siècle. Les définitions du phénotype sont descriptives et ont été développées avec comme objectif principal d’avoir une fiabilité inter-clinicien acceptable plutôt que sur l’espoir qu’ils se révéleront être des entités biologiquement valides. Même si les définitions en usage courant définissent une forte héritabilité des entités cliniques, nous pouvons nous attendre à des chevauchements importants de la susceptibilité génétique dans toutes les catégories de diagnostic et de l’hétérogénéité considérable au sein des catégories diagnostiques. Ainsi, il est important de disposer de données phénotypiques suffisantes pour permettre des approches plus sophistiquées au phénotype qui vont au-delà de l’état de cas-témoins simple. L’absence de validité génétique des classifications diagnostiques standardisées en psychiatrie (notamment les classifications DSM-IV(3) et CIM-10(4)) a conduit à préconiser de nouvelles approches phénotypiques visant à améliorer la correspondance génotype/phénotype. Le démembrement phénotypique des maladies psychiatriques vise à identifier des sousgroupes de patients génétiquement plus homogènes, plus familiales et répondant à un mode de transmission génétique donné qui devrait faciliter l’identification des facteurs de vulnérabilité génétique en faisant appel à deux stratégies complémentaires : l’approche dite « symptôme candidat » et l’utilisation d’endophénotypes. Un symptôme candidat est une variable clinique (catégorielle ou dimensionnelle) observée chez les sujets atteints et qui présente les caractéristiques suivantes : une concordance entre jumeaux monozygotes et entre paires de germains atteints, une association avec une augmentation du risque d’être atteint parmi les apparentés de premier degré, et la définition d’une forme clinique homogène (profil clinique, évolutif et/ou thérapeutique). Le symptôme candidat répond à un mode de transmission génétique simple et est associé à un gène candidat spécifique (9). Les caractéristiques psychotiques (principalement les hallucinations et les idées délirantes) présentes lors des épisodes thymiques dans le trouble bipolaire sont considérées par certains auteurs comme un symptôme-candidat. Il existe des arguments qui indiquent un chevauchement de la susceptibilité au trouble bipolaire et à la schizophrénie (52) et plusieurs études de liaison identifient des loci distincts entre le trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques et le trouble bipolaire au sens large ou non psychotique. L’âge de début du trouble bipolaire a été utilisé comme symptôme-candidat avec de premiers résultats encourageants dans le trouble bipolaire. En effet, l’âge de début du trouble bipolaire 38 permet d’identifier une forme clinique plus homogène, caractérisée par une fréquence augmentée d’épisodes maniaques et mixtes, de comportements suicidaires, de conduites addictives et de comorbidités anxieuses et par une moins bonne réponse thérapeutique au lithium, ainsi que par une augmentation du risque familial chez les apparentés de premier degré (53). En se focalisant sur cette forme clinique à début précoce, plusieurs régions chromosomiques de liaison ont pu être identifiées, permettant ainsi de faciliter l’identification de gènes candidats (54). Une stratégie proche de celle utilisant les symptômes candidats consiste à isoler une sousentité mendélienne dans la maladie (55). C’est aussi la stratégie d’étude des familles multiplexe où nous retrouvons un mode de transmission compatible avec une forme monogénique du trouble bipolaire que nous privilégierons dans ce travail. Les endophénotypes, qui sont des traits neurophysiologiques simples (une mesure biologique, physiologique, anatomique, ou cognitive), correspondent à des dysfonctionnements neuronaux stables dans le temps, fortement associés à la maladie (56). Ils sont héritables et sont donc associés à un gène candidat. Ces traits se retrouvent chez les apparentés sains de sujets malades, et sont susceptibles de jouer un rôle dans la prédisposition à la maladie. La comparaison de témoins, d’apparentés sains et de patients pour ces traits, peut permettre la mise en évidence d’une transmission mendélienne de ce trait. De ce fait, il est ensuite possible d’employer la puissance de la génétique mendélienne pour tenter d’identifier un à un les gènes impliqués dans ces endophénotypes. Par exemple, dans le trouble bipolaire, les anomalies du transporteur plaquettaire de la sérotonine peuvent être considérées comme un endophénotype biochimique (57). Les changements importants dans le rythme circadien lors des épisodes thymiques du trouble bipolaire, a fait des gènes impliqués dans la rythmicité circadienne, tels que les gènes CLOCK, l’objet d’un intérêt substantiel. Des résultats à la fois positifs et négatifs ont été signalés et, pour l’instant, il n’y a pas de support solide pour l’un de ces gènes (58). Ces nouvelles approches sont de plus en plus couramment utilisées dans le domaine de la psychiatrie génétique afin d’identifier les phénotypes pertinents et valides à étudier et de faciliter l’identification de gènes de susceptibilité.  

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIER E PARTIE : DU GENOTYPE AU PHENOTYPE BIPOLAIRE
I. GEN ETIQUE DU TROUBLE BIPOLAIRE : BILAN ACTUEL
A. LES ETUDES D’EPIDEMIOLOGIE GENETIQUE
B. LES ETUDES DES GENES CANDIDATS
C. LES ANALYSES DE LIAISON GENETIQUES
D. LES ETUDES D’ASSOCIATION PANGENOMIQUES
E. L’HERITABILITE MANQUANTE
1. Un plus grand nombre de variations avec un effet modéré pas encore trouvées
2. Des variations plus rares non présentes dans les systèmes de génotypage disponibles
3. Des variations structurelles mal détectées par les études actuelles
4. Une faible puissance pour détecter les interactions gène-gène
5. Une prise en compte inadéquate de l’environnement
6. Des phénotypes psychiatriques mal délimités
II. LE PHENOTYPE BIPOLAIRE
A. HISTORIQUE DU CONCEPT DE TROUBLE BIPOLAIRE
B. LE SPECTRE BIPOLAIRE
1. Trouble Bipolaire I
2. Trouble Bipolaire II
3. Trouble Bipolaire III
4. Trouble Bipolaire IV
5. Validité du spectre bipolaire
C. L’EPISODE DEPRESSIF MAJEUR BIPOLAIRE
D. L’INDEX DE BIPOLARITE
DEUXIEME PARTIE : ETUD E PAR S EQUENÇAGE D’EXOMES INTRAFAMILIAL
III. TECHNIQUE DE S EQUENÇAGE D’EXOMES
A. FONDEMENT THEORIQUE
B. APPLICATIONS A LA RECHERCHE
IV. OBJECTIF
1. Aspects réglementaires
V. METHODES
A. POPULATION
1. Critères d’inclusion
2. Critères de non inclusion
B. PROTOCOLE DE RECHERCHE
1. Enquête familiale
2. Evaluation clinique
3. Classification phénotypique
4. Prélèvement sanguin
5. Extraction d’ADN
6. Séquençage d’exomes
7. Analyse de variations et validation
VI. RES ULTATS
A. POPULATION
1. Arbres généalogiques et description clinique
B. DONNEES GENETIQUES
1. Séquençage d’exomes
2. Analyse de variations
4. Analyse de la co-ségrégation
VII. DIS CUSSION .

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