Théories dominantes du transfert technologique, entre déterminisme technique et déterminisme social

Théories dominantes du transfert technologique, entre déterminisme technique et déterminisme social

Déterminisme technologique, quand la technique est censée apporter toutes les solutions (ou tous les maux !)

Ce courant de pensée présente la technique comme étant autonome, mue par ses propres nécessités ou par les évolutions de la science. Son évolution est aussi perçue comme entraînant de fortes modifications de la société dans laquelle elle s’insert. Cette vision a abouti à deux écoles : la première présentant la technologie comme aliénante voire anthropophage (Derry1 , Petrella2 , Attali3 ), la seconde comme source de progrès à l’image de l’idée d’industrie industrialisante. D’un point de vue conceptuel, le premier aspect de ce déterminisme technique fut notamment détaillé par le philosophe Jacques Ellul. Pour ce dernier, la technique apparaît non plus comme une addition de techniques mais comme un système autonome : « Dans tout le cours de l’histoire sans exception, la technique a appartenu à une civilisation, elle y a été un élément englobé dans une foule d’activités non techniques. Aujourd’hui, la technique a englobé la civilisation tout entière. » 4 De ce constat pour le moins sombre pour la liberté de l’homme, Jacques Ellul poursuit sa critique : « Ce qui fait le lien entre les actions parcellaires des hommes, entre leurs incohérences, ce qui coordonne et rationalise, ce n’est plus l’homme mais les lois internes de la technique.»5 Pour ce faire il décrit ces lois comme ne laissant aucune alternative à l’homme, dans un système qui apparaît alors bien totalitaire : « Il n’y a pas de choix entre deux méthodes techniques : l’une s’impose fatalement parce que ses résultats se comptent, se mesurent, se voient et sont indiscutables. »6 Le déterminisme qui est donné à la technique est poussé à son paroxysme en lui conférant non seulement une autonomie vis-à-vis de son utilisateur mais aussi vis à vis d’elle-même : ce sont certaines de ses nécessités internes qui vont entraîner de nouvelles évolutions qui engendreront ainsi d’autres nécessités et ainsi de suite. Ce faisant, la technique domine irrémédiablement l’homme et de son évolution découlera alors celle de la société. Ce système technique ne laisse ainsi aucune place déterminante à l’homme qui se retrouve assimilé à un simple rouage. On retrouve ici un trait caractéristique du modernisme, où l’homme en cherchant à rationaliser le monde, a finalement technicisé profondément son environnement jusqu’à son propre corps (prothèse, cœur artificiel, etc.). Cette vision profondément ancrée dans son époque, celle de la critique de la modernité, n’en présente non moins de multiples avancées dans la perception de la technique. Tout d’abord, il relativise irrévocablement le mythe de l’inventeur génial au point de ne lui conférer qu’une simple place d’accompagnant. L’évolution de la technique rend en effet l’invention inéluctable de par ses nécessités internes, peu importe la personne qui donnera corps à ce besoin. Ce faisant, il remet aussi en cause la neutralité très relative de la technique dont l’impact dépendrait de l’utilisation qu’on en ferait : le déterminisme social se trouve ainsi frontalement contesté. Il n’est ainsi plus question de pouvoir comprendre les évolutions économiques ou sociales sans analyser les techniques les entourant. Toutefois, cette approche présente aussi des limites non négligeables : l’histoire semble ainsi déterminée et inéluctable, ce que nombre d’analyses telles qu’ « Aramis, ou l’amour des techniques »1 contredisent de toute évidence. Le choix technologique qui semble ici nié ne peut être ainsi relégué de côté au vue de la complexité qui accompagne tous les transferts et surtout des choix qui les caractérisent. L’explication qu’une « bonne technologie » s’imposerait d’elle même semble bien rapide. Outre le fait qu’il paraît bien difficile de définir ce qu’est une « bonne technologie », l’observation des faits montre que, plus souvent qu’on ne le souhaiterait, la mise en œuvre de ce que l’on croyait être une bonne technologie peut aussi se finaliser par un échec retentissant. Cette notion semble donc plus relever de la reconstruction à posteriori basée sur des éléments en rien prévisibles et objectivables.

Une application du déterminisme technique : l’industrie industrialisante

La théorie de l’industrie industrialisante reprend l’idée de nombreux économistes qui vise à sauter les étapes de Rostow à travers une politique volontariste. Elle s’attaque d’entrée de jeu à la troisième étape qui consiste au développement d’industries nouvelles s’appuyant sur les ressources naturelles locales et de nouvelles techniques de production. De la maîtrise de cette étape devrait découler la précédente avec le développement du secteur financier, étatique et entrepreneurial. Cette vision qu’a notamment décrite De Bernis1 part du principe du phénomène d’intégration verticale des technologies, où les grandes industries de par leurs besoins créeraient automatiquement un secteur industriel de PME dense. Cette politique, qui a notamment été mise en œuvre dans des pays comme l’Algérie, a privilégié des industries lourdes telles que la pétrochimie, la sidérurgie ou la mécanique. L’économie pouvait ainsi espérer à moyen terme atteindre une certaine autonomie et être plus fructueuse pour l’ensemble de la population. Mais ce modèle n’est pas sans danger ainsi que le rappelle Michel de Vernières2 : 9 Ces industries nécessitent de forte concentration de capital et entraînent une grande dépendance technologique vis-à-vis des pays exportateurs de ces technologies. 9 De plus, elles sont peu créatrices d’emplois, ces derniers étant souvent hautement qualifiés et faisant le plus souvent appel à une importante main d’œuvre étrangère due à la nécessité d’une assistance technique. Ce n’est qu’à plus long terme que des bénéfices sur l’emploi pourront être observables avec la création du tissu industriel de PME complémentaire. 9 Elles renforcent la création d’une société duale, d’un côté moderne avec ces nouvelles entreprises et de l’autre traditionnel. Ceci a pour effet de créer des distorsions dans le marché interne au pays mais aussi parfois de diviser durablement la population comme on le constate au Nigeria. 9 Elles nécessitent une planification efficace visant à accompagner la création des unités de production complémentaires. 9 La difficile maîtrise de la technologie aboutit souvent à des « éléphants blancs » à la gestion parfois catastrophique comme en témoigne Dominique Lapierre3 avec l’accident de l’usine chimique de Bhopal en Inde. 

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