THERMOPHYSIOLOGIE DES THERAPSIDES

Thermophysiologie des thérapsides et changements climatiques du Permien et du Trias (300-200 Ma)

Espèces et parties anatomiques analysées

Dans le but de déterminer l’origine de l’endothermie mammalienne, la majorité des espèces échantillonnées provient du groupe des synapsides, mais les autres groupes de tétrapodes (Figure 14 ; stéréospondyles, parareptiles et diapsides) ont été analysés ainsi que quelques dipneustes afin de pouvoir les comparer aux synapsides en termes de thermophysiologie connaissant leur écologies (Tableau 3).

Therapsida

Les synapsides représentent un des grands groupes d’amniotes et se caractérisent morphologiquement par la présence d’une seule fenêtre temporale sur chaque côté du crâne. Ils se divisent généralement en deux grandes catégories, avec les synapsides basaux appelés les « pélycosaures » et les thérapsides. Les « pélycosaures » correspondent à un groupe paraphylétique ayant vécu du milieu du Carbonifère supérieur jusqu’au début du Capitanien, moitié supérieure du Permien moyen (Modesto et al., 2011). Les thérapsides correspondent au groupe frère de la famille Sphénacodontidae, dont Dimetrodon faisait partie, et s’en sont séparés au cours du Permien inférieur (Laurin et Reisz, 1990, 1996 ; Amson et Laurin, 2011) et ils sont représentés à l’heure actuelle par les mammifères. Les thérapsides se divisent en six grands groupes : les Biarmosuchia, les Dinocephalia, les Anomodontia, les Gorgonopsia, les Therocephalia et les Cynodontia qui incluent les mammifères (Figure 15). Ces différents groupes représentent des animaux terrestres (Tableau 3 ; Annexe 2) qui ont dominé les écosystèmes continentaux du Permien, à la fois chez les herbivores et les carnivores, et restèrent parmi les groupes les plus significatifs du Trias (Kemp, 2012). Dans le cadre de ce travail de thèse, seul le groupe des Eutherapsida a été échantillonné car aucun matériel d’espèces plus basales n’était disponible pour être échantillonné. Il représente l’ensemble des thérapsides sauf le groupe basal des Biarmosuchia.

Diapsida

Le groupe frère des synapsides correspond à celui nommé Reptilia (ou Sauropsida) qui se divisent au cours de la second moitié du Carbonifère Inférieur (Benton, 2015a) entre les parareptiles et les eureptiles. C’est dans ce dernier que sont présents les diapsides (Figure 14), que l’on commence à retrouver, avec le groupe des Araeoscelidia, dès le début du Gzhélien (dernier étage du Carbonifère). Ce taxon est le groupe frère des Neodiapsida identifiés dans le registre fossile à partir du Permien supérieur, à l’exception de quelque taxons éparses (Reisz et al., 2011). Ce groupe se diversifie principalement au sein des Sauria à partir du Wuchiapingien avec la division entre les deux grands groupes actuels que sont les Lepidosauromorpha (avec les lézards et les serpents) et les Archosauromorpha (avec les crocodiles et les oiseaux). Ils se distinguent morphologiquement par la présence de deux fenêtres temporales qui au cours de l’histoire évolutive du groupe, ont pu fusionner, comme chez les serpents, ou se résorber pour n’en laisser que la fenêtre supérieure chez les sauropterygiens ou même aucune chez les tortues (Rieppel et Reisz, 1999 ; Schoch et Sues, 2015). L’ensemble des échantillons de diapsides (Annexe 2) provient de gisements triasiques et appartient à ce clade des Sauria et plus particulièrement au groupe Neodiapsida (Figure 16). Figure 16 : Phylogénie des diapsides analysés. D’après Brusatte et al., 2010 ; Gower et al., 2014.

Parareptilia

D’après Lee (2013), les parareptiles constituent un clade composé uniquement d’espèces éteintes, groupe frère des Eureptilia avec qui il forme les Sauropsida (Figure 14). Au sein des parareptiles, le clade Ankyramorpha s’est grandement développé avec notamment les grands groupes Lanthanosuchoidea, Bolosauridae, Pareiasauridae, Procolophonoidea et Nyctiphruretidae (MacDougall et Reisz, 2014). Les parareptiles seraient apparus lors de la séparation avec les eureptiles que l’on retrouve dès le Moscovien (environ 310 Ma), mais le plus ancien parareptile attesté date de la toute fin du Carbonifère (environ 300 Ma ; Modesto et al., 2015). Ce groupe s’est alors développé au cours du Permien, mais seul le groupe des Procolophonidae fut capable de survivre la fin du Permien et de se rediversifier jusqu’à la fin du Trias (Cisneros et Ruta, 2010). Parmi toute cette diversité, il a été possible d’échantillonner un individu chinois appartenant aux Bolosauridae et plusieurs espèces de Pareiasauridae (Tableau 3 ; Annexe 2). Figure 17 : Phylogénie des parareptiles analysés. D’après Xu et al., 2015. 

Stereospondyli

Les stéréospondyles représentent un groupe d’amphibiens apparu au cours du Permien supérieur mais se sont principalement diversifiés à la suite de la crise Permo-Trias, en faisant l’un des groupes d’amphibiens les plus diversifiés de l’époque. Leur morphologie a laissé entendre que l’ensemble des espèces du groupe avait une écologie de carnivore de moyennes à grandes tailles semi-aquatique à complètement aquatique, mais de récentes études plus spécifiques (Canoville et Chinsamy, 2015) témoignent pour certaines espèces d’une possible terrestrialité plus importante que précédemment interprétée (Shishkin et Rubidge, 2000; Tableau 3; Annexe 2). Ce groupe n’est pas à l’origine des amphibiens actuels et l’ensemble des stéréospondyles est maintenant éteint. D’une répartition cosmopolite, il a été possible d’échantillonner des stéréospondyles basaux du Permien d’Afrique du Sud ainsi que la plupart des grands groupes triasiques d’Afrique et d’Europe (Figure 18). Figure 18 : Phylogénies des stéréopsondyles analysés. (A : d’après Ruta et al., 2007 et Schoch, 2011 ; B : d’après McHugh, 2012) 

Dipnoi

En plus de tous les tétrapodes cités précédemment, il a été possible d’échantillonner des plaques dentaires de Dipnoi en même temps que les dents de phytosaures du Rhétien de Turquie (Soycan et al., 2015). Sans plus d’informations sur les plaques dentaires analysées, la détermination se limite à Ceratodontiformes. Tous ces groupes de vertébrés présentent un très large panel d’écologies qui sont pour la plupart très bien connues grâce à diverses analyses morphologiques osseuses et dentaires, ou histologiques. Malgré toutes ces analyses certains genres, comme Anteosaurus, Lystrosaurus, Lydekkerina, ou encore les Pareiasauridea, possèdent des modes de vie qui ne sont pas encore connus avec certitude. Avec l’aide de l’étude des isotopes de l’oxygène et du carbone, cette thèse va essayer de mettre en avant le mode de vie de ces espèces. C’est pour cela qu’une identification la plus précise est nécessaire car une écologie peut varier d’une espèce à son espèce-sœur. Par exemple, les Pareaisauridae regroupent plusieurs espèces qui ont pu se partager l’espace avec certaines espèces terrestres et d’autres plutôt aquatiques. Comme les isotopes étudiés dépendent de la température du corps de l’animal et du fractionnement induit par les apports et pertes en eau (pour l’oxygène), il est crucial de connaître quel était le mode de vie de l’animal afin de pouvoir estimer au mieux sa thermophysiologie (pour les thérapsides) et inversement (pour les Pareiasauridae). 

Les thérapsides représentent un groupe très florissant au cours du Permo-Trias avec une forte diversité que ce soit en taille, en régime alimentaire ou encore en mode de vie. Une des particularités des thérapsides est leur état ‘transitionnel’ entre les synapsides basaux et les premiers mammifères avec une apparition progressive de caractères pendant environ 100 Ma d’évolution (Amson et Laurin, 2011 ; Ruta et al., 2013) tels qu’une posture érigée (Blob, 2001), ou encore la migration des os de la mandibule vers l’oreille interne (Maier et Ruf, 2016). Parmi les espèces étudiées dans la littérature, le genre Thrinaxodon est beaucoup mis en avant comme étant potentiellement endotherme, notamment pour la présence de foramens (Fourie, 1974), pouvant traduire la présence de poils, mais présente également une variété de caractères morphologiques (Hillenius et Ruben, 2004) ou encore sa possible capacité d’estivation (Fernandez et al., 2013). Alors que les caractères ‘de type reptiles’ proviennent des ancêtres du groupe, l’acquisition des caractères mammaliens s’est effectuée tout au long de son évolution dont l’un des taxons a vu l’émergence des ancêtres des mammifères actuels. Cette période transitoire dans l’acquisition de caractères mammaliens est également une période qui sépare les ‘pélycosaures’ à ‘sang froid’ des mammifères à ‘sang chaud’. Ainsi, parmi les 48 caractères apparus chez les thérapsides (Sidor et Hopson, 1998), certains auraient pu favoriser ou être la conséquence d’une mise en place d’un métabolisme élevé.

Terminologie

Les termes ‘sang froid’ et ‘sang chaud’ ne représentent pas une réalité dichotomique entre deux modes de régulation de température corporelle. Ces termes regroupent chacun plusieurs paramètres physiologiques qui se divisent généralement en deux catégories, celle de la génération de chaleur et celle de la capacité à maintenir une chaleur constante. 

Ectothermie

Un animal ectotherme puise la majeure partie de la chaleur nécessaire à son activité métabolique de son environnement (Figure 19). Ainsi, un animal ectotherme possède une activité métabolique qui est dépendante de la température de l’environnement, avec une activité qui devient maximale en se rapprochant de la température optimale de l’animal comme par exemple une croissance osseuse maximale à 27°C chez le crapaud boréal (Lillywhite et al., 47 PARTIE IV : THERMOPHYSIOLOGIE DES THERAPSIDES 1973) ou encore la vitesse de capture de proies optimal au-delà de 27°C chez le serpent des pins (Greenwald, 1974).

 Endothermie

Dans le cas d’un animal endotherme, celui-ci produit sa propre chaleur afin de pouvoir maintenir une activité métabolique (Figure 19). Cette chaleur est principalement produite par la respiration des mitochondries, un cycle de fuite et pompage de protons au travers de la membrane interne de ces organites (Porter et Brand, 1993) ainsi que la formation d’ATP (Rolfe et Brown, 1997 ; Little et Seebacher, 2014 ; Rowland et al., 2015), une molécule permettant le transport d’énergie nécessaire aux différentes réactions chimiques du corps. Ces processus, bien plus couteux en énergie que chez les animaux ectothermes (Brand et al., 1991), permet à l’animal d’être actif indépendamment de la température du milieu. Cette capacité à générer de la chaleur est due à un haut taux métabolique de l’animal, même au repos, chez les mammifères et les oiseaux. Les températures corporelles ainsi produites sont dépendantes de la masse de l’animal, les mammifères les plus grands ayant tendance à posséder une température corporelle plus élevée alors que la corrélation est inverse pour les oiseaux (McNab, 1966 ; White et Seymour, 2003 ; Clarke et Rothery, 2008). La température corporelle a également été montrée comme corrélée avec le régime alimentaire.

Clarke et O’Connor (2014) ont ainsi montré que chez les mammifères, les carnivores possèdent en moyenne des températures corporelles plus basses et peuvent être divisés entre ceux qui chassent des vertébrés (T(°C) = 37,1±2,70) et ceux qui chassent des invertébrés (T(°C) = 35,0±2,01). Pour les herbivores, les valeurs obtenues se divisent entre les mangeurs de feuilles (T(°C) = 37,3±1,38), de graines (T(°C) = 36,4±1,84), de fruits (T(°C) = 36,4±1,11) et de fleurs ou nectars (T(°C) =34,7±0,54). Chez les oiseaux, les températures sont plus élevées mais moins diversifiées avec des températures corporelles de 41,4°±1,31 et 40,4°±1,02 pour les oiseaux carnivores chassant respectivement des invertébrés et des vertébrés. Pour les oiseaux herbivores, beaucoup moins nombreux, les températures respectivement pour les folivores, granivores, frugivores et nectarivores sont de 41,3°±0,65, 42,0°±1,00, 41,3°±1,85 et 39,8°±2,12. En plus de ces espèces à métabolisme basal élevé, il existe des espèces qui produisent de la chaleur via d’autres activités comme le battement des nageoires pectorales chez l’opah (ou lampris royal, Lampris guttatus ; Wegner et al., 2015) ou certains thons, requins ou encore des marlins (Katz, 2002).

Table des matières

PARTIE I : INTRODUCTION GENERALE/PROBLEMATIQUE
1. Problématique climatique
2. Problématiques thermophysiologiques
3. Problématique générale
PARTIE II : PROCESSUS ET MATERIEL UTILISE
1. Géochimie isotopique
1.1 Généralités
1.2 Tissus biologiques considérés
1.3 Le δ18O – De l’environnement aux tissus
1.4 Le δ13C – De l’environnement aux tissus
2. Préparations chimiques et mesures isotopiques
2.1 Préparation de l’apatite pour analyse
2.2 Analyses
PARTIE III : APPLICATION AU PERMO-TRIAS
1. Contexte paléogéographique
2. Origine des fossiles
2.1 Afrique
2.2 Europe
2.3 Asie
2.1 Amérique du Nord
3. Espèces et parties anatomiques analysées
3.1 Therapsida
3.2 Diapsida
3.3 Parareptilia
3.4 Stereospondyli
3.5 Dipnoi
PARTIE IV : THERMOPHYSIOLOGIE DES THERAPSIDES
1. Terminologie
1.1 Ectothermie
1.2 Endothermie
1.3 Homéothermie
1.4 Poïkilothermie
2. Caractères fossiles des thérapsides
2.1 Poils
2.2 Palais secondaire osseux
2.3 Os turbinaux
2.4 Os fibro-lamellaires
3. Comparaisons Thérapsides – Faune associées .
PARTIE V : EVOLUTION DU CLIMAT AU PERMO-TRIAS
1. Evolution globale du climat au Permo-Trias
1.1 Evènement en lien avec l’extinction du Permien moyen
1.2 Événement en lien avec l’extinction à la limite Permo-Trias
2. Climat au Trias
3. Données isotopiques continentales vs marines – Cas de l’Afrique du Sud
PARTIE VI : RELATION ENTRE L’ENDOTHERMIE MAMMALIENNE ET LE CLIMAT AU PERMO-TRIAS
1. Lien entre apparition des endothermies et le climat
1.1 Contemporanéité des endothermies thérapsidiennes ?
1.2 Origines géographiques des endothermies
2. Lien entre développement de l’endothermie et la crise Permo-Trias
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
REFERENCES
ANNEXES

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