Amnésie et dissociation chez l’humain

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SYSTÈMES DE MÉMOIRE PARALLÈLES

Introduction

La première définition de «système de mémoire» est donnée par SHERRY et SCHACTER [1987] en essayant d’intégrer la théorie des systèmes de mémoire parallèles d’un point de vue évolutionniste. Ainsi, le terme système de mémoire fait référence à l’interaction entre des processus d’acquisition, de rétention et de récupération caractérisés par certaines règles d’opérations. L’expression systèmes de mémoire multiples est donc l’idée de sys-tèmes qui cohabitent et fonctionnent selon des règles d’opérations fondamentalement différentes.
De manière plus élaborée, une autre définition d’un système de mémoire a été donnée par SCHACTER et TULVING [1994] en énonçant d’abord ce qu’il n’est pas. Un système de mémoire n’est pas une forme de mémoire, un processus mnésique ou une tâche quan-tifiant un processus mnésique. Ces termes sont importants pour l’étude de la mémoire mais ne suffisent pas à définir un système de mémoire. Une distinction existe entre des systèmes de mémoire et des formes de mémoire comme la mémoire olfactive, la mémoire verbale, la mémoire sensorielle qui sont utiles pour organiser des faits empiriques. Un système de mémoire exprime une forme de mémoire mais l’inverse n’est pas vrai selon ces auteurs. La même distinction est possible pour les processus mnésiques couramment utilisés pour parler de mémoire. L’encodage, la rétention ou la restitution d’information au service de la résolution d’une tâche mnésique sont des processus génériques à un sys-tème de mémoire mais ne le définissent pas. En conséquence, ces auteurs proposent une liste ouverte de trois critères.
1. Le premier critère est catégoriel. Pour un système de mémoire, il existe un ensemble de tâches que ce système peut résoudre. Ces tâches se différencient par leur contenu informationnel mais se rejoignent sur le type d’information retenu (des mots pour la mémoire verbale ou des souvenirs pour la mémoire autobiographique). Cette caté-gorisation fonctionnelle de systèmes de mémoire permet d’introduire l’expérience de dissociation. Si un changement d’état dans le système nerveux (de préférence locali-sable ou identifiable) tel qu’une lésion, une administration de drogues ou un manque de sommeil induit la suppression totale d’une seule catégorie fonctionnelle tout en épargnant d’autres catégories, alors le substrat neuronal altéré est impliqué dans tout ou partie de la catégorie fonctionnelle. Cette expérience de dissociation est très im-portante pour la théorie des systèmes de mémoire parallèles car elle permet de révéler un système de mémoire. Plusieurs de ces expériences seront exposées au cours de ce chapitre.
2. L’isolation d’un système de mémoire doit permettre de définir une liste de propriétés et fonctions spécifiques. Une liste doit ainsi contenir des règles d’inférence, un type d’information manipulée et un substrat neuronal. De plus, une finalité du système en relation avec une utilité biologique doit pouvoir être énoncée. Un exemple est donné dans O’KEEFE et NADEL [1978] avec la description d’un système de codage de l’espace sous forme de route (taxon) ou sous forme de carte (locale).
3. Le troisième critère est la convergence des dissociations. En effet, une critique portée notamment par ROEDIGER et collab. [1990] est le risque de prolifération de systèmes de mémoire. Pour contenir une telle épidémie, la convergence de plusieurs expériences de dissociation est nécessaire pour établir, sur des bases empiriques solides, l’existence d’un système de mémoire.
Cette liste, bien que volontairement peu précise, permet néanmoins de limiter l’uti-lisation de l’expression système de mémoire. Cela permet aussi de se détacher, principa-lement pour les travaux en psychologie cognitive humaine, de genres de mémoire liés le plus souvent à une théorie. Une liste non exhaustive est ainsi donnée par NEATH et SUR-PRENANT [2003] dans le tableau 2.1.
TABLEAU 2.1 – Différentes formes de mémoire selon leur appartenance à une théorie. Tableau re-produit de NEATH et SURPRENANT [2003]
Par exemple, le terme mémoire de travail fait implicitement référence à la proposition de BADDELEY et HITCH [1974] pour décrire un système mêlant boucle phonologique et calepin visuo-spatial. Le terme mémoire immédiate est l’équivalent neutre. Le but de ce chapitre n’est donc pas d’exposer la liste complète des formes de mémoire mais les études qui nous informent sur la théorie des systèmes de mémoire parallèles.
Comme nous l’avons vu dans la liste des critères, l’expérience de dissociation est la pierre angulaire de la théorie des systèmes de mémoire parallèles. Une grande partie de ce chapitre est donc dédiée à exposer une vue d’ensemble sur les travaux de dissocia-tion tels que présentés dans la plupart des revues sur la question [GOLD, 2004; HARTLEY et BURGESS, 2005; KIM et BAXTER, 2001; PACKARD et GOODMAN, 2013; POLDRACK et PA-CKARD, 2003; SQUIRE, 2004; WHITE et collab., 2013; YIN et KNOWLTON, 2006].
D’un point de vue empirique, on peut dater le début de l’histoire des systèmes de mémoire avec le célèbre patient H.M. [SCOVILLE et MILNER, 1957]. Celui-ci était inca-pable d’encoder ou de restituer des évènements ou des faits tout en pouvant apprendre une tâche motrice. Cependant, la préhistoire de cette théorie est riche en débats philo-sophiques [POLSTER et collab., 1991]. L’exemple immanquable est le débat qui opposait les théoriciens de l’apprentissage Hull et Thorndike [HULL, 1943; THORNDIKE, 1933] à Tolman [TOLMAN, 1948]. Les premiers défendaient la théorie behavioriste. Le comporte-ment est explicable à travers l’apprentissage d’associations stimulus-réponse. Leur but était d’éliminer du débat des concepts non scientifiques tels que l’intentionnalité, l’at-tente ou les représentations internes. Le second défendait la théorie cognitiviste. L’animal acquiert une connaissance de la conséquence de ses actions. Au final, ces débats sont ap-parus comme solubles dans la théorie des systèmes de mémoire au fur et à mesure de l’accumulation des données empiriques dont une partie sera exposée dans ce chapitre [YIN et KNOWLTON, 2006].
Ce chapitre va donc parcourir l’histoire d’un champ scientifique en partant du milieu du XXe siècle, c’est-à-dire avec le patient H.M. La première partie sera consacrée aux ob-servations de dissociation chez l’humain et aux tentatives de reproduction chez le singe. Cela débouchera sur une classification des mémoires chez l’humain au début des années 2000. Dans une seconde partie, nous parlerons des expériences de dissociation chez le rongeur qui ont aussi largement contribué à fournir des preuves empiriques sur l’exis-tence des systèmes de mémoire. La dernière partie sera consacrée aux études, principale-ment en conditionnement instrumental ou en navigation chez le rat, qui nous informent sur les processus sous-tendant l’interaction entre systèmes de mémoire.

Amnésie et dissociation chez l’humain

Le cas H.M.

Le cas le plus cité d’amnésie chez l’homme est celui du patient H.M. [SCOVILLE et MILNER, 1957]. En 1953, à l’âge de 27 ans, H.M. subit une intervention chirurgicale pour lui retirer le lobe temporal médian dans le but de soigner une épilepsie chronique. Le résultat notable fut une perte de la capacité à créer de nouveaux souvenirs.
Pendant 14 ans, les neuropsychologues Suzanne Corkin et Brenda Milner, entre autres, vont suivre le patient H.M. en le soumettant à des tests en laboratoire. Dans le contexte des connaissances de l’époque, la question était de délimiter les fonctions cognitives qui étaient affectées. Pour l’essentiel, il fut montré que les capacités intellectuelles, motrices, perceptuelles et langagières étaient préservées [CORKIN, 1968, 1984; MILNER et collab., 1968]. La conclusion était donc que la perte du lobe temporal médian chez le patient induisait exclusivement des problèmes mnésiques.
Globalement, le cas H.M. et d’autres cas d’amnésies ont été utilisés pour appuyer des théories sur (1) le rôle de l’hippocampe pour la mémoire [SCOVILLE et MILNER, 1957] (2) la distinction entre mémoire à court-terme et long-terme [ATKINSON et SHIFFRIN, 1968; WICKELGREN, 1968], (3) la distinction entre mémoire procédurale et déclarative [COHEN et collab., 1985; SQUIRE et ZOLA-MORGAN, 1991] et (4) la distinction entre tâche implicite et explicite [CERMAK et collab., 1995]. Ces distinctions seront discutées ci-dessous.

Etudes de lésions humaines

D’autres patients furent décrits après H.M. On peut notamment citer le patient R.B. [ZOLA-MORGAN et collab., 1986] qui environ 20 ans après H.M. fut décrit comme atteint d’une amnésie antérograde. Le patient est incapable de se souvenir d’évènements vécus après le début de l’amnésie. La zone atteinte après une ischémie était le CA1, c’est-à-dire une sous-structure de l’hippocampe. La lésion de R.B. était beaucoup plus circonscrite que H.M.ce qui suggérait l’idée que l’hippocampe était le principal acteur du système de mémoire atteint. Cette idée sera renforcée dans les études de lésions chez le singe et le rongeur et nous y reviendrons dans les sections suivantes.
En revenant aux années 60, des doutes sur l’étude des patients amnésiques, c’est-à-dire leur incapacité de se souvenir d’évènements, furent apportés par WARRINGTON et WEISKRANTZ [1968, 1970]. Les auteurs ont fait apprendre des listes de mots courants de différentes formes en commençant d’abord par une version fragmentée vers une version complète à des patients atteints d’amnésie antérograde suite à une dégradation du lobe temporal médian et à un groupe contrôle. Le taux d’erreurs est ainsi défini par le nombre d’étapes de complétion du mot avant reconnaissance. La restitution d’une liste de mots (1 min après apprentissage) est ensuite mesurée sous trois conditions : rappel verbal , re-connaissance visuelle ou présentation d’une version fragmentée. Le résultat fut que les patients amnésiques échouaient aux deux premières conditions mais égalaient les sujets contrôles dans la troisième condition. La conclusion était donc que les patients amné-siques pouvaient restituer une information si un indice était fourni.
Le phénomène d’amorçage a été décrit à la même époque [MEYER et SCHVANEVELDT, 1971] mais ce phénomène ne sera décrit comme mémoire implicite que plus tard. L’amor-çage est ainsi défini comme l’influence d’un premier stimulus pour une décision liée à un second stimulus. Suite à l’observation de la préservation de l’amorçage chez les patients amnésiques, la vision dominante de l’époque était de parler de déficit de restitution dans un certain contexte. Il semblerait qu’il existât une certaine réfraction à parler de systèmes de mémoire multiples, le principe de simplicité y contribuant.
Les premiers apports de la mémoire implicite comme intégrable dans la théorie de systèmes de mémoire sont donnés dans SCHACTER et BUCKNER [1998]; TULVING et SCHAC-TER [1990]. Ainsi cette mémoire implicite est mesurée à travers des tâches qui ne re-quièrent pas de rappel conscient d’information encodée. Selon SCHACTER et BUCKNER [1998], il est aussi possible de distinguer l’amorçage conceptuel de l’amorçage perceptuel. Le premier induit une similarité sémantique et le second une similarité de forme. Comme énoncé dans l’introduction, un substrat neuronal sous-tendant la fonction est nécessaire pour acquérir une dénomination de système de mémoire. Une première réponse a été donnée dans GABRIELI et collab. [1995] par une expérience de dissociation. Le patient M.S. a subi à 16 ans une ablation du lobe occipital droit dans le but de soigner une épilep-sie. A l’issue de la chirurgie, le patient souffrait d’hémianopsie, c’est-à-dire la perte d’une moitié de son champ visuel. Néanmoins, aucune autre perte de facultés mentales n’a pu être décelée par des tests de cognition. Les auteurs ont soumis M.S. à des tests de recon-naissance (faisant appel à une mémoire explicite) et des tests d’amorçage (utilisant donc une mémoire implicite). Il apparut que M.S. montrait une capacité normale dans le rap-pel verbal et l’amorçage conceptuel mais était déficient dans l’amorçage visuel. Les tra-vaux de BUCKNER et collab. [1995] sont venus consolider ces résultats primaires. Utilisant les techniques de neuro-imagerie de l’époque, les auteurs ont enregistré les variations de flux sanguins de sujets réalisant une tâche d’amorçage. Il apparut que, durant la phase de complétion de l’indice verbal, le flux sanguin diminuait dans le cortex occipital, région associée à un traitement perceptif selon les auteurs. Cette observation a été reproduite ultérieurement dans plusieurs études [SCHACTER et BUCKNER, 1998; SCHACTER et collab., 1996].
Pour finir, la première description d’un système sous-tendant l’apprentissage d’ha-bitudes chez l’humain a été apporté par KNOWLTON et collab. [1996]. Le striatum avait déjà été lié à la consolidation progressive d’associations stimulus-réponses chez le ron-geur [PACKARD et collab., 1989] mais l’équivalent d’une expérience de dissociation n’avait pas été démontré chez l’humain. Dans KNOWLTON et collab. [1996], les auteurs ont testé une expérience de dissociation entre mémoire déclarative et mémoire d’habitudes entre 12 patients souffrant de lésions du lobe temporal et 20 patients atteints de la maladie de Parkinson. Cette maladie cause une dégénérescence de la substance noire, noyau du système nerveux situé au niveau du mésencéphale. Dans une première tâche, les sujets apprennent ainsi l’association entre un ensemble d’indices et une conséquence. La com-binaison probabiliste des indices rend impossible la mémorisation explicite des associa-tions. Dans une deuxième tâche, les sujets doivent répondre à un questionnaire à choix multiples sur les indices, la forme de l’écran d’ordinateur ou le type d’essai qu’ils ont expé-rimenté. La dissociation apparaît ainsi clairement puisque les patients parkinsoniens réa-lisent la tâche d’association au niveau de la chance et les patients amnésiques échouent à la tâche déclarative. Ce résultat est reproduit dans la figure 2.1.

Modèles primates de l’amnésie

Les tentatives de reproduction de l’amnésie antérograde de H.M. ont commencé dans les années 80 et le modèle animal a rendu possible la recherche systématique des struc-tures spécialisées dans la mémoire. Le plan est simple. Les singes sont lésés bilatérale-ment pour une région ou combinaison de régions. L’effet de la lésion est ensuite éva-lué quantitativement. La performance d’un singe est mesurée sur des tâches similaires à celles utilisées pour détecter les amnésies chez les patients humains.
La première preuve d’une réplication complète d’amnésie antérograde chez le singe a été fournie par MISHKIN [1978]. La problématique de l’époque était surtout de circons-crire les régions impliquées pour l’obtention d’une amnésie antérograde complète.
Des troubles de la mémoire spatiale avaient déjà été observés pour des lésions de l’hippocampe sur le modèle animal sans toutefois parvenir au désordre décrit pour des cas d’amnésie humaine [O’KEEFE et NADEL, 1978]. En élargissant la lésion à l’amygdale et en testant sur une tâche de reconnaissance d’objet (les singes doivent se souvenir de quel objet ils ont vu, pour que, à la seconde présentation de l’objet apparié avec un nouvel ob-jet, ils choisissent l’objet nouveau), l’auteur montre ainsi qu’une combinaison de lésion de l’hippocampe et de l’amygdale est nécessaire pour induire un désordre mnésique pro-fond. Cette observation est en concordance avec le fait que les patients ayant des troubles mnésiques similaires à ceux de H.M. ont des lésions dans les deux régions.
Ces expériences ont été reproduites au cours de la décennie suivante pour répondre à diverses questions. Une de ces questions était, par exemple, le rôle de la tige temporale dans ces expériences d’amnésie induite. En abrégé, la tige temporale est un ensemble de fibres de matière blanche passant à travers le lobe temporal et connectant diverses structures notamment l’insula, l’amygdale ou le noyau caudé [CHOI et collab., 2010]. Dans ZOLA-MORGAN et collab. [1982], les auteurs ont reproduit l’expérience de MISHKIN [1978] tout en y incluant une lésion de la tige temporale. L’ensemble de ces résultats est re-présenté dans la figure 2.2. La nécessité d’une lésion de l’hippocampe et de l’amygdale (H+A+) apparaît ainsi clairement lorsque l’on compare les différents groupes de singes chacun ayant une lésion particulière à ceux n’ayant pas de lésion (N). Aussi il apparut qu’une lésion de la tige temporale (Ts) n’était pas requise pour l’induction d’une amnésie profonde.
Comme cela a été expliqué dans l’introduction, un système de mémoire est établi comme tel s’il montre un ensemble de dissociations. Un déficit dans un système de mé-moire doit s’accompagner d’une baisse de performance dans une tâche A tout en gardant des performances intactes pour la tâche B sachant que les tâches A et B exploitent deux types de mémoire fondamentalement distincts.
Il était donc naturel que, lors de l’établissement du modèle d’amnésie antérograde chez le singe, la spécificité et les limites du déficit soient établies, tout comme elles le furent pour le patient H.M. Ainsi, la même tâche de reconnaissance d’objet différée a été reproduite tout en incluant un distracteur entre la présentation et le choix ou en augmen-tant la durée du retard de présentation [ZOLA-MORGAN et SQUIRE, 1985]. De même, l’in-fluence de la modalité sensorielle a été évaluée dans MURRAY et MISHKIN [1984]. La tâche de discrimination d’objets a été portée dans une condition tactile : les singes doivent pal-per dans le noir un objet pour l’encoder en mémoire ou le discriminer. Il apparut que le déficit mnésique induit par la double lésion hippocampe-amygdale n’était pas dépendant de la modalité sensorielle. Les singes lésés échouent autant à la tâche en version tactile qu’en version visuelle.
La question de la sauvegarde de l’apprentissage de fonctions motrices (skills) a été résolue dans ZOLA-MORGAN et SQUIRE [1984]. Une première tâche consistait à attraper un gressin en dehors de la cage et à le ramener dans la cage en le faisant traverser trois rangées de barreaux espacés de 3cm. La progression de l’apprentissage du skill (qui s’étale sur 4 jours) est équivalente pour des singes normaux et des singes avec lésions de l’hippo-campe et de l’amygdale. La deuxième tâche consistait à manoeuvrer un bonbon attaché sur une barre de fer pour le récupérer dans un laps de temps fini. La diminution du temps de manoeuvre du bonbon pour les deux groupes montre encore une fois l’équivalence de l’apprentissage moteur.
La mémoire immédiate a été évaluée dans OVERMAN et collab. [1990]. Néanmoins, les résultats de la figure 2.2 montraient déjà des performances équivalentes à celles du groupe contrôle pour un retard de 8s. Cela suggérait que la mémoire immédiate est pré-servée pour une lésion hippocampe-amygdale. Dans OVERMAN et collab. [1990], les singes doivent effectuer une tâche de reconnaissance immédiate et le résultat est congruent avec les résultats de la figure 2.2. Ainsi, il semblerait que le seuil critique au-delà duquel l’in-formation est perdue soit de 10 secondes.
Une expérience de lésion intéressante est celle de SALMON et collab. [1987]. Le déficit mnésique de H.M. est qualifié d’amnésie antérograde. Dans SALMON et collab. [1987], les singes montrent une amnésie rétrograde, c’est-à-dire l’incapacité à se souvenir d’évène-ments survenus avant le début de l’amnésie. Les singes furent ainsi entraînés 32, 16, 8, 4 ou 2 semaines avant la chirurgie dans une tâche de discrimination d’objets, tâche dans laquelle ils excellent comme le montre le groupe contrôle. C’est un groupe de 100 ob-jets appariés deux par deux qui est donc familier au singe. Dans toutes les conditions de période d’entraînement, les singes sont incapables de résoudre la tâche après la chirur-gie. Ils montrent donc une amnésie rétrograde. Les auteurs ont aussi évalué la mémoire motrice et les singes lésés ont une restitution parfaite d’un skill moteur appris avant la lésion. Cette étude montre donc qu’une lésion de l’hippocampe et de l’amygdale induit une amnésie rétrograde sévère pour des faits ayant été appris entre 2 semaines et 8 mois avant la chirurgie.
Au début des années 90, le consensus était donc qu’une lésion combinée de l’amyg-dale et de l’hippocampe était nécessaire pour reproduire l’amnésie antérograde de H.M. Une remise en cause de ces résultats a été apportée par SQUIRE et ZOLA-MORGAN [1991]. Un examen des coupes histologiques minimisait ainsi le rôle de l’amygdale. Lors de la procédure de lésion, un ensemble de régions adjacentes à l’amygdale était lésé par dé-faut. Ces régions étaient le cortex entorhinal et perirhinal qui sont des voies d’entrées majeures pour l’hippocampe. Comme montré dans la figure 2.2, les piètres performances du groupe présentant une lésion de l’hippocampe, du cortex entorhinal antérieur et du cortex perirhinal (H¯¯) (donc épargnant l’amygdale) sont équivalentes à celles du groupe H¯A¯. Il fut ainsi conclu que l’amygdale n’était pas une composante du lobe temporal médian et même que cette structure pouvait constituer un système de mémoire propre. Cela sera abordé à nouveau dans la section sur l’étude de dissociations chez le rongeur.

Classification des mémoires chez l’humain

Au début des années 2000, l’accumulation de données empiriques a permis de cla-rifier la situation. En effet, la dichotomie entre mémoire déclarative et mémoire non-déclarative est apparue comme trop simple. Si le système de mémoire déclarative existe, le terme mémoire non-déclarative fait référence à un ensemble de systèmes de mémoire (habitudes, amorçage, skills) qui ont parfois peu de choses en commun. Dans SQUIRE [2004], l’auteur propose la classification reportée dans la figure 2.3.
L’amnésie antérograde comme celle de H.M. est donc une atteinte à la mémoire dé-clarative. Cette mémoire encode les faits et les évènements et son fonctionnement est lié au lobe temporal médian.
En opposition, il existe des mémoires non déclaratives qui peuvent être subdivisées en plusieurs catégories : mémoire des skills et des habitudes, mémoire d’amorçage, mémoire de conditionnement classique. Cette subdivision en capacités inconscientes distinctes est liée à d’autres courants de recherche sur d’autres formes de mémoire. Par exemple, l’apprentissage d’habitudes a été étudié chez le rongeur [PACKARD et collab., 1989] et nous y reviendrons dans la section suivante. Néanmoins, ces capacités mnésiques sont liées par une incapacité à fournir un rappel explicite conscient et une certaine inflexibilité.

Dissociation chez le rongeur

Dissociation double

Les effets de lésions de l’hippocampe sur la mémoire chez le rongeur ont été étudiés à partir des années 70 [HIRSH, 1974; O’KEEFE et NADEL, 1978; OLTON et collab., 1978]. Ces premières études ont ainsi mis en évidence l’importance de l’hippocampe pour des tâches de navigation. Néanmoins, il apparut qu’une lésion de l’hippocampe pouvait être sans conséquence pour certaines tâches [HARLEY, 1972; SAMUELS, 1972; SILVEIRA et KIMBLE, 1968]. Dans la plupart de ces études, le facteur déterminant pour la réussite de la tâche est une réponse appropriée après la discrimination d’un indice sensoriel. De même, plu-sieurs études montraient que le striatum était important pour résoudre ce type de tâche. Par exemple, dans PRADO-ALCALA et collab. [1975], les animaux avec une lésion du noyau caudé échouent à une tâche d’évitement passif. Dans WHISHAW et collab. [1987], les ani-maux avec une lésion du noyau caudé et du putamen ne peuvent utiliser une stratégie de suivi d’indices dans une piscine de Morris.
La première double dissociation à partir d’une seule tâche a été établie dans PACKARD et collab. [1989]. En effet, le problème dans les études précédemment citées est l’ab-sence d’homogénéité. Il apparaît ainsi difficile de dissocier et comparer des systèmes de mémoire si les tâches comportementales sont fondamentalement différentes. Dans PA-CKARD et collab. [1989], les auteurs ont utilisé le même labyrinthe radial de 8 bras dans les deux tâches.
La première tâche est appelée win-stay. A chaque essai, des récompenses sont placées dans 4 bras choisis aléatoirement. Chaque bras est éclairé comme indice visuel. Après qu’un rat a visité un bras éclairé, celui-ci est muni d’un appât une seconde fois. Lors de la seconde visite, la lumière s’éteint. Le rat peut ainsi gagner 8 récompenses pendant un essai en moins de 10 min. Une erreur est définie comme une entrée dans un bras non-éclairé. L’apprentissage s’effectue pendant 15 jours et le test de rétention est effectué des jours 16 à 19. Durant ces tests, un seul bras choisi aléatoirement est éclairé et muni d’un appât à la fois. L’essai s’arrête quand 8 bras ont été visités. La seconde tâche est appelée win-shift. A chaque essai, chaque bras est muni d’un appât une seule fois. Le rat peut donc obtenir 8 récompenses en moins de 10 min. Le nombre d’erreurs est mesuré en comptant le nombre de fois où le rat rentre une nouvelle fois dans un bras sans récompense. La phase d’apprentissage s’interrompt quand le rat est capable de visiter 7 bras différents une seule fois. Dans les deux tâches, les rats ont été motivés à explorer leur environnement en réduisant leur quantité de nourriture.
Deux groupes de rats ont reçu une lésion du fornix qui est une voie de sortie majeure de l’hippocampe (groupe H) et deux groupes de rats ont reçu une lésion bilatérale étendue du noyau caudé (groupe C). Dans chaque cas, un groupe de rat est entraîné sur une seule tâche. Le résultat est une incapacité du groupe H à résoudre la tâche win-shift tandis que le groupe C est équivalent au groupe contrôle. Inversement, le groupe C fait beaucoup plus d’erreurs que le groupe contrôle pour la tâche win-stay. Mais il apparut aussi clai-rement que le groupe H était significativement supérieur au groupe contrôle pour cette tâche. Le résultat est donc une double dissociation entre l’hippocampe et le noyau caudé chez le rongeur.
A l’époque, la dissociation entre noyau caudé et hippocampe était déjà suggérée par les études de lésion chez l’homme et le primate [ZOLA-MORGAN et collab., 1982; ZOLA-MORGAN et SQUIRE, 1985]. L’un des ajouts de cette étude chez le rat était donc de généra-liser à travers l’ensemble des mammifères la possibilité de systèmes de mémoire distincts. La deuxième observation majeure était la facilitation de l’apprentissage pour le groupe H sur la tâche win-stay. Les auteurs ont suggéré pour la première fois le processus de com-pétition entre les systèmes de mémoire.
Chez le rongeur, d’autres doubles dissociations ont été étudiées à la même époque. Dans SUTHERLAND et MCDONALD [1990], la dissociation entre l’hippocampe et l’amyg-dale a été testée dans
1. une tâche de reconnaissance d’indices visuels et olfactifs appariés
2. une tâche de néophobie gustative (un simple test de mémoire qui détermine des chan-gements dans les habitudes de consommation de nouveaux aliments)
3. une tâche de discrimination entre des indices seuls (amenant une récompense) ou appariés (n’amenant pas de récompense)
4. une tâche de navigation allocentrique dans une piscine de Morris
5. une tâche de conditionnement à la peur.
La performance des rats avec lésion de l’hippocampe est normale dans 1 si les deux sti-muli sont dans la même modalité sensorielle, et dans 2. Ce groupe est inférieur au groupe normal dans la tâche 1 si les deux stimuli sont dans deux modalités différentes, dans 3, dans 4 et dans 5. Pour le groupe avec lésion de l’amygdale, les performances sont alté-rées dans les tâches 2 et 3 et sont grosso-modo identiques au groupe contrôle pour les tâches 1, 4 et 5. Le rôle de l’hippocampe est donc toujours impliqué dans des tâches né-cessitant l’apprentissage et la rétention des relations entre stimuli ou indices mais aussi dans la reconnaissance d’un contexte dans le cas de la tâche 5. Le rôle de l’amygdale, bien qu’évident dans la deuxième tâche, est beaucoup plus controversé selon les auteurs. Pour conclure et dans le langage des systèmes de mémoire parallèles, la dissociation entre amygdale et hippocampe apparaît pour les tâches 2, 4 et 5.
Dans le cas d’une tâche de conditionnement, la dissociation entre hippocampe et amygdale est plus compliquée comme le montre PHILLIPS et LEDOUX [1992] à la même époque. Le rôle du contexte conditionné en opposition au stimulus conditionné a ainsi été examiné dans une chambre de conditionnement classique. L’hypothèse de base étant : l’hippocampe encode l’association contexte-réponse émotionnelle et l’amygdale encode l’association stimulus-réponse émotionnelle. En comparant un groupe avec lésion de l’amygdale (A) et un groupe avec lésion de l’hippocampe (H) sur la durée de réponse émo-tionnelle, il apparaît que seul le groupe A montre une absence de réaction dans les deux conditions. Le groupe H montre une durée de réaction fortement diminuée dans le cas contextuel mais une réaction normale avec stimulus conditionné. Selon les auteurs, les stimuli complexes, particulièrement ceux dont la configuration spatiale est importante et formant un contexte sont traités par l’hippocampe avant d’être envoyés par projection avec le subiculum vers l’amygdale. Ainsi l’hippocampe constituerait, dans ce cas, un relai vers l’amygdale, tel le cortex sensoriel, au lieu d’un système à part entière. Cette étude constitue notre premier exemple d’une interdépendance entre les systèmes de mémoire.

Dissociation triple

Dans MCDONALD et WHITE [1993], les auteurs présentent pour la première fois une triple dissociation entre l’hippocampe, le noyau caudé et l’amygdale. Cette étude est une continuation de PACKARD et collab. [1989] décrite dans la section précédente. On retrouve ainsi les tâches win-stay et win-shift plus une tâche de conditionnement. Selon les don-nées de l’époque, le rôle de l’amygdale dans le conditionnement était déjà bien établi. Néanmoins, il apparaissait incertain que l’association entre un stimulus neutre et une réponse non-conditionnée fût sous-tendue que par un seul système de mémoire.
Dans la tâche de conditionnement adaptée au labyrinthe radial de PACKARD et collab. [1989], deux bras non-adjacents sont choisis aléatoirement et les autres bras sont fermés. Pendant un essai, l’un des deux bras est allumé tandis que l’autre reste éteint. Le rat est donc autorisé à naviguer entre un bras éclairé, un bras éteint et la plateforme centrale. Durant la phase de conditionnement, la moitié des rats d’un groupe a accès à 70 pièces de nourriture tout en étant confinée dans le bras éclairé tandis que l’autre moitié est nourrie tout en étant confinée dans le bras non-éclairé. Durant la session de test, les deux bras sont ouverts et le temps passé dans chaque bras est mesuré.

Table des matières

1 Introduction 
1.1 Contexte
1.2 Problématique
1.3 Plan
2 Systèmes de mémoire parallèles 
2.1 Introduction
2.2 Amnésie et dissociation chez l’humain
2.3 Dissociation chez le rongeur
2.4 Interaction
2.5 Conclusion
3 Modèles de l’apprentissage par renforcement 
3.1 Introduction
3.2 Formalisme de l’apprentissage par renforcement
3.3 Lesméthodes de résolution par différence temporelle
3.4 Modèle de planification
3.5 Conclusion
4 Coordination de stratégies 
4.1 En navigation
4.2 En apprentissage instrumental
4.3 En robotique
4.4 Conclusion
5 Mémoire de travail et apprentissage par renforcement 
5.1 Introduction
5.2 Chez l’homme
5.3 Chez le singe
5.4 Conclusion
6 Apprentissage de séquences avec mémoire rétrograde 
6.1 Introduction
6.2 Tâche de navigation chez la souris
6.3 Modèles théoriques
6.4 Résultats
6.5 Corrélation des paramètres avec l’activité c-Fos
6.6 Conclusion
7 Discussions & Perspectives 
7.1 Contributions
7.2 Critiques
7.3 Conclusions
A Annexes I
A.1 Kalman Q-Learning
A.2 Fonctions d’agrégation
A.3 Figure annexe

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