Auralisation des transports ferroviaires en milieu urbain

Auralisation des transports ferroviaires en milieu urbain

 Sources du bruit ferroviaire

Le bruit ferroviaire englobe l’ensemble des bruits provenant de la circulation ferroviaire. Les sources qui le composent sont multiples et leur part relative dépend de la vitesse du train. Ces sources peuvent être classées en trois catégories : • le bruit de roulement : lié à l’interaction du système roue/rail qui engendre un rayonnement acoustique de la roue et de la voie incluant le rail et son support. Il constitue la principale source du bruit ferroviaire pour des vitesses de train allant de 50 à 300 km/h [Mellet 2006]. Le bruit de roulement ferroviaire est considéré comme étant une source large bande dont le contenu fréquentiel couvre principalement une plage comprise entre 100 et 5000 Hz [Thompson 2009]. Son niveau sonore, exprimé en dB, est directement relié à la vitesse du train V et évolue en 30 log(V ) [Thompson 2009]. Le bruit de roulement fait l’objet d’une étude approfondie présentée dans le Chapitre 2. • le bruit des équipements : provient des auxiliaires de traction tels que le moteur diesel, le moteur électrique, les groupes de refroidissement des moteurs et les organes électriques. On distingue aussi le bruit des groupes de climatisation. Le bruit émis par ces équipements est dominant à faible vitesse en-dessous de 50 km/h. Les contributions de ces sources dépendent de la vitesse de circulation, du mode de traction du train ainsi que des conditions météorologiques. Le bruit rayonné est caractérisé par la présence des émergences tonales liées à la fréquence de rotation des machines tournantes (moteurs, ventilateurs de refroidissement, etc.). Sa contribution principale se situe en basse fréquence en-dessous de 1000 Hz [Bongini 2008c]. • le bruit aérodynamique : résulte de l’écoulement de l’air sur la surface du train. Il est généré par exemple au niveau de nez du train, du pantographe levé ou de la césure entre les voitures. Cette source de bruit est prépondérante à grande vitesse, au-delà de 300 km/h. Étant donné que le contexte de cette thèse concerne des vitesses de circulation urbaine, le bruit d’origine aérodynamique ne sera pas étudié par la suite. On distingue également d’autres bruits particuliers liés à l’interaction roue/rail comme les bruits d’impact et de crissement. Le bruit d’impact est engendré par des pertes de contact entre la roue et le rail provenant des irrégularités discrètes sur les surfaces de la roue ou du rail, par exemple les plats de roues ou les joints de rails. Du point de vue acoustique, ces discontinuités se traduisent par un bruit impulsionnel dont la contribution s’étale sur une bande fréquentielle  assez large de 100 à 10000 Hz [Yang 2018]. En ce qui concerne le bruit de crissement, on trouve le crissement au freinage et en courbure. Le crissement au freinage est lié aux phénomènes de frottement générés lors du freinage entre les disques de frein et les surfaces des roues. Le crissement en courbure apparaît dans les courbes de faible rayon traduisant un phénomène de glissement latéral de la roue sur le rail. La contribution engendrée est à caractère aigu, marquée par des résonances entre 500 et 5000 Hz [Périard 1998]. Les bruits d’impact et de crissement sont considérés comme des sources localisées spatialement et dont les émissions acoustiques peuvent être contrôlées par l’optimisation du système de freinage (e.g. en matériaux composites), le graissage des boudins de roue, la soudure des rails, etc.

 Modèle de sources équivalentes

Le bruit ferroviaire se décompose en plusieurs sources individuelles. Lors de son passage, un train est vu comme étant une source étendue le long de laquelle sont disposées les contributions relatives à chaque source. L’émission acoustique d’un train peut ainsi être décrite par une ligne de sources équivalentes associées aux différentes sources physiques. La Figure 1.1 illustre la répartition verticale de ces sources selon le modèle européen CNOSSOS-EU [Kephalopoulos 2010]. Figure  pour un véhicule ferroviaire [Kephalopoulos 2010]. Les sources équivalentes du bruit ferroviaire sont situées au centre de la voie à différentes hauteurs définies par rapport aux surfaces supérieures des deux rails. Le bruit de roulement, généré par la roue et la voie, est divisé en deux sources équivalentes : une située à 0 m (niveau A) pour la contribution de la voie et une à 0.5 m (niveau B) pour la contribution de la roue. Cette répartition s’applique aussi aux bruits d’impact et de crissement. Les contributions liées aux équipements sont attribuées à des hauteurs qui varient entre 0.5 m (niveau B), 2.5 m (niveau C) et 4 m (niveau D), en fonction de l’emplacement physique de l’équipement concerné. Enfin, le bruit aérodynamique est associé à des sources placées à 0.5 m (niveau B), à 4 m (niveau D) et à 5 m (niveau E). On note que la dernière révision de la méthode CNOSSOS-EU, publiée dans [CNOSSOS-EU 2015], attribue le bruit lié à l’interaction roue/rail à une hauteur unique à 0.5 m (niveau B). Les contributions de la voie et de la roue sont ainsi placées à la même hauteur.

Modélisation théorique du bruit ferroviaire

La modélisation théorique de la source ferroviaire a concerné principalement le bruit de roulement étant la composante principale pour des vitesses conventionnelles. Ce type de bruit a fait l’objet de nombreuses études depuis les années soixante-dix avec les travaux de Remington [Remington 1976a, Remington 1976b]. Ces travaux ont été considérablement étendus par les recherches de Thompson [Thompson 1993a, Thompson 1993b, Thompson 1993c, Thompson 1993d, Thompson 1993e], ce qui a conduit au développement de l’outil TWINS (Track Wheel Interaction Noise Software) permettant la prévision des niveaux sonores du bruit de roulement. TWINS repose sur un modèle fréquentiel linéaire dont le principe est illustré sur la Figure 1.2. Les spectres de rugosité de la roue et du rail constituent les entrées du modèle Figure 1.2: Schéma de principe du modèle TWINS [Thompson 2009]. TWINS. Le bruit de roulement est typiquement provoqué par des longueurs d’onde comprises entre 5 et 500 mm avec des amplitudes verticales qui varient de 0.1 à 50 µm environ. Les spectres de rugosité sont sommés et la rugosité totale constitue l’entrée du filtre de contact. Ce filtre sert à modéliser les effets liés à la taille de la surface de contact entre la roue et le rail. Il s’agit d’atténuer les amplitudes des rugosités dont les longueurs d’onde sont équivalentes ou plus courtes que la surface de contact assimilée à une ellipse. En condition de roulement, la rugosité effective, donnée par la rugosité totale filtrée, engendre des efforts au niveau du contact roue/rail. TWINS utilise un module d’interaction permettant d’exprimer la force de contact roue/rail dans la direction verticale. Cette force provoque la mise en vibration de la roue et de la voie qui inclut le rail et les traverses. Les réponses dynamiques sont caractérisées à l’aide de modèles adaptés à chaque sous-structure. Des modèles de rayonnement sont utilisés pour obtenir les spectres d’émission sonore de la roue, du rail et de la traverse en bandes de tiers d’octave entre 100 et 5000 Hz. L’émission sonore du bruit de roulement est donnée par la somme des contributions individuelles. La caractérisation des comportements vibroacoustiques des différentes sous-structures au sein de TWINS inclut des approches aussi bien analytiques que numériques. La réponse de la roue est obtenue par une superposition modale dont les paramètres sont déterminés grâce à la méthode des éléments finis. Le comportement de la voie est caractérisé en se basant sur des modèles analytiques de poutres. Les comportements vibroacoustiques de la roue et du rail sont évoqués en détail dans le Chapitre 2. La Figure 1.3 montre un exemple des niveaux de puissance acoustique, pondérés A, calculés à l’aide du logiciel TWINS pour un roulement à 80 km/h d’une roue AGC sur une voie équipée d’un rail UIC60 et de traverses en béton de type bi-bloc, pour des profils de rugosité standards. Les niveaux émis par les différentes structures sont représentés en bandes de tiers d’octave entre 125 et 5000 Hz. Le niveau de bruit de roulement, défini par la somme des contributions, est 1.3. Modélisation théorique du bruit ferroviaire 9 tracé en pointillé. Il ressort de ce calcul que la contribution de la voie, composée du rail et de la traverse, est prépondérante en basse et moyenne fréquences jusqu’à environ 2000 Hz. La contribution de la traverse domine en basse fréquence en-dessous de 500 Hz tandis que celle du rail est importante entre 500 et 2000 Hz. Le bruit émis par la roue domine en haute fréquence au-delà de 2000 Hz. Fréquence [Hz] 125 250 500 1000 2000 4000 Niveau de puissance [dB(A)] 20 30 40 50 60 70 80 90 100 traverse rail roue total Figure 1.3: Simulations TWINS pour un roulement à 80 km/h d’une roue AGC sur une voie composée d’un rail UIC60 et des traverses bi-blocs en béton. Depuis son développement, le modèle TWINS a fait l’objet de plusieurs validations en termes de réponses vibratoires et de bruit rayonné. La première validation menée par Thompson et al. s’est basée sur des comparaisons entre les simulations TWINS et des mesures au passage pour différents types de trains pour des vitesses entre 50 à 160 km/h [Thompson 1996a]. Il a été démontré que la simulation TWINS est en moyenne 2 dB au-dessus de la mesure en termes de niveau de pression équivalent, pondéré A, avec un écart type d’environ 2 dB. L’auteur attribue cet effet aux simplifications apportées au modèle de propagation du son entre la source et le récepteur dans TWINS. La différence est plus particulièrement marquée par une sur-estimation des niveaux de bruit autour de 500 Hz et une sous-estimation pour des fréquences inférieures à 250 Hz. Les variations des niveaux en bandes de tiers d’octave sont plus importantes avec des écarts pouvant atteindre 5 dB. Une validation complémentaire a montré qu’une révision du modèle vibratoire de la traverse, des modèles de rayonnement et de propagation acoustiques permet d’améliorer les résultats de simulation par rapport à la mesure [Jones 2003]. Les écarts entre la simulation et la mesure en termes de niveau de pression global sont représentés sur la Figure 1.4. Ces écarts sont en moyenne inférieurs à 2 dB avec un écart type de 1.9 dB. Pour conclure, le logiciel TWINS, basé sur un modèle d’interaction roue/rail résolu dans le domaine fréquentiel, permet la prévision de l’émission sonore des contributions des différents constituants du bruit de roulement. Les niveaux simulés sont donnés en bandes de tiers d’octave entre 100 et 5000 Hz. Dans TWINS, le niveau de bruit émis à une fréquence particulière est relié linéairement à la cause de l’excitation donnée par la rugosité à la fréquence correspondante. TWINS est validé pour un grand nombre de types de roues et de voies avec des écarts inférieurs à 2 dB(A) par rapport à la mesure. Le modèle TWINS est de ce fait considéré comme la référence en Europe pour la prévision du bruit de roulement ferroviaire. 10 Chapitre 1. État de l’art sur la prévision et l’auralisation du bruit ferroviaire Figure 1.4: Différence moyennée sur 34 combinaisons roue/voie entre le niveau de pression simulé par TWINS et mesuré : (—) moyenne ; (- – -) écart type [Jones 2003]. 1.4 Modèles empiriques pour le bruit ferroviaire Étant donné la complexité de ses mécanismes générateurs et la multitude des sources individuelles qui le composent, plusieurs méthodes ont été proposées en Europe en vue d’une caractérisation précise et commune du bruit ferroviaire. Le projet METARAIL (1997-1999) a eu pour objectif la mise en place de techniques de mesures du bruit ferroviaire [Wirnsberger 1999]. Le projet STAIRRS (2000-2003) a permis d’améliorer les méthodes de séparation des émissions sonores des véhicules et des voies [Brian 2002]. Une autre série de travaux a été réalisée au cours du projet HARMONOISE (2001-2004) dont le but était d’harmoniser les modèles de prévision des bruits ferroviaire et routier au sein de l’Union Européenne. Le projet IMAGINE (2003-2006) est une extension de HARMONOISE pour les sources des bruits industriel et aéronautique. Récemment, les méthodes développées dans le cadre des projets HARMONOISE et IMAGINE ont été révisées et intégrées au sein d’une méthode unifiée CNOSSOS-EU (méthodes communes d’évaluation du bruit dans l’UE), qui est devenue une nouvelle directive de la Commission européenne en 2015 [CNOSSOS-EU 2015]. Depuis le 1 er janvier 2019, les cartes stratégiques du bruit en Europe doivent être réalisées selon cette méthode qui propose des techniques de prévision des différentes sources du bruit ferroviaire (i.e. interaction roue/rail, traction, aérodynamique). Plus particulièrement, la Figure 1.5 illustre le principe de la prévision du bruit de roulement selon la méthode CNOSSOS-EU. Dans CNOSSOS-EU et identiquement au modèle théorique TWINS, les rugosités de la roue et du rail constituent la cause de l’excitation du système roue/rail à son point de contact. Le filtre de contact entre la roue et le rail est également pris en compte. Les phénomènes vibroacoustiques mis en jeu dans la génération du bruit de roulement sont représentés par trois fonctions de transfert empiriques. Ces fonctions de transfert, indépendantes de la vitesse, décrivent les contributions de la voie, de la roue et de la superstructure (voitures). Elles définissent la puissance acoustique rayonnée par chaque structure en bandes de tiers d’octave entre 50 et 10000 Hz pour une rugosité de référence d’amplitude 1 µm. La connaissance de la rugosité totale effective 1.5. Structure générale d’un modèle d’auralisation 11 Figure 1.5: Modèle d’émission du bruit de roulement dans CNOSSOS-EU [CNOSSOS-EU 2015]. à une vitesse donnée permet de calculer les émissions sonores engendrées par la voie, la roue et la superstructure en condition de roulement. La contribution de la superstructure n’est prise en compte que pour les véhicules de fret. L’émission du bruit de roulement est obtenue par la sommation des différentes contributions. La méthode CNOSSOS-EU repose sur une large base de données qui englobe l’émission sonore de 7 types de voie et 4 types de roue. Elle inclut aussi des spectres de rugosité des rails et des roues standards exprimés dans le domaine de longueurs d’onde en bandes de tiers d’octave. Pour conclure, plusieurs modèles empiriques liés aux bruits environnementaux ont été développés ces dernières années. L’objectif principal était de fournir des méthodes d’évaluation communes adaptées aux différentes sources de bruit. Dans ces modèles, les sources sont caractérisées à l’aide d’une description physique ou à partir de mesures directes. Dans le cas ferroviaire, les modèles proposés se basent sur une large base de données incluant les configurations standards ce qui permet une caractérisation directe de ce type de bruit. Ils sont de ce fait largement utilisés aujourd’hui dans l’évaluation et la gestion de la composante ferroviaire dans l’environnement.

Table des matières

Introduction
1 État de l’art sur la prévision et l’auralisation du bruit ferroviaire
1.1 Sources du bruit ferroviaire
1.2 Modèle de sources équivalentes
1.3 Modélisation théorique du bruit ferroviaire
1.4 Modèles empiriques pour le bruit ferroviaire
1.5 Structure générale d’un modèle d’auralisation
1.6 Synthèse des signaux sources
1.6.1 Synthèse par modèles physiques
1.6.2 Synthèse par modèles de signaux
1.7 Simulation des effets de propagation du son
1.8 Restitution spatialisée du son
1.9 Revue bibliographique sur l’auralisation du bruit ferroviaire
1. Conclusions sur les travaux antérieurs et objectifs de la thèse
2 Caractérisation du bruit de roulement
2.1 Généralités sur le bruit de roulement
2.1.1 Mécanismes générateurs
2.1.2 Rugosités roue/rail
2.2 Comportement vibroacoustique du rail
2.2.1 Comportement vibratoire du rail
2.2.2 Comportement acoustique du rail
2.3 Comportement vibroacoustique de la roue
2.3.1 Comportement vibratoire de la roue
2.3.2 Comportement acoustique de la roue
2.4 Modèle d’interaction roue/rail
2.5 Conclusions
3 Auralisation du bruit de roulement
3.1 Principe général
3.2 Modèle temporel de l’excitation roue/rail
3.3 Synthèse de la contribution du rail
3.3.1 Principe de la méthode de synthèse
3.3.2 Résultats
3.3.3 Discrétisation du modèle et performances
3.4 Synthèse de la contribution de la roue
3.4.1 Réponse vibratoire expérimentale d’une roue monobloc
3.4.2 Réponse acoustique de la roue monobloc
3.4.3 Principe de synthèse
3.4.4 Construction des filtres de modes de la roue
3.4.5 Résultats
3.4.6 Étude sur l’amortissement de la roue
x Table des matières
3.5 Module de synthèse de la traverse et génération du bruit de roulement
3.6 Conclusions
4 Validation du modèle d’auralisation de roulement
4.1 Caractérisation expérimentale du bruit de roulement
4.2 Paramètres du modèle
4.3 Validation quantitative
4.4 Validation perceptive
4.4.1 Extraits sonores testés
4.4.2 Dispositif expérimental et déroulement du test
4.4.3 Participants
4.4.4 Résultats
4.5 Conclusions
5 Auralisation du bruit des équipements
5.1 Sources de bruit sur le train en essai
5.2 Caractérisation acoustique des équipements
5.3 Configurations mesurées
5.4 Analyse des signaux mesurés
5.4.1 Analyse quantitative des sources
5.4.2 Analyse fréquentielle des sources
5.4.3 Analyse avancée des signaux
5.5 Synthèse granulaire synchrone
5.5.1 Principe de la synthèse granulaire synchrone
5.5.2 Suivi de la fréquence fondamentale
5.5.3 Extraction des grains
5.5.4 Sélection et concaténation des grains
5.6 Synthèse sonore des équipements du train
5.6.1 Application de l’algorithme original
5.6.2 Prise en compte des non-stationnarités
5.7 Conclusions
Conclusions et perspectives
A Réponse vibratoire du rail sur support continu
A.1 Mise en équation
A.2 Constantes de propagation
A.3 Fonction de Green
B Puissance acoustique rayonnée par la roue
C Échantillons sonores
Bibliographie

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