Critères de fragilité dans le domaine orthogériatrique

Le syndrome de fragilité

La Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG) définit, dans son consensus publié en 2011, la fragilité comme étant un syndrome clinique qui «reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve, qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux». Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisations et d’entrées en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité, mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. Le concept de fragilité est donc un syndrome clinique gériatrique dont les causes sont multifactorielles et qui possède une potentielle réversibilité vers la robustesse.
Le but de prendre en charge la fragilité est d’éviter l’entrée en dépendance qui est l’impossibilité totale ou partielle de réaliser les gestes de la vie quotidienne .
La prévalence de la fragilité dans la population de plus de 65 ans vivant à domicile est de 10 % en moyenne. Cette prévalence augmente avec l’âge, elle atteint 20 à 26 % chez les personnes de plus de 80 ans et 32 % chez les plus de 90 ans .
Deux grands modèles de fragilité ont été développés afin d’aider au repérage et à la prise en charge de ce syndrome :
L’échelle basée sur l’approche phénotypique de Fried et al de 2001 aborde la question de la fragilité sur le volet physique. Elle se base sur 5 critères : la perte de poids involontaire (>4.5 kg en un an), la vitesse de marche lente, la sensation de fatigue, la diminution de la force musculaire (force de préhension) et un faible niveau d’activité physique. Le syndrome de fragilité selon ce modèle est défini par la présence de trois ou plus de ces critères. La personne est définie comme pré fragile si elle présente un ou deux critères.
L’indice cumulé de fragilité ou modèle de Rockwood et al de 2005 liste 92 déficits, symptômes ou situations cliniques notés comme absents ou présents. La somme de toutes les variables présentes chez un patient divisée par 92 permet d’obtenir l’indice de fragilité. Plus le score est élevé, plus les sujets sont considérés comme fragiles. Cet indice permet donc de dépister la fragilité mais également de graduer le niveau de fragilité du patient.

Le bilan cognitif et trouble de l’humeur

Parmi les troubles cognitifs, la démence est définie comme un déclin des fonctions intellectuelles portant sur la mémoire et au moins une autre fonction cognitive. Le taux de prévalence est estimé à environ 40/1 000 personnes après 60 ans et augmente progressivement jusqu’à 180/1 000 après 75 ans, atteignant presque une personne sur deux après 90 ans.
Le Mini Mental State Examination (MMSE)  est utilisé pour dépister l’existence de troubles cognitifs ainsi que leur sévérité. C’est une échelle explorant six domaines de la cognition : l’orientation, l’apprentissage, l’attention et le calcul, la mémoire, le langage, et les praxies constructives. L’interprétation du MMSE prend en compte l’âge du patient et son niveau d’éducation.
Un test inférieur à 24 indique l’existence d’une altération des fonctions supérieures . Cependant son utilisation chronophage lui confère une faible mise en pratique en consultation de médecine générale. Un autre test plus rapide peut être utilisé, celui du Codex . Il comprend le rappel des trois mots (anormal si moins de trois mots sont rappelés), et le test de l’horloge durant lequel le patient doit dessiner les chiffres d’un cadran (sans modèle) puis dessiner les aiguilles d’une heure donnée sur une feuille de papier où un cercle est déjà tracé. Le test est anormal si une ou plusieurs des conditions est manquante . Ce dernier implique un large éventail de capacités cognitives de niveau supérieur. Il test la mémoire sémantique, les praxies constructives, l’attention, les fonctions exécutives et les capacités visuospatiales .
Parmi les troubles de l’humeur, la dépression est relativement fréquente chez les personnes âgées et souvent sous diagnostiquée et sous-traitée. Elle peut être préalable ou consécutive à la démence. Il existe une échelle gériatrique de dépistage de la dépression qui comporte 30 items. Un score de 0 à 5 est normal, un score entre 5 et 9 indique une forte probabilité de dépression, un score à 10 et plus indique presque toujours une dépression . Une version abrégée à 15 items existe également . Le dépistage peut se faire par l’échelle de dépression gériatrique à 4 items, le mini GDS . Pour des scores de mini GDS ≥ 1, la probabilité de dépression est forte et il convient d’utiliser l’échelle de dépression gériatrique à 15 points (GDS) .

Épidémiologie des arthroplasties de hanche et de genou

L’arthrose est une affection courante et potentiellement débilitante dont le traitement de base en phase terminale est le remplacement de l’articulation. Elle s’avère efficace et durable dans la plupart des cas. L’objectif principal de la chirurgie de remplacement du genou et /ou de la hanche (hors fracture de l’extrémité supérieur du fémur (FESF)) est le soulagement à long terme de la douleur et le rétablissement de la fonction de façon durable.
Selon les statistiques de l’Agence Technique d’Information Hospitalière (ATIH), les prothèses totales de hanche (PTH) sont un des actes chirurgicaux les plus fréquents et en progression constante. En 2010, le nombre de PTH était évalué à 147 513 . Le taux d’incidence annuel est passé de 222 en 2008 à 241 pour 100 000 habitants en 2014 . Cette fréquence et cette progression sont plus souvent secondaires à l’arthrose de hanche (62%) qu’aux fractures du col fémoral (23,8%).
Concernant les prothèses totales de genou (PTG), d’après une analyse de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et des données de l’assurance maladie, près de 90 000 PTG ont été posées ou révisées en France en 2013 soit une augmentation de plus de 33% par rapport à 2008 . La population concernée par une primo-implantation est âgée, de plus de 67 ans en moyenne. Les 3 principales pathologies à l’origine d’une PTG sont l’arthrose, l’arthrite rhumatoïde et les traumatismes. En fonction de l’étendue de la maladie, la chirurgie de remplacement peut prendre la forme d’une arthroplastie totale du genou, d’une prothèse de genou uni-condylienne ou d’un remplacement fémoro-patellaire .

Les complications post-opératoires des arthroplasties de hanche et de genou

Outre les facteurs liés au patient lui-même, le risque de complications dépend d’abord des circonstances (programmée ou en urgence) et du type d’intervention chirurgicale.
A la suite d’une chirurgie pour fracture de la hanche, la mortalité est évaluée à 3,4% avant la sortie d’hospitalisation . Les complications les plus fréquentes décrites en post-opératoires immédiat sont la confusion, l’infection urinaire sur sonde et la pneumopathie chez les patients âgés .
Dans le cadre des arthroplasties programmées, les complications sont le plus souvent liées au geste opératoire, au mauvais résultat fonctionnel ou parfois à la prothèse elle-même. La principale complication précoce est dominée par l’infection du site opératoire qui est le risque de toute opération. Au niveau du genou, c’est une complication grave mais exceptionnelle, dans le cadre des PTH elle est estimée entre 0,4 à 1,5 % .
Concernant les autres types de complications, la chirurgie orthopédique est reconnue à risque intermédiaire (1 à 5%) de survenue d’une complication cardiaque post-opératoire .
Les complications vasculaires sont rares de 0,2 à 0,3 %. Les complications thrombo-emboliques doivent être prévenues de façon systématique par une anticoagulation post-opératoire.
Les complications nerveuses ont une incidence de 0 à 3 %. L’atteinte du nerf sciatique est la plus fréquente surtout pour les voies postérieures, mais le nerf crural et le nerf du moyen fessier peuvent être lésés.
Les fractures sont le fait de 0,1 à 1 % des interventions, les fractures péri-prothétiques pouvant survenir à la suite d’un traumatisme ou de « fatigue » de la prothèse elle-même. Le taux de luxation atteint 2 %.

L’évaluation pré-opératoire des personnes âgées

Les modifications physiologiques liées au vieillissement et les comorbidités jouent un rôle essentiel dans la tolérance des patients âgés aux interventions chirurgicales. L’évaluation pré-opératoire de ces patients comprend, à côté d’un bilan somatique usuel, le dépistage de problèmes plus spécifiquement gériatriques, d’autant plus que les pathologies pouvant conduire à un déclin fonctionnel sont bien connues. Ce dépistage est fondé sur les données de l’EGS décrites plus-haut. Le risque de mortalité et de morbidité doit être évalué en fonction de la lourdeur et de la cause de l’intervention et en tenant compte des facteurs de gravité, de la durée de l’acte chirurgical et des pertes de sang. Dans cette population âgée, un temps opératoire plus long peut être un facteur de risque de complications.
Plus encore que le risque vital, c’est le risque fonctionnel qui intéresse la personne âgée qui va subir un acte chirurgical. L’état cognitif et les paramètres nutritionnels sont déterminants.

Confusion per-opératoire et risque anesthésique

De manière générale, la personne âgée est plus sensible aux agents anesthésiques et requiert en général des doses plus faibles pour le même effet clinique avec une action prolongée des drogues.
Son incidence, son mode d’évolution (près de 20% des états confusionnels chez les personnes âgées persistent plus de 6 mois), et sa gravité potentielle (augmentation de la durée d’hospitalisation, ré-hospitalisations précoces et admissions précoces en institution) justifient que l’on s’intéresse à cette problématique. Elle peut atteindre 65% des patients en post-opératoire. Le syndrome confusionnel est défini comme facteur prédictif de mortalité dans les 12 mois qui suivent une chirurgie.
En chirurgie de la hanche, une équipe hollandaise a développé un modèle prédictif du risque de confusion aiguë en définissant trois niveaux (faible, moyen et élevé). La prévalence du syndrome confusionnel est de 12,3% avec un risque maximum si les patients ont, avant l’intervention, une atteinte cognitive, une maladie sévère associée et des troubles visuels. L’âge et l’admission hospitalière en urgence sont également déterminants de façon moins significative.
Par ailleurs, il semble que la présence de troubles cognitifs et de dépression, l’utilisation de médicaments à visée cérébrale (psychotropes notamment) soient aussi déterminants sur le risque de développer une confusion aiguë dans les suites opératoires en tout cas pendant les 6 premiers jours. De même que le contrôle insuffisant de la douleur est aussi un facteur aggravant du risque confusionnel . Dans la mesure où le risque anesthésique est lié de manière plus importante aux comorbidités du patient qu’à son âge, il est donc important de déterminer le statut des patients et d’estimer leurs réserves physiologiques lors d’une évaluation anesthésique pré opératoire.

Lien entre fragilité et complications

En dehors de la chirurgie orthopédique, les études ont conclu à un lien entre fragilité et complications postopératoires qualifiant la fragilité comme un facteur de risque indépendant de survenue de la morbidité et de la mortalité post opératoire . La fragilité évaluée selon le modèle de Fried et al a été retrouvée comme facteur prédictif de durée de séjour prolongée, le phénotype robuste était quant à lui reconnu comme facteur protecteur .
Dans le contexte de la chirurgie orthopédique, un état pré-fragile ou fragile expose à une augmentation du taux de complications postopératoires et de la durée de séjour.
De nombreuses études se sont intéressées à l’intérêt d’une filière péri opératoire gériatrique dans un contexte de prise en charge en urgence des FESF dont pour certaines, présentent des résultats prometteurs pour ces patients, à savoir une réduction de la mortalité et du taux de réhospitalisation à 6 mois . Cette étude de cohorte sur une période de 6 ans, a comparé les patients âgés de plus de 70 ans présentant une fracture de la hanche admise en service orthopédique par rapport à un service gériatrique. Chaque cohorte a été comparée à des cohortes appariées extraites d’un registre national. Dans la cohorte orthogériatrique, on retrouve une diminution de la proportion de patients qui ne marchent plus jamais (6% contre 22%) chez les patients pris en charge en Gériatrie; la réadmission et la mortalité à 6 mois étaient également diminuées (14% contre 29%,) dans ce groupe et la mortalité hospitalière a été réduite de plus de 60%. D’après un rapport publié en juin 2017, orthogériatrie et fracture de hanche par la Haute Autorité de Santé (HAS) concernant l’organisation du parcours de soins des patients âgés fracturés en orthogériatrie, un meilleur repérage des sujets de plus de 75 ans hospitalisés à la suite d’une fracture de la hanche et présentant un syndrome de fragilité permettait de diminuer la morbi-mortalité, d’optimiser la reprise d’autonomie des patients et de réduire la durée moyenne de séjour.

Table des matières

INTRODUCTION
GENERALITES
I. Le vieillissement de la population
II. La fragilité 
1. Les modes de vieillissement
2. Le syndrome de fragilité
III. Evaluation Gériatrique Standardisée
1. La nutrition
2. Le bilan fonctionnel
3. Les troubles de la marche
4. La force de préhension
5. Le bilan cognitif et trouble de l’humeur
6. Les troubles sensoriels
7. La polymédication
8. L’évaluation environnementale
9. La qualité de vie et la douleur
10. Les comorbidités
IV.Mini EGS (G-CODE) 
V. Les arthroplasties programmées de hanche et de genou
1. L’arthrose
2. L’épidémiologie des arthroplasties de hanche et de genou
3. Les indications d’une arthroplastie
4. Les complications post-opératoires des arthroplasties de hanche et de genou
VI.L’évaluation pré-opératoire des personnes âgées
1. Confusion per-opératoire et risque anesthésique
2. Lien entre fragilité et complications
VII. Objectif de l’étude
MATERIEL ET METHODES
I. Type d’étude
II. Déroulement de l’étude
III. Critère d’évaluation
1. Définition
2. Population étudiée
IV. Recueil des données
1. Recrutement
2. Questionnaire
3. Informations des données
V. Analyses statistiques des données
RESULTATS
I. Description de la population
1. Caractéristiques démographiques et pré-chirurgicales
2. Caractéristiques de la chirurgie
3. Caractéristiques gériatriques
II. Ré-hospitalisation précoce dans les 3 mois post-opératoires.
III. Prolongation de la durée d’hospitalisation (>6 jours) 
IV. Complications dans les 3 mois post-opératoires
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES ABREVIATIONS
ANNEXES

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