Description multifractale unifiée du phénomène d’intermittence en turbulence Eulérienne et Lagrangienne

Description multifractale unifiée du phénomène
d’intermittence en turbulence Eulérienne et
Lagrangienne

De la théorie K41 au phénomène d’intermittence

Un signal de vitesse turbulente, par exemple le profil spatial d’une composante de la vitesse (ux(x,y, z, t) = u(x) en fonction de x) , dans le cadre de la description Eulérienne du fluide, est un signal d’une grande complexité (Fig. 1.1) : – le signal apparait fortement désorganisé et présente des structures à toutes les échelles ; – toutes prévisions détaillées (c’est-à-dire locales en espace) semblent difficiles ; – certaines propriétés telles que les propriétés statistiques du signal (comme par exemple les densités de probabilité) sont reproductibles et indépendantes de l’espace. Ainsi, il apparait très difficile de prévoir quelle sera la valeur de la vitesse en un point x+l connaissant sa valeur au point x. Déjà en 1895, Reynolds [131] décrivait la vitesse d’un fluide « agité » comme la somme d’une composante constante et de ses fluctuations. Une autre façon d’appéhender la complexité d’un fluide turbulent est d’énumérer le nombre de paramètres libres nécessaires à le décrire. On peut en effet montrer [1, 2] que le nombre de degrés de liberté du fluide se comporte comme le nombre de Reynolds Re (Eq. (1.5)) à la puissance 9/4. Ceci explique que le point de vue que nous adopterons dans ce manuscrit sera fondamentalement de nature statistique. Dans le domaine inertiel, et dans le cadre phénoménologique de la théorie monofractale K41 [1, 3, 5], la dissipation locale d’énergie ǫ = 1 2 ν X i,j µ ∂uj ∂xi + ∂ui ∂xj ¶2 , (1.1) où i, j sont les indices du repère cartésien et ν la viscosité du fluide, caractérise complètement le comportement statistique à travers les échelles l des incréments longitudinaux de vitesse Eulérienne, δlu(x) = u(x + l) − u(x), et ce pour tout ordre q, suivant la relation dimensionnelle : (δlu) q ∼ l q 3 ǫ q 3 . (1.2) 23 24 10 20 30 −3 −2 −1 0 1 2 3 x/L u(x)/ σ u Fig. 1.1 – Profil spatial de la vitesse longitudinale u(x), normalisée par son écart-type, enregistrée dans l’expérience de turbulence de jet de Baudet et Naert à l’ENS de Lyon (Rλ = 380). De plus, en supposant un comportement trivial1 pour la dissipation, on en déduit le comportement des fonctions de structure Mq(l), Mq(l) = hδlu q i ∼ hǫi q 3 l q 3 ∼ l ζ E q avec ζ E q = q 3 . (1.3) Dans le langage des singularités [1, 45], un spectre ζ E q = q/3 linéaire correspond un exposant de H¨older h = 1/3 unique, et on peut montrer que le spectre de puissance E(k) décroit comme k −5/3 . Ces comportements en loi de puissance reflètent l’invariance d’échelle du signal turbulent dans le domaine inertiel. Ce domaine d’échelles ne dépend que de l’échelle intégrale L du fluide et d’une vitesse caractéristique, typiquement l’écart-type2 de l’incrément de vitesse à cette échelle : σ = p h(δLu) 2i. Valable à toute échelle l, la relation dimensionnelle (1.2) implique que ǫ ∼ σ 3 L , (1.4) 1La théorie K41 consiste à supposer que la dissipation ne fluctue pas, et qu’en conséquence, on peut écrire que hǫ q i = hǫi q = ǫ q . 2Comme nous le verrons dans la suite, l’échelle intégrale L de l’écoulement, échelle caractéristique de l’injection de l’énergie, est très proche de la longueur de décorrélation de la vitesse. Ainsi, l’écart-type σ de l’incrément à l’échelle intégrale vaut approximativement √ 2σu, où σu = p hu 2i est l’écart-type de la vitesse. 25 indépendamment de la viscosité ν et donc du nombre de Reynolds Re , que nous définissons de la manière suivante : Re = σL ν . (1.5) La viscosité intervient seulement dans l’expression dimensionnelle des grandeurs dissipatives, telle que l’échelle de Kolmogorov ηK ∼ (ν 3/ǫ) 1/4 . D’après les relations (1.4) et (1.5), celle-ci est complètement déterminée par l’échelle intégrale L et le nombre de Reynolds, ηK ∼ LR −3/4 e . (1.6) Expérimentalement, les seules mesures auxquelles nous aurons accès sont des mesures temporelles effectuées en un point fixe de l’écoulement, par exemple à la sortie d’une soufflerie ou d’un jet pour lesquels la vitesse moyenne du fluide U est non nulle. L’hypothèse de turbulence gelée, dite de Taylor [1, 2], permet de réinterpréter ces mesures temporelles comme des mesures spatiales. En effet, dans le référentiel qui se meut à la vitesse U supposée très grande, la sonde (en général un fil chaud) qui est fixe dans le référentiel du laboratoire, se déplace à une vitesse très grande −U, de telle sorte que le champ de vitesse vu par cette sonde n’évolue pas de façon appréciable durant le temps de mesure. En définissant par u ′ la vitesse du fluide dans le référentiel du laboratoire et u celle dans le référentiel de l’écoulement moyen, l’hypothèse de Taylor consiste à assimiler : u ′ (x,t + τ ) ≈ u(x − Uτ, t) , ∀τ > 0 . (1.7) Remarquons que cette approximation est valable tant que les fluctuations de vitesse restent négligeables devant la vitesse moyenne du fluide, c’est-à-dire, pour un taux de turbulence I faible, I = σu U = p h(u − U) 2i U ≪ 1 . (1.8) L’échelle intégrale, présente dans la définition du nombre de Reynolds (Eq. (1.5)), est une échelle difficile à mesurer car définie comme une échelle caractéristique de l’injection d’énergie. Expérimentalement, il est plus commode de définir un nombre de Reynolds à une échelle plus petite, de façon à être non pollué par les phénomènes d’anisotropie présents aux grandes échelles [38–41] (postulat d’isotropie statistique de Kolmogorov). Cette échelle est l’échelle dite de Taylor, notée λ, définie à partir des grandeurs intrinsèques du signal : 1 λ 2 = σ 2 u h(∂xu(x))2i . (1.9) Le nombre de Reynolds construit à cette échelle s’écrit : Rλ = σuλ ν . (1.10) 26 De manière phénoménologique, en s’aidant de la relation (1.4) et d’une approximation de la dissipation ǫ ∼ νh(∂xu) 2 i, on peut montrer que Rλ ∼ p Re . (1.11) Dans ce chapitre, nous étudierons les statistiques de signaux expérimentaux de vitesse Eulérienne obtenus sous l’hypothèse de Taylor. Ces signaux sont issus des travaux de Chanal et collaborateurs [15], qui ont mesuré dans un jet d’hélium froid, la vitesse pour plusieurs nombre de Reynolds Rλ = 89, 208, 463, 723 et 929. Nous aurons aussi à notre disposition les signaux de Baudet et Naert [10–13] dans un jet d’air, Rλ = 380, ainsi que ceux de l’équipe de Gagne [9, 92] à la soufflerie de Modane pour un nombre de Reynolds très grand, Rλ ≈ 2500. La simulation directe des équations de Navier-Stokes (DNS pour Direct Numerical Simulation) est une alternative aux signaux expérimentaux et permet un accès immédiat aux profils spatiaux de vitesse Eulérienne. Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, la limitation des DNS provient du fait qu’il faille résoudre les échelle dissipatives. Ainsi, le volume de résolution de la simulation doit être de l’ordre de η 3 K ∼ R −9/4 e (Eq. (1.6)). Nous effectuerons une analyse statistique des données numériques obtenues par Lévêque [105] en DNS avec la résolution 2563 (Rλ = 140). Nous disposerons ainsi des trois composantes de la vitesse pour plusieurs temps de retournements, l’équivalent temporel de l’échelle de longueur intégrale L. L’analyse des signaux de vitesse turbulente sur toute la gamme d’échelles disponible, et plus précisemment dans le domaine inertiel, met clairement en évidence un écart aux prédictions de Kolmogorov en 1941 [60]. Plus précisément, le spectre ζ E q des exposants des fonctions de structure mesuré, est inconstablement non linéaire et dévie significativement spectre linéaire ζ E q = q/3 (Eq. (1.3)) prédit par le modèle monofractal de K41. Ainsi, les statistiques de la vitesse à travers les échelles se révèlèrent être multifractales, ou intermittentes, et les fonctions de structures présentent des comportements en loi de puissance dits anormaux, dans le sens où les exposants ζ E q diffèrent du comportement linéaire K41. Traditionnellement [8], l’étude statistique des profils spatiaux de vitesse consiste en l’estimation des exposants du comportement en loi de puissance des fonctions de structure Mq(l) en fonction de l’échelle l, ce qui revient à mesurer la pente du logarithme d’une fonction de structure en fonction du logarithme de l’échelle dans le domaine inertiel (l ∈ [ηK,L]). Une autre méthode possible consiste à fixer par exemple3 ζ E 3 = 1, et à mesurer de manière relative les exposants ζ E q par rapport à ζ E 3 = 1 en représentant ln Mq(l) en fonction de ln M3(l) [10, 57–59, 76]. Cette procédure alternative basée sur l’hypothèse d’auto-similarité étendue (ESS pour Extended Self-similarity), présente l’avantage de s’affranchir d’éventuels écarts au comportement en loi de puissance observés dans les fonctions de structure aux grandes échelles. 3En cohérence avec la relation de Karman-Howarth [3] qui stipule que h(δlu) 3 i ∝ l. 27 −15 −10 −5 0 5 10 15 −40 −30 −20 −10 0 δ l u/σ l ln P(δ u/ l σ l ) Fig. 1.2 – Densité de probabilité P(δlu) des incréments de vitesse Eulérienne sur les signaux expérimentaux de Baudet et Naert (Rλ = 380). Les densités sont normalisées et une variance unité est imposée à chaque échelle. Les densités obtenues aux échelles (respectivement de haut en bas) l/L = 0.00092, 0.0018, 0.0035, 0.0070, 0.014, 0.028, 0.056, 0.12, 0.22, 0.44, 0.8 et 1, ont été décalées arbitrairement en ordonnée par souci de clarté. Pour l = L, nous avons tracé en trait continu la densité Gaussienne de variance unité : P(x) = exp (−x 2/2) / √ 2π. Le phénomène d’intermittence est donc mis en évidence à travers la non linéarité du spectre ζ E q . De manière plus directe, et sans présupposer un comportement en loi de puissance pour les fonctions de structure, le phénomène d’intermittence est responsable de la déformation des densités de probabilité des incréments de vitesse à travers les échelles P(δlu) [9, 92–98, 132–134]. Comme nous le voyons sur la figure 1.2, P(δlu) est de forme Gaussienne à l’échelle intégrale L. Lorsque l’échelle l diminue, la densité de probabilité se déforme continûment, et dévie fortement du cas Gaussien. Nous constatons ainsi que les évènements violents, c’est-à-dire ceux tels que δlu atteint plusieurs fois l’écart-type, sont 28 d’autant plus probables que l’échelle de l’incrément l est petite. Ainsi, le signal de vitesse présente des bouffées intermittentes, dans lesquelles la vitesse varie de façon brutale sur une distance l faible. C’est aussi pour cette raison que la dissipation (Eq. (1.1)), approximée par le carré de la dérivée de la vitesse longitudinale [1], présente elle-même des variations violentes. La figure 1.2 met aussi en évidence la dissymétrie des densités de probabilité, qui s’interprète comme le fait que les incréments négatifs de vitesse longitudinale sont plus probables que les positifs. C’est le phénomène dit de Skewness [1–3, 5], qui caractérise, contrairement au cas Gaussien, le fait que les moments (ou fonctions de structure) impairs sont non nuls, h(δlu) 2q+1i < 0 dans le domaine inertiel (l ∈ [ηK,L])

Le domaine inertiel

Spectre des exposants ζ E q : description log-normale de Kolmogorov et Obukhov De manière générale, le signal de vitesse longitudinale présente des propriétés d’invariance d’échelle, et on s’attend à ce que les fonctions de structures se comportent en loi de puissance : Mq(l) = h(δlu) q i ∼ l ζ E q . (2.1) Dès 1962, Kolmogorov [43] et Obukhov [44] ont proposé un modèle non linéaire quadratique pour le spectre des exposants ζ E q , le modèle log-normal, ζ E q = c1q − c2 q 2 2 , (2.2) basé sur l’observation de fluctuations non triviales de la dissipation. Le coefficient c2 est appelé le coefficient d’Intermittence car il rend complètement compte de la non linéarité du spectre. Comme nous le verrons par la suite, le coefficient du terme linéaire c1 ≈ 1/3 se révèlera être très proche des prédictions dimensionnelles de Kolmogorov (K41). Ces deux coefficients sont en fait contraints par la condition ζ E 3 = 1, relation exacte issue des équations de Navier-Stokes, plus communément connue sous le nom de loi des 4/5 [1, 3, 5] : lim l→0 limν→0 h(δlu) 3 i l = − 4 5 hǫi . (2.3) Ils vérifient ainsi la relation : c1 = 1 3 + 3 2 c2 . (2.4) L’ensemble des données expérimentales et numériques est compatible avec un coefficient d’intermittence universel [15, 60, 79, 80, 102] : c2 = 0.025 ± 0.003 , (2.5) 29 30 c’est-à-dire indépendant du nombre de Reynolds Re ; via la relation (2.4), cela conduit à la valeur : c1 = 0.37 ± 0.003 . (2.6) Le comportement intermittent des fluctuations de vitesse à travers les échelles l s’explique, dans le cadre des travaux de Kolmogorov [43] et Obukhov [44], par une généralisation de la relation dimensionnelle (1.2), communément appelée hypothèse de similarité raffinée (RSH pour Refined Similarity Hypothesis) [1–3, 111, 135, 136], (δlu) q ∼ l q 3 ǫ q 3 l , (2.7) qui prend désormais en compte les fluctuations de la dissipation ǫl moyennée sur une boule de taille l. Ainsi, si ~r désigne un point de l’espace, ǫl(~r) = 3 4πl3 Z |~r′−~r| 0 sera appelé le coefficient d’intermittence. L’équation (2.15) fait intervenir une échelle caractéristique L nécessaire pour adimensionaliser l’argument du logarithme. D’un point de vue formel, l’annexe A montre que la multifractalité impose l’existence d’une échelle caractéristique qui se révèle être, dans ce cas précis, une échelle intégrale. Plus simplement, la relation (2.15) n’est valable que pour les échelles l ≤ L (σ 2 l = 0 pour les échelles l ≥ L). Ainsi, on obtient bien un comportement en loi de puissance aux échelles l ≤ L, pour les moments de la dissipation : h(ǫl) q i = hǫi q µ l L ¶τ E q , (2.16) avec τ E q = 9 2 c2q(1 − q) . (2.17) Le spectre ζ E q des exposants des fonctions de structure de la vitesse est alors obtenu en appliquant l’hypothèse de similarité raffinée (Eq. (2.10)) [1, 43, 44, 111, 135] : ζ E q = µ 1 3 + 3 2 c2 ¶ q − c2 q 2 2 . (2.18) Remarquons qu’un coefficient d’intermittence nul, c2 = 0, nous ramène bien à une description monofractale (K41) des fluctuations de vitesse dans les échelles, c’est-à-dire à un spectre linéaire ζ E q = q/3 (Eq. (1.3)). 32 2.2 Spectre DE(h) des singularités : formalisme multifractal C’est en 1985 que Parisi et Frisch [45] proposèrent une nouvelle interprétation du phénomène d’intermittence dans le langage des singularités et du formalisme multifractal [1, 46– 49]. Le cadre général de l’analyse des singularités d’une distribution par la transformation en ondelettes (généralisation de la notion d’incrément) est présenté dans les annexes B et C [98, 112–115]. Dans ces dernières références le lecteur trouvera une généralisation du formalisme multifractal aux distributions (mesures et fonctions incluses) à l’aide de la transformation en ondelettes. La notion de singularité s’applique naturellement au profil spatial de vitesse u(x), δlu(x) = u(x + l) − u(x) ∼ l h(x) lorsque l → 0 , (2.19) avec un exposant de H¨older h(x) = 1/3 unique (indépendant de x) dans le cadre monofractal de la théorie K41 [5]. Définissons le spectre des singularités DE(h) comme suit : D E (h) = dF ({x0 ∈ R/h(x0) = h}) , (2.20) où dF symbolise la dimension fractale4 . Toujours dans le cadre monofractal initié par Kolmogorov en 1941 [5], le signal unidimensionnel de vitesse longitudinale est singulier en chaque point avec un exposant de H¨older h = 1/3 unique, c’est-à-dire que pour tout x, l’incrément de vitesse sur une distance l, δlu(x) se comporte comme l 1/3 . En d’autres termes, l’ensemble {x ∈ R/h(x) = h} est exactement égal à R pour h = 1/3, et le spectre DE(h) se réduit à un point DE(h = 1/3) = 1 (DE(h) = −∞ pour h 6= 1/3). Le formalisme multifractal [45] consiste à associer une loi de probabilité à l’exposant h qui est désormais considéré comme une variable aléatoire. Ainsi, à l’échelle l, la probabilité P i l (h) que l’incrément de vitesse à cette échelle se comporte comme l h , s’exprime en fonction de la dimension fractale de l’ensemble des points pour lesquels cette singularité est présente5 : Pl(h) ∼ l 1−DE(h) . (2.21) On remarque immédiatement que, dans le cadre monofractal K41, cette probabilité est indépendante de l’échelle et vaut 1 lorsque h = 1/3, et est nulle sinon. La multifractalité s’inscrit naturellement dans cette description puisqu’elle est directement reliée à la non unicité de l’exposant h. Ainsi, l’intermittence des fluctuations de vitesse se traduit par l’existence de plusieurs exposants (ou « forces ») de singularité, auxquels sont attribués une probabilité. Comme nous le verrons, le signal de vitesse turbulente présente un continuum d’exposants de singularité h ∈ [hmin,hmax]. Le formalisme multifractal repose donc sur une interprétation locale des propriétés d’invariance d’échelle du signal étudié via la notion 4Plus précisément la dimension de Haussdorf de l’ensemble concerné. 5d = 1 représente la dimension cartésienne de l’espace dans lequel nous nous plaçons, c’est-à-dire d(R) = 1 dans notre cas. 33 (locale) d’exposant de H¨older h(x) (Eq. (2.19)) qui fluctue d’un point à l’autre. Au cœur de ce formalisme est la transformée de Legendre suivante, qui permet de faire le lien statistique entre le comportement global en loi de puissance des fonctions de structure, et donc la forme du spectre ζ E q , avec le comportement singulier local du profil spatial de vitesse : ζ E q =min h £ qh + 1 − DE (h) ¤ . (2.22) Cette relation est obtenue en appliquant la méthode du col à l’expression intégrale des fonctions de structure dans la limite l → 0 + : Mq(l) = h(δlu) q i ∼ l ζ E q , ∼ Z l qh × l 1−DE(h) dh , ∼ l min h [qh+1−DE(h)] . (2.23) Nous nous limiterons à des formes de spectre DE(h) et ζ E q continûment dérivables. Sous ces conditions, la transformée de Legendre (Eq. (2.22)) peut être réécrite de la manière suivante : ½ q = dDE(h)/dh , ζ E q = hq + 1 − DE(h) . (2.24) Nous appelerons formalisme multifractal [1, 45–49, 98, 112–115] l’approche qui consiste à considérer le spectre DE(h) des singularités comme la transformée de Legendre (inverse) du spectre ζ E q : D E (h) =min q £ 1 + qh − ζ E q ¤ , (2.25) que l’on peut réécrire, lorsque ζ E q est continûment dérivable, sous la forme : ½ h = dζE q /dq , DE(h) = 1 + qh − ζ E q . (2.26) Dans le cadre de la description log-normale de Kolmogorov [43] et Obukhov [44], la relation (2.26) permet de calculer le spectre des singularités associé au spectre quadratique donné par l’équation (2.2) : D E (h) = 1 − (h − c1) 2 2c2

Modélisation probabiliste des incréments de vitesse 

Le Propagateur

Comme nous on peut le constater sur la figure 1.2, la densité de probabilité des incréments longitudinaux de vitesse à l’échelle l, Pl(δlu), dépend de l’échelle l, lorsque l < L. Pour les échelles plus grandes que l’échelle intégrale L, Pl(δlu) est indépendante de l’échelle l 34 et se confond avec PL(δLu) qui se révèle être très proche d’une Gaussienne. Lorsque l’échelle l diminue, les densités de probabilité se déforment continûment, exhibant des queues de forme exponentielle « étirée » (lnPl(δlu) ∼ (δlu) −α avec α < 2, lorsque δlu est grand). Castaing et ses collaborateurs [9, 92–98] se sont intéressés tout particulièrement à l’évolution dans les échelles de la forme des fonctions de densité de probabilité des incréments. Ils ont ainsi proposé une description statistique de la turbulence pleinement développée au travers d’une équation fonctionnelle reliant les distributions de probabilité des incréments à deux échelles différentes. Cette description consiste à supposer que ∀l et l ′ (l ′ > l), Pl(δlu) peut s’exprimer en fonction de Pl ′(δl ′u) de la façon suivante6 : Pl(δlu) = Z Gll′(ln βll′)Pl ′ µ δlu βll′ ¶ d ln βll′ βll′ , (2.28) où le noyau (ou propagateur dans les échelles) Gll′ dépend uniquement de l et l ′ , et βll′ > 0. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les mesures expérimentales montrent que la distribution des incréments à l’échelle intégrale L est Gaussienne. Il est ainsi possible de réécrire la relation (2.28) en utilisant comme référence la distribution des incréments à l’échelle intégrale l ′ = L. Nous obtenons ainsi : Pl(δlu) = Z Gl(ln βl)G µ δlu βl ¶ d ln βl βl , (2.29) où Gl est le propagateur entre les échelles L et l (l’indice L est omis dans la suite par souci de clarté), et G est la fonction Gaussienne de variance σ 2 = h(δLu) 2 i et de moyenne nulle m = hδLui = 0 : G(x) = 1 √ 2πσ2 exp · − x 2 2σ 2 ¸ . (2.30) Il est alors possible de calculer les moments d’ordre q quelconque des incréments de vitesse : h(δlu) q i = Z (δlu) qPl(δlu)dδlu , = Z (δlu) q dδlu Z Gl(ln βl)G µ δlu βl ¶ d ln βl βl , = Z X qG(X)dX Z β q l Gl(ln βl)d ln βl , = hδ q ihβ q l i , (2.31) où δ est un processus Gaussien de moyenne nulle et de variance σ 2 (Eq. (2.30)) et où nous avons effectué le changement de variable X = δlu/βl dans le calcul de l’intégrale double. 6Le fait que la relation (2.28) soit valable ∀l et l ′ (l ′ > l) est relié à la propriété que la variable aléatoire δlu est log-infiniment divisible [95, 137, 138] lorsque l appartient au domaine inertiel. Nous verrons dans la suite que dans le domaine dissipatif, cette variable aléatoire perd cette propriété. 35 Nous voyons donc que l’approche du propagateur revient à considérer l’incrément de vitesse comme le produit de deux variables aléatoires indépendantes βl > 0 et δ = δLu, δlu = βl × δ , (2.32) avec δ ≡ N (0,σ2 ) variable aléatoire normale et βl une variable aléatoire positive dont le logarithme est de densité de probabilité Gl(ln βl). 

Table des matières

I Introduction
II Turbulence Eulérienne
1 De la théorie K41 au phénomène d’intermittence
2 Le domaine inertiel
2.1 Spectre des exposants ζEq: description log-normale de Kolmogorov et Obukhov
2.2 Spectre DE(h) des singularités : formalisme multifractal
2.3 Modélisation probabiliste des incréments de vitesse
2.3.1 Le Propagateur
2.3.2 Propagateur et description log-normale
2.3.3 Propagateur et formalisme multifractal
2.3.4 Propagateur et développement en cumulants
2.3.5 Le nombre de Reynolds local
2.3.6 Dépendance du propagateur dans le nombre de Reynolds local
2.4 Analyse en cumulants des données expérimentales et numériques d’incréments longitudinaux de vitesse
2.4.1 Le cumulant d’ordre 1
2.4.2 Le cumulant d’ordre 2
2.4.3 Le cumulant d’ordre 3
2.4.4 Conclusions
3 Les échelles dissipatives
3.1 Un constat expérimental
3.2 Le nombre de Reynolds local dans le domaine dissipatif
3.3 Le propagateur dans le domaine dissipatif
3.3.1 Evolution du propagateur dans le domaine dissipatif intermédiaire
3.3.2 Dépendance de l’étendue du domaine dissipatif intermédiaire dans le nombre de Reynolds Re
3.4 Description multifractale des échelles dissipatives
3.4.1 Continuité des incréments à l’échelle l = η(h)
3.4.2 Généralisation du propagateur aux échelles dissipatives
3.4.3 Description unifiée de la densité de probabilité des incréments longitudinaux de vitesse
3.4.4 Expressions des fonctions de structure et des cumulants
3.4.5 Prédictions dans le régime dissipatif profond
3.4.6 Le régime dissipatif intermédiaire : dépendance dans le nombre de Reynolds
3.4.7 Généralisation en fonction de l’ordre de l’ondelette analysatrice
3.5 Analyse en cumulants des données expérimentales et numériques de vitesse longitudinale
3.6 Notes sur la Skewness
3.6.1 Mesures expérimentales et numériques
3.6.2 Interprétation et modélisation
3.7 Spectre de puissance
3.7.1 Définitions et principes du formalisme
3.7.2 Spectre de puissance dans le cadre log-normal
3.7.3 Approche de Frisch-Vergassola
III Turbulence Lagrangienne
4 L’intermittence inertielle Lagrangienne
4.1 Généralités
4.2 Evidences expérimentales et numériques de la nature intermittente des fluctuations de vitesse Lagrangienne
4.3 Hypothèse de similarité raffinée en turbulence Lagrangienne
4.4 Généralisation de la méthode du propagateur aux fluctuations inertielles de vitesse Lagrangienne
4.5 Les cumulants du logarithme des incréments
5 Trajectoires Lagrangiennes dans le domaine dissipatif
5.1 Le nombre de Reynolds local Rτ
5.1.1 Définition dimensionnelle
5.1.2 Le régime dissipatif intermédiaire
5.2 Description multifractale des fluctuations de vitesse Lagrangienne
5.2.1 Statistiques de l’accélération et des dérivées temporelles
d’ordre supérieur de la vitesse Lagrangienne
5.2.2 Statistiques des incréments d’ordre N de la vitesse Lagrangienne sur toute la gamme d’échelles
5.3 Description probabiliste des données expérimentales et numériques
5.3.1 Les cumulants du logarithme des incréments d’ordre N de la vitesse Lagrangienne
5.3.2 Les densités de probabilité des incréments
IV Formalisme multifractal et description probabiliste unificatrice des fluctuations de vitesses Eulérienne et Lagrangienne
6 Description multifractale unificatrice des dissipations moyennées Eulérienne ǫl et Lagrangienne ǫτ
6.1 Approche de Tennekes-Lumley
6.1.1 Hypothèse d’ergodicité
6.1.2 Conséquences de l’hypothèse d’ergodicité sur la fonction caractéristique de la vitesse turbulente
6.1.3 Conséquences de l’hypothèse d’ergodicité sur la fonction caractéristique de la dissipation locale
6.2 Approche multifractale de la dissipation moyennée Eulérienne ǫl
6.2.1 Spectre d’exposants τ E q et spectre des singularités f
E(α)
6.2.2 Les échelles dissipatives Eulériennes
6.3 Approche multifractale de la dissipation moyennée Lagrangienne ǫτ
6.3.1 Spectre d’exposants τLqet spectre des singularités f
L(κ)
6.3.2 Les échelles dissipatives Lagrangiennes
6.4 Unification des spectres des singularités f
E(α) et fL(κ) des dissipations
moyennées Eulérienne et Lagrangienne
7 Liens statistiques entre fluctuations de vitesse Eulérienne et de vitesse Lagrangienne
7.1 Arguments dimensionnels
7.2 Transformation Euler-Lagrange des spectres des singularités de la vitesse
7.3 Interprétation et discussion de la validité de la transformation Euler-Lagrange
7.3.1 Limite monofractale
7.3.2 Le modèle log-normal
7.3.3 Le modèle Log-Poisson de She-Lévêque
V Corrélations à longue portée en turbulence Eulérienne et Lagrangienne
8 Etude des corrélations à longue portée dans les champs de vitesse Eulériens et les trajectoires Lagrangiennes
8.1 Evidences expérimentales et numériques de l’existence de corrélations à longue portée dans les fluctuations de vitesses Eulérienne et Lagrangienne
8.1.1 Fonctions de corrélation et fonction d’auto-corrélation connexe
8.1.2 Etude expérimentale et numérique des FAC des incréments de vitesses Eulérienne et Lagrangienne
8.2 Représentation espace-échelle des fluctuations de vitesse Eulérienne
8.3 Cascades et formalisme multifractal
9 De la synthèse de processus stochastiques corrélés à longue portée à la modélisation du caractère intermittent des fluctuations de vitesses Eulérienne et Lagrangienne
9.1 Les cascades multiplicatives discrètes
9.2 Synthèse de signaux intermittents basée sur une équation de Langevin
9.2.1 Le mouvement Brownien
9.2.2 Marche aléatoire multifractale (MRW)
9.2.3 Modélisation de l’accélération Lagrangienne par une équation de Langevin généralisée
VI Conclusion
A De l’existence d’une échelle intégrale pour les fonctions multifractales
B Transformation en ondelettes
C Incréments, transformation en ondelettes et analyse des singularités
D Les cumulants du logarithme des incréments de vitesse
E Au voisinage de la densité de probabilité Gaussienne
E.1 Cas général
E.2 Cas Gaussien – Développement de Edgeworth
F Relation entre la fonction de corrélation et la fonction d’auto-corrélation

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