Développement hydraulique actuel du Sénégal enraciné dans le passé colonial

Développement hydraulique actuel du Sénégal enraciné dans le passé colonial

À l’issu de la colonisation effective du delta du Sénégal à la fin du XIXe siècle, la France initie un ensemble de projets de développement agricole dans le delta du Sénégal. Cette politique devait s’appuyer sur la maîtrise du fleuve Sénégal (grands barrages). Après la colonisation, ces projets et programmes sont repris et partiellement réalisés par les États indépendants. Ce chapitre tente d’analyser le cadre idéologique, géopolitique et économique qui est à la base de cet ensemble de projets hydrauliques et agricoles dans le delta du Sénégal. 1. La colonisation agricole du delta, des échecs riches en enseignement La colonisation politique est d’abord accompagnée d’une pacification coloniale dans le contexte de razzias maures à la fin du XIXe siècle. La colonisation agricole succédera à la colonisation politique avec des nombreux échecs dont les causes seront analysées dans le cadre contextuel de cette époque.

Des razzias maures à la pacification coloniale 

le delta du Sénégal, un espace de développement Les razzias se faisaient en fonction de certaines alliances établies entre les royaumes maures et ceux de la rive gauche. Ces jeux d’alliance et de contre-alliance peuvent encourager les razzias de populations ennemies. Ces razzias sont à l’origine de ce qui est appelé le diagonale des razzias : le Trarza razziait principalement le royaume toucouleur du Fouta Toro alors que le Brakna razziait le royaume wolof du Waalo (Fig. 25). Ce système d’alliance politique entre les royaumes est à la base de l’émergence de certaines subdivisions lignagères qui perturbent les équilibres lignagers traditionnels tout en encourageant les luttes entre factions (unité politique) pour le contrôle du pouvoir dans le royaume du Waalo (DAHOU, 2004). Les villages de la rive gauche du fleuve Sénégal, frontaliers avec le Trarza, payaient des tributs aux princes des tribus maures pour une sécurité qui n’était que très rarement respectée (RAFFENEL, 1842). D’après ce dernier, des campements de Maures étaient établis sur les deux rives du fleuve et des gués (à Ronq ou à Thiago) permettaient aux Maures de traverser le fleuve pour s’attaquer aux populations noires. À la fin du XVIIIe siècle et au début XIXe siècle, la rive gauche du delta sera le lieu de repli des populations qui essaient d’ériger le fleuve comme frontière entre Wolofs et Maures : les gens du Waalo s’installent vers le sud et les Halpoulars à l’est. L’espace qui se situe entre le royaume de Trarza et le nord du delta sénégalais était très peu peuplé à cause des razzias sur le bétail et les produits agricoles des Peuls et des Wolofs et des expéditions militaires menées par les Maures (SCHMITZ, 1986). Les États qui contrôlent les territoires du delta mettent en place un système d’échanges entre la gomme produite par les Maures, le sorgho et le mil des Wolofs (ainsi que des pièces de tissus importés via le comptoir de Saint-Louis) et le bétail des Peuls (SCHMITZ, 1986). Ce système d’échange permet une relative pacification de cet espace. Les Français aideront les Maures du Trarza à s’installer au-delà du fleuve (au sud), dans la première moitié du XVIIIe , pour concurrencer la production de gomme du Waalo ; les Français étant essentiellement alimentés par le Trarza, principal producteur de gomme arabique (BARRY, 1983). La gomme sera l’objet de rivalités entre Anglais et Français et entre royaumes du Waalo et du Trarza. Aussi, Français et Anglais tentèrent d’influencer les deux royaumes pour établir une certaine hégémonie, tout en renforçant les rivalités entre le Waalo et le Trarza. Les tensions resurgissent ainsi entre les royaumes pour le contrôle de la gomme arabique. La présence française dans le delta du Sénégal (administrative et militaire) dès le milieu du XIXe siècle (avec l’annexion relative du Waalo) contribuera à contenir les populations dans des limites précises (avec la création des unités administratives cantonales de part et d’autre du fleuve Sénégal) et à réduire les confrontations le long du fleuve Sénégal. Un espace d’intégration, l’AOF (Afrique-Occidentale Française) est créé entre 1895 et 1904 ; cette structure administrative regroupant, sous une autorité unique, tous les territoires colonisés par la France (Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Dahomey – actuel Bénin –, Guinée, Haute-Volta – actuel Burkina Faso –, Niger, Soudan français – actuel Mali –). Le projet politique colonial qui disqualifie les anciens royaumes érige le fleuve en frontière entre deux entités politiques : la Mauritanie et le Sénégal. L’ère des razzias est close vers le début de la première guerre mondiale avec la présence significative et dissuasive des postes français tout au long du fleuve Sénégal. La pacification française se fera à travers la conquête des territoires contrôlés par les différents royaumes. Elle sera effective vers la fin du XIXe siècle. Le fleuve Sénégal est entériné, par les Français, comme la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. La pacification des deux rives par la France favorisera le retour relatif des populations noires sur la rive droite, le point culminant de ce mouvement se situant entre 1895 et 1920 (LESERVOISIER, 1994). Avec la colonisation, les frontières sont entérinées. L’ancien royaume du Waalo occupe le delta sénégalais en rives gauche et l’ancien royaume maure de Trarza, le delta mauritanien. La moyenne vallée coïncide avec l’ancien territoire Toucouleur. Le fleuve Sénégal est la limite officielle entre le Sénégal et la Mauritanie. L’intégration dans un espace colonial pacifié pose les jalons d’un développement agricole. Pour la France, les enjeux se situaient au niveau de la production agricole destinée à la métropole. Les multiples échecs de cette politique française contribueront, dès les indépendances en 1960, à l’émergence d’un projet global pour l’aménagement de la vallée du fleuve Sénégal. 

Une politique agricole dans le cadre d’un projet global de mise en valeur des colonies

La colonisation française est accompagnée d’une politique ambitieuse de colonisation agricole, entre 1800 et 1848. Cette politique de mise en valeur devait se traduire par le développement de productions exportables soit par des cultures industrielles, soit par l’introduction de nouvelles cultures dans les systèmes agraires traditionnelles (GIRI, 1989). Les systèmes de production traditionnelle seraient alors relégués au second plan. En 1802, le plan de colonisation agricole du Sénégal est rédigé dans le but de proposer une solution à la crise du commerce colonial issu de la révolution des esclaves à Saint-Domingue (BARRY, 1985) par la création d’une colonie de peuplement au Sénégal (CAMARA, 1993). L’objectif était d’utiliser la main-d’œuvre sur place pour les travaux agricoles au lieu de les transporter jusqu’aux Antilles (BARRY, 1985). À la demande de Louis XVIII (roi de France de 1814 à 1824), le colonel Schmaltz confortait ce plan de colonisation agricole du Sénégal (CAMARA, 1993). Ce contexte se situe donc dans un processus d’abolition de l’esclavage dans les colonies amorcé par le congrès de Vienne qui abolit la traite en 1815 (CAMARA, 1993). Toutefois, l’esclavage était pratiqué de façon tacite, à l’intérieur des terres. En effet, à l’esclavage est substitué l’engagement forcé des anciens captifs. Le rachat des esclaves pour des travaux agricoles alors que les esclaves clandestinement transportés et saisis par les Français sont employés à des fins de travaux d’intérêt public (égrenage du coton) (ZUCARELLI, 1962). La première tentative d’utilisation des potentialités d’irrigation de delta du Sénégal date donc de 1817 avec le Colonel Schmaltz. Il avait pour mission d’étudier les possibilités qu’offrait le delta pour y diriger une main-d’œuvre que l’interdiction du commerce d’esclaves rendait formellement impossible à envoyer en Amérique (DIEMER, 1987). Des méthodes coercitives furent utilisées pour l’attribution des terres par les chefs locaux aux Français. Ce projet était d’abord prévu dans l’île à Morphil (moyenne vallée) avant d’être recentré sur le Waalo (BARRY, 1985). Le plan de Julien Schmaltz couvre une période allant de 1802 à 1820. Dans le courant des années 1820, une cinquantaine de concessions furent octroyées à des colons européens et africains pour qu’ils y cultivent, chacun, pour 130 ha, riz, fruits, légumes, cotons, plantes tinctoriales, mûrier et nopal (DIEMER, 1987). Le gouvernement colonial accorda des primes pour la production et l’exportation, distribua des instruments aratoires pour qu’à l’arrivée une cinquantaine d’implantations soit mise en valeur à Dagana, Richard Toll, Lampsar et dans les environs de l’île de Saint-Louis (FAIDHERBE, 1889). Entre 1822 et 1825, seulement 49 620 kg de cotons égrenés furent exportés vers la métropole française. Ce qui constitue un échec notoire en termes de rapport coût / productivité. Les causes de cet échec sont multiples : imperfections techniques, insécurité due aux razzias maures, problèmes fonciers entre Royaumes du Trarza, du Waalo d’une part et les chefs du Fouta Toro, d’autre part (BARRY, 1985 ; MAÏGA, 1995), refus de cession des terres par l’aristocratie locale ce qui entraîna, en 1827, la rupture da la digue de la Taouey, trop peu de main-d’œuvre locale consécutive, entre autres, à la traite négrière, résistance du commerce traditionnel de la gomme (BARRY, 1985). Le plan du Baron Roger (1822 – 1831) fut plus intense, car se basant sur la production de coton et de produits exotiques. En 1824, le Baron Roger créa une Société Agricole et Commerciale du Waalo (BARRY, 1985). Globalement, ce projet fut un échec ; les populations locales étant peu intéressées par une agriculture de type commerciale. Ces projets furent définitivement abandonnés en 1831 (BARRY, 1985). La production cotonnière se fera, à partir de là, dans de petites exploitations dans la moyenne et la haute vallée. La production cotonnière n’aura jamais répondu aux objectifs de productivité souhaitée par la France du fait de multiples facteurs : local (la culture du coton ne répondait pas aux modèles de production des populations locales, la main d’œuvre du fait d’une émigration massive vers le bassin arachidier), économique (chute du prix du coton sur le marché mondial), climatique (sécheresse et salinité des eaux sur une longue période), politique (la volonté de l’ingénieur Bélime de produire du coton dans le delta intérieur du Niger), etc. Ces projets seront remis au goût avant les indépendances. En 1938, la Mission d’Aménagement du fleuve Sénégal (MAS) est créée de même qu’une station d’expérimentation à Diorbivol (moyenne vallée). Cette station est entièrement située sur la rive sénégalaise du fleuve, à 450 km de Saint-Louis, dans le lit majeur du fleuve, pour assurer un meilleur accès à l’eau. Des cotonniers furent mis à l’étude. Les expériences furent prometteuses (BERNARD, 1995), mais se soldèrent, une nouvelle fois, par des échecs. À partir des années 1950, l’option de la culture du riz commence à être expérimentée. Ce virage consomme l’échec de la culture cotonnière et ouvre de nouvelles perspectives en termes de développement hydraulique dans le delta du Sénégal. 

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *