Écosystèmes d’affaire

Écosystèmes d’affaire

Éléments clés d’un écosystème d’affaires

 Un écosystème naturel est défini par Frontier comme étant « un système d‟interactions entre les populations de différentes espèces vivant dans un même site, et entre ces populations et le milieu physique » (Frontier, 1999, p. 19). La transposition du concept d‟écosystèmes biologiques au monde des affaires est développée par Moore (1993, 1996), Aliouat (1996) et Stanley (1999). Dans ce cadre, les relations d‟affaires entre acteurs s‟organisent sur la base des réseaux qui peuvent être comparés aux écosystèmes biologiques. Les emprunts conceptuels effectués d‟un champ disciplinaire à l‟autre ne vont pas sans poser de question lors de l‟utilisation d‟analogies ou de métaphores et peuvent être mal compris ou mal interprétés et dénaturer les réflexions de la discipline d‟origine (BergerDouce et Durieux-Nguyen, 2002). L‟analogie est utilisée pour la première fois en 1993 par Moore dans son article « Predator and prey ». Il indique : « To extend a systematic approach to strategy, I suggest that a company be viewed not as a member of a single industry but as a part of a business ecosystem that crosses a variety of industries. In a business ecosystem, companies co-evolve capabilities around a new innovation: they work cooperatively and competively to support new products, satisfy customer needs, and eventually incorporate the next round of innovations » (Moore, 1993, p. 76). Moore met l‟accent sur le fait que les capacités de travailler de manière à la fois compétitive et coopérative des entreprises leur permettent de co-évoluer et ainsi profiter conjointement des innovations. Les écosystèmes d’affaires sont envisagés par Torrès-Blay (2000, p. 246) comme « une coalition hétérogène d’entreprises relevant de secteurs différents et formant une communauté stratégique d’intérêts ou de valeurs structurée en réseau autour d’un leader qui arrive à imposer ou à faire partager sa conception commerciale ou son standard Écosystèmes d’affaires 105 technologique. » Ainsi cette vision commune doit tendre à relier les entreprises autour d‟innovations telles que décrites par Moore (1993). Ce sont des acteurs de natures différentes, issus de secteurs très variés (Gueguen et Torrès, 2004, p. 245) qui vont se regrouper autour d‟une compétence partageable, œuvrer dans le même sens et se retrouver dans « une communauté de destin stratégique » (Pellegrin-Boucher et Gueguen, 2004, p. 1). 

Des acteurs hétérogènes composent l’écosystème d’affaires 

Les relations entre acteurs hétérogènes (entreprises, institutions, syndicats, etc.) vont brouiller les repères jusque-là définis par les filières ou industries traditionnelles. Ainsi, « les alliances, les groupes d‟intérêts, les accords de commercialisation et de R&D, les lobbies, les partenariats, les contrats de co-traitance, les groupes de pression contribuent à faire émerger des entités relationnelles qui ne correspondent ni au concept d‟industrie, ni à celui de filière » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 228). Ces entités qui ne correspondent ni aux filières, ni aux industries doivent être rapprochées de la déstructuration observée dans une économie où l‟arrivée des TIC génère un processus de convergence numérique. Des entreprises de secteurs différents se rapprochent alors et donnent naissance à de nouvelles propositions de valeurs au sein de nouveaux écosystèmes. Ces auteurs expliquent que les TIC génèrent un processus de convergence numérique qui permet à des secteurs de se rapprocher par le biais d‟alliances ou de prise de contrôle, ainsi les frontières de l‟industrie traditionnelle s‟érodent. « Ces processus de convergence, liés notamment à l‟avènement de l‟internet, qui induit un découplage de plus en plus fort entre la chaîne de valeur physique et la chaîne informationnelle, font naître de nouvelles propositions de valeur mettant en jeu des acteurs nouveaux ou en provenance d‟origines sectorielles diverses » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 232). La notion d‟industrie aux frontières fixes telle qu‟elle est étudiée dans les travaux de Porter (1986) tend à être remise en cause lorsque l‟on observe la convergence d‟acteurs issus d‟industries ou de filières différentes. Iansiti (2005, p. 55) explique : « as with biological systems, the boundaries of a business ecosystem are fluid and sometimes difficult to define. Ecosystems traverse industries and encompass the full range of organizations that influence the value of a product or service ». En effet, un écosystème d‟affaires peut inclure les entreprises sous-traitantes, les institutions financières, les entreprises délivrant des biens complémentaires, etc. Au-delà d‟une convergence des industries, Iansiti et Levien (2004, p. 70) indiquent que beaucoup d‟organisations brouillent la chaîne de valeur traditionnelle entre les fournisseurs et les distributeurs : « many of these organizations fall outside the traditional value chain of suppliers and distributors that directly contribute to the creation and delivery of a product or service. » 106 Partie 1. Le marché de la télémédecine : cadrage analytique et conceptuel Les entreprises doivent agir en comprenant la réalité de leur environnement et leur impact sur leur écosystème (Iansiti et Levien, 2004a). Une modification du positionnement par rapport aux industries traditionnelles amène alors des modifications dans le comportement des stratégies des acteurs. Ces derniers vont se réunir, dans une dynamique proactive d‟amélioration et de consolidation autour d‟une innovation avec comme objectif d‟en faire un standard (Gueguen et Torrès, 2004, p. 230). Les relations de ces acteurs ne seront pas seulement directes, formelles, économiques ou technologiques mais seront vécues autour d‟une croyance commune, d‟une vision partagée (Gueguen, Pellegrin-Boucher et Torrès, 2004, p. 13). Hormis les entreprises, il apparaît que des organismes publics et des usagers peuvent avoir leur place dans un écosystème d‟affaires. Ainsi Gueguen et Torrès (2004, p. 230) indiquent que les « consommateurs pourront être également vus comme acteurs directs de cet écosystème ». De même, Iansiti et Levien (2004, p. 71) affirment : « It even includes competitors and customers, when their actions and feedback affect the development of your own products or processes ». En effet, selon la logique des effets de réseaux, plus un standard aura un nombre d‟utilisateur important, plus il sera intéressant d‟utiliser ce standard. Un écosystème comprend des entités telles que les agences de régulation, les médias qui n‟ont pas forcément un effet immédiat mais leur action peut être puissante (Iansiti et Levien, 2004a). « Ce ne sont plus des entreprises qui se font directement concurrence mais des regroupements d‟entreprises qui peuvent se muer en groupe de pression. Ceci prouve l‟importance des organismes de régulation dans les écosystèmes d‟affaires pour favoriser l‟adoption d‟un standard » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 243). Les différentes parties prenantes peuvent influencer la promotion du standard commun. Dans ce sens, l‟étude sur la guerre Linux-Microsoft montre que la diffusion d‟une technologie mobilise des associations ou groupes de pression représentant des entreprises qui œuvrent pour défendre leur conception (libre ou propriétaire) de cette technologie. Il n‟y a pas forcément une appartenance exclusive à un seul écosystème d‟affaires (Gueguen et Torrès, 2004, p. 230). En effet, un acteur peut être partie prenante de plusieurs écosystèmes d‟affaires. Une fois appréhendée, la typologie des acteurs appartenant à un écosystème, on peut se demander la nature des relations que doivent entretenir ces acteurs entre eux. Ainsi Gueguen, Pellegrin-Boucher et Torrès (2004) pensent que l‟on « peut estimer qu‟une conception large des écosystèmes d‟affaires suggérerait que toutes les relations formelles et informelles qu‟entretient l‟entreprise sont à prendre en considération. » Cependant, toutes les relations ne semblent pas pertinentes, et seules celles favorisant le développement d‟une ressource commune, par exemple un standard technologique sont nécessaires à l‟écosystème (Gueguen, Pellegrin-Boucher et Torrès, 2004, p. 15). 107 Iansiti et Levien (2004, p. 71) indiquent qu‟il est impossible de dessiner précisément les frontières d‟un écosystème pour une entreprise qui peut dépendre de centaines, voire de milliers d‟autres entreprises. Ce qui est essentiel pour une entreprise, c‟est d‟identifier les organisations qui peuvent influer et déterminer de façon critique ses affaires. Ces auteurs préconisent dans le cas d‟un écosystème complexe, de le subdiviser en groupes spécifiques, se rapprochant de domaines d‟affaires conventionnels. Enfin, une fois l‟écosystème construit, et de façon évolutive, « ces acteurs, en fonction de leurs apports, seront qualifiés de leaders, de suiveurs ou encore d‟outsiders mais maintiendront une importante volonté d‟innovation » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 229). Les écosystèmes sont par nature dynamiques et leurs frontières sont floues mais ils sont régulés par un ou quelques leaders. Cette organisation leader a su identifier le moyen de partager les ressources et l‟intérêt du plus grand nombre à collaborer. Nous nous intéressons alors plus particulièrement aux acteurs se positionnant comme leaders de l‟écosystème d‟affaires.

Dynamiques de concurrence et de coopération 

Un écosystème d‟affaires associe des entreprises qui coopèrent et qui sont concurrentes. Les écosystèmes d‟affaires peuvent être rapprochés de la logique de coopétition. Au sein de l‟écosystème il existe des dynamiques concurrentielles lorsque qu‟un acteur lutte pour acquérir la place de leader. Il existe également des logiques d‟affrontement entre différents écosystèmes, par exemple, la guerre que se livrent les écosystèmes de Microsoft et Linux. Cette lutte oppose les deux écosystèmes sur une conception différente du monde informatique, l‟une propriétaire, l‟autre libre. Un standard technologique va être conçu sur les bases de la coopération des entreprises de l‟écosystème mais une fois le standard conçu, les entreprises se retrouveront en position de concurrence pour exploiter ce standard à travers des produits spécifiques. 

Pour chaque écosystème un ou des leaders

 Un écosystème d‟affaires a un ou des leaders. Un écosystème est régulé par une ou quelques entreprises leaders (Sagglietto, 2007, p. 81). Le leader devra partager sa vision avec le reste de la communauté et orienter les évolutions de compétences. Ainsi, « le leadership n‟est pas fondé sur l‟autorité, le contrôle ou le commandement mais sur la conduite des évolutions et la capacité d‟influence. » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 234). Sa place n‟est pas figée, le leadership évolue. Plusieurs entreprises peuvent être leaders. « Le rôle des dirigeants d‟un écosystème d‟affaires n‟est pas fixe. Ce rôle est contingenté 108 Partie 1. Le marché de la télémédecine : cadrage analytique et conceptuel par le stade de développement. Il s‟agira ainsi de développer un ensemble de valeurs à partager, d‟atteindre une masse critique, de mener à bien la coévolution ou enfin de continuer à améliorer la performance de l‟écosystème d‟affaires » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 235). « Le leader devra consolider son pouvoir. À cette fin, Moore (1996) estime que les trois principales sources de pouvoir, lorsque l‟écosystème d‟affaires est dominant, sont : – La capacité à développer une trajectoire d‟innovation pouvant englober les autres acteurs ; – L‟apport d‟une contribution critique permettant d‟apporter de la valeur discriminante tant aux consommateurs qu‟aux autres membres de l‟écosystème d‟affaires. Le leader devra donc s‟efforcer de diffuser son innovation ; – La capacité à encastrer (embeddedness) ses apports auprès des autres acteurs. Ainsi, les produits ou services de l‟entreprise leader seront utilisés par les autres. Il va donc s‟agir de créer une dépendance mutuelle et de développer des investissements réciproques afin d‟empêcher l‟utilisation d‟une offre concurrente » (Gueguen et Torrès, 2004, p. 235). « Le leardership se fonde souvent sur les processus de normalisation technologique » (Torrès-Blay, 2000, p. 251). En ce qui concerne le leadership, deux entreprises peuvent se concurrencer d‟une façon agressive pour obtenir la place du leader. L‟acteur qui parvient à cette position est celui qui impose son standard ou ses valeurs (Gueguen et Torrès, 2004, p. 236). Par son assise, le leader oriente les évolutions des compétences centrales, il incite les membres de l‟écosystème à agir en partageant une même vision. C‟est grâce aux contributions faites auprès de la communauté que le leader fonde son pouvoir. Le leadership est en général détenu par l‟entreprise qui a identifié et mis en œuvre les modalités de collaboration les plus en adéquation avec les intérêts des membres de l‟écosystème, sur la base de savoir-faire partagés. Le leader doit pouvoir préserver la norme partagée afin que les compétences écosystémiques développées soient pérennes. Il existe une possibilité pour lui d‟activer un mécanisme de lock-in (verrouillage). La place de leader est évolutive, par exemple, l‟univers PC a connu plusieurs leaders successifs (IBM, le couple Microsoft et Intel puis Microsoft). Le cas du couple Microsoft/Intel illustre le fait qu‟un écosystème peut avoir plusieurs leaders. Les entreprises leaders qui régulent l‟écosystème sont appelées par Iansiti et Levien (2004) : keystone organization ou organisation pivot, cette entreprise joue un rôle 109 structurant pour la création et le partage de la valeur. Ces auteurs ont proposé une typologie des acteurs composant l‟écosystème d‟affaires. Les dominators sont des acteurs leaders qui recherchent à s‟approprier la valeur de l‟écosystème sans la redistribuer aux autres acteurs. « Ecosystem dominators wield their clout in a more traditional way, exploiting a critical position to either take over the network or, more insidiously, drain value from it » (Iansiti et Levien, 2004a, p. 74). Ils peuvent être des physical dominators, c‟est-à-dire des leaders qui occupent toutes les niches de l‟écosystème via des stratégies d‟intégration pour contrôler le maximum de nœuds de son réseau pour avoir le contrôle de la valeur créée ou des value dominator (acteurs qui captent la valeur) ou hub landlor (pourvoyeur ou centre d‟affaires) pour extraire le maximum de valeur du réseau sans chercher à le contrôler. Les organisations pivot jouent d‟abord un rôle dans la création de la valeur au sein de l‟écosystème mais aussi dans le partage de la valeur créée avec les participants de l‟écosystème. Si la firme-pivot ne crée pas de valeur, elle ne pourra pas attirer ou même retenir les acteurs. Les firmes-pivot qui ne redistribuent pas cette valeur sont alors temporairement enrichies mais seront au final exclues de l‟écosystème. Ces acteurs ne cherchent pas à tout contrôler mais à se positionner sur certains nœuds. Ils ont souvent recours à des stratégies de plateforme qui leur permettent de tirer parti des contributions des autres acteurs. Cette plateforme a alors un rôle spécifique : « an asset in the form of services, tools, or technologies that offers solutions to others in the ecosystem » (Iansiti et Levien, 2004a, p. 74). Enfin, les niche players ou acteurs de niche sont des acteurs de petite taille, très spécialisés et donc qui peuvent se différencier. « A niche player aims to develop specialized capabilities that differentiate it from other companies in the network » (Iansiti et Levien, 2004a, p. 77). Ils sont très nombreux et sont responsables d‟une grande part de la valeur créée au sein du réseau. Ils entretiennent des relations très étroites avec la firmepivot en contribuant au développement de sa plateforme. « By leveraging complementary resources from other niche players or from an ecosystem keystone, the niche player can focus all its energies on enhancing its narrow domain of expertise » (Iansiti et Levien, 2004a, p. 77). 

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