Etat des lieux des connaissances et discussion sur l’accès a la parentalité chez les patientes souffrant d’un trouble bipolaire 

Fécondité et freins à l’accès à la parentalité

Tout d’abord, lors des entretiens avec les patientes souffrant de trouble bipolaire, nous avons émis l’hypothèse que l’accès à la parentalité semblait plus difficile qu’au sein de la population générale et que ces patientes avaient moins d’enfants que le reste de la population. Cette impression nous a interpellés et nous a donc incités à vérifier notre hypothèse dans la littérature.
Ainsi, nous avons consulté la base de données informatiques PubMed et nous avons utilisé les mots clefs: « bipolar disorder and fecondity ». articles sont recueillis et après lecture des titres et des résumés, 5 correspondent à notre sujet et ont particulièrement attiré notre attention.
Tout d’abord, nous nous sommes intéressés aux travaux de Power et al, datant de 2013. Il s’agit d’une étude de cohorte en Suède, concernant 2,3 millions de personnes nées entre 1950 et 1970. L’objectif de cette étude est d’examiner les taux de fécondité chez les patients souffrant de pathologies mentales. On note ainsi, une fécondité moins importante chez les patients avec un trouble bipolaire, par rapport à la population générale. Ceci apparaît encore plus marqué chez les hommes. En effet, ces derniers ont un taux de fécondité de 0,75 (IC 95% (0,73-0,77) ; p < 0,005). Chez les femmes, le taux de fécondité est de 0,85 (IC 95% (0,84-0,87) p < 0,005). Ces deux résultats sont donc inférieurs au taux de fécondité de la population générale, qui est déterminé, dans cette étude, à 1. Ensuite, si on compare avec les autres pathologies psychiatriques, la fécondité des patients souffrant d’un trouble bipolaire (hommes et femmes confondus) est moins importante que chez les patients souffrant d’une dépression (hommes et femmes). De plus, nous notons que le taux de fécondité des patientes souffrant d’anorexie mentale est très légèrement inférieur à celui des femmes souffrant de trouble bipolaire. Les usagers de substances ont un taux de fécondité très légèrement supérieur aux patients souffrant de trouble bipolaire.

Lithium et grossesse

Le lithium est le traitement thymorégulateur de référence du trouble bipolaire. Il s’agit d’un traitement efficace, aussi bien lors des décompensations maniaques ou dépressives que comme traitement préventif, et il diminue considérablement le risque suicidaire.
Il est donc très protecteur dans le cadre du trouble bipolaire. Peut-il être prescrit durant la grossesse ? Nous verrons dans un premier temps, les recommandations françaises et internationales puis les données de la littérature.
Que disent les recommandations ? :En France, l’HAS a publié en juillet 2017 les conclusions d’une commission de la transparence sur le Lithium. Ainsi, nous nous sommes intéressés à la partie grossesse. Il est alors précisé que l’utilisation du lithium durant la grossesse est possible. Les risques de tératogénicité sont essentiellement cardiaques mais les experts précisent que le taux d’anomalie est difficilement quantifiable.
Ensuite, le CRAT (Site consulté le 12/01/2019) estime que le lithium peut être prescrit durant la grossesse mais qu’un autre thymorégulateur sera préféré, si possible. Il est préconisé, également, de ne pas arrêter le lithium brutalement.
Ensuite, si le choix du lithium est maintenu par le psychiatre référent, une surveillance adaptée est nécessaire. Celle-ci consiste à réaliser des échographies cardiaques fœtales afin de repérer le risque de cardiopathie, surtout si la patiente reçoit du lithium durant l’organogénèse cardiaque (J21 à J50 de grossesse).
La surveillance est, également, axée sur les lithiémies maternelles surtout en fin de grossesse. Une surveillance hebdomadaire est ainsi proposée par certaines équipes lors du dernier mois de grossesse. Le CRAT précise ainsi, que les posologies maternelles peuvent être augmentées, à la lumière des lithiémies, et qu’elles doivent être rétablies dans le post-partum, à la posologie initiale. En cas d’accouchement sous lithium, il est nécessaire d’informer les équipes de la maternité, afin d’adapter l’accueil du nouveau-né, que nous aborderons plus loin.
Concernant l’allaitement, le CRAT préconise la plus grande prudence, et donc l’allaitement apparaît contre-indiqué. Le lithium passe dans le lait maternel et ainsi les lithiémies du bébé peuvent atteindre 50% ou plus des lithiémies maternelles. De plus, le lithium est un médicament à fourchette thérapeutique étroite, ainsi les déplétions sodées très fréquentes chez le nourrisson peuvent majorer la toxicité du lithium ingéré, par voie lactée.
Au niveau international, nous nous sommes intéressés aux recommandations australiennes de 2017 sur le lithium et la partie sur la gestion du lithium durant la grossesse a particulièrement attiré notre attention.
On note ainsi que l’utilisation du lithium est possible durant la grossesse, mais toujours en considérant la balance bénéfice-risque pour la mère et le fœtus. Les risques de rechute chez la mère seront alors comparés aux risques tératogènes chez le fœtus.
Les experts précisent que les futurs parents seront informés des risques tératogènes potentiels. Quant au risque de malformation cardiaque, les experts sont rassurants, et estiment que ce risque est actuellement très faible.
De plus, il est recommandé, si possible, que la grossesse soit planifiée. Également, en cas de grossesse et tout au long de celle-ci, les experts informent qu’il sera nécessaire de surveiller étroitement les lithiémies plasmatiques. Au second trimestre de la grossesse, une surveillance spécifique par une échocardiographie fœtale est préconisée.
Il est recommandé également, de baisser les doses de lithium le jour de l’accouchement, afin d’éviter le surdosage et le risque de toxicité néonatale.
Concernant l’allaitement, les experts internationaux précisent qu’il sera contre-indiqué si la mère bénéficie d’un traitement par lithium.
D’autres recommandations internationales concernent la gestion du lithium durant la grossesse. Il s’agit des recommandations NICE de 2015, actualisées en 2018.

Le dilvaproate de Sodium et le valpromide

Ces molécules s’utilisent toutes les deux dans le trouble bipolaire, et se métabolisent en acide valproique (CRAT site internet consulté le 12 janvier 2019).
Depuis 2014, l’Agence Européenne du médicament précise que l’acide valproique ne doit pas être prescrit chez la femme en âge de procréer.
En cas de nécessité (inéfficacité ou intolérances des autres thymorégulateurs), le psychiatre doit alors s’assurer :
Que sa patiente utilise une contraception efficace et que les BHCG sont négatifs ,Qu’elle a bien compris les risques de ce traitement durant la grossesse, Qu’elle consulte rapidement si projet de grossesse. Ce traitement sera ainsi réévalué très régulièrement.
Concernant la grossesse, le fœtus, puis l’enfant, le risque d’issues anormales est important : Le risque de malformation congénitale est d’environ 10% ; Le risque de retard de développement chez les enfants d’âge préscolaire est de 30 à 40%. On retrouve ainsi, des retards à l’acquisition du langage et/ou de la marche. Le quotient intellectuel mesuré chez des enfants de 6 ans exposés in utéro à l’acide Valproique, est inférieur de 7 à 10 points à celui d’enfants exposés in utéro à d’autres thymorégulateurs ou antiépileptiques.
Le risque de développer un trouble envahissant du développement est 3 fois plus fréquent, qu’au sein de la population générale.
Notons que, d’après les données de la revue de littérature, ce risque est dose-dépendant et est majoré par l’association avec d’autres médicaments (antiépiletiques ou thymorégulateurs).
Ainsi, si une patiente souffrant d’une trouble bipolaire et traitée par Acide Valproique, envisage une grossesse (ou en cas de grossesse), toutes les mesures seront mises en œuvre, pour envisager le recours à d’autres thérapeutiques.
Si on ne retrouve pas d’alternative, et que la balance bénéfice-risque est en faveur de la poursuite de ce traitement, le schéma de prise en charge doit être clair pour la patiente et son conjoint et sera établi en collaboration avec son psychiatre et le gynécologue. Ainsi, on veillera à prescrire la dose minimale efficace et à répartir cette dose journalière, en plusieurs prises sur la journée. Une surveillance prénatale spécialisée sera instaurée, au moyen d’échographies fréquentes. Le but sera de surveiller le développement du fœtus, et d’être particulièrement vigilant face à la survenue possible d’anomalies de fermeture du tube neural.
Notons qu’à ce jour, le principe d’une prévention, par l’acide folique, des malformations liées à la prise de Valproate, n’est pas étayé par la littérature.
En 2017, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé a renforcé les conditions de prescriptions et de délivrance des spécialités à base de Valproate et dérivés. Ainsi, DEPAKOTE et DEPAMIDE sont désormais contre-indiqués dans le trouble bipolaire, chez les femmes enceintes et chez les femmes en âge de procréer n’utilisant pas de contraception orale.

La prise en charge non médicamenteuse

Psychoéducation :L’HAS définit les différents objectifs de cette prise en charge, en général : meilleure connaissance et compréhension de la maladie, et des bénéfices des traitements médicamenteux et non médicamenteux.
repérage des symptômes de la maladie, des effets indésirables liés aux traitements qui nécessitent une consultation rapide.
réduction du nombre et de la sévérité des symptômes, amélioration de la qualité de vie, une sensibilisation de l’entourage aux contraintes de la maladie, aux traitements, et aux répercussions potentielles.
Dans la littérature française ou internationale, on ne retrouve pas de données sur l’intérêt d’une psychoéducation spécifique pour le trouble bipolaire, durant la grossesse.
Psychothérapie :Le processus de parentalité qui permet, à une femme et à un homme, de se sentir mère et père au-delà de sa réalité biologique et juridique, est loin d’être un processus simple. Ce parcours peut être difficile, en particulier, chez les patients avec trouble psychiatrique. La grossesse peut ainsi constituer un moment privilégié afin d’aborder cela avec la mère et avec le couple, s’ils le désirent.

Table des matières

I. INTRODUCTION
II. RAPPEL SUR LES TROUBLES BIPOLAIRES
II. A. Epidémiologie et clinique
II. B. Prise en charge
III. ETAT DES LIEUX DES CONNAISSANCES ET DISCUSSION SUR L’ACCES A LA PARENTALITE CHEZ LES PATIENTES SOUFFRANT D’UN TROUBLE BIPOLAIRE 
III. A. Fécondité et freins à l’accès à la parentalité
III. A.1. Revue de la littérature
III. B. 2. Discussion
III. B. Gestion du trouble bipolaire pendant la grossesse
III.B.1. La prise en charge médicamenteuse
a/ Maintien ou arrêt du thymorégulateur durant la grossesse ?
1. Que disent les recommandations ?
2. Revue de la littérature
b/ Lithium et grossesse
1. Que disent les recommandations ?
2. Revue de la littérature
c/ Autres thymorégulateurs
1. Lamotrigine
2. Quetiapine
3. Aripiprazole
4. Olanzapine
5. Dilvaproate de sodium et Valpromide
6. Carbamazepine
d/ Tableau de synthèse des différents thymorégulateurs
III. B.2. La prise en charge non médicamenteuse
a/ Psychoéducation
b/ Psychothérapie
III. B. 3. Discussion
III. C. Les complications périnatales
III. C. 1. Revue de la littérature
a/ Complications obstétricales et néonatales
b/ Complications psychiatriques
III. C. 2. Discussion
III. D. Retentissement du trouble bipolaire sur le développement de l’enfant
III. D.1. Revue de la littérature
a/ Facteurs prénataux
b/ Facteurs postnataux
III. D.2. Discussion
IV. LES CAS CLINIQUES 
IV. A. les unités mère-bébé
IV. A. 1. Historique
IV. A.2. Spécificité de soins en unité mère-bébé
a/ Prise en charge de la mère
b/ Prise en charge du bébé
c/ Prise en charge des interactions mère-bébé
d/ Prise en charge du père et de la famille
e/ Les outils thérapeutiques
IV. B. Présentation des trois dyades
IV.B.1. Madame A et Emma
IV. B.2. Madame Y et Evan
IV. B.3. Madame E et Thomas
IV. C. Discussion et concordance avec la revue de la littérature
IV. C. 1. Les cas de Mme A et Emma, et de Mme Y et Evan
IV. C. 2. Le cas de Mme E et Thomas
V. CONSEILS PRATIQUES AFIN DE MIEUX ACCOMPAGNER LES PATIENTES QUI SOUFFRENT D’UN TROUBLE BIPOLAIRE, DANS LEUR ACCES A LA PARENTALITE 
V. A. Rendez-vous pré-conceptionnel
V. B. Déroulement de la grossesse
V. C. La fin de grossesse, l’accouchement et le post-partum
V. C. 1. La fin de grossesse
V. C. 2. Accouchement et post-partum immédiat
V. C. 3. Le post-partum
V.D. Fiches de synthèse
VI. CONCLUSION 
VII. BIBLIOGRAPHIE

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