La diplomatie Twitter de la Chine

La diplomatie Twitter de la Chine

Le COVID-19 et la diplomatie du « loup guerrier »

Nous avons mis en évidence comment la doctrine de la politique étrangère chinoise avait évolué au fil des administrations et comment cette évolution pouvait constituer un contexte favorisant l’émergence d’un style diplomatique plus affirmé. Cette étape était essentielle pour comprendre pourquoi la diplomatie dite du « loup guerrier » étonne aujourd’hui le public, puisqu’il faut la replacer dans une histoire de la diplomatie chinoise qui avait longtemps favorisé une approche plus « douce » basée sur le slogan de taoguang yanghui de Deng Xiaoping. Mais ces raisons structurelles ne suffisent pas à expliquer l’émergence de ce nouveau style de communication diplomatique, et il nous faut désormais explorer les raisons conjoncturelles qui ont mené à la forte augmentation des occurrences de cette diplomatie du loup guerrier, en particulier sur Twitter. Ce sera l’objet de cette deuxième sous-partie, et cela nous permettra d’explorer plus en détail la manière dont cette diplomatie du loup guerrier se manifeste sur Twitter, ce que nous n’avons fait que très rapidement jusqu’à présent. 76 Notre intention première était d’appuyer notre réflexion sur de l’analyse automatisée de données textuelles, notamment grâce au machine learning et à son application à une base de données Twitter pour conduire un « sentiment analysis » (analyse de sentiment) des tweets de comptes diplomatiques chinois. Grâce aux outils informatique, et notamment grâce au langage Python qui permet de coder des programmes, y compris pour faire du sentiment analysis, on peut obtenir des données quantitatives à partir de matériau textuel. L’objectif du sentiment analysis est de tirer d’une base de données textuelles les sentiments qui y sont exprimés. Cette méthode est souvent appliquée aux réseaux sociaux et utilisée par les entreprises pour évaluer le ressenti du public vis-à-vis de leurs produits ou de leur image de marque. Mais elle peut aussi être utilisée par les chercheurs dans de nombreux domaines, en particulier en sciences sociales. Idéalement, nous aurions utilisé cette méthode pour notre analyse, mais l’ampleur des moyens, en termes de budget et de puissance de calcul nécessaires pour sa mise en œuvre dépassait le cadre de ce travail. Toutefois, l’échantillonnage sur lequel s’appuie notre analyse dans cette seconde partie est suffisant pour obtenir des résultats intéressants. Notre base de données Twitter a été constituée grâce à un programme de scraping codé en langage Python et traitée manuellement sur un tableur Excel. La diplomatie du loup guerrier au service de la défense de la gestion chinoise de la crise du COVID-19 La diplomatie de la Chine privilégie donc depuis quelques années un style moins discret en termes de déclarations ou de publications de représentants officiels de la Chine (à Pékin ou en poste à l’étranger). Depuis 2018 environ, on observe des occurrences de plus en plus fréquentes de diplomates chinois entrant en confrontation directe avec leurs homologues, des hommes politiques ou même des universitaires étrangers pour défendre le discours et les politiques de Pékin. Notre sujet étant la diplomatie Twitter de la Chine, nous nous restreindrons principalement à l’étude des manifestations de cette diplomatie plus affirmée sur ce réseau social, mais il faut mentionner que cette ligne « guerrière » se manifeste aussi dans les publications des sites institutionnels des ambassades et des consulats, et dans les prises de parole des diplomates. L’un des exemples les plus frappants avait été l’article anonyme intitulé « Rétablir des faits distordus – Observations d’un diplomate chinois en poste à Paris » publié sur le site de l’Ambassade de Chine en France, et qui laissait entendre en des termes très virulents que les personnels soignants d’EHPADs en France avaient « abandonné leurs postes 77 du jour au lendemain […] laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie43 » (cet article a été retiré du site Internet). L’épidémie de COVID-19 éclate en Chine au tournant de l’année 2019, dans la province du Hubei. La gestion par la Chine des premières semaines de l’épidémie a été largement critiquée par la communauté internationale, notamment pour son manque de transparence dans la communication des informations et des chiffres relatifs aux personnes infectées et aux décès. A mesure que l’épidémie s’est développée et transformée en pandémie, les voix critiques ont pris de l’ampleur, et de nombreux pays ont demandé à la Chine de permettre une enquête indépendante sur les origines du virus, certains exigeant même réparation pour l’impact de la crise sanitaire. Pour Pékin, cette pandémie est une crise majeure pour son image et son statut, menaçant à la fois sa position au sein des affaires internationales et la légitimité du PCC auprès de la population chinoise. La Chine se voit ainsi reprocher son incapacité à contenir la propagation du virus. Attaquée de toute part, la communication extérieure du régime se met au service de la défense de sa gestion de la crise épidémique. La diplomatie du « loup guerrier » constitue le versant le plus incisif de cette communication, au ton souvent nationaliste et agressif, réfutant toute critique venant de l’étranger et mettant en avant les réussites autoproclamées du PCC qui craint de perdre le contrôle de son image, et de dégrader encore son crédit international. La diplomatie du « loup guerrier » est un maillon de la stratégie de Pékin pour reprendre le contrôle du narratif qui s’est construit autour de sa gestion de la crise, ce qui est essentiel à ses yeux, puisqu’il en va à la fois de la stabilité politique et sociale du régime en interne et de la crédibilité de l’image de puissance responsable qu’elle souhaite projeter à l’étranger. La ligne narrative officielle présente les efforts déployés par la Chine sous un jour triomphal, affirmant qu’ils ont permis à la communauté internationale de gagner un temps précieux pour se préparer à la crise. Tout discours allant à l’encontre de cette rhétorique est inévitablement attaqué par les « loups guerriers », en une lutte inlassable dont l’un des théâtres principaux est Twitter. En effet, comme nous l’avons indiqué en première partie, Twitter est une plateforme qui permet aux utilisateurs de relayer très largement un discours, mais aussi de répondre directement à des publications ou de mentionner d’autres comptes.Peu à peu, à mesure que la Chine reprend le contrôle de la situation sur son propre territoire, cette diplomatie du « loup guerrier » est passée de la réponse aux critiques adressées à Pékin à la critique directe de la manière dont d’autres pays ont géré la crise épidémique, et notamment les Etats-Unis. En effet, depuis le début de la pandémie, la rivalité entre Pékin et Washington s’est intensifiée, approfondissant une tendance à la confrontation amorcée depuis l’arrivée à la Maison blanche de Donald Trump. Mais alors qu’elle prenait auparavant les traits d’une compétition technologique et commerciale, celle-ci s’est doublée durant la crise pandémique d’une « guerre des mots » d’une acuité particulière. Un phénomène qui date d’avant la pandémie et qui risque de se poursuivre après Si les publications Twitter au vitriol des « loups guerriers » accaparent l’attention des médias internationaux depuis le début de la crise pandémique, ce phénomène ne date pas de début 2020. Il est difficile d’attribuer une date précise à l’émergence de ce phénomène, mais les déclarations agressives de la part de diplomates chinois se sont faites plus fréquentes à partir de 2018 environ, à la fois sur les réseaux et à travers les autres canaux de communication. Ainsi, en 2018, l’ambassadeur en Suède Gui Congyou s’expose aux remontrances de la ministre suédoise des Affaires étrangères lorsqu’il déclare, dans le contexte de l’affaire Gui Minhai, que la Suède était un « boxeur poids plume » qui « chercherait la bagarre » avec un « boxeur poids lourd44 ». Pékin et Stockholm sont alors en proie à de fortes tensions diplomatiques au sujet de ce libraire et éditeur naturalisé suédois condamné à dix ans de prison en Chine après avoir été accusé de « fournir illégalement des informations à l’étranger45 ». L’ambassadeur de Chine en Suède n’est pas le seul à faire preuve de virulence dès cette époque : Lu Shaye, avant de devenir ambassadeur de Chine en France, était en poste au Canada, où il se démarquait de ses pairs par l’agressivité dont il faisait parfois preuve dans ses communications

Une agressivité qui ne s’assume pas complètement

 Pékin ne semble toutefois pas satisfait que son nouveau style diplomatique soit qualifié de « loup guerrier ». Sans réfuter le fait que cette diplomatie ait adopté une approche plus musclée, le discours officiel préfère la dépeindre comme une diplomatie défensive, qui ne ferait que riposter face à d’injustes accusations. C’est en ce sens que s’exprime Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France, lors d’une visioconférence datant de juin 2020. Il assure que la diplomatie du « loup guerrier » est une « étiquette collée par les autres », en ajoutant néanmoins que « face aux attaques malveillantes, la Chine réagit bien sûr pour défendre son honneur et sa dignité51». Cette ligne rhétorique est fréquemment employée par Pékin et ses représentants à l’étranger pour justifier l’agressivité de sa communication diplomatique. Liu Xiaoming, alors qu’il était encore ambassadeur de Chine au Royaume Uni en mai 2020, publie une succession de tweets où il retranscrit quelques extraits d’une interview accordée à CCTV (voir capture d’écran cidessous). Il affirme que si les diplomates chinois deviennent des « guerriers », c’est parce qu’il y a des « loups » contre lesquels ils doivent se défendre. Il souligne que la politique étrangère chinoise est au contraire une « politique étrangère indépendante et pacifique ». 

Aspect anti-occidental ou du moins anti-Etats-Unien de cette diplomatie du loup guerrier

Malgré les protestations de diplomates qui, comme Liu Xiaoming, se présentent comme les porteurs d’un message de « paix, de coopération et d’amitié », la diplomatie chinoise sur Twitter n’en exprime pas moins un discours marqué par une défiance de l’Occident52, auxquels s’ajoutent parfois d’autres pays, et plus particulièrement des Etats-Unis. Un tweet de Zhao Lijian illustre cet aspect anti-occidental de la communication Twitter des diplomates chinois : « les États-Unis et l’Occident veulent détruire la Chine par des rumeurs, mais ces rumeurs ont détruit leur image aux yeux du peuple chinois. Ces rumeurs ne font que rendre les Chinois plus unis et plus lucides quant au véritable visage des États-Unis et de l’Occident. » 53 La diplomatie Twitter de la Chine s’est développée dans un contexte de tensions exacerbées entre Pékin et Washington (et plus largement les démocraties occidentales, avec notamment un raidissement vis-à-vis de l’Australie dans l’année écoulée). Une proportion importante des tweets que l’on peut associer à la diplomatie du « loup guerrier » vise en priorité « l’Occident » et les pays associés à cette notion. Le discours critique de la Chine semble en effet aujourd’hui prendre une dimension proprement occidentale, et, dans le cadre de la pandémie, s’appuie largement sur la comparaison – favorable à la Chine – des situations sanitaires respectives (Pékin étant la seule grande puissance économique à avoir enregistré une croissance positive en 2020, tandis que les pays d’Europe ou encore les Etats-Unis sont encore aux prises avec la troisième vague de l’épidémie). 

Les Etats-Unis demeurent la cible privilégiée de la rhétorique virulente de la diplomatie Twitter de la Chine.

Le clip « Once Upon a Virus » est un exemple parmi de nombreux autres. Une direction possible pour une extension de cette recherche serait d’analyser l’environnement linguistique du terme « Etats-Unis » avec un programme Python de sentiment analysis, afin de déterminer la nature péjorative, méliorative ou neutre des termes utilisés par les comptes diplomatiques chinois pour qualifier ce pays. Nous nous appuierons ici sur des exemples sélectionnés à la main. des conclusions avec plus de circonspection que si nos données s’appuyaient sur une analyse automatisée. Néanmoins, notre base de données générée grâce à un programme codé en Python (voir les annexes 2 et 3 pour le code du programme et pour un extrait de la base de données) nous a permis de conduire une analyse, des tweets (originaux, uniquement, sans les retweets) mentionnant les Etats-Unis sur le compte Twitter de l’ambassade de Chine en France entre le 31 décembre 2019 et le 27 avril 2021. Pour cela, nous avons utilisé la fonction de recherche du tableur Excel et avons pris en compte cinq variantes 88 du terme, à savoir : « États-Unis » ; « Etats-Unis » ; « ÉtatsUnis » ; « #ÉtatsUnis » et « #EtatsUnis » (nous n’avons pas inclus le terme « Amérique » et ses variants car il aurait fallu trier ceux qui désignaient par exemple « Amérique du Sud »). Nous avons obtenu un corpus de 196 tweets mentionnant les Etats-Unis (voir annexe 4). Sur les 196 tweets du corpus récoltés, nous en avons retiré 13 qui étaient des doublons. Nous avons classé manuellement les 183 tweets restants en trois catégories : « positif », « neutre » et « négatif ».

Table des matières

Partie 1. La diplomatie publique de la Chine à l’ère des réseaux sociaux
Chapitre 1.1. La diplomatie publique, une priorité de la politique étrangère chinoise
Chapitre 1.2. L’impact des réseaux sociaux sur la pratique
diplomatique
Chapitre 1.3. La diplomatie publique de la Chine sur Twitter
Partie 2. Les « loups guerriers » sur Twitter : porte-paroles de l’affirmation de puissance de la politique étrangère sous Xi
Jinping ?
Chapitre 2.1. Du « profil bas » à « l’esprit combattant » : l’évolution de la doctrine diplomatique chinoise
Chapitre 2.2. Le COVID-19 et la diplomatie du « loup guerrier »
Chapitre 2.3. La politique interne de la Chine : un déterminant de la diplomatie du « loup guerrier » ?
Partie 3. Twitter et la « guerre de l’information » au service de la promotion d’un nouvel ordre mondial « aux caractéristiques
chinoises » ?
Chapitre 3.1. Arrière-plan idéologique et doctrinal de cette
affirmation de puissance
Chapitre 3.2. La diplomatie Twitter et la promotion d’une vision alternative du système international par Pékin
Chapitre 3.3. Twitter, un instrument au service du sharp power chinois
Conclusion
Bibliographie
Ouvrages, chapitres d’ouvrages, et articles académiques
Rapports et publications de think tanks

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