La douleur est un objet social complexe

La douleur est un objet social complexe

L’implication des sciences sociales, demandée par les commanditaires, s’est avérée extrêmement riche. Leur analyse rapporte qu’il existe sur cette question de nombreux travaux issus de plusieurs disciplines dont la philosophie, l’éthique, l’anthropologie, la sociologie, le droit et l’économie. L’ensemble de ces disciplines fait apparaître de façon convergente l’importance de la prise en considération des conditions de vie des animaux pour les différents acteurs. La douleur est un concept dont la pertinence est admise pour les mammifères par les différentes communautés scientifiques et par les différents acteurs de la société. Cependant, l’importance qu’il faut y accorder pour réduire les contraintes imposées aux animaux dans les élevages et la mesure même de son intensité font l’objet de multiples débats qui ont été explicités. De plus, ce concept a été dans le passé difficilement distingué d’autres concepts qui sont souvent utilisés de façon indifférenciée comme ceux de souffrance et de stress, en particulier dans la plupart des textes de droit et de philosophie. Ils sont opposés à des termes qui caractérisent des états positifs, comme la qualité de vie et le bien-être, traduit en anglais par le terme « welfare », ou des actions comme la bientraitance. Cette utilisation concomitante de termes ayant des contenus ambigus rend l’analyse de la littérature complexe. Pendant très longtemps, la qualité de vie des animaux d’élevage a été une question interne aux pratiques d’élevage. Elle apparaissait comme le résultat d’un « contrat » entre les animaux et les éleveurs. Les acteurs qui interviennent désormais sont beaucoup plus nombreux et leurs interactions se sont complexifiées. Tous les acteurs des filières sont impliqués mais également des organisations non gouvernementales et de façon plus large le grand public. L’urbanisation a éloigné le public de l’élevage et de ses réalités. Les relations des populations citadines avec les animaux d’élevage se sont raréfiées, et les seuls animaux avec lesquels elles restent en contact sont leurs animaux familiers, dont le statut et la relation qu’elles entretiennent avec eux sont différents de ceux des animaux d’élevage. Les vétérinaires praticiens, les techniciens de l’élevage et les chercheurs ont introduit des changements, en particulier en ce qui concerne les pratiques d’alimentation, le logement et la sélection génétique. D’autres acteurs économiques, en particulier les transformateurs et les distributeurs, ont également modifié leur façon de travailler et, les produits de l’élevage font maintenant l’objet de transactions sur des marchés ouverts et souvent mondiaux. La taille des élevages s’est accrue considérablement et le personnel qui s’est spécialisé a été réduit. Les techniques et la rationalité ont été développées suivant des modes industriels pour répondre à l’objectif de rentabilité. Ceci est particulièrement vrai pour les productions hors sol, porcs, volailles et veaux, et concerne de plus en plus les ateliers de vaches laitières. Dans ces conditions, les facteurs qui augmentent potentiellement les risques de douleur chez les animaux et les difficultés des travailleurs ont peu été pris en compte. Cependant depuis quelques années, souvent sous la contrainte des réglementations européennes, des modifications substantielles ont été faites dans les méthodes d’élevage pour améliorer le bien-être des animaux. De nouveaux systèmes de production, par exemple ceux développés dans le cadre des productions biologiques, mettent l’accent dans leurs cahiers des charges sur la prévention et le traitement de la douleur des animaux. Des produits typés, souvent sous label, affichent la prise en compte du bien-être animal au même titre que celles des qualités organoleptiques des produits et de l’environnement.

Douleur animale, douleur humaine : intérêt d’une approche combinée

L’analyse de la physiologie de la douleur a mobilisé des chercheurs de différentes disciplines dont des neurobiologistes, des physiologistes, des vétérinaires et des zootechniciens. Comme pour les sciences sociales, l’analyse de la littérature fait apparaître la difficulté d’isoler la douleur de la souffrance et du bien-être animal. L’étude scientifique de la douleur est un fait assez récent et le nombre de références portant sur ce mot clé n’a augmenté sensiblement que depuis les années 1970 au niveau mondial. Les travaux concernaient alors essentiellement l’homme. Par la suite, dans les années 1980, des travaux concernant les animaux ont progressivement été publiés, mais leur nombre est très inférieur à celui des textes dédiés à l’homme. La douleur est définie pour l’homme par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire, réelle ou potentielle ou décrite en termes évoquant une telle lésion. L’expérience sensorielle négative, ou nociception, caractérise la détection par des récepteurs sensitifs des stimulations nociceptives et l’intégration par le système nerveux central de la situation globale, perçue comme aversive. Elle est basée sur la transmission à la moelle épinière de l’information provenant des tissus lésés et l’organisation d’actes réflexes ou de comportements de protection. L’état émotionnel aversif associé à la sensation douloureuse constitue une puissante motivation à accomplir un acte de protection. La douleur ne peut être ressentie que si l’individu est conscient. On distingue la douleur aiguë de la douleur chronique. La douleur aiguë, transitoire, est la conséquence de l’activation du système de transmission du message douloureux. Lorsque cette douleur se prolonge et n’est pas rapidement traitée, elle perd sa fonction utile d’alerte, devient préjudiciable et donne naissance à une douleur chronique. Sur la base de leurs mécanismes physiopathologiques, on distingue trois grands types de douleurs : la douleur aiguë ou « physiologique », la douleur « inflammatoire » et la douleur « neuropathique ». Enfin, sur la base de leurs localisations, des douleurs somatiques ou viscérales sont distinguées. Il existe donc différents types de douleurs. Les douleurs peuvent être modifiées par le contexte et par l’expérience de l’individu et elles varient génétiquement. De nombreuses structures nerveuses, de la périphérie au cortex, sont impliquées dans l’apparition de la douleur mais il n’existe pas de centre spécifique de la douleur. Différents concepts associés à la douleur ont été précisés. La souffrance caractérise les états négatifs auxquels l’individu humain doit s’adapter pour maintenir son équilibre physiologique et psychique. Le stress est la réponse physiologique qui concourt à l’adaptation d’un individu à une situation aversive. Il se traduit entre autres par la mise en œuvre de réactions neuroendocriniennes permettant d’y faire face par la mobilisation des réserves corporelles. Ces termes sont souvent opposés à la santé, telle que définie pour l’homme par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « l’état de bien-être physique, mental et social et pas seulement par l’absence de maladie et de blessures ». Sur la base de la définition adoptée pour l’homme, des vétérinaires anglais2 ont proposé de définir la douleur chez les animaux comme une expérience sensorielle et émotionnelle aversive représentée par la « conscience » que l’animal a de la rupture ou de la menace de rupture de l’intégrité de ses tissus. Comme pour l’homme, deux composantes essentielles sont distinguées, l’une sensorielle (la nociception) et l’autre émotionnelle. De plus, la « conscience » de la situation qui permet l’action est explicitée en tant que forme d’alerte ou d’éveil sensoriel. Le contexte et l’expérience peuvent comme chez l’homme moduler la douleur.  La présence de la nociception est reconnue à l’ensemble des animaux, de même que les mécanismes liés au stress. En revanche, il semble qu’il faille extrapoler avec précaution les données concernant le concept de douleur à d’autres espèces que les mammifères. Les oiseaux, bien que phylogénétiquement éloignés de ceux-ci, semblent posséder les caractéristiques neuroanatomiques et comportementales, permettant de conclure qu’ils peuvent ressentir de la douleur, même si la question de savoir si toutes les espèces d’oiseaux ont cette capacité fait encore l’objet d’un débat. En revanche, certains auteurs considèrent que ce n’est pas le cas pour les poissons, les reptiles, les amphibiens et les céphalopodes. Ceux-ci sont équipés de systèmes nociceptifs mais n’auraient pas « conscience » de la situation et donc ne pourraient pas ressentir de la douleur, en référence à la définition opérationnelle qui été retenue dans ce rapport, et qui s’applique pleinement aux mammifères. Cette position n’est pas cependant partagée par tous les chercheurs qui ont travaillé sur le sujet et elle constitue donc un point de débat dans la communauté scientifique. 

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