La musique fait-elle sens dans le quotidien des adolescents

La musique fait-elle sens dans le quotidien des adolescents

Nous entendons le sens donné à l’écoute musicale en tant que structuration du monde social d’un adolescent. Si la musique s’insère dans le quotidien de ces derniers, que représente-t-elle pour eux, quelle valeur lui attribuent-ils, quelle résonnance a-t-elle dans leur vie de tous les jours ? Lors de notre formation en BTS-son, pour apprendre le métier d’ingénieur du son, une règle d’or en physique s’appliquait : la décomposition en série de Fourier. Lorsqu’il est trop difficile mathématiquement de définir la forme qu’une onde sonore va prendre dans un milieu de propagation – comme une salle de spectacle, ou en plein air –, l’ingénieur du son décompose la difficulté générale en plusieurs sous-problèmes qu’il va pouvoir résoudre mathématiquement. La somme de ces sous-problèmes résolus lui permettra d’apporter une réponse globale au la musique fait-elle sens dans le quotidien des adolescents, à l’heure où le numérique s’en fait le support 20 problème posé au départ. Métaphoriquement, nous avons appliqué cette astuce mathématique à notre recherche doctorale.  Pour pouvoir nous approcher d’une réponse la plus satisfaisante scientifiquement, nous avons donc fractionné notre problématique générale en sous-problématiques :  Par quels intermédiaires – humains et non humains – la musique s’insère-t-elle dans le quotidien des adolescents, à l’heure du numérique ?  Quelles continuités ou quelles ruptures le numérique a-t-il induites dans les pratiques d’écoute musicale des adolescents ?  Comment appréhender le phénomène du téléchargement illégal de musique ? Notre problématique repose sur plusieurs notions souvent polysémiques que nous souhaitons préalablement définir afin de préciser le sens que nous leur donnerons dans notre recherche. La première, centrale, est la notion d’écoute musicale qui a donné lieu, par la même occasion, à la définition de notre cadre théorique. Pour être plus précis, nous avons souhaité produire une recherche à l’intersection des travaux d’Antoine Hennion sur l’écoute musicale, la construction du goût et les médiations qu’il développe – notamment dans La Passion musicale (2007a), un des ses écrits fondateurs sur la question –, de Tia DeNora pour son approche systémique de la musique dans le quotidien – dans son ouvrage Music In Everyday Life (2000) –, et de Sophie Maisonneuve pour son approche médiologique des équipements liés à l’écoute musicale (2001). Afin que notre étude soit dans le prolongement de ses travaux, sans en être leur reproduction, nous avons opté pour une approche info-communicationnelle, et non sociologique ou médiologique. Notre ambition fut d’appréhender les pratiques complexes, partant des usages des équipements liés à l’écoute musicale jusqu’à embrasser la pragmatique liée à ces usages afin de comprendre cette « situation de communication » (Le Marec, 2002) particulière. Pour structurer notre pensée, l’idée de réunir les concepts de médias et de culture d’Éric Maigret et Éric Macé (2005) nous est apparue comme un terreau fertile pour notre réflexion en germe. Elle nous permettait de concilier tous ces travaux précédemment évoqués sur l’écoute musicale, tout en nous focalisant sur les médiations et les modalités de médiatisations de la 21 musique, à partir des adolescents que nous avons rencontrés. Nous souhaitions porter un regard englobant sur le système de relations complexes qui unit les adolescents autour de leurs pratiques d’écoute musicale. Pour le dire autrement, le « paradigme » médiaculturel nous a permis de faire le lien entre des pratiques médiatiques liées à l’écoute musicale des adolescents et leur culture musicale, au sens anthropologique du terme, dans des espaces de médiations. La deuxième notion que nous devions définir est celle d’ « adolescents ». Cette masse polymorphe d’individus plus ou moins définie par une tranche d’âge est complexe à appréhender. Nous reviendrons sur la définition que nous en donnons dans le cadre de notre thèse, lors d’un chapitre méthodologique (chapitre 4). Nous retiendrons ici un élément important : les termes d’ « adolescents », de « jeunes » ou de « jeune génération » sont des termes bien trop englobants pour être satisfaisants (Coulangeon, 2009, p. 1). Sous ces dénominations se cachent autant de réalités que d’individus qui les constituent. Notre méthodologie qualitative l’a confirmé. Autant que faire se peut, nous nous sommes attaché d’une part à préférer conserver le pluriel « des adolescents », évitant de parler de « l’adolescence », et d’autre part à toujours spécifier qu’il s’agissait des adolescents « de notre ensemble » ou « que nous avons interrogés et suivis »

PENSER LA MUSIQUE COMME UN MEDIA

Nous allons inscrire notre pensée dans le sillon disciplinaire de l’information-communication. Cette « disciplinarisation » de notre recherche nous a mené à interroger la musique comme un média, donc comme une situation de communication. Comme le propose Jean Davallon, nous entendrons la notion de média hors de ses carcans technoscientifiques pour l’aborder au prisme d’un « support technologique permettant d’instaurer un rapport à des objets ou des savoirs » (Davallon, 1992, p. 102). En ce sens, nous allons considérer la musique comme un dispositif médiatique dans la mesure où elle représente un espace de médiations entre un public – ou un auditeur – et une œuvre. Nous avons ainsi émis l’hypothèse qu’autour d’un même individu, trois grandes situations de communication se dessinaient lorsqu’est effectuée l’action d’écouter de la musique : seul, entre pairs et en famille. Si ces trois catégories sont certainement trop grossières pour être satisfaisantes, elles nous ont néanmoins permis de balayer les principaux contextes d’écoute, à partir d’un auditeur de musique – pouvant écouter de la musique seul – qui participerait à des médiations « verticales » – au sein de la cellule familiale – et des médiations « horizontales » – entre groupes de pairs. 23 Les médiations qui en résultent, complexes, dynamiques et réflexives3, donnent à saisir le sens de l’écoute musicale comme une fenêtre expérientielle ouverte sur les représentations que des individus se forgent d’une réalité4. Comme le rappelle François Debruyne, « la musique fait sens à plus d’un titre, mais pas au même titre pour chacun d’entre nous » (2001, p. 15). Ces médiations trouvent différents échos autour d’un même individu lorsqu’elles sont interrogées en solitaire ou collectivement, ainsi qu’entre les différents groupes sociaux qui composent son quotidien. Nous nous attacherons à mettre en évidence la spécificité des différentes médiations en fonction des situations de communication au travers desquelles elles sont interrogées. Dans cette acception de l’écoute musicale comme situation de communication, nous précisons que nous entendons cette pratique dans un sens large, qui n’inclut pas toujours l’écoute effective de musique. Parler d’un artiste ou d’un clip, échanger une clé USB ou partager un lien YouTube via Facebook relève pour nous de l’écoute musicale, même s’il ne s’agit pas, sur le moment même, d’écouter de la musique. Si nous entendons embrasser une diversité de situations autour de l’écoute musicale, nous devons aussi en poser les limites. Même si, comme nous le verrons, la pratique instrumentale est parfois reliée, pour certains individus, à la construction de leurs goûts en matière d’écoute musicale, cette thèse n’en est pas le sujet. Pour éviter toute confusion, nous n’évoquerons donc pas les « pratiques musicales », mais bien les « pratiques d’écoute musicale ». De la même manière, nous avons souhaité un temps relier la pratique centrale de notre étude à celle de la sortie culturelle du concert. Par économie de temps, et parce qu’elle relève d’autres enjeux, nous avons dû renoncer à une telle articulation : nous ne parlerons que très sporadiquement des pratiques du concert de nos informateurs.

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