La réforme des droits de la défense dans la phase préliminaire

Le Code d’instruction criminelle est, aux juges pénaux, ce que le dictionnaire est aux littéraires : il est « un ouvrage qui leur apprend de quelle manière doit s’appliquer, aujourd’hui, la procédure pénale ».

Paradoxalement, dès l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale napoléonien, l’idée de le retravailler parut évidente : l’article 139 11° de la Constitution du 7 février 1831 en affirmait le caractère temporaire et une révision nécessaire « dans les plus brefs délais ». L’introduction du Titre préliminaire du Code par la loi de 1878 avait pour but de lancer un travail de réforme qui n’a pas abouti puisque ce titre est encore aujourd’hui « accolé » au Code d’instruction criminelle. Le projet de réforme global pensé en 1914 est à l’état de projet . En 1962, ce qui devait être l’avant-projet de réforme du professeur H. Bekaert, désigné comme commissaire royal à cet effet, n’est resté qu’une importante contribution doctrinale . Le 20 octobre 1991, ce fut au tour de M. Franchimont, professeur à l’Université de Liège de travailler sur un nouveau Code de procédure pénale. Si, certes, cela a abouti à une loi améliorant la procédure pénale au stade de l’information et de l’instruction , le projet de texte publié le 1er octobre 2002 qui devait devenir « Grand Franchimont » n’a donné lieu qu’à une proposition de loi, approuvée par le Sénat le 1er décembre 2005 mais dont l’examen a été remis sine die. Soit « à jamais » .

C’est pourquoi, lorsque le Ministre de la Justice de la précédente législature, Koen Geens, a annoncé mettre en place une réforme de grande ampleur tant du Code pénal, que du Code de procédure pénale et du Code d’exécution des peines, le XXIe siècle a été vu par les juristes comme le siècle de la modernisation et de la mise à niveau du droit belge pénal comme l’avaient déjà fait les pays voisins. Pour une fois, le législateur ne s’est pas calqué sur la jurisprudence strasbourgeoise mais « il s’est montré plus ambitieux ».

Les premiers travaux ont débuté le 30 octobre 2015 après l’institution d’une Commission d’experts. Leur travail : « élaborer une note d’orientation qui prépare la réforme du Code d’instruction criminelle et une proposition de réforme du Code d’instruction criminelle. » C’est ainsi que sont nés la note « Jalons pour un Code de procédure pénale », les débats animés et les critiques des juges d’instruction et du Collège des Procureurs généraux. Malgré ceux-ci et dès son dépôt à la Commission de la Justice de la Chambre le 14 octobre 2016, la Commission de réforme a poursuivi ses travaux jusqu’à la publication par deux parlementaires d’une proposition de loi reprenant à son compte le Code et l’exposé des motifs de la Commission de réforme.

Par conséquent, le 11 mai 2020, une réforme approfondie du Code de procédure pénale a été soumise au Parlement et au débat public dans le but de moderniser un Code datant de 1808 alors défini comme « rapiécé, peu lisible et d’une manipulation malaisée ».

L’intention première est, selon M. Verherstraeten, codépositaire de la proposition de loi avec Mme Slegers, « de raccourcir, de simplifier et de rendre les procédures pénales plus efficaces, avec toutes les garanties nécessaires pour le droit de la défense ». En ce sens, la réforme du Code de procédure pénale prévoit d’instaurer une seule et unique procédure dirigée par le ministère public et sous le contrôle d’un juge d’enquête, qui remplacerait le juge d’instruction et sa fonction hybride (puisqu’il conduit et contrôle l’instruction) inutile dès lors que le Parquet est indépendant. Cette uniformisation renforcera significativement les droits de la défense, en les rendant plus conformes à la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’Homme et plus égalitaires pour les acteurs spécifiquement visés : les suspects. En effet, à l’heure actuelle, il n’y a que des dispositions éparses dans le Code d’instruction criminelle, mettant par écrit quelques applications de ce que le droit belge a admis comme principe général. Les droits de la défense n’ont ainsi une formulation normative globale, permettant de les énoncer et de les rassembler clairement, qu’à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ces bases légales, outre le caractère flou et peu compréhensible qu’implique la multitude de dispositions sans structure, que l’on emprunte le chemin de l’information ou celui de l’instruction, les droits de la défense que les acteurs peuvent solliciter sont différents. Lorsque l’enquête préliminaire prend la forme d’une information, le suspect aura bien moins de garanties de défense que l’inculpé lors d’une instruction, procédure suivie dans la minorité des cas.

Aucun critère ne justifie le renvoi vers une information ou une instruction, excepté le fait que cette dernière soit obligatoire dans le cadre des enquêtes pour crime non-correctionnalisable ou des devoirs d’enquêtes qui ne peuvent être autorisées ni par le Parquet, ni dans le cadre d’une mini-instruction. Le ministère public se voyant accorder de plus en plus de droits, la majorité des enquêtes en restent au stade de l’information, une procédure inquisitoire par définition. En effet, si à l’instruction, plusieurs exceptions au caractère inquisitoire existent, permettant notamment un droit d’accès au dossier, la demande de devoirs complémentaires, un recours contre toute décision prise ; à l’information, les droits ouverts sont restreints : si l’accès au dossier est ouvert formellement depuis peu, la demande de devoirs complémentaires n’est toujours pas prévue. Certes, la jurisprudence belge et européenne a l’avantage de compléter les lacunes et imprécisions que le code pénal napoléonien présentait dès le départ, mais elle a créé, actuellement, une procédure pénale belge très prétorienne mettant en place une inégalité de traitement des justiciables. Les droits de la défense dans le droit belge actuel sont à la fois lacunaires, inégalitaires, incompris, voire même peu praticables.

Table des matières

INTRODUCTION
I.- LES DROITS DE LA DEFENSE DANS LA PHASE PRELIMINAIRE – QUELQUES DEFINITIONS
A.- UNE ABSENCE DE DEFINITION PAR LE DROIT INTERNE
B.- UNE APPLICATION DIRECTE DU DROIT EUROPEEN
1) L’article 6.3 de la Convention européenne des droits de l’homme
2) Des droits conférés dès « accusation en matière pénale »
C.- EN D’AUTRES TERMES
II.- LES DROITS ACTUELS PROBLEMATIQUES A PLUSIEURS EGARDS
A.- UN CARACTERE INQUISITOIRE DEVANT DEVENIR L’EXCEPTION ?
B.- LA COEXISTENCE DE DEUX FORMES D’ENQUETE
C.- UNE REPARTITION INJUSTIFIEE
D.- UNE INEGALITE ETABLIE
E.- UN MANQUE DE CLARTE
III.- LE PROJET DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE PENALE
A.- LE CODE EN PROJET VISE LE JUSTE EQUILIBRE
B.- LES DROITS FONDAMENTAUX
C.- DES DOSSIERS PLUS ACCESSIBLES ?
1) L’état des lieux
2) Le Code de procédure pénale en projet
D.- DES DEVOIRS COMPLEMENTAIRES PLUS DEMANDABLES ?
1) Une différence de traitement constatée à l’heure actuelle
2) Une unification renforcée
E.- LA LEVEE DES BIENS
F.- UN RECOURS CONTRE LES DECISIONS PRISES AU COURS DE L’ENQUETE POSSIBLE ?
G.- UN CONTROLE SUR LA PROCEDURE ?
H.- D’AUTRES DROITS RENFORCES ?
1) L’avocat comme garant des droits de la défense
I.- LA CLOTURE DE L’ENQUETE
1) Plus de règlement de la procédure
2) Une phase de clôture qui garantit les droits de la défense
3) Une procédure simplifiée possible
4) La citation
CONCLUSION

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