La venue sur l’île et la typologie des visiteurs enquêtés

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Les acquis de la recherche

Le flux touristique est représenté par un mouvement de personnes dans l’espace s’adonnant à la pratique touristique. La gestion des flux touristiques permet quant à elle de connaître, de comprendre et d’évaluer ce flux de touristes ainsi que sa variation sur un lieu donné en utilisant différents moyens technologiques. Au-delà du flux mesuré en valeur absolue, il est possible et important de connaître plus en détail la nature du flux : provenance, pratiques, comportement et évaluation de la visite par les visiteurs. Cette connaissance fine du flux vise à permettre au maître d’ouvrage de l’opération de choisir des mesures de gestion, telles des aménagements pour l’accueil et le guidage, des contentions et des protections du milieu en fonction des secteurs impactés.
Vincent Vlès – Construction partagée d’un système numérisé de gestion des capacités de charge touristique du Parc national de Port-Cros © PNPC & MSHA-09/2018 7
Historiquement, les premières mesures de la capacité de charge furent initiées par les administrations américaines gérant des espaces naturels au moment où elles étaient confrontées à une augmentation massive de fréquentation (doublement de 1941 à 1960 dans les Parcs Nationaux, puis doublement à nouveau de 1960 à 1975) : + 13,5 %/an en moyenne (Allredge, 1972, Stankey, 1992). Plusieurs méthodes de calcul et de préservation de l’espace naturel ont été mises au point depuis plus de cinquante ans dans le monde. Les premières méthodes d’évaluation de la capacité de charge (carrying capacity, en anglais) ont été expérimentées dans les années 1970 par l’United States Forest Service. Les décennies 1960 et 1970 ont vu une croissance inégalée de l’usage des aires naturelles protégées pour des motifs de visite et de récréation. Ce service forestier a mis au point une première méthode, baptisée ROS (Recreation Opportunity Spectrum), pour identifier la diversité des usages et les meilleures pratiques pour l’espace naturel. Plus tard, la méthode ROS (Recreation Opportunity Spectrum) a été appliquée pour aider à trouver des solutions différenciées pour protéger des espaces naturels aux U.S.A., en Australie (Mont Cole Forest) et en Nouvelle-Zélande (Newsome, 2001 : 161).
Très vite, les chercheurs ont essayé de déterminer les limites de ce qui était acceptable en termes d’impacts et ont créé un modèle, nommé LAC (Limits of Acceptable Change), qu’ils ont appliqué par exemple au Montana, dans la « Wilderness Selway-Bitterroot » où ils ont pu calculer le nombre de campings par mile2 (1 dans les zones vierges, 4 dans les zones les plus développées) (Nilsen & Tayler, 1997). La méthode LAC (Limits of Acceptable Change) a été également appliquée par la Countryside Commission britannique afin de déterminer :
– Ce qui est acceptable et ne l’est pas du point de vue écologique et de l’accueil du public ;
– Une comparaison de l’existant avec la situation souhaitée ;
– Une stratégie pour prévenir les situations inacceptables ;
– Un suivi et une évaluation de la gestion.
La méthode VIM (Visitor Impact Management) a fourni un cadre d’intervention aux chercheurs travaillant à l’ouverture au public des parcs nationaux américains (US National Parks and Conservation Association). La méthode VIM a repris les acquis de la méthode LAC en la simplifiant et en portant l’attention surtout sur les impacts des visiteurs : l’effort de cette méthode porte surtout sur les alternatives développées pour maintenir les impacts des touristes à des niveaux acceptables. VIM se différencie de LAC en ce qu’elle prévoit un spectre d’examen plus sociétal, une politique de management et avec un processus d’étapes bien plus itératif. Le modèle VIM a été utilisé, par exemple, pour déterminer la fréquentation optimale (protection/économie) des grottes de Jenolan en Australie orientale [Jenolan Caves Reserve Trust]. Il a permis à des techniciens et scientifiques écologues et d’ingénierie politique, sociale et économique de définir un « protocole idéal » en… 3 jours.
La méthode TOMM (Tourism Optimisation Management Model) a été développée dans les années 1990 à Sydney par un bureau de consulting (Manidis Roberts) pour optimiser la fréquentation des Îles Kangourou dans le sud-ouest de l’Australie. La différence de l’application tient surtout à une couverture d’aire touristique beaucoup plus large et un choix d’organismes partenaires très étendu. Cette méthode a également été utilisée plusieurs fois en France, envisagée par exemple par EDF pour planifier l’utilisation optimale de nouvelles activités touristiques durables issues de l’exploitation des barrages hydroélectriques dans la Vallée d’Ossau (Vlès, 2012-2014) ou pour aider à la mise en réserve de secteurs de parcs nationaux (Vlès & al., 2018).

Que retenir des expérimentations issues de ces méthodes ?

Le terme de « capacité de charge » appliqué au tourisme est une notion à la base empruntée à la science physique. Elle désigne la limite de support avant la rupture, une limite avant que des dommages n’apparaissent. Comme à l’image d’une planche qui se briserait sous un poids trop important, le dégât devi ent alors irrémédiable et irréparable.
« La capacité de charge [d’un site, d’une ville, d’un équipement, d’un écosystème] peut être définie comme étant le seuil au-delà duquel un bien ou un service écologique commence à être dégradé et ne peut plus contribuer au bien-être des populations. Au-delà de ce seuil, la détérioration causée aux écosystèmes empêchera certains groupes de populations et des générations futures à répondre à leurs besoins » (Bergeron-Verville, 2013)
Pour le tourisme, l’élément (le poids, l’effort, la contrainte) à « supporter » sont les touristes et les dommages éventuels peuvent être opérés sur plusieurs catégories : l’environnement, l’économie et l’espace social. Si les premières recherches fondamentales sur la capacité de charge datent des années 30, le terme ne sera employé que dans les années 1960 pour la première fois par les organismes gestionnaires des milieux en pays anglo-saxons (cf supra). Ces études tentaient de démontrer les problèmes des loisirs dans les zones forestières ou les parcs naturels.
« Ces premiers travaux s’orientent vers une conception écologique du problème, comme en témoigne l’étude de J.A. Wagar. L’auteur y développe la relation entre la fréquentation, les caractéristiques du milieu et la quantité de végétation. Sa méthode est expérimentale : la fréquentation est simulée par un damage artificiel du sol dont on maîtrise les paramètres de densité et de fréquence. L’expérimentation s’effectue sur une série d’aires-tests de même dimension. Chaque aire-test initiale est décrite par une série de mesures : composition floristique durant la saison, ensoleillement, pente, texture du sol…, puis divisée en placettes dont une témoin, les autres étant soumis à diverse intensité et fréquence de damage. À la fin de la saison, la végétation est recueillie pour chaque placette-test et son poids est comparé à celui de la végétation collectée dans la placette de référence. À partir de la série statistique obtenue, l’auteur observe les relations entre le poids de végétation survivante et différentes caractéristiques du milieu. Par exemple, il constate que la résistance à une intensité de damage donnée est accrue pour certaines formes de végétation, ou que pour une même forme de végétation, la résistance est accrue pour un pourcentage d’ombre croissant. À partir de ces séries, il va élaborer un modèle de relation sous la forme de régressions multiples »
Utilisé surtout par les disciplines de l’écologie scientifique, dans le domaine des disciplines du tourisme, le concept a été très peu approfondi, utilisé, mis en œuvre de manière concrète, donnant lieu essentiellement à des essais théoriques (par exemple : Cocossis & al., 2001). Certains organismes officiels du tourisme se sont essayés à les traduire en calcul mathématique ; c’est le cas de l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT) en association avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) (OMT et PNUE, 1992, p.19) pour lesquels la capacité de charge serait réductible au seul rapport : superficie utilisée par les touristes (m²)/moyenne type par individu (m²/pers.). Dans ces approches officielles de la technostructure du tourisme, les critères d’impacts sur le milieu naturel (faune, flore), du milieu culturel, le confort de la visite, les perceptions et les représentations des habitants, des visiteurs semblent oubliés.
De plus, l’inconvénient avec ce type de raisonnement est son inapplicabilité dans la plupart des cas : pour évaluer une capacité de charge d’un milieu naturel habité, d’autres facteurs rentrent en compte, d’ordre économique, sociologique, psychologique.
L’aspect de la protection de la biodiversité, des écosystèmes et de l’environnement social est très important en ce qui concerne la capacité de charge. Une capacité de charge déterminée par des experts dans le but de préserver une zone naturelle peut être perçue comme trop importante ou au contraire marginale de la part de la population locale, car la « rupture d’acceptabilité » ressentie est propre à chaque individu en fonction du critère d’observation choisi et de sa perception. Elle doit être envisagée à travers la satisfaction à la fois des habitants, mais aussi des visiteurs. On a tenté ici de créer un outil de mesure permettant de moduler les critères de flux en nombre ou en fréquence avec la gêne vécue par les visiteurs et les habitants, et les attentes des acteurs économiques. Une manière ensuite de pouvoir croiser la satisfaction avec le chiffre de fréquentation.
La définition de la capacité de charge n’est donc pas réservée à un seul domaine d’expertise, elle est définie à la croisée d e la perception des usagers, des gestionnaires ainsi que les études scientifiques.
Dans l’ensemble de ces démarches, tout le processus implique tous les partenaires du site : propriétaires, habitants de proximité, scientifiques, visiteurs, autres organismes concernés (Stankey, MacCool, 1993).
Les différents facteurs ou indicateurs à prendre en compte sont détaillés dans le schéma du Parc national de Port-Cros ci-dessous, chaque critère pouvant rendre compte d’une surfréquentation et envoyer un signal aux gestionnaires en cas d’approche du seuil de rupture.
Mieux connaître la capacité de charge est primordial dans le Parc national, surtout vis-à-vis de ses parties prenantes. En effet, l’île de Porquerolles est un lieu touristique par définition pourvue d’une forte attractivité. Ce qui rend ce lieu attractif (paysage, plage, milieux, faunes et flores marins et terrestres) est en danger si ses capacités de charge sont franchies. Au-delà de la conservation (fondamentale) des milieux et de sa biodiversité, le risque est également de perdre ce facteur d’attractivité et par la même occasion de causer des dommages irréversibles, de mettre en péril toute l’économie locale.

Les résultats de l’enquête administrée aux visiteurs de Porquerolles

Cent quarante enquêtes semi-qualitatives ont été administrées par la MSHA en 2018 afin de connaître la perception, par les visiteurs, de la charge touristique et des conditions de visite. Chaque enquête a duré environ une demi-heure. L’objet était également de qualifier la gêne occasionnée, pour les activités des visiteurs dans le Parc, par la fréquentation. L’interprétation des résultats a été faite dans une démarche d’objectivation. Les enquêtes ont été enregistrées à cette fin.

Conditions d’administration des enquêtes

Ces enquêtes ont été réparties durant la durée de la mission de recherche : en moyenne saison, pendant les mois d’avril, mai et juin ainsi qu’en haute saison, en juillet et août, afin de pouvoir, selon les différentes questions, observer un changement ou non en fonction de la période.
Ces entretiens ont également été répartis dans différents sites de l’île, sur les différents lieux où se trouvaient majoritairement les touristes, essentiellement sur les plages ou dans la zone portuaire, ce qui a permis d’évaluer le type de réponse obtenue en fonction du lieu visité.
Les conditions météorologiques ont été toujours optimales lors de la venue des touristes, donc lors de l’administration des enquêtes (temps ensoleillé, absence de pluie et vent faible à modéré).

La venue sur l’île et la typologie des visiteurs enquêtés

Ce sont majoritairement des excursionnistes : il a été plus difficile de rencontrer les touristes (séjour avec nuitée(s) sur l’île) en journée ; la plupart préfèrent sortir le soir afin d’éviter l’agitation provoquée par les excursionnistes. Malgré les différences présentes dans ces deux catégories de visiteurs, leur plus grand point commun est d’arriver avec la même compagnie de bateau, la TLV, qui propose le prix le plus attractif, le plus grand nombre de rotations à la journée ainsi que le temps de traversée le plus court.
En termes de typologie, les touristes viennent plutôt en famille, entre amis ou bien en couple sur l’île. Même si l’enquête a tenté d’équilibrer le nombre d’enquêtes selon cette typologie, il a été très rare de croiser des personnes seules ou en voyage organisé.

La visite de l’île

Généralement, visiter Porquerolles aura été une première pour les personnes interrogées à plus de 70 %. Une fois sur place, les touristes se déplacent à pied ou à vélo (à parts égales), avec une présence plus marquée par le cheminement pédestre sauf en août. L’engouement pour la pratique du vélo sur l’île s’explique par la notoriété de Porquerolles comme destination permettant cette pratique, mais également par la forte présence de loueurs de vélos sur place.
Mise à part la pratique du vélo, les visiteurs viennent majoritairement à Porquerolles pour profiter de la plage, notamment en périodes de fortes chaleurs en haute-saison et, également, pour contempler la diversité de paysages.
Les lieux les plus prisés sont les plages et les forts, le Fort Saint-Agathe en premier lieu, car se situant bien en vue sur une hauteur proche de la zone de débarquement ; il offre un panorama sur la quasi-totalité de l’île.
Il a été demandé aux visiteurs de Porquerolles s’ils étaient allés où s’ils souhaitaient se rendre sur l’île voisine de Port-Cros.
Les visiteurs enquêtés qui se rendent sur Porquerolles ne se rendent pas sur Port-Cros ou, lorsqu’ils s’y rendent, préfèrent Porquerolles. Ce choix est généralement expliqué par la proximité du continent avec Porquerolles se trouvant à environ 15 minutes de bateau du point d’embarquement le plus proche alors que Port-Cros est à 45 minutes. Distance et tarif (moins onéreux pour Porquerolles) sont les facteurs importants de la décision. À cela s’ajoute l’offre en activités et services : sur Port-Cros, on ne peut pas faire de vélo, prendre son chien pour le promener, ou profiter de grandes plages. La clientèle est donc différente sur les deux îles, les visiteurs de Port-Cros fondent leur choix sur le caractère plus sauvage, préservé et naturel de l’île. Bien souvent, un touriste n’a pas vraiment le choix des dates de ses vacances, cela dépend de son activité professionnelle, de sa vie de famille et d’autres facteurs extérieurs. Le problème de la surfréquentation touristique de Porquerolles étant surtout présent l’été, un des enjeux est de favoriser l’étalement dans le temps des visites. L’enquête a testé l’efficacité de mesures favorisant les ailes de saison. Elle constate que dans 65 % des cas, venir en été est un choix assumé. Mais 35 % souhaiteraient plutôt s’y rendre en septembre et octobre pour éviter les fortes fréquentations, les températures de l’air et de l’eau étant toujours favorables. Pour autant, ces arguments sont avancés par les touristes une fois sur place et non lors de la préparation de leur séjour : la forte fréquentation touristique a pu expliquer les réponses à cette question, sans que cela permette d’en tirer des conclusions sur leurs prochains séjours.

Les perceptions de la fréquentation

La perception de la fréquentation par le visiteur ainsi que la gêne éventuellement exprimée par la haute fréquentation permettent de déterminer son degré d’acceptabilité. Les entretiens et enquêtes ont permis de déterminer à partir de quel seuil de fréquentation un touriste se sent majoritairement incommodé (chaque individu a sa propre perception de cette gêne). Par exemple, certains accepteront qu’il y ait 5 000 personnes présentes et d’autres non. Logiquement, la perception de gêne croît avec le nombre d’arrivées. Les problèmes relatés deviennent plus souvent cités à partir de 6000 visiteurs/jour.
Plus on avance dans la saison, plus les touristes sont sensibles à la fréquentation et ressentent une gêne liée à la présence de plus en plus massive des touristes. Lorsqu’il leur est demandé la raison de leur réponse dans le cas de la perception d’une gêne liée à la forte fréquentation, ils la traduisent majoritairement et sans surprise par quatre explications :
– La plage est pleine
– Le bateau est plein
– Le parking est plein
C’est donc dans la pratique des activités, qui bien souvent représentent celles liées à la plage, que les gênes sont les plus présentes, ce qui confirme que ces secteurs de l’île sont également les plus sensibles pour la qualité de la visite ou du séjour. Pour ce qui est des déplacements, ce sont les nombreux vélos circulant sur les sentiers qui incommodent les piétons ou parfois les cyclistes eux-mêmes. Pour ce qui est de l’accès à l’île, les gênes identifiées sont liées aux parkings saturés ainsi qu’à la place restreinte dans les bateaux de traversée. Enfin, la gêne déclarée en matière d’accès commercial fait référence aux files d’attente. On remarque le pic de gêne atteint en août : toutes les personnes interrogées ont ressenti une gêne dans la pratique de leur activité.
Pour autant, les problèmes rencontrés sont moins fréquents que les sentiments de gêne évoqués et sont minoritaires, même si au fil de la saison ils sont en nette augmentation pour atteindre les 50 % au mois d’août.

Table des matières

1- Objet de la recherche, rappel méthodologique
2- Les acquis de la recherche
2.1. Les résultats de l’enquête qualitative administrée auprès des visiteurs en 2017-2018
2.2 La construction du tableau de bord de gestion des flux de fréquentations
3- Guide d’utilisation du tableau de bord de gestion des flux de fréquentation
4- Conclusions : avenir et développement du tableau de bord de gestion des flux
5- Annexes
5.1 Grille d’entretien des enquêtes qualitatives
5.2 Arrivées sur l’île de Porquerolles (données complémentaires à Bountîles)
5.3 Bibliographie
6- Résumé de la recherche

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