LE DROIT DE L’URBANISME DANS LE TEMPS ET AUJOURD’HUI

Urbanisme : légiférer et règlementer mieux et moins

LEGIFERER ET REGLEMENTER MIEUX ET MOINS

Pour répondre directement au problème de l’instabilité du droit de l’urbanisme, la première des mesures à adopter est d’endiguer le flux normatif continu. Nous proposons ainsi un moratoire comme mesure d’urgence. Conscients des limites d’un tel dispositif, nous proposons ensuite de le compléter par une réflexion plus large sur la production législative et réglementaire française. Il nous semble en effet que l’État doit se lancer dans une politique ambitieuse, sérieuse et globale de maîtrise du flux normatif en urbanisme comme dans les autres domaines. A. Mesure d’urgence : un moratoire Le problème principal que pose le droit de l’urbanisme étant son instabilité (voir partie II), nous proposons en premier lieu d’instaurer un moratoire sur le Code de l’urbanisme et la partie du Code de l’environnement applicable aux projets d’urbanisme. Plus précisément nous recommandons au Gouvernement et au Parlement1 de ne pas mener de nouvelles grandes réformes en urbanisme, de ne pas créer de nouvelles contraintes ou de nouveaux dispositifs applicables aux projets d’urbanisme. La production normative se limiterait donc à des mesures dérivées du droit européen, rares en urbanisme mais fréquentes en environnement, et éventuellement à quelques dispositions réellement simplificatrices. Nous entendons par là une mesure qui supprimerait une contrainte sans en ajouter aucune. À ce titre, la disposition de simplification de la mise en compatibilité des PLU incluse dans la proposition de loi du Sénat (voir encadré ci-contre) nous semble particulièrement bienvenue. L’intérêt du moratoire est double. En premier lieu, il mettrait un terme, au moins provisoire, à l’instabilité normative dont souffrent les acteurs de l’urbanisme. De plus, il leur permettrait d’assimiler les nouvelles dispositions instaurées durant le quinquennat précédent encore sous utilisées (voir partie III). La production normative étant largement à l’initiative du Gouvernement, il revient à celui-ci de mettre en place ce moratoire. Seule une volonté politique forte partagée par le Président de la République et son Premier Ministre pourrait en être à l’origine. Ce que nous proposons est donc tributaire de l’existence de cette volonté et il s’agit là de sa principale limite. En effet, si le moratoire nous semble 1 Nous incluons le Parlement parmi les destinataires de cette recommandation bien que les réformes récentes soient toutes à mettre au crédit de l’exécutif (propositions de loi, ordonnances ou décrets gouvernementaux).

SIMPLIFICATION DE LA MISE EN COMPATIBILITE DES PLU

Le groupe sénatorial de travail sur la simplification législative du droit de l’urbanisme, de la construction et des sols a élaboré une proposition de loi visant à stabiliser le droit de l’urbanisme et à en accélérer les procédures. Celle-ci a été déposée et adoptée par le Sénat en 2016 mais n’a pas encore été débattue à l’Assemblée Nationale. Une des dispositions prévoit l’ajout d’un article L. 153-27-1 concernant les changements des PLU. Actuellement, la modification de certains textes supérieurs enclenche une procédure de mise en compatibilité du PLU sans délai. La proposition vise à rendre plus flexible cette dépendance en instaurant un délai de 3 ans. Lorsqu’un PLU est révisé, maintenu ou mis en compatibilité, la commune ou l’EPCI disposerait de 3 ans pour analyser si des changements de documents supérieurs nécessitent de changer le PLU. Le cas échéant, la procédure de modification ou révision serait enclenchée à la suite de l’analyse. Cette disposition permettrait de stabiliser le document principal d’urbanisme en limitant le nombre de ses changements. Urbanisme : légiférer et réglementer mieux et moins Page 19 la mesure la plus urgente, il est aussi crucial de se lancer dans une politique de rationalisation de notre flux normatif à long terme à même de survivre aux fluctuations de la volonté politique. La suite de cette partie a pour objet ce flux normatif en général au-delà du cadre de l’urbanisme ou de l’environnement. Proposition 1 : Recommandation au Gouvernement et au Parlement de ne pas créer de nouveau dispositif ou contrainte en droit de l’urbanisme et de l’environnement applicable aux projets d’urbanisme. Proposition 2 : Recommandation au Gouvernement et au Parlement d’adopter le dispositif proposé par le Sénat de stabilisation des PLU pendant 3 ans. B. Changement de culture normative : légiférer moins et mieux L’importance de recourir à la loi de manière parcimonieuse et réfléchie nous semble faire l’objet d’un consensus large et relativement ancien : « IL NE FAUT TOUCHER AUX LOIS QUE D ’UNE MAIN TREMBLANTE . » Montesquieu, Lettre persanes « LES LOIS INUTILES AFFAIBLISSENT LES LOIS NECESSAIRES . » Montesquieu, De l’esprit des lois « L’ÉTAT DE DROIT N’EST [.] QUE LA DOSE DE JURIDIQUE QUE LA SOCIETE PEUT SUPPORTER SANS ETOUFFER . » Georges Vedel, actes du colloque L’État de droit au quotidien « DANS LE RESEAU COMPLEXE DES REGLES ET DES PRINCIPES , L’ADMINISTRATEUR RISQUE DE SE TROUVER PEU A PEU PARALYSE. » Georges Pompidou devant le Conseil d’État « QUAND LA LOI BAVARDE, LE CITOYEN NE LUI PRETE PLUS QU ’UNE OREILLE DISTRAITE . » Conseil d’État, De la sécurité juridique De nombreux discours ou rapports font état d’un manquement à ce principe, comme l’écrit par exemple de manière répétée le Conseil d’État ( [8] , [9] et [10]). Les raisons en sont multiples. Si une partie peut sembler légitime ou inévitable (complexification du monde et attente croissante de protection de la part des citoyens), une autre part a trait directement à nos système et culture normatifs.

Les administrations centrales ayant des budgets globalement en baisse et des fonctions opérationnelles moins importantes, leur principal levier d’action est la création de lois ou règlements. De manière plus générale, la norme est le vecteur privilégié de l’action publique dans les médias. Par exemple, un ministre fera parler de lui grâce à une loi, d’autant plus si elle est en réaction à un événement ayant été traité au journal de 20 heures, et un amendement déposé par un parlementaire lui offrira de la visibilité. Le diagnostic que nous avons établi dans la partie II est généralisable à une large part de notre droit. Il nous paraît donc nécessaire de mener une réforme profonde de notre production législative et réglementaire. Il est frappant de remarquer, malgré la multiplication de constats allant dans le même sens, le peu d’actions concrètes visant à améliorer la maîtrise de notre flux normatif. Comme le résume le Conseil d’État, “les maux [.] n’ont pas été traités et ils se sont aggravés faute d’une posologie suffisante, faute d’une médication efficace, faute surtout d’une volonté constante, claire et déterminée de guérir.” Urbanisme : légiférer et réglementer mieux et moins Page 20 Il existe donc un paradoxe étonnant : alors que nous connaissons les maux dont souffre notre système de production législative et réglementaire, nous n’avons pas la volonté de l’en guérir. Nous appelons à sortir de ce paradoxe. Il s’agit de passer des discours à l’action en s’attaquant de manière frontale et résolue au problème. À ceux, fatalistes, qui penseraient que la complexité et l’instabilité normatives sont inévitables, nous opposons des exemples de pays qui se sont mis sérieusement sur la bonne voie comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas dont nous reparlerons dans la suite. Avant de préciser comment il est possible d’y parvenir, nous détaillons le but recherché que nous appellerons “maîtrise du flux normatif” dans la suite de cette partie. La culture normative vers laquelle nous devrions tendre selon nous peut être caractérisée par trois grands objectifs : Limiter l’instabilité normative Limiter, voire réduire les charges administratives, c’est-à-dire les coûts induits par la norme sur les entreprises, les collectivités et les citoyens (concept de “better regulation”). Écrire un droit compréhensible et de bonne qualité formelle (concept de “good law”). Ces trois piliers ne sauraient être dissociés, le but général étant de recourir à la loi ou au règlement de manière parcimonieuse, réfléchie et efficace. Nous présentons dans la suite des outils qui pourraient permettre d’accompagner un tel changement de mentalité.

Ils sont en bonne partie inspirés de l’étude annuelle de 2016 du Conseil d’État sur la simplification et qualité du droit [8]. C. Définir un référentiel d’indicateurs Que mesurer ? Pour pouvoir mener à bien la politique volontariste de maîtrise du flux normatif décrite précédemment, il faut mettre en place des indicateurs à même d’en mesurer les résultats. Trois types sont nécessaires pour mesurer les résultats liés aux trois objectifs mentionnés plus haut. Limiter l’instabilité normative Il faut mesurer le volume du flux normatif, plus précisément le nombre de textes législatifs et réglementaires et leur nombre de caractères par catégorie de texte (lois, ordonnances, décrets…) et domaine (urbanisme, travail…). En plus de ces indicateurs en volume, serait calculée une mesure de stabilité de ces textes à partir de leur fréquence de révision. Limiter voire réduire les charges Pour piloter une politique de limitation ou diminution des charges administratives, il est indispensable de les calculer. Deux pays voisins peuvent servir d’exemple. Les Pays-Bas ont développé deux méthodes, aujourd’hui utilisées par l’ACTAL (un conseil consultatif indépendant) : la méthode SCM (Standard Cost Model) pour les charges d’obligation d’information induites par les lois et la méthode CAR (Cost-driven Approach to Regulatory burden) pour les coûts d’adaptation et de mise en œuvre de la loi. Le Royaume-Uni s’est d’abord inspiré de la méthode hollandaise avant d’élaborer sa propre mesure, l’EANCB qui calcule les coûts induits par la réglementation pendant 10 ans. La méthode SCM a été introduite en France via l’application OSCAR encore méconnue et peu utilisée 2. Écrire un droit de bonne qualité Enfin, pour mesurer la bonne qualité formelle du droit, les enquêtes sur la perception du droit sont les plus adaptées. 2 Voir [8] et le Rapport d’activité du commissaire à la simplification 2011 Urbanisme : légiférer et réglementer mieux et moins Page 21 Comment mesurer ? Certains des indicateurs proposés sont déjà calculés actuellement mais de manière incomplète, sans publication ou sans méthodologie commune rigoureuse (voir [8] p. 44 à 46). Pour que ces indicateurs soient crédibles et fiables, ils doivent être établis par un groupe de travail regroupant des compétences reconnues au sein de la sphère publique, notamment à l’INSEE et la DILA.

Pour cela, il faudra s’appuyer sur les méthodes existant en France et surtout dans les pays d’Europe du Nord (Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède…) considérés comme pionniers dans le domaine. Pourquoi mesurer ? La mise en place de tels indicateurs n’est pas une fin en soi et comporte des limites comme toute mesure chiffrée d’une réalité complexe. Cependant, c’est une condition nécessaire au pilotage d’une politique efficace de maîtrise du flux normatif. Ils permettent d’instaurer une culture du résultat, d’accompagner une amélioration des études préalables ainsi que l’introduction de quelques autres outils. Proposition 3 : Charger un groupe de travail rassemblant des compétences en droit et statistique de la sphère publique (INSEE, DILA…) de définir un référentiel commun d’indicateurs de volume du flux normatif, des charges administratives et de perception de la complexité. D. Créer une culture du résultat La mise en place d’un référentiel commun d’indicateurs permet en premier lieu d’instaurer une culture du résultat en matière de maîtrise du flux normatif tant au sein du Gouvernement que des administrations productrices de lois et règlements. Tout d’abord, cela passe par la définition d’objectifs liés aux trois types d’indicateurs définis précédemment, eux mêmes correspondant aux trois piliers de la politique de simplification que nous appelons de nos vœux : limiter le volume de textes, limiter les charges administratives et écrire des textes de bonne qualité. Le vecteur de ce dispositif dépend de la cible : lettres de mission du Premier Ministre pour les ministres, lettres de mission des ministres pour les responsables de service et volet dédié dans les “programmes ministériels de modernisation et de simplification” pour les autorités publiques et administratives indépendantes (API et AAI) 3. Évidemment, il faut ensuite calculer les résultats attachés à ces objectifs, selon la méthodologie qui sera définie dans la cadre de notre proposition 3, et enfin les rendre publics. Cet exercice pourrait se faire sur une base annuelle. Le public connaîtrait ainsi le volume de normes créé, les réductions (ou augmentations) de charges administratives et la complexité ressentie par les acteurs de la norme créée par autorité indépendante, par ministère et par service. Un dispositif similaire a été mis en place par le SGG au sujet du taux d’application des lois et de transposition des directives. Il a été une réussite d’après le Conseil d’État (voir [8] p. 94). 

Table des matières

INTRODUCTION
I. LE DROIT DE L’URBANISME DANS LE TEMPS ET AUJOURD’HUI
A. Rappels historiques
B. Planification urbaine et décentralisation
C. Les documents d’urbanisme
D. Objectifs poursuivis dans l’utilisation du territoire
E. Les outils de l’urbanisme : la gestion du foncier et les autorisations d’urbanisme
F. Aspects complémentaires mais essentiels du droit de l’urbanisme
II. UN DROIT DE L’URBANISME FRANÇAIS CERTES COMPLEXE, MAIS AVANT TOUT INSTABLE
A. Un droit complexe
B. Double peine française : concertation en amont et contentieux en aval
C. Les projets prennent plus de temps qu’ailleurs
D. L’instabilité de la règle de droit est plus problématique que sa complexité
E. Un droit de l’environnement également en constante évolution
F. Les acteurs ont été multipliés
III. DES TENTATIVES DE SIMPLIFICATION AU BILAN MITIGE
A. Choc de simplification
B. De nombreuses réformes qui entretiennent l’instabilité du droit
C. Un bilan mitigé
IV. LEGIFERER ET REGLEMENTER MIEUX ET MOINS
A. Mesure d’urgence : un moratoire
B. Changement de culture normative : légiférer moins et mieux
C. Définir un référentiel d’indicateurs
D. Créer une culture du résultat
E. Améliorer le dispositif des études préalables
F. Autres outils possibles
V. VERS UN URBANISME DE PROJET
A. Faire précéder le projet à la règle et non l’inverse
B. Privilégier la concertation et une meilleure coordination des acteurs
C. L’apport du numérique en urbanisme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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