Le passage de la première réception à la réception pleine

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L’Église catholique cubaine dans les IIe et IIIe conférences générales de l’Épiscopat latino-américain

L’année suivante, le 20 avril, la Conférence des évêques catholiques de Cuba rompit le silence pour lancer un document intitulé « Communiqué de la conférence épiscopale de Cuba à nos prêtres et fidèles ». Il s’agit d’un document extraordinairement singulier, finement écrit, tel que l’époque l’exigeait, mais, en même temps, très controversé. Le document en question s’avère une réflexion dans le but de traduire en des normes pratiques les principes généraux exposés à la Conférence de Medellin. Ainsi interprété, il semble que la ligne théologique adoptée par le catholicisme cubain coïncide pleinement avec celle prise par le catholicisme de la région. Par contre, une analyse plus profonde met en évidence de manière très subtile certaines différences entre le catholicisme cubain et celui du reste de la région.
Nous savons, parce que nous l’avons déjà vu, que les contextes dans lesquels se sont développés les catholicismes cubains et latino-américains sont fort différents. Dès lors, il va sans dire que les expériences qui en découlent seront de la même manière, différentes. Cette ambivalence sera reflétée aussi dans le document rédigé par les évêques cubains. Un exemple pour soutenir notre thèse : le document cubain invoque plus fréquemment le discours du pape Paul VI que les documents rédigés par les commissions latino-américaines. Les documents issus du CELAM, bien que refusant de manière catégorique les théologies mettant en avant-plan la libération sociopolitique de l’homme, utilisent une phraséologie pouvant sembler un virage vers la gauche ou une approximation aux théories libératrices dans le sens expressément humain.
Par contre, le discours du Paul VI ne laisse aucun doute sur la position christocentrique qui doit être prise par l’Église dans le chemin de l’évangélisation latino-américaine. Paul VI reconnait que dans cette période de réflexion globale, la situation socio-économique de la région devient une préoccupation des pasteurs et de l’Église528. Cependant, le pontife fait un appel à reprendre la doctrine sociale élaborée et enrichie par l’Église aux cours des dernières années529. Ainsi, chez l’évêque de Rome, il y a un équilibre qui ne s’incline ni vers la gauche ni vers le droite, mais, vers la Bible et la tradition catholique. Dans son discours, le pontife dira :
Parmi les nombreux chemins vers la bonne régénération sociale, nous ne pouvons choisir ni le marxisme athée, ni celui de la rébellion systématique, mais non plus celui de l’effusion de sang et de l’anarchie. Distinguons nos responsabilités de celles qui, tout au contraire, font de la violence un idéal noble, un héroïsme glorieux, une théologie satisfaisante530.
C’est le discours que les évêques cubains assument, et cela, sans critiquer, ni remettre en question ni les documents de Medellin ni les débats autour des théologies libératrices dans le sens sociopolitique. De l’analyse du document des évêques cubains, on peut percevoir un écart subtil, mais manifeste entre la réflexion théologique postconciliaire latino-américaine et la silencieuse réflexion cubaine.
Le communiqué que nous analysons introduit pour la première fois une thématique fort intéressante dans la réflexion de la théologie cubaine, le rejet et la condamnation du blocus économique appliqué par les États-Unis à Cuba. Une portion du document est consacrée à l’analyse à partir de l’encyclique Populorum progressio des facteurs qui associent le sous-développement et la décadence morale que connaît la région.
Quant à Cuba ils diront :
Qui parmi nous ignore les difficultés de toute sorte qui entravent le chemin conduisant au développement? Des difficultés internes […], mais, non dans une moindre mesure, des difficultés externes, liées à la complexité des structures contemporaines dans les relations entre les peuples, injustes et désavantageuses pour les pays les plus faibles et sous-développés. N’est-ce pas le cas du blocus économique auquel notre peuple a été soumis, dont la prolongation automatique provoque des inconvénients graves à notre patrie? des inconvénients qui pèsent notamment sur nos ouvriers de la ville et de la campagne, sur nos femmes au foyer, sur nos enfants et jeunes en croissance, sur nos malades, enfin, pour ne pas allonger la liste de cas, sur autant de familles touchées pour la séparation de leurs proches.
Les réactions furent très diverses. Raúl Gómez Treto interprète le document comme une rectification nécessaire de la politique antérieure de l’Église et une conséquence directe du concile Vatican II et de Medellin532. Pour sa part, pour Pablo M. Alfonso, le texte est un document profondément ambigu, non pour ce qu’il expose, mais pour ce qu’il omet533. Pour ce dernier auteur, c’était vrai que l’embargo produisit à Cuba des effets négatifs, mais il n’était certainement pas le seul, ni le plus important des facteurs entravant le développement de la nation et du catholicisme. Le communiqué ne mentionne pas les divisions créées par l’idéologie marxiste, le manque de démocratie, l’exclusion sociale et la discrimination auxquels étaient soumis les individus qui ne sympathisaient pas avec le gouvernement, et bien d’autres actions minant la confiance et l’unité entre les Cubains, des attitudes prônés par l’État, qui devrait unir les secteurs composant la nation. Le communiqué, au vrai, ne fut pas bien accueilli ni par les fidèles ni par certains prêtres, et hors de l’ambiance ecclésiastique, quelques prisonniers politiques communiquèrent leur désaccord avec les positions des évêques534. Il semble que le communiqué éveilla parmi les fidèles un sentiment de répulsion535 : « est-ce que les évêques avaient oublié que beaucoup d’hommes avaient été condamnés à 30 ans de réclusion juste pour défendre les positions de l’Église? Est-ce qu’ils [les évêques] avaient oublié combien de Cubains furent discriminés et condamnés à la faim à cause de leur foi ? » Ce sont quelques-unes des questions que se posait le prêtre belge Lucien de Wulf lors de son expulsion du pays en 1970536.
La célébration de la troisième conférence de l’épiscopat latino-américain, tenue à Puebla de los Angeles, Mexique, en 1979 mettrait en totale évidence ce décalage. C’est également à partir de l’approfondissement de cet écart théologique que le peuple catholique cubain serait convoqué par ses évêques et pasteurs à traduire en des actions concrètes, selon les caractéristiques particulières de la société et de l’Église cubaine, les enseignements de Vatican II. C’est à partir de cette date que se produisit l’éveil du catholicisme cubain. L’Église entame alors le chemin qui la conduirait à la phase de pleine réception du Concile Vatican II.
Entre la deuxième et la troisième conférence de l’épiscopat latino-américain, un temps pas très long s’écoule, mais il fut très riche en actions et événements, tant à l’intérieur du pays qu’ailleurs. Sur le plan international, la réalité régionale sera colorée par une nouvelle vague de coups d’État et de réponses populaires537. Le CELAM, la théologie latino-américaine postconciliaire et les mouvements de guérillas sont liés à ce séisme. Sur le plan national, les choses ne seront pas fort différentes. Après avoir consolidé le contrôle total du gouvernement et de l’État et quasi-total de la société, les communistes s’adonnent, en suivant le modèle soviétique, à célébrer le premier congrès du Parti communiste de Cuba et à l’adoption d’une Constitution communiste, en vigueur encore aujourd’hui. Comme nous l’avons vu plus haut, l’affermissement du parti en retenant le contrôle de l’État et de la société fait de Cuba un cas particulier de coup d’État; un coup d’État conduit par le Parti communiste et sa génération fondatrice.
Sur le plan interne, d’autres événements aussi importants auront lieu. La stratégie de se rapprocher des théologiens de la libération appartenant à l’aile de l’Église sympathisant avec le marxisme continue. Rappelons la rencontre de Fidel Castro avec des jeunes chrétiens chiliens en 1971538. Cette rencontre ne cesse pas d’attirer notre attention, car tandis que l’Église catholique cubaine était cruellement réprimée, Fidel Castro assumait un discours conciliateur, amical et d’entente envers le catholicisme chilien, en mettant à l’avant-plan les coïncidences et les points d’union entre le christianisme et le communisme.
Entre 1974 et 1976 aura lieu l’institutionnalisation du pays, processus par lequel l’État crée les institutions chargées d’administrer la nation, parmi elles, la nouvelle constitution de la République. En ce sens les deux événements les plus importants seront la célébration du premier Congrès du Parti communiste de Cuba et, comme continuité du précédent, la rédaction de la Constitution socialiste, profondément athée et marxiste.
Notons deux aspects très significatifs : lorsqu’en 1952 Fulgencio Batista prend le pouvoir par coup d’État, la constitution en vigueur, celle de 1940, est abolie de facto. Six années plus tard, quand les rebelles prennent le pouvoir entre leurs mains et commencent la reconstruction du pays par la voie communiste, la constitution de 1940 ne sera pas reprise539, même si, en théorie elle était la constitution en vigueur540, c’est-à-dire que tous les événements décrits plus haut relativement à la persécution de chrétiens, à leur emprisonnement, à la négation de leurs droits de participer dans la
538 Roland Laberre, (compilateur des textes), Fidel Castro au Chili, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 141 – 147. reconstruction sociale et morale du pays, etc., se sont produits dans une étape où, formellement parlant, il n’existe même pas une seule loi les protégeant. Jusqu’ici, l’exclusion des chrétiens de la société a été une action exécutée en marge de la loi (même si avec l’appui du parti-État et du gouvernement), dorénavant la constitution légitimera toutes ces actions contre le peuple de Dieu à Cuba. Les changements politiques des années 75 – 76, changements visant à la consolidation du système communiste, produisirent trois documents essentiels, soit le Rapport central du premier secrétaire du PCC ; les règlements du PCC ; ainsi que la constitution de 1975, qui sont forts agressifs, discriminatoires et incitateurs à la haine contre les chrétiens cubains. Les trois placent les chrétiens dans un niveau social inférieur par rapport au reste de la société, sans aucune possibilité de participer à la dynamique sociale sauf s’ils rejettent leur foi, une position qui affaiblit la foi de quelques-uns, mais dans la plupart des cas, la persécution, la prison, l’isolement, les insultes, les moqueries, etc., les a transformés en des martyres.
Dans la construction du Cuba communiste, État, Parti communiste541 et gouvernement forment une sorte de triade où les trois confondent leurs fonctions. Plusieurs auteurs, en parlant de l’organisation politique des pays ayant entamé la construction du communisme, ont employé le terme parti-État. Dans la société communiste, l’État perd sa fonction traditionnelle, il sera réduit est dépouillé de toute fonction régulatrice des processus sociaux, en demeurant soumis au parti. Ainsi, c’est le parti qui assume le contrôle de l’État et, par extension, de la société, et celui-ci, en tant que parti, n’est assujetti qu’aux lois de fonctionnement interne, adoptées par les membres de l’institution. Dans cette structure, la démocratie, telle qu’elle est connue dans le monde moderne, reste en marge du parti, et, par extension, de la société. Rappelons que, en étant un parti politique, le ciment unificateur de ses membres demeure l’idéologie, le marxisme-léninisme dans ce cas-ci, et ce faisant, toute porte reste hermétiquement fermée à d’autres options politiques, idéologiques ou philosophiques. Ainsi, le schéma de coup d’État, tant répandu dans l’Amérique Latine dans les années 60 et 70, se répète à Cuba, mais ce sera cette fois un coup d’État mené par le parti communiste. En outre, le parti ne s’avère point neutre. Dans le discours et dans la pratique, il est le parti de la classe ouvrière (les autres secteurs composant la société restent sans représentation), constituant en soi un élément de désharmonie sociale, générateur de violence542 et de haine entre les citoyens. Par cette structure, dont la hiérarchie correspond au Parti communiste, le gouvernement-parti-État se réserve le contrôle absolu de la société de haut en bas, tout en contrôlant l’accès à la fonction publique, et dans un sens plus large, de toute la dynamique sociale.
Tant le rapport présenté par le premier secrétaire du Parti communiste, que les thèses et résolutions présentées, assument une position profondément ambigüe concernant la religion et la relation avec les croyants. D’un côté, les deux documents reconnaissent la liberté d’expression, la liberté de croire ou de ne pas croire et le respect et la garantie des droits des croyants, mais en même temps, les textes sont fort clairs sur le rôle, historique et actuel, de la religion et des religieux dans une société qui se veut le modèle de société future, de société supérieure sans division en classes, sans antagonismes. Un exemple seulement : lorsque le Parti communiste légitime la primauté de la conception matérialiste de l’histoire et soulève la lutte contre toute forme de religion (et cela sur la base de l’interprétation selon laquelle la religion n’est qu’une trace du passé, d’un passé où l’exploitation de l’homme par l’homme constitue le cœur des relations humaines), cela est très clair que les croyants, pour constituer des représentants de ce passé que les communistes tentent de dépasser, ne seront pas convoqués à militer dans le parti soi-disant d’avant-garde de la société. La chaîne continue, car si l’accès des croyants au parti communiste est tout à fait interdit, alors leur accès à la fonction publique et aux postes du gouvernement est également interdit.
Concernant l’évolution théologique latino-américaine, les années 70 se caractérisent par la montée en puissance de la théologie de la libération. En 1971 et 1974 parurent les premiers ouvrages systématisant le corpus doctrinal de ce courant théologique : Théologie de la libération, perspectives543, de Gustavo Gutiérrez et Jésus-Christ libérateur544, de Leonardo Boff. À cela contribuèrent la détérioration des conditions de vie d’une grosse partie de la population régionale et l’enrichissement et l’élargissement de la réflexion théologique à partir de l’adoption de concepts et des modèles théoriques provenant d’autres sciences humaines et sociales. Sur le plan factuel il y un élément à ne pas sous-estimer, qui s’avère le triomphe de l’Unité populaire au Chili. Avec Salvador Allende à la présidence de l’un des plus dynamiques pays du sous-continent, on aurait deux gouvernements sympathisants avec la gauche marxiste. Cuba et Chili, et, à la fin de la décennie, le Nicaragua s’ajouterait à cette liste. C’est le moment de la radicalisation d’une aile de la théologie de la libération, au Chili : en 1972 le Mouvement chrétiens pour le socialisme verra les jours. Il s’agit d’une tentative de démontrer la compatibilité des idéaux chrétiens et ceux provenant du communisme marxiste le plus orthodoxe et radical. Mais, c’est aussi le temps où le CELAM voulut se réunir pour constater, à dix ans de la première rencontre pour lancer l’aggiornamento de l’Église latino-américaine, les effets réels de l’assimilation des enseignements du Vatican II.
Entre Medellin et Puebla auront lieu des événements importants545 : (1) la rencontre convoquée par la CELAM à Bogota, Colombie, en 1973 pour discuter de la Théologie de la libération ; (2) la IVe Assemblée ordinaire du Synode Mondial des évêques, en octobre 1974, pour discuter de l’évangélisation dans le monde contemporain ; (3) la rencontre des 60 évêques latino-américains dont l’axe fondamental sera l’analyse de la portée et les limites de la Conférence de Medellin et (3) dans la même année aura lieu la Rencontre interdépartemental du CELAM546. Parmi tous ces événements il est pertinent de souligner la rédaction de l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (datée du 8 décembre 1975), écrite par Paul VI à la suite de la IVe Assemblée ordinaire du Synode des évêques.

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