Le risque grippal en France métropolitaine

S’il semble dans l’air du temps de réaliser une thèse sur la grippe ce travail présente, au regard de l’actualité, une double originalité : il aborde une maladie du point de vue géographique et il a débuté il y a trois ans. Il est important de préciser ce point si précocement dans cette thèse afin de dissiper tout malentendu : ce travail aborde les grippes saisonnières en France métropolitaine. Bien qu’une partie de l’analyse réalisée puisse être transposée à la souche A/H1N1 en France, ce nouveau virus n’est pas l’objet de cette recherche. Ainsi donc, cette thèse vise à réaliser une géographie de la grippe en France. Une géographie de la grippe pourrait, de prime abord, aboutir à une simple spatialisation des nombres de cas ou des taux d’incidence et ne constituerait in fine qu’un atlas d’une maladie sur un laps de temps prédéterminé. Aucuns facteurs explicatifs ne seraient abordés, aucune grille de lecture apposée, aucun angle d’attaque pertinent déterminé. Une telle entreprise ne stagnerait qu’à un stade cartographique superficiel sans volonté descriptive et encore moins explicative. L’idée d’aborder des épidémies saisonnières par le prisme géographique vient d’une double explication : un intérêt personnel et un contexte scientifique.

De formation géographe-climatologue, je nourrissais depuis la maîtrise un réel intérêt pour les implications du milieu « naturel » sur l’être humain. L’envie de réaliser une étude de climatologie appliquée dans le cadre d’un master recherche et, pourquoi pas plus tard, au sein d’une thèse m’a conduit à réaliser une évaluation des pans de recherche où, à mon sens, la géographie et les géographes étaient sous représentés. De séminaires en colloques, je rencontrais des acteurs aussi divers que des forestiers, des historiens ou des épidémiologistes sans autre motivation que la volonté de travailler en interdisciplinarité. Cette démarche m’a conduit au printemps 2006 au ministère de la recherche afin d’écouter les communications scientifiques des premiers résultats du Plan National Santé Environnement (PNSE). Le PNSE affichait comme objectifs prioritaires : garantir un air et une eau de bonne qualité, prévenir les pathologies d’origine environnementale et notamment les cancers, mieux informer le public et les populations sensibles. Le Plan National Santé Environnement énonce en préambule que « parmi les multiples facteurs qui déterminent la santé humaine et le développement des pathologies, la qualité des milieux (air, eau, sols…) déterminée par les contaminants (biologiques, chimiques, physiques) et les nuisances (bruit, insalubrité…) qu’ils véhiculent, ainsi que les changements environnementaux (variation climatique, biodiversité…) jouent un rôle fondamental. En effet, il est avéré que certaines pathologies sont aggravées, voire déterminées, par l’environnement ». Les thématiques « milieux », « nuisances » ou encore « changements environnementaux » reçoivent un net écho chez les géographes de formation environnementaliste rompus à ce vocabulaire et surtout aux problématiques sous-jacentes. C’est justement la quasi-absence de géographes au sein des débats qui fut flagrante alors que d’autres disciplines des sciences humaines (comme la sociologie) étaient bien représentées. Je tendais alors une oreille attentive aux communications ayant pour objet la mise en relation de paramètres climatiques avec des données sanitaires : celle d’A. Flahault liant grippe et oscillations australes retenait alors mon attention. Je pris alors la liberté d’entrer en contact avec lui dans le but de, pourquoi pas, travailler comme je le souhaitais en interdisciplinarité dans le cadre d’un master 2 recherche. La commande était alors claire : il s’agissait de mettre en relation des facteurs climato-météorologiques avec des données de grippe (taux d’incidence, nombre de cas). Plus précisément, nous avions choisis d’essayer d’isoler les paramètres climatiques suspectés jouer un rôle dans le déclenchement des épidémies saisonnières de grippe.

La communauté médicale a l’habitude, de longue date, de mettre en relation des paramètres du milieu physique avec des données de maladies. Cette volonté a permis de mettre en avant ces relations depuis Hippocrate jusqu’au foisonnement actuel de publications scientifiques liant la santé à l’environnement au sens physique du terme. Pourquoi la communauté médicale a, très tôt, privilégié le climat comme facteur explicatif de la maladie ? L’évocation hippocratique de facteurs météoropathologiques a conduit la communauté scientifique, durant deux millénaires, à considérer de manière importante les facteurs atmosphériques dans l’explication de diverses pathologies et a abouti notamment à l’explication des aires pathogènes et de la saisonnalité de la malaria, à mettre en relation les vents et l’augmentation des cas de méningites au sahel ou plus récemment à expliquer la surmortalité lors d’épisodes caniculaires. La plupart de ces intéressantes études se sont attachées à lier un paramètre météorologique (la température, le vent, l’humidité) avec les données de l’état sanitaire d’une population ou celles d’une maladie. Le climat en tant qu’hypothétique facteur explicatif possède, aux yeux de la communauté médicale, un réel avantage : sur les territoires surveillés, il est possible d’obtenir de longues séries de données continues. Les données climatiques sont, modulo certaines précautions, malléables. Les problèmes d’échelles temporelles relatives aux données épidémiologiques peuvent aisément être contournés par la simple utilisation des moyennes climatiques (journalières, hebdomadaires ou mensuelles). Ainsi, une étude entre une maladie et un paramètre climatique (ou un ensemble de paramètres) devient facilement possible dès lors que l’on dispose de séries de données continues assez longues. Il est, en revanche, éminemment plus complexe d’intégrer des paramètres sociétaux plus nombreux aux échelles spatio temporelle si diverses dans le cadre de modèles explicatifs. Pourquoi lier les épidémies de grippe saisonnières avec le climat ? La logique médicale est imparable. Les épidémies de grippe « traditionnelles » sont saisonnières : généralement d’octobre à mars. C’est cette saisonnalité qui conduit généralement les « médecins » à entrevoir un lien entre une pathologie saisonnière et les saisons climatiques : ici la saison froide aux latitudes tempérées. C’est ce postulat qui nous a amené dans un premier temps à considérer un lien entre facteurs climatiques et déclenchement épidémique et à tenter de le démontrer.

Ainsi notre choix s’est porté vers une maladie à forte composante saisonnière, très connotée du point de vue des relations climat-santé, et (surtout) couverte par un réseau de surveillance : la grippe. Le terme français « grippe » aurait une origine gothique « Grippen » signifiant « saisir brusquement ». Autrement dit : on n’attrape pas la grippe, c’est elle qui nous « agrippe ». Le réservoir que constitue le monde animal joue un rôle très important dans l’apparition de nouvelles variantes virales. Les oiseaux sont désormais suspectés d’être l’hôte original des nouvelles souches de virus de la grippe, de plus, il est désormais admis que des virus aviaires peuvent se transmettre directement à l’homme et provoquer des cas humains de grippe même si les transmissions via le porc restent les plus fréquentes. Il est existe trois grands types de virus : les influenza virus de types A, B et C. Les grippes provoquées par les virus A et B se ressemblent fortement et il est impossible d’opérer une distinction sur le plan clinique. Les symptômes provoqués par le virus C s’apparentes plus à ceux d’un simple rhume. La surface des virus est tapissée de récepteurs protéiniques en forme de spicules. Les virus A et B en comportent deux types : les hémagglutinines (H) et les neuraminidases (N). La variabilité des types de virus s’explique par deux mécanismes distincts ayant des signatures assez dissemblables : les glissements antigéniques (drift) et les cassures antigéniques (shift). Très succinctement, dans le cas des glissements antigéniques, les gênes des protéines de surface vont subir des modifications mineures du virus. Globalement, l’immunité conférée par l’exposition au précédent virus permet une protection relative face à la nouvelle variété émergente. Ce n’est qu’à partir d’un certain nombre de modifications qu’une différence significative s’installe, expliquant les changements réguliers des souches vaccinales. Le phénomène de cassure antigénique est, quant à lui, potentiellement plus grave. En effet, il serait à l’origine des pandémies. Il résulte finalement d’un réassortiment antigénique aboutissant à un virus nettement différent de celui circulant précédemment . L’immunité conférée par l’exposition au précédent virus ne protège absolument pas tandis que le vaccin, plus ou moins préparé en fonction des souches « traditionnelles » sera inefficace. La grippe se transmet d’un sujet infecté à un sujet sain par le biais d’aérosols correspondant aux gouttelettes d’eau que notre corps expulse pendant la respiration, la toux, l’écoulement nasal. Pour être infecté, il faut être soumis à une quantité de virus suffisante et offrir une certaine forme de vulnérabilité. Une fois infecté, la période d’incubation dure de 24 h à 48 h selon les sujets et la souche virale. C’est après ce temps de latence que le sujet va manifester les premiers symptômes. Notons qu’une personne infectée est ensuite contagieuse pendant environ 6 jours, dont les 1-2 premiers jours sans symptômes, d’où sa propagation assez rapide. Les symptômes ne font que traduire la réaction immunitaire de notre organisme : maux de tête, frissons, asthénie, douleurs articulaires et musculaires et fièvres intenses sont le lot des personnes infectées. La grippe se manifeste au sein des territoires sous deux formes : des épidémies saisonnières et des épidémies mondiales (ou pandémies) relativement indépendantes des saisons. Ce sont les épidémies saisonnières qui nous intéresserons ici en restant volontairement distants de cette agitation relative à l’actuelle pandémie de grippe A/H1N1.

Parties intégrantes du paysage hivernal français, les épidémies de grippe font oublier, sous couvert de leur apparente banalité, la réalité des faits : de 500 000 à 5000 000 de personnes touchées chaque année en fonction de l’intensité de l’épidémie, et un coût pour la sécurité sociale de 150 à 450 millions d’euros (Sentinelles ; 2006). Le caractère saisonnier de la grippe est désormais admis mais l’affirmation de lieux communs tels que « le froid tue le virus » va à l’encontre de l’idée selon laquelle l’hiver et donc le froid « apporte le virus ». Le mot « influenza » a été utilisé pour la première fois en Angleterre au XVIIIe siècle lors de l’épidémie de 1743, pour qualifier la grippe. Il semble provenir de l’expression italienne « influenza di freddo » (influence du froid). Le présupposé climatique est de fait présent dans l’étymologie même du virus. Malgré tout, d’un sujet en marge, l’actualité à ramené ce thème d’étude sur le devant de la scène scientifique. Si l’épidémiologie a l’expertise, les outils et la reconnaissance de la communauté médicale et des acteurs de Santé Publique en général, la géographie peut très bien faire des épidémies un objet géographique à part entière et apporter son expertise des territoires et ses méthodes d’analyse spatiale.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION
I – DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS : QUELLE PLACE POUR LA GEOGRAPHIE DANS LES ETUDES DE SANTE ?
1 – Aux origines de la géographie médicale
1-1 Hippocrate : le fondateur de « l’art médical »
1-2 Les enseignements hippocratiques
1-2-1 L’action du chaud et du froid, du sec et de l’humide et des « changements extérieurs »
1-2-2 La santé : un produit entre « tempérament » et évènements climatiques et saisonniers
1-3 De l’influence des saisons, des vents et de l’exposition
1-4 L’apport d’Hippocrate
2 – Le Moyen-Age : le temps des compilations
2-1 Des pratiques médicales distinctes
2-1-1 La médecine raisonnée : garante d’une tradition hippocratique
2-1-2 La médecine culturelle pratiquée par le clergé
2-1-3 Rebouteux et ermites, praticiens de la médecine profane
2-2 Les facteurs de maladie au Moyen-Age
2-3 Le temps des grandes épidémies
2-4 Les premières facultés de médecine et les premiers hospices
3 – Le tournant de la Renaissance
3-1 D’importants progrès en médecine qui réfutent Galien
3-2 « La diversité des lieux peut entraîner un certain relativisme des mœurs »
4 – Les XVIIe et XVIIIe siècles amplifient les changements opérés lors de la Renaissance
4-1 L’impact de l’héritage hippocratique
4-1-1 L’esprit des Lois de Montesquieu
4-1-2 Le Dictionnaire Philosophique de Voltaire
4-2 Le poids des sociétés savantes
4-2-1 L’académie des sciences et l’Observatoire royal
4-2-2 La Société Royale d’Agriculture
4-2-3 L’apport majeur de la Société de Médecine
4-3 La topographie médicale : une approche purement géographique des problèmes de santé
4-3-1 Une réflexion géographique concomitante
4-3-2 L’inégale répartition des TM en France
4-3-3 Une étude des lieux et des hommes
4-3-4 Des données collectées hétéroclites
5 – De l’intérêt des médecins à celui des géographes
5-1 La révolution bactériologique
5-1-1 Le principe de spécificité et l’origine microbienne des maladies
5-1-2 Le principe d’atténuation et les premiers vaccins
5-2 La géographie humaine comme écologie de l’homme
5-2-1 Influence climatique sur les fonctions organiques
5-2-2 Les complexes pathogènes
5-3 La géographie médicale devient géographie de la santé
5-3-1 De la nécessité d’introduire des variables géographiques dans l’étude des phénomènes de santé
5-3-2 Quelles nouvelles approches ?
5-3-3 Epidémiologie et géographie : antagonisme et complémentarité
6 – Les relations climat – santé
6-1 Un « bon climat » pour être en « bonne santé » : la climatothérapie
6-2 Météoropathologie et risque « climatopathologique »
6-3 Quand le climat change les maladies migrent
CONCLUSION

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