Les différents modes de gouvernance démocratique

La gouvernance mutlti-partenariale a été étudiée dans le champ de l’ESS depuis de nombreuses années. Les articles publiés mettent en évidence certains avantages ou problèmes que rencontrent les structures qui tentent de la mettre en place pour associer les parties prenantes du projet et aider à une prise de décisions efficace dans la gestion sur le long terme. Ce qui est recherché c’est un fonctionnement collégial qui permettra à la structure d’être pérenne au-delà de 3 ans, ceci en intégrant toutes les parties prenantes dans le processus de prise de décision. On se rend compte à la lecture des articles universitaires qu’une telle organisation de la gouvernance nécessite une animation et un accompagnement pour pouvoir durer dans le temps. La gestion du groupe et des décisions ne devrait pas incomber aux salariés de la structure, ni aux porteurs de projet bénévoles par exemple. Elle peut, en revanche être portée par un intervenant extérieur qui est formé à ce type de gouvernance collégiale et qui accompagne le groupe vers cette gestion particulière. Certaines structures sont spécialisées dans ce type d’accompagnement comme l’Université du Nous dont nous parlerons plus bas. Nous constatons que les études dont nous avons pris connaissance sont menées après la création des structures et mettent en avant des écueils qu’il aurait peut-être été possible d’éviter si les parties prenantes d’un projet avaient été impliquées dès le départ dans le choix du mode de gouvernance. Nous nous sommes intéressés à un projet de tiers-lieu & ressourcerie qui verra le jour en 2021 à Noisiel et qui est en gestation depuis 3 ans au sein du collectif Vivre Autrement en Vallée de la Marne (VAVM). Je suis la co-présidente et l’une des fondatrices de ce collectif. Ce projet mettra en présence des acteurs dont les logiques différentes vont orienter le choix même de la gouvernance qui sera mise en place : associations, entreprises d’insertion par l’activité économique, mairie, Communauté d’Agglomération…

Les différents modes de gouvernance démocratique 

Gouvernement, gouvernementalité, gouvernance : définitions 

La gouvernance est à articuler avec le gouvernement et la gouvernementalité. Voici comment Rémy Jardat les définit. D’après Gulseren Verroust Altun « pour parler de gouvernance, il est important d’en présenter les notions associées et d’expliquer la distinction. C’est dans le cadre d’une réflexion sur la démocratie en entreprise, que Rémi Jardat, en se référant à Michel Foucault, clarifie et distingue les notions de gouvernement, gouvernementalité et de gouvernance.

Il propose ainsi les définitions suivantes :
– Le gouvernement désigne « soit un organe de pouvoir […] soit l’exercice du pouvoir par ce même organe ». Le gouvernement est alors entendu comme l’instance qui exécute les décisions du pouvoir souverain.
– La gouvernementalité renvoie aux « modes par lesquels on entend au quotidien obtenir d’une population les comportements attendus. » Il s’agit donc des moyens et des méthodes d’exercice du pouvoir. Dans le langage moderne du management libéral il pourrait, par exemple, correspondre à une individualisation des rémunérations et des carrières.
– La gouvernance, enfin, aurait trait à « l’exercice du pouvoir souverain du collectif. La souveraineté étant exercée directement par les membres d’un collectif qui décident. » Permettant de différencier les trois notions, cette définition de la gouvernance reste toutefois relativement floue, notamment s’agissant de sa mise en œuvre. La définition que nous retiendrons dans le cadre de cette étude est celle proposée par Hoarau et Laville:

« la gouvernance détermine la structure, les méthodes de travail, les rôles respectifs qui garantissent la maîtrise du projet, de la stratégie, de sa mise en œuvre et des actions et moyens correspondants. » (Hoarau et Laville, 2013 p 309).

Les 6 modèles de gouvernance selon Chris Cornforth

Lorsqu’on évoque la gouvernance dans les structures de l’ESS, on mentionne souvent qu’elle est démocratique ou participative. Il existe d’autres modèles de gouvernance et voici comment Cornforth a théorisé les 6 modes de gouvernance dans les organisations : « Les travaux de Cornforth (2004) nous proposent une perspective permettant d’appréhender cette gouvernance hybride. Prenant appui sur l’approche par les paradoxes vécus au sein des organisations, cet auteur invite à prendre en compte les différents angles d’analyse et propose une approche intégrative pertinente pour explorer les structures hybrides. Il identifie dans la littérature six modèles de gouvernance et en présente les apports et limites respectifs pour comprendre les tensions au sein des organisations.
– Ainsi, le modèle démocratique insiste-t-il sur la représentativité des membres et omet l’effet de l’expertise sur la performance de la décision.
– Le modèle de la conformité (ou théorie de l’agence) assume l’idée que le principal et l’agent ont des intérêts divergents, le premier exerçant un contrôle sur le second pour que celui-ci mette tout en œuvre pour parvenir à la maximisation des profits.
– Le modèle de la dépendance des ressources souligne l’importance de l’accès à des compétences et valorise la cooptation au détriment de la légitimité démocratique.
– Le modèle partenarial considère les parties-prenantes comme des partenaires, apporteurs d’expertise pour l’entreprise.
– L’approche des stakeholders permet de prendre en compte l’existence de partiesprenantes provenant d’horizons divers et facilitant ainsi l’atteinte d’objectifs sociétaux.
– Le modèle de l’hégémonie des managers rend compte du pouvoir détenu par le top management en termes de définition de la stratégie et de la prise de décision quelles que soient les parties prenantes intéressées.

L’approche que nous adoptons, en suivant Cornforth (2004), invite à rendre compte de la coprésence de ces différentes dimensions dans les S.C.I.C. « La gouvernance multisociétariale vise alors à considérer l’existence de tensions portées par les différentes logiques de  gouvernance et à organiser des modes de résolution des paradoxes qu’une organisation démocratique porte en elle. » (Béji-Bécheur, Codello-Guijarro, Pallas, 2016) .

Nous voyons ici que la gouvernance devra prendre en compte les tensions inhérentes aux différentes parties prenantes. Nous allons détailler à présent comment s’organise la gouvernance dans une association et dans une SCIC.

Qu’est-ce qu’une association et comment y est organisée la gouvernance ?

Au départ, « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices » (Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, Version consolidée au 06 mai 2009) et l’objet de l’association ne doit pas être contraire aux lois et aux bonnes mœurs. Puis l’article 5, modifiée par ordonnance de juillet en 2005 indique que dans les statuts, doivent être mentionnés « le titre et l’objet de l’association, le siège de ses établissements et les noms, professions et domiciles et nationalités de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ». La loi n’impose aucun modèle de fonctionnement ni de modalités d’administration. » (op cit, Verroust Altun, 2018, p14). « Les critères précis de la mise en œuvre de ce fonctionnement démocratique sont définis seulement en 2010 dans la circulaire Fillon du 18 janvier 2010. Les associations qui demandent un agrément ministériel doivent répondre à trois critères : un « objet d’intérêt général », un « fonctionnement démocratique » et une « transparence financière ». L’annexe 5 de la circulaire détaille la mise en œuvre du fonctionnement démocratique :
– réunion régulière des instances ;
– renouvellement régulier des instances dirigeantes ;
– assemblée générale accessible avec voix délibérative à tous les membres tels que définis dans les statuts, ou à leurs représentants de structures locales ;
– l’assemblée générale élit les membres de l’instance dirigeante ;
– pour les documents sur lesquels ils seront amenés à se prononcer, les membres devront en disposer suffisamment à l’avance par tout moyen (courrier, internet, consultation sur place…) précisé dans le règlement intérieur ou les statuts ;
– les modalités de déroulement des différents votes devront être précisées dans les statuts ou le règlement intérieur. Enfin, la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’ESS entérine le principe d’une « gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ». Cette loi concerne les acteurs statutaires historiques (associations coopératives, mutuelles et fondations) mais également les entreprises solidaires et les sociétés commerciales d’utilité sociale. La mise en œuvre et l’organisation concrète de la gouvernance démocratique diffère dans les faits pour chacune de ces catégories. » (op cit, Verroust Altun, 2018, p14).

Nous notons ici que, même si les associations ne sont pas contraintes par les textes, elles sont le plus souvent organisées autour de l’élection d’un CA, d’un bureau qui élit un-e président-e, un-e secrétaire-e et un-e trésorier-e. Ceci pour répondre, en partie, aux volontés des préfectures lors du dépôt de dossier de la création de l’association et favoriser la compréhension de leur organisation par des partenaires et financeurs potentiels. L’association est un mode de fonctionnement souple et une entité juridique facile à créer. Cela en fait un modèle souvent choisi par les groupes porteurs de projets. Ses limites résident dans le fait qu’elle supporte difficilement un projet à forte dimension économique. Les groupes s’orientent alors souvent vers des structurations hybrides. Par exemple : une « association chapeau » permettant la gouvernance partagée entre plusieurs structures (associations, entreprises). Certains groupes se montent d’abord en association, puis décident d’évoluer en S.C.I.C., ou font le choix de créer une S.C.I.C. dès le départ. Voyons maintenant ce qui caractérise une S.C.I.C., notamment concernant sa gouvernance.

Table des matières

INTRODUCTION
I. Revue de la littérature
1. Les différents modes de gouvernance démocratique
2. Gouverner de multiples parties prenantes
II. Etude empirique, analyse et résultats
1. Méthodologie de la recherche
2. Présentation générale de l’organisation/du projet et de ses objectifs stratégiques
3. Analyse des données
4. Discussion théorique et propositions pour le projet VAVM-PIOCA
CONCLUSION

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