Les flux financiers illicites sont un problème que partagent les pays développés et les pays en développement

Les flux financiers illicites sont un problème que partagent les pays développés et les pays en développement

L’année 2020 marque un tournant historique pour l’Afrique et pour le multilatéralisme. Tandis que de nombreux pays africains célèbrent le soixantième anniversaire de leur accession à l’indépendance du pouvoir colonial, le continent fait un pas important dans la concrétisation des promesses des années 1960 sous la forme de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), dont l’entrée en vigueur prévue le 1er juillet 2020 a dû être retardée en raison de l’épidémie de maladie à coronavirus 2019. La ZLECAf constitue une étape historique sur la voie d’une intégration et d’une prospérité accrues. L’année 2020 marque également la célébration du soixante-quinzième anniversaire de la fondation de l’Organisation des Nations Unies, le vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing et le début de la décennie qui doit aboutir à l’exécution du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Enfin, la quinzième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement se tiendra à la Barbade.Au-delà des étapes marquantes qui seront franchies en 2020, l’examen des flux financiers illicites (FFI) est motivé par des inquiétudes croissantes concernant leurs effets constatés sur la stabilité économique, sociale et politique. Lors des dîners organisés dans les capitales du monde entier, les conversations de l’élite cosmopolitaine sont consacrées aux meilleures écoles, aux villes les moins polluées, à la montée inquiétante de l’insécurité, à la menace du populisme et aux dernières nouvelles sur les paradis fiscaux. Dans une réalité parallèle, lorsque les femmes et les hommes instruits d’une classe moyenne qui a perdu ses illusions se rencontrent, aussi bien dans les banlieues des pays industrialisés que dans les zones résidentielles des villes africaines, elles et ils s’inquiètent de l’avenir de leurs enfants, ont de fortes appréhensions concernant les inégalités et l’injustice et en veulent de plus en plus à l’élite prospère. La rhétorique est souvent la même : l’on se plaint de ce que les personnes les plus riches et les grandes entreprises ont les moyens d’éviter l’impôt, de ce que les pauvres ne peuvent pas payer et de ce que la classe moyenne est de plus en plus prise en tenailles. Dans les pays en développement riches en ressources minérales, notamment en Afrique, ces conversations évoquent souvent les derniers articles de presse sur les contrats injustes conclus dans la secteur extractif et sur l’importance des FFI, expression qui fait la une des médias du monde entier depuis dix ans.

Le rapport analyse les FFI et le développement durable en Afrique. À cette fin, il examine les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Comme il est dit dans le chapitre 1, le rapport se fonde sur la définition approuvée par le Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable pour mesurer les progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif 16 (cible 16.4). La définition est la suivante : « Les flux financiers illicites sont des flux financiers dont l’origine, le transfert ou l’emploi sont illicites, qui concrétisent un échange de valeur (au lieu d’une simple transaction monétaire) et qui franchissent les frontières des pays » (UNCTAD and United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), à paraître)1.L’introduction est structurée de la manière suivante : la section I examine l’usage qu’il est fait de l’expression « flux financiers illicites » dans le discours multilatéral, en s’appuyant sur les définitions données dans les ouvrages économiques et juridiques ; la section II met en lumière les principes essentiels de l’approche conceptuelle des FFI suivie dans le rapport ; la section III présente les objectifs, l’approche globale et l’organisation du rapport.

Les flux financiers illicites dans le discours multilatéral

La pléthore d’études et de forums sur les FFI montre que les définitions et les modalités de mesure illustrent les tensions entre des visions clivées du monde qui sont ancrées dans un ensemble de valeurs, dans un patrimoine historique, dans un cadre juridique et dans une idéologie économique. À la Banque mondiale, par exemple, l’expression «  flux financiers illicites  » est apparue dans les années 1990 pour décrire un certain nombre d’activités franchissant les frontières. Elle était associée au départ à la « fuite des capitaux » (World Bank, 2016:1). On s’inquiétait à l’époque de la fuite des capitaux dans les pays les moins avancés car des ressources provenant d’emprunts extérieurs, de participations étrangères et de sources intérieures étaient nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure et financer les investissements intérieurs. Dans le cadre des politiques d’ajustement structurel suivies dans la plupart des pays africains, des sorties brutales ou prolongées de capitaux risquaient d’influer sur les résultats macroéconomiques ; l’augmentation de ces flux au-delà de quantités « normales » a ainsi été qualifiée de « fuite des capitaux » (Cumby and Levich, 1987 ; Ajayi and Khna, 2000). Jusqu’au milieu des années 2000, des organisations de la société civile de premier plan ont mené des études qui ont rendu plus familière l’expression « flux financiers illicites » en appelant l’attention sur l’ampleur potentiellement considérable de ces flux cachés en raison soit de l’origine illicite des capitaux soit de la nature illicite des transactions. Ces publications se sont concentrées sur la fraude fiscale commerciale et sur la manipulation des prix commerciaux, considérées comme étant les sources de la plupart des FFI (Baker, 2005). Comme preuve de sa légitimation, l’expression est désormais employée par les principales institutions multilatérales comme l’Organisation des Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union africaine.

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *