LES INSCRIPTIONS PERSANES DE GHAZNI ET LEUR CONTEXTE ARCHÉOLOGIQUE

LES INSCRIPTIONS PERSANES DE GHAZNI ET LEUR CONTEXTE ARCHÉOLOGIQUE

Les fouilles et les recherches sur les sites islamiques de Ghazni

Ghazni est la capitale actuelle d’une province de l’Afghanistan centre-oriental portant le même nom. La ville se situe à une distance de 136 km à vol d’oiseau de Kaboul, sur un plateau d’environ 2.200 m. d’altitude ; elle est traversée du nord au sud par une rivière, le Ġaznī rūd, et délimitée au nord-est par des reliefs (Pl. I.1, 2). Le noyau historique de la ville est compris entre la rivière et ces reliefs, tandis que les quartiers modernes se sont développés vers le sud-ouest (Pl. II.1). Suite aux explorations conduites par quelques voyageurs occidentaux entre le XIXe et le début du XXe siècles (4.2.2), des missions archéologiques françaises et italiennes ont porté leur intérêt sur Ghazni et ont effectué des prospections et campagnes de fouilles dans la ville et ses alentours.

Les missions archéologiques en Afghanistan jusqu’en 1978

Une première prospection à Ghazni a été conduite en 1923 par André Godard, membre de la Délégation Archéologique Française en Afghanistan (dorénavant DAFA) qui avait obtenu, un an auparavant, le privilège de fouilles archéologiques en Afghanistan. Dans un bref article paru en 1925, Godard décrivait ainsi sa visite des lieux : Au cours du séjour que nous y avons fait en juillet 1923, nous avons pu pénétrer dans les mosquées, les ziyarats et les tombeaux de la ville et de ses alentours. Nous y avons retrouvé la tombe de Sévuk Tékine, père de Mahmoud ; celle de son fils Mas’oud, ainsi que de nombreux fragments décoratifs ayant appartenu aux monuments de l’époque ghaznévide.Les relevés photographiques de Godard ont été examinés par Samuel Flury qui en a tiré une analyse minutieuse des inscriptions et des décors architecturaux.L’étude de Flury constitue encore un point de départ incontournable pour la connaissance de la tradition épigraphique des Ghaznavides. Toutefois, les prospections de Godard n’ont jamais abouti à des fouilles dans la région de Ghazni et, par la suite, la DAFA a poursuivi ses enquêtes ailleurs en Afghanistan. Entre 1949 et 1951, la Délegation a été active sous la direction de Daniel Schlumberger dans la région de Bust et, en particulier, sur le site de Laškarī Bāzār qui conservait les vestiges de plusieurs bâtiments civils et religieux ghaznavides.  Au milieu des années 1950, Giuseppe Tucci, président de l’IsMEO (Istituto per il Medio ed Estremo Oriente, devenu par la suite IsIAO, Istituto Italiano per l’Africa e l’Oriente), a conclu un accord avec le gouvernement de l’Afghanistan pour entreprendre des enquêtes archéologiques dans la région de Ghazni. À la même période, Alessio Bombaci s’est chargé d’une étude approfondie des sources, avant d’accompagner Tucci dans une inspection préliminaire de la ville, qui a eu lieu en 1956.L’année suivante, la première campagne de la Missione Archeologica Italiana in Afghanistan (dorénavant MAIA) a été conduite par Bombaci et Umberto Scerrato. Elle s’est avérée une campagne heureuse grâce à la découverte de deux sites islamiques (Pl. II.1, nos 2, 3) : un palais royal ghaznavide (1.2), et une résidence privée (Pl. II.2). Cette résidence a été nommée par les archéologues la « Maison des lustres », suite à la découverte d’un petit trésor de céramiques à décor de lustre métallique en bon état de conservation. Elle semble avoir été principalement occupée dans la deuxième moitié du VIe /XIIe siècle et jusqu’à l’arrivée des Mongols en 618/1221, qui semble avoir causé son abandon soudain.Les fouilles de la Maison ont été achevées durant cette première campagne, tandis que les enquêtes archéologiques dans le palais se sont prolongées au cours des campagnes suivantes, dirigées, au fil des ans, par Scerrato et Dinu Adamesteanu. En 1959, un nouveau chantier archéologique a été ouvert sur une colline dite de Tepe Sardar, à environ 2 km au sud de Rawza, où ont été mis au jour les vestiges d’un site bouddhique occupé entre les Ie -IIIe et les VIIIe -IXe siècles ap. J.-C. Les campagnes conduites entre 1966 et 1976 se sont principalement concentrées sur ce site.24 Parallèlement aux fouilles archéologiques, les membres de la mission ont pu visiter un musée existant à Rawza (« Antiquarium »), où étaient exposé certains éléments en marbre qui ont été publiés par Bombaci.Ils ont également effectué des prospections dans les cimetières et ziyāras de Ghazni, contenant d’abondants matériaux de remploi datant de l’époque pré-mongole, et mené des explorations dans des sites mineurs de la région. De plus, la MAIA s’est investie dans la restauration des anciens monuments de l’Afghanistan et dans l’agencement de sites d’intérêt touristique et de musées. En 1966, suite à un accord sur la répartition des matériaux archéologiques entre l’Afghanistan et l’Italie, un lot d’objets a été transféré au Musée National d’Art Oriental à Rome ; un deuxième lot a été destiné au Musée National de Kaboul et une partie des matériaux est restée à Ghazni. Certains de ces objets étaient désormais exposés à l’intérieur du mausolée de ʿAbd alRazzāq, préalablement restauré et transformé en Musée d’art islamique (Pl. III.1). Le programme des restaurations prévoyait également la consolidation et la couverture partielle des sites du palais royal et de Tepe Sardar, en vue de leur muséification, ainsi que des travaux de restaurations des deux minarets et de la ziyāra de Šarīf Ḫān (4.2). Finalement, en 1976, la mission a entrepris la construction d’un nouveau Musée archéologique dans la ville moderne de Ghazni (šahr-i naw), principalement destiné à accueillir les collections préislamiques de Tepe Sardar. Ces nombreux projets étaient encore inachevés à la fin de la campagne de 1978 et auraient dû voir le jour dans les années suivantes. Mais l’histoire en décida autrement. L’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 empêcha les archéologues de retourner sur le terrain et marqua le début d’une longue phase de bouleversements politiques dans le pays qui n’a pas encore retrouvé sa stabilité à l’heure actuelle.

Les recherches récentes (1999-2017) 

Les activités en Afghanistan

Pendant l’occupation soviétique de l’Afghanistan (1978-1989) les phénomènes des fouilles clandestines et des pillages massifs des antiquités, destinés à alimenter le marché illégal de l’art, ont pris de l’ampleur. Une phase que Roland Besenval a décrite comme « les années noires du patrimoine archéologique d’Afghanistan (1980-2001) » a débuté. 31 La situation s’est aggravée après 1992, à la suite du passage du pouvoir aux mujāhidīn et du déclenchement des guerres intestines entre leurs différentes factions. Parmi les évènements les plus dramatiques qui ont eu lieu au cours cette période, nous évoquons l’explosion qui a causé, en 1993, l’incendie du premier étage du Musée National de Kaboul. Cette attaque du musée a attiré l’attention de la communauté internationale : les Nations Unies sont intervenues à Kaboul pour limiter les dégâts et, en 1994, l’ONG internationale SPACH (Society for the Preservation of Afghanistan‘s Cultural Heritage) a été fondée à Islamabad avec l’objectif de contribuer à la préservation des monuments et des collections afghans. En 2001, un décret émis par le régime des Talibans incitait à la destruction du patrimoine artistique préislamique : cela causa le ravage des collections muséales et d’autres monuments majeurs, parmi lesquels les trois bouddhas géants de Bamiyan. La région de Ghazni n’a pas été épargnée par ces vagues de dévastation successives. En 1999, le directeur de la MAIA, Maurizio Taddei, est retourné sur le terrain pour effectuer une mission de reconnaissance pour le compte de la SPACH et il a pu constater la ruine des sites archéologiques, laissés sans abri contre la menace des agents météorologiques, ainsi que le pillage des objets conservés in situ et dans l’ancien dépôt de la mission, qui avait été rasé entretemps. Des nouvelles campagnes de la MAIA ont eu lieu entre 2002 et 2004 sous la direction de Giovanni Verardi et, ensuite, d’Anna Filigenzi (IsIAO). Assez tôt au cours de ces missions, les archéologues ont réalisé que la population locale avait réussi à mettre en sûreté une quantité inespérée de matériaux au cours des trente années précédentes. En effet, une partie des objets préalablement conservés au Musée de Rawza (fermé depuis les années 1980), dans le dépôt de la MAIA et dans la zone du palais avaient été déplacés et cachés. Il s’agit en particulier des marbres transférés dans une structure qui avait été conçue pour abriter le Musée archéologique du šahr-i naw, projeté par les Italiens mais resté inachevé. Par la suite, nous appellerons cette structure « nouveau dépôt ». Un deuxième lot de matériaux avait été transféré dans les réserves du Musée National de Kaboul. Néanmoins, plusieurs éléments avaient subi des endommagements et ceux gardés dans le nouveau dépôt étaient menacés par les infiltrations d’eau (Pl. III.2). Les missions effectuées entre 2002 et 2004 ont été principalement consacrées à la localisation, réorganisation et classification des matériaux conservés à Ghazni et à Kaboul.Les trouvailles de plus petite taille comme les métaux, les lustres métalliques, les objets en verre et en bois et les monnaies avaient entièrement disparu ; mais des pertes conséquentes concernaient aussi les marbres qui avaient été laissés sur place dans les sites et les monuments funéraires des cimetières. En revanche, la majorité des collections du Musée de Rawza et des objets gardées dans l’ancien dépôt MAIA ont été repérés et photographiés. De plus, un bon nombre de matériaux non enregistrés précédemment ont été relevés par la mission au cours des années 2000.35 Depuis 2004, l’instabilité politique et l’insécurité de la région ont empêché les membres de la MAIA d’effectuer des missions régulières à Ghazni, alors que plusieurs inspections ont eu lieu dans le Musée National de Kaboul et dans ses réserves. En 2013, la ville de Ghazni a été nommée « Asian Region’s Capital of Islamic Culture » par l’ISESCO (Islamic Educational, Scientific and Cultural Organization). À cette occasion, plusieurs ziyāras ont été rénovées et un nouveau Musée Islamique a été inauguré, à l’intérieur du compound du gouverneur (Pl. III.3.a). Deux membres de la mission, Roberta Giunta et Danilo Rosati, ont contribué à l’aménagement de ce musée où une dizaine de salles d’expositions étaient destinées à accueillir une partie de la collection précédemment exposée au Musée de Rawza. Malheureusement, en septembre 2014, le nouveau musée a été presque complètement détruit suite à une explosion (Pl. III.3.b). Certains objets restés sur place et gravement endommagés ont été transférés au Musée de Kaboul. 36 Dans ce même musée, la MAIA, avec le soutien de l’UNESCO, travaille actuellement à la réorganisation d’une salle consacrée à Ghazni, où seront exposés plusieurs objets islamiques actuellement en cours de restauration.

Les projets en cours 

Dans les années 1990, Scerrato a décidé de reprendre l’étude des données issues des recherches à Ghazni et, avec l’assistance de l’architecte Rosati, il a commencé à travailler à la reconstitution axonométrique du palais royal ghaznavide.De plus, il a confié à Giunta, alors doctorante à l’Université de Provence « Aix-Marseille I » (1994-1999), l’étude des inscriptions funéraires de Ghazni, un projet qui était interrompu depuis la disparition de Bombaci en 1979.La thèse de Giunta, dirigée par l’épigraphiste française Solange Ory et soutenue en 1999, et la publication qui a suivi (2003) ont inauguré une nouvelle phase des études sur l’histoire matérielle et culturelle de la Ghazni islamique.39 En 2004, après le décès de Scerrato, Giunta a été chargée de la direction d’un projet nommé Islamic Ghazni. An IsIAO Archaeological Project in Afghanistan ayant pour objectif d’accomplir l’étude des sites islamiques de Ghazni et de la documentation archéologique collectée pendant les campagnes passées et récentes de la MAIA. Ce projet, affilié à l’Università degli Studi di Napoli « L’Orientale » depuis la fermeture de l’IsIAO en 2012, est encore en cours à l’heure actuelle. Au fil des ans, l’équipe s’est agrandie et plusieurs axes de recherches se sont dessinés. La phase préliminaire a consisté à mettre de l’ordre dans les archives, ce qui s’est traduit par la création d’une base de données informatisée des matériaux archéologiques. Cette base, accessible à tous les membres du projet, réunit les informations et photographies transmises par les premières missions, ainsi que les photos numériques réalisées dans les années 2000 et les notices relatives aux objets non inventoriés.Cette entreprise d’archivage a jeté les bases pour une intense activité de recherche : Giunta a poursuivi l’étude des données archéologiques et épigraphiques,tandis que plusieurs mémoires de maîtrise, thèses et études ciblées ont été consacrées aux différentes classes de matériaux.Dans ce cadre, l’auteur de cette thèse a pris en charge les recherches sur le corpus d’inscriptions en langue persane d’époque ghaznavide (1.3). Enfin, en 2012, grâce au financement de la Gerda Henkel Stiftung et avec le soutien de l’Università degli studi di Napoli « L’Orientale », un nouveau projet de diffusion scientifique a été lancé, sous le titre de Buddhist and Islamic Archaeological Data from Ghazni, Afghanistan A multidisciplinary digital archive for the menaging and preservation of an endangered cultural heritage. Le projet, dirigé par Giunta, a pu compter sur la collaboration de deux coordinateurs afghans : Ġulām Naqšband Rajabī (Ghazni, collaborateur de la mission depuis les années 1960) et Ajmal Yār (Musée National de Kaboul) et a abouti à la création d’une archive numérique de la mission, comportant une section bouddhique et une section islamique.Dans la section « Islamic Ghazni » sont actuellement disponibles les fiches techniques et les illustrations de 1.400 éléments en marbre et albâtre, en plus de plusieurs reconstitutions graphiques des sites et des matériaux et de quelques informations générales concernant les activités de la mission.Cette plateforme est destinée à être enrichie dans le futur proche ; son but est de rendre accessibles à la communauté scientifique et à un public plus large des collections de matériaux peu connues, ainsi que de fournir un outil pour la formation de professionnels afghans qui s’engagent dans l’étude et la sauvegarde du patrimoine culturel.

Le palais mis au jour par les fouilles 

Le plan 

Le premier chantier archéologique de la MAIA à Ghazni a été ouvert dans la plaine appelée aujourd’hui Dašt-i Manāra, à environ 300 m à l’est du minaret de Masʿūd III, où était visible une plateforme mesurant plus de 100 m par côté (Pl. II.1, no 2). À l’intérieur du périmètre de cette plateforme, du côté ouest, se dressait un mausolée à coupole connu sous le nom de ziyāra de Sulṭān Ibrāhīm (ou du Sulṭān Ḥalqūm) où étaient remployés de très nombreux éléments de décor architectural en marbre. Le côté oriental et une partie du côté septentrional de la plateforme montraient les signes des tranchées creusées par des fouilleurs clandestins et de la dégradation des structures sous-jacentes. Les fouilles, commencées dans le secteur sud-ouest de l’enceinte, ont mis au jour les fondations d’un palais royal. L’enceinte montre une forme trapézoïdale irrégulière (env. 150 × 120 m), conditionnée par la présence, au sud, d’un enclos rectangulaire (env. 350 × 120 m) probablement préexistant, 46 et, au nord, par le tracée d’une des routes anciennes traversant le Dašt-i Manāra (Pl. IV.1). Cette route passait probablement à l’intérieur du complexe et séparait la façade du palais d’une série de cellules adjacentes au mur nord de l’enceinte, interprétées par les archéologues comme les boutiques d’un bazar. La reconstitution du plan du palais s’appuie sur les structures mises au jour, complétées à partir de l’hypothèse d’une symétrie de l’axe nord-sud (Pl. IV.2). Les fouilles se sont concentrées sur le secteur médian du palais, organisé autour d’une cour centrale (50,60 × 31,90 m) délimitée par un trottoir (hauteur 15 cm ; profondeur 4,5 m), sur lequel ouvrent quatre īvāns de dimensions inégales ainsi que antichambres, dont la plupart donnent accès à des salles postérieures. Les īvāns occidental et oriental sont également précédés par une antichambre, contrairement aux deux autres īvāns. L’īvān nord (« XVII ») est connecté au vestibule d’entrée du palais, flanqué par deux larges salles à plan carré dont la fonction est incertaine. 

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