Vieillissement et mouvements oculaires

Vieillissement et mouvements oculaires

 Aspects comportementaux des mouvements oculaires dans le vieillissement 

Des modifications des caractéristiques des saccades oculaires Pour traiter précisément un objet visuel présent dans l’environnement, l’être humain doit orienter son regard vers cet objet afin que les stimulations lumineuses en provenance de ce dernier soient projetées sur la partie centrale de la rétine, la fovéa. Cette contrainte, liée à la répartition des photorécepteurs sur la rétine (Martini, Timmons, & Tallitsch, 2012 ; Purves et coll., 2004 ; Remington, 2012), nous amène quotidiennement à réaliser des milliers de mouvements oculaires, sans forcément nous en rendre compte. Parmi ces différents mouvements de l’œil (c.-à-d. le réflexe vestibulo-oculaire, le réflexe optocinétique, le nystagmus, la vergence, la poursuite visuelle), nous nous intéressons ici particulièrement à la saccade oculaire et au lien qu’elle peut entretenir avec les processus cognitifs. Les saccades sont des mouvements extrêmement rapides de l’œil (30°/s à 700°/s), qui nous permettent d’orienter le regard précisément sur une cible (Leigh & Zee, 2006 ; Wong, 2008). La latence – le temps de réaction – d’une saccade chez l’être humain varie de 150 à 250 ms en moyenne, mais elle peut varier énormément en fonction du contexte environnemental, de l’état interne ou des motivations de l’individu (Carpenter, 1981 ; Hutton, 2008 ; Sumner, 2011 ; Wright & Ward, 2008). Parmi ces différents facteurs, les recherches réalisées depuis ces dernières décennies ont démontré une forte influence des pathologies d’ordre psychiatriques et neurologiques (p. ex. schizophrénie, dépression, autisme, maladie de Parkinson, d’Alzheimer, Vieillissement et mouvements oculaires Chapitre I : état de l’art 5 sclérose en plaques, etc.) sur les modifications des caractéristiques des mouvements oculaires (Boraston & Blakemore, 2007 ; Fielding et coll., 2015 ; Leigh & Zee, 2005 ; Molitor et coll., 2015 ; Noiret et coll., 2016). Dans le cadre du présent travail, notre attention se portera principalement sur la MA et la dépression chez la personne âgée. Les données actuelles présentes dans la littérature indiquent que lorsque l’on demande à une personne souffrant de MA de réaliser une saccade vers une cible précise (c.-à-d. déplacer son regard d’un point de fixation de départ vers un point cible situé en périphérie du premier), le temps nécessaire pour déclencher la saccade vers la cible est plus long que celui nécessaire à une personne âgée non malade. Autrement dit, la MA entraîne une augmentation de la latence d’une saccade (c.-à-d. le temps séparant l’apparition d’un stimulus du déclenchement de la saccade). En laboratoire, cette augmentation de la latence chez les patients atteints de MA se retrouve systématiquement que ce soit lorsque l’on demande aux patients de réaliser une saccade vers une cible (p. ex. dans une tâche dite de prosaccades [PS], Figure 1, ou de saccades prédictives [SP], Figure 2) ou à l’opposé de la cible (dans une tâche dite d’antisaccades [AS], Figure 1) (Boxer et coll., 2006 ; Bylsma et coll., 1995 ; Crawford et coll., 2013 ; Crawford et coll., 2005 ; Hershey et coll., 1983 ; Pirozzolo & Hansch, 1981 ; Shafiq-Antonacci, Maruff, Masters, & Currie, 2003 ; Yang, Wang, Su, Xiao, & Kapoula, 2013). De plus, les patients atteints de MA présentent également des difficultés pour exécuter certaines saccades imposées par les instructions de la tâche, par exemple lorsque ces dernières demandent d’inhiber le déclenchement de la saccade vers la cible comme dans une tâche d’AS. En d’autres termes, le nombre d’erreurs (c.-à-d. le nombre de saccades dirigées vers la cible en AS) est plus élevé chez les patients atteints de MA que chez les individus âgés non malades (Abel, Unverzagt, & Yee, 2002 ; Boxer et coll., 2006 ; Boxer et coll., 2012 ; Crawford et coll., 2013 ; Crawford et coll., 2005 ; Garbutt et coll., 2008 ; Heuer et coll., 2013 ; Kaufman, Pratt, Levine, & Black, 2012 ; Shafiq-Antonacci et coll., 2003). Ces erreurs sont également moins Chapitre I : état de l’art 6 souvent corrigées (c.-à-d. une seconde saccade est déclenchée à l’opposé de la cible après engagement d’une première saccade vers la cible) chez les patients atteints de MA que chez les participants non malades, et le temps de correction est plus long pour les patients MA que pour les participants non malades. Par ailleurs, une étude menée par Shafiq-Antonacci et coll. (2003) et utilisant, entre autres, une tâche de SP, a montré que, comparés à des participants non malades, les patients MA ne présentaient pas de différence concernant le nombre de saccades anticipées : ils parvenaient, comme les participants non malades, à anticiper l’arrivée de la deuxième cible en se basant sur la position de la première.

Des changements de stratégie de traitement de l’information visuelle

Nous avons dit plus haut que la saccade oculaire permettait de déplacer rapidement le regard vers un objet afin de placer ce dernier sur l’axe de la fovéa et de traiter précisément l’information visuelle émanant de cet objet. L’analyse de ces fixations oculaires sur un stimulus ou une scène visuelle peut apporter des indices comportementaux fiables sur la façon dont un individu va traiter préférentiellement l’information environnementale. En effet, les caractéristiques de ces fixations (comme le nombre, la durée) et leur répartition peuvent être déterminées soit par des facteurs liés aux caractéristiques de la stimulation, comme la couleur, l’intensité, l’orientation (Castelhano & Henderson, 2008 ; Henderson, 2007 ; Parkhurst, Law, & Niebur, 2002 ; Parkhurst & Niebur, 2003), ou encore la saillance émotionnelle (Niu, Todd, & Chapitre I : état de l’art 12 Anderson, 2012 ; Nummenmaa, Hyona, & Calvo, 2006), soit par des facteurs propres à l’individu, comme ses objectifs, ses connaissances (Ballard & Hayhoe, 2009 ; Buswell, 1935 ; Navalpakkam & Itti, 2005 ; Yarbus, 1967), le niveau d’expertise (Buswell, 1935 ; Humphrey & Underwood, 2009 ; Zangemeister, Sherman, & Stark, 1995) ou encore la pathologie (Boraston & Blakemore, 2007 ; Leigh & Zee, 2005 ; Marsh & Williams, 2006). L’étude des fixations visuelles a également permis de mettre en évidence des caractéristiques qui semblent spécifiques à la dépression, à la MA ou au vieillissement normal. Par exemple, Rosler et coll. (2000) ont soumis des patients atteints de MA à un stade modéré et des participants non malades à une tâche de recherche visuelle. La tâche consistait à retrouver un chiffre parmi 79 lettres réparties aléatoirement sur un écran. Les patients étaient plus lents pour détecter le chiffre que les participants non malades. De plus, les patients ont réalisé plus de fixations avant de trouver le chiffre cible et avaient également une durée totale de fixation plus longue que les participants non malades. Dans une autre expérience, Rosler, Mapstone, Hays-Wicklund, Gitelman, et Weintraub (2005) ont montré des résultats similaires, mais cette fois en demandant aux participants (patients MA, participants non malades jeunes et âgés) de rechercher un objet cible parmi un éventail de 0, 4 ou 6 objets distracteurs. Les patients parvenaient moins souvent et mettaient plus de temps à détecter la cible que les participants non malades. Les patients avaient également un nombre de fixations oculaires plus important sur les objets (distracteurs et cibles) que les participants jeunes uniquement lorsque 4 ou 6 distracteurs étaient présents – il n’y avait pas de différence entre les participants jeunes et âgés ni entre les participants âgés et les patients MA. La durée de fixation était plus élevée pour les patients MA que pour les participants jeunes et âgés uniquement à partir de 4 distracteurs. Ces deux études vont dans le sens d’une altération des stratégies de traitement de l’information dans la MA. Cette altération pourrait être due à une difficulté pour extraire l’information en vision périphérique et guider ainsi le regard sur les stimuli pertinents, mais Chapitre I : état de l’art 13 également à une difficulté pour désengager l’attention du stimulus traité (Greenwood, Parasuraman, & Haxby, 1993 ; Rosler et coll., 2005). Par ailleurs, Mosimann, Felblinger, Ballinari, Hess, et Muri (2004) ont demandé à des patients atteints de MA et des participants âgés non malades de lire l’heure sur une série de cadrans d’horloges. Les résultats de cette expérience ont montré que la durée de fixation était plus grande et l’amplitude des saccades plus petite pour les patients MA que pour les participants non malades. De plus, les zones d’intérêt (c.-à-d. les régions du stimulus où l’on trouve les informations les plus pertinentes pour la réalisation de la tâche), en l’occurrence ici l’extrémité des aiguilles de l’horloge, rassemblaient un pourcentage plus élevé de fixations et étaient traitées plus rapidement chez les participants non malades que chez les patients MA. Ajoutons que la latence et l’amplitude des saccades étaient aussi évaluées en amont de la tâche de lecture de l’heure dans une tâche de prosaccades, où les performances étaient similaires dans les deux groupes. Cette absence de différence de latence et d’amplitude en prosaccades dans cette expérience suggère que les patients MA n’avaient pas de difficulté pour détecter et engager une saccade vers une cible en périphérie. Dans l’ensemble, la réduction de l’amplitude des saccades, du pourcentage de fixation et de la rapidité de traitement sur les zones d’intérêt, et l’augmentation de la durée moyenne d’une fixation sont cohérentes avec les données et les conclusions des études de Rosler et coll. (2000 ; 2005) : la MA entraîne une modification des stratégies d’exploration visuelle, avec une difficulté pour extraire l’information et pour désengager le traitement d’un stimulus, qui se traduit par une exploration plus analytique – ou moins globale – et plus lente que celle des individus non malades. Récemment, Vallejo et coll. (2016) ont également montré une altération des stratégies d’exploration visuelle chez des patients MA en utilisant une tâche de recherche visuelle d’une cible – une étoile – placée à différents endroits de différentes scènes de la vie quotidienne.

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