Opérades libres, présentations par générateurs et relations

Opérades

Les opérades furent introduites dans les années 1970 à peu de choses près au même moment par May [May72] et par Boardman et Vogt [BV73] dans le contexte de la topologie algébrique et l’étude des espaces de lacets. Cette nouvelle notion tombait progressivement dans l’oubli lorsque, à partir des années 1990, elle trouva des applications dans d’autres domaines [Lod95], [Sta99b], [MSS02], notamment en algèbre, en physique et en combinatoire. Quelques références à la fois générales et introductives sur les opérades sont [GK94], [Mar06], ainsi que [LV10]. De manière simplifiée, une opérade est une structure algébrique qui contient des opérateurs abstraits pouvant se composer pour en former de plus gros. Par exemple, composer un opérateur x d’arité n avec un autre opérateur y d’arité m donne un opérateur d’arité n + m − 1 car l’opérateur obtenu dispose des entrées de y ainsi que celles de x excepté de l’une d’entre elles — celle utilisée pour réaliser la composition. Une algèbre sur une opérade est un espace vectoriel sur lequel ces opérateurs agissent, c’est-à-dire qu’ils permettent de calculer un élément en sortie sur l’entrée de plusieurs éléments de l’espace vectoriel. Le point fondamental est que les relations qui existent entre les opérateurs de l’opérade impliquent des relations entre les éléments de l’algèbre. Par exemple, toute algèbre sur l’opérade associative (voir [AL07]) possède un opérateur, un produit, qui est associatif. De même, toute algèbre sur l’opérade de Lie possède un crochet de Lie qui vérifie la relation de Jacobi et est antisymétrique. Ainsi, chaque type d’algèbre est gouverné par une opérade. L’un des points forts de cette théorie est qu’il devient alors possible de comparer différents types d’algèbres en passant par les opérades, ce qui se fait par l’intermédiaire de morphismes d’opérade. Citons à ce propos [Zin10] qui répertorie une vaste gamme de types d’algèbres ainsi que leurs opérades correspondantes. Notre traitement des opérades sera quelque peu différent puisque nous avons une vision purement combinatoire de ces structures. En suivant notre même approche dans l’étude des algèbres de Hopf qui consiste à les regarder comme encodant l’assemblage et le désassemblage d’objets combinatoires avec une notion de compatibilité, les opérades sont vues comme des structures permettant d’encoder le greffage d’objets combinatoires. La différence avec la notion d’assemblage propre aux algèbres de Hopf est que l’on peut choisir un endroit dans l’objet pour réaliser ladite greffe. Cette vision met en évidence le fait qu’un objet combinatoire est constitué de secteurs de substitution — jouant le rôle d’entrées d’opérateurs — sur lesquels d’autres objets peuvent y être greffés. Cette opération est incarnée par les opérateurs de substitution partielle des opérades. Dans ces dernières années, un grand nombre d’opérades ont été définies et étudiées, et force est de constater que la plupart sont définies sur des objets combinatoires — ou des espaces vectoriels engendrés par une classe combinatoire. Une large palette d’opérades mettant en jeu différentes espèces d’arbres occupent une place de choix en combinatoire algébrique [Cha08].  Citons par exemple l’opérade dendriforme [Lod01] de Loday et l’opérade dupliciale [BF03] de Brouder et Frabetti toutes deux sur les arbres binaires. Ou encore, l’opérade pré-Lie [CL01] de Chapoton et Livernet et l’opérade non associative permutative [Liv06] de Livernet toutes deux définies sur les arbres enracinés. Citons également des opérades sur des objets combinatoires plus exotiques comme l’opérade des plantes et des arbres non croisés [Cha06b], des forêts d’arbres binaires dont les feuilles sont étiquetées [Cha04], et des arbustes [Cha10], toutes construites par Chapoton. Un point remarquable dans ces exemples est que la substitution partielle s’exprime par des algorithmes combinatoires et met en évidence certaines propriétés des objets mis en jeu. Dans ce chapitre, nous posons les concepts de base sur les opérades que nous utiliserons dans les chapitres 6 et 7. Nous définissons ainsi dans le paragraphe 3.1 les opérades dans la catégorie des espaces vectoriels, les notions de morphismes d’opérade, d’idéaux et de quotient. Nous donnons également une description de l’opérade libre sur un ensemble de générateurs et de la présentation d’une opérade comme un quotient de cette dernière. De plus, nous rappelons ce qu’est une algèbre sur une opérade. Nous donnons dans le paragraphe 3.2, quatre exemples d’opérades qui nous paraissent fondamentales : l’opérade commutative et associative, l’opérade associative, l’opérade de Lie et l’opérade dendriforme. Nous terminons par le paragraphe 3.3 en rappelant une construction classique qui, à une opérade ensembliste, associe un groupe, puis deux algèbres de Hopf, l’une commutative et l’autre non. 

Définitions et propriétés de base

Définitions Substitutions dans une permutation Nous avons avant tout besoin de décrire une opération sur les permutations. Soient σ ∈ Sn et ν ∈ Sm deux permutations. Pour tout i ∈ [n], la substitution de ν en position i dans σ, notée Bi(σ, ν), est la permutation π qui vérifie π := π1 · . . . · πi−1 · (σi+ν1−1) · . . . · (σi+νm−1) · πi+1 · . . . πn, (3.1.1) où πj := ( σj si σj < σi , σj + m − 1 sinon. (3.1.2) Nous avons ainsi par exemple B3(5341672, 231) = 735641892. Opérades Définition 3.1.1. Une opérade est un espace vectoriel gradué P de la forme P := M n>1 P(n), (3.1.3) muni pour tout i > 1 d’applications linéaires ◦i, nommées opérateurs de substitution partielle, qui sont pour tous n > i et m > 1 de la forme ◦i : P(n) ⊗ P(m) → P(n + m − 1), (3.1.4) et qui vérifient pour tous x ∈ P(n), y ∈ P(m), z ∈ P(k), i ∈ [n] et j ∈ [m] la relation d’associativité en série : (x ◦i y) ◦i+j−1 z = x ◦i (y ◦j z), (3.1.5) § 3.1 — Définitions et propriétés de base 51 et pour tous 1 6 i < j 6 n, la relation d’associativité en parallèle : (x ◦i y) ◦j+m−1 z = (x ◦j z) ◦i y. (3.1.6) Il existe de plus un élément 1 ∈ P(1), appelé unité, tel que pour tout x ∈ P(n) et i ∈ [n], 1 ◦1 x = x ◦i 1 = x. (3.1.7) Chaque espace vectoriel P(n) est muni d’une action du groupe symétrique linéaire à gauche · : P(n) × Sn → P(n), (3.1.8) qui vérifie, pour tous x ∈ P(n), σ ∈ Sn, y ∈ P(m), ν ∈ Sm et i ∈ [n] la relation (x · σ) ◦i (y · ν) = (x ◦σi y) · Bi(σ, ν). (3.1.9) Les éléments de P(n) peuvent être vus comme des opérateurs qui disposent de n entrées et d’une sortie. De ce fait, si x est un élément de P(n), nous dirons que l’arité de x est n. Les relations imposées dans la définition 3.1.1 peuvent se comprendre en termes d’assemblages d’opérateurs. En effet, en ce qui concerne les relations d’associativité en série et en parallèle, il suffit de voir que l’on peut assembler trois opérateurs x, y et z d’exactement deux manières différentes, au renommage près des opérateurs .

Opérades libres, présentations par générateurs et relations

Nous donnons ici une description simplifiée et suffisante dans notre contexte de l’opérade libre. Pour une construction complète et plus générale, on pourra consulter [Mar06] et [LV10]. Opérades libres sur un ensemble Soit E := ⊎n>1E(n) un ensemble. Les éléments de E(n) peuvent se voir comme des opérateurs d’arité n. Nous considérons l’espace vectoriel F(E) engendré par l’ensemble des arbres plans enracinés dont les nœuds qui ne possèdent pas de fils — les feuilles — ne sont pas étiquetés et les nœuds qui possèdent exactement n fils sont étiquetés sur E(n). Nous appellerons dans ce paragraphe simplement arbres ces objets et leur taille est leur nombre de feuilles. Le sous-espace vectoriel de F(E) restreint aux arbres de taille n est noté F(E)(n). Un arbre peut se voir comme un arbre syntaxique d’une expression où les opérateurs sont les étiquettes de ses nœuds et les variables en entrée correspondent à ses feuilles. Ainsi, par exemple, à l’arbre d b c v w x y z (3.1.30) § 3.1 — Définitions et propriétés de base 55 correspond l’expression d(b(v, w), x, c(y, z)), (3.1.31) où les nœuds d’étiquettes b et c correspondent à des opérateurs d’arité deux, le nœud d’étiquette d à un opérateur d’arité trois, et v, w, x, y et z sont des variables. La substitution partielle de deux arbres S et T en position i est l’arbre obtenu en greffant la racine de T sur la i e feuille de S en partant de la gauche. Nous notons S ◦i T l’arbre ainsi obtenu. L’arbre constitué d’une unique feuille est l’unité pour cette substitution partielle. Celui-ci est de taille 1 et est noté 1. En étendant la définition de l’opérateur de substitution partielle par linéarité, l’opérade ns libre sur l’ensemble E est l’opérade (F(E), ◦, 1). Donnons à présent un exemple. Fixons E(1) := {a}, E(2) := {b, c}, E(3) := {d} et E := E(1) ⊎ E(2) ⊎ E(3). Nous avons alors dans F(E) la substitution partielle suivante : b c a d c a ◦2 d b a = b c a d d c a b a (3.1.32) L’opérade libre sur E est la symétrisée de l’opérade ns libre F(E). Nous la notons également F(E). Un élément de cette opérade est donc un arbre muni d’une permutation qui spécifie un ordre total sur ses feuilles. Présentations par générateurs et relations L’intérêt principal d’introduire les opérades libres provient du fait que toute opérade peut être définie par l’intermédiaire de générateurs engendrant une opérade libre et de relations qui définissent un quotient de cette dernière. En effet, toute opérade P admet l’écriture P = F(E)/R, (3.1.33) où E := ⊎n>1E(n) est l’ensemble des générateurs de P et R est un idéal de F(E), l’espace des relations de P. L’écriture de P sous la forme (3.1.33) forme une présentation de P. Un élément x d’une opérade de présentation F(E)/R admet l’entier n pour degré s’il est possible d’obtenir x par des substitutions partielles impliquant n occurrences de générateurs de E. Une opérade P est binaire si elle admet une présentation F(E)/R où #E(2) 6= 0 et #E(n) = 0 pour tout n 6= 2. Une opérade P est quadratique si elle admet une présentation F(E)/R où R est engendré uniquement par des éléments de degré deux de F(E). Un grand nombre d’opérades connues sont à la fois binaires et quadratiques. Elles sont ainsi générées par des éléments d’arité deux et sont soumises à des relations engendrées par des éléments de degré deux..

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