Pratiques d’imitation

Pratiques d’imitation

Parmi les pratiques d’imitation, nous classons avec Genette toutes les opérations dans lesquelles on assiste à la production d’un nouveau texte qui en évoque un autre. L’hypotexte est imité par un autre texte produit ex novo par les utilisateurs, avec ou sans transformation lexicale ou syntaxique : comme pour le doublage, ces pratiques de transtextualisation comportent une modification sémantique. Cette relation est fondée sur la constitution préalable d’un modèle générique. Le texte original peut être présent à l’image, sous forme de citation, ou, dans la plupart des cas, en être absent (il s’agira alors d’une parodie in absentia, qui repose sur le partage  de contenus culturels, comme l’a souligné F. Jost1). Pour cela, cette catégorie est très intéressante pour l’analyse d’un récit qui se propose comme un monde à explorer par le spectateur. Le récit transmédial fournit des codes de lecture, il devient une encyclopédie que les consommateurs peuvent à tout moment enrichir ; dans ce cadre, les pratiques des spectateurs sont à lire comme la mise en place de la connaissance de cette encyclopédie et de l’exposition de sa propre expertise dans une communauté. Comme toute opération hypertextuelle, le fonctionnement de ces pratiques se base sur les compétences herméneutiques des lecteurs, demande la connaissance d’un système de signification sur deux plans : un premier plan et fond, une série d’informations immédiatement visibles et un contexte qui demande d’être étudié. C’est un fonctionnement comparable à celui de la métaphore : « les deux demandent aux lecteurs de construire un deuxième sens à travers des déductions autour d’assertions de surface et compléter ce qui est en premier plan avec la reconnaissance et la connaissance d’un contexte en arrière-plan2 » (Hutcheon, 2006 : 34). Signalons que la plupart des exemples que nous citons rendent visible le lien avec le récit d’origine, que cela soit par l’affichage du titre Romanzo Criminale ou du nom de la « Banda della Magliana ». Ajoutons que l’étiquette proposée par la plupart des auteurs de ces vidéos est celle de la parodie. Il semblerait que, pour la plupart des utilisateurs, la parodie est un terme apte à recouvrir toute opération qui consiste à détourner le sens de l’original à travers la production d’une vidéo personnelle. Cette observation nous pose face à un problème terminologique qu’il faut affronter afin de pouvoir présenter de manière ordonnée les résultats de notre recherche. Si pour M. Butor (cité par Genette, 1982), toute sorte de citation est une parodie en tant qu’opération de transcontextualisation, G. Genette, quant à lui, propose une définition transhistorique de la parodie, allant rechercher son origine dans le drame satyrique qui accompagnait (comme l’indique son préfixe para-) les tragédies dans la Grèce ancienne. Le fonctionnement de la parodie est fondé sur le contraste, la discordance, le décalage : une inversion des caractères des personnages et des situations, ou leur exagération ; le résultat de ces productions est un excès de sens qui surprend.

La parodie ne s’émancipe jamais du sens de l’original, elle se construit sur celui- ci, en l’exacerbant (jusqu’à produire du hors-sens). À l’instar de L. Hutcheon (2000), qui à son tour se réfère à la définition de Deleuze (1986), nous devons considérer la parodie comme une opération de « réécriture avec une différence », dont les intentions peuvent être très différentes les unes des autres : « Ce qui est remarquable dans la parodie moderne est sa gamme d’intentions – de l’ironique et badin au méprisant et ridiculisant1 » (Hutcheon, 2000 : 6). La parodie au sens strict se différencierait des opérations d’adaptation ou du plagiat, par un élément rhétorique primaire : elle possède un sens ironique voulu par son auteur. À travers l’ajout d’innovations concernant le contenu, elle arrive à générer un effet comique dérivant du rabaissement de l’hypotexte (comme pour certains doublages) ou de sa transposition dans des situations inédites. Par ailleurs, on observe que les parodies strictes s’attachant à un seul hypotexte sont de plus en plus rares : à leur place, on trouve des pastiches. À l’instar de D. Château, lorsque les modifications concernent le contenu, on parlera de parodie, lorsqu’elles concernent le style, on parlera de pastiche. Les vidéos identifiables comme parodies au sens strict sont celles qui imitent, en les détournant, des scènes cultes. Bien que les productions observées présentent des caractéristiques de détournement de l’original, il demeure un doute quant au choix de la catégorie de la parodie, en raison du manque d’une intention purement satirique : le produit d’origine n’est jamais exclusivement la cible de ces opérations qui demeurent dans un territoire ambigu, entre hommage et clin d’œil au second degré. La catégorie genettienne de « forgerie » .

 

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