Qui sont les internes de médecine générale ?

Qui sont les internes de médecine générale ?

Pour les besoins de cette enquête, je me suis appuyé sur les données statistiques des internes appartenant à ma promotion, ayant passé les ECNi en 2018.
En 2018, à la suite des ECNi, 3254 étudiants ont choisi de s’orienter vers la médecine générale, dont 64,3% de femmes . L’internat de médecine générale ayant une durée de trois ans, et le nombre de postes de médecine générale disponibles étant relativement stable voire en légère augmentation au niveau national, on peut estimer le contingent d’internes de médecine générale à environ 10 000 en France. Leur âge au moment de débuter leur internat est en moyenne de 25 ans, la grande majorité de cette population se trouve donc dans une fourchette d’âge entre 24 et 30 ans.
Il est intéressant de souligner que le système de répartition inhérent aux ECNi implique la possibilité pour les étudiants de choisir de réaliser leur internat dans une ville différente de celle où ils ont réalisé leur externat. Parmi les internes de médecine générale de la promotion ECNi 2018, 49% sont concernés par cette mobilité, choisie pour 84,1% d’entre eux, les autres se la voyant imposée par le processus d’affectation. Ce déracinement peut avoir son importance, notamment en ce qui concerne le soutien apporté par leurs proches.

Modalités de formation et place des gardes

Le statut des internes en médecine est fixé par le Code de Santé Publique, qui les décrit comme étant des « Praticiens en formation spécialisée […] sous la responsabilité du praticien responsable de l’entité d’accueil ». L’interne est un agent public, mais ne bénéficie cependant pas, à l’instar des praticiens hospitaliers, du statut de fonctionnaire.
La formation pratique au cours de l’internat de médecine générale est délivrée sur une période de trois ans, pendant laquelle l’interne aura à compléter une maquette de six stages d’une durée de six mois chacun . Cette maquette doit comprendre les stages suivants, répartis sur une phase socle d’un an suivie d’une phase de consolidation de deux ans :
Un stage dans un service d’accueil des urgences. Un stage ambulatoire dans un cabinet de médecine générale. Un stage de gynécologie et un stage de pédiatrie, parfois couplés lors d’un stage partagé en deux périodes de trois mois, pouvant se dérouler en milieu hospitalier, ambulatoire, ou dans une structure de PMI.
Un second stage ambulatoire, le SASPAS, pour lequel l’interne évolue en autonomie supervisée dans un cabinet de médecine générale. Un stage hospitalier, à réaliser dans un service dit de «médecine adulte». Eventuellement un stage libre laissé au choix de l’interne.
Au cours de ces stages, l’interne est soumis à deux types d’obligations . L’obligation de service, dans laquelle on retrouve de façon hebdomadaire huit demi-journées de stage et deux demi-journées de formation, pour une durée ne devant pas excéder 48h par semaine, lissées sur le semestre. Les demi-journées travaillées de façon supplémentaires (les samedis matin, les nuits, les dimanches et jours fériés) doivent théoriquement être rattrapées.
L’obligation de garde : les internes doivent participer au service de garde normal, qui comprend une garde de nuit par semaine et une garde de week-end ou jour férié par mois. Ce service peut être supérieur, puisqu’une ligne de garde peut être ouverte dès lors que six internes au moins y participent. Il est à noter que leur indemnisation est réglementée par la loi, et qu’une participation supérieure au service dit normal ouvre théoriquement droit à une rémunération supérieure. Une garde ne peut pas excéder 24h consécutives, et doit être suivie d’au moins 11h de repos. Afin d’organiser la permanence des soins pour les patients, est mis en place un dispositif de garde en dehors des heures ouvrables. Des médecins et des internes sont présents et disponibles pour répondre aux sollicitations dont la prise en charge ne peut attendre le lendemain. Pour les internes de médecine générale, ces gardes peuvent s’effectuer auprès de patients hospitalisés dans des services conventionnels, mais la majorité sont réalisées au sein de services d’urgences de l’hôpital dans lequel ils travaillent. Les internes prennent leur garde le soir après leur journée de travail, ou le week-end après avoir travaillé toute la semaine. Ils assurent sous l’autorité d’un médecin sénior l’accueil et la prise en charge des patients qui se présentent pendant ce laps de temps.

Les gardes aux urgences, source d’une anxiété majeure

Le soin aux malades, une tâche difficile et anxiogène

Les internes interrogés ont rapporté avoir été mis en difficulté par des patients présentant des pathologies graves, ou pour lesquels ils étaient dubitatifs quant à la prise en charge diagnostique et thérapeutique la plus adaptée. L’interne étant un praticien en formation, il est par nature amené à faire face à des évènements qu’il ne maîtrise pas encore. A mon sens, tous les internes se sont un jour retrouvés dans une situation inconfortable, d’inadéquation entre leurs compétences réelles et la tâche qui leur est demandée. Dans une telle situation, la nécessité de prise de décision dans
l’incertitude est le plus souvent mal vécue par les internes, responsable d’un sentiment d’échec et de mauvaise opinion du travail réalisé, comme montré par Bettes dans sa thèse . On peut s’interroger sur le cheminement faisant du travail dans l’incertitude un objet d’anxiété, alors même que cette incertitude les accompagnera tout au long de leur carrière médicale, et pourrait être abordée comme une stimulation intellectuelle, ou une opportunité de réflexion nouvelle.
L’impression de disproportion entre la tâche à réaliser et les compétences amène une peur de mal faire, une crainte d’être à l’origine d’une erreur dans la prise en charge d’un patient, et des conséquences qui en résulteraient. La médecine est un art particulier, dans le sens où il s’exerce sur la personne humaine. Un de ses principes fondamentaux, inculqués aux carabins dès le début de leurs études, est le respect de l’intégrité de la personne, avec la célèbre locution « Primum non nocere ». Dans ce contexte, il apparaît sain que les internes se questionnent sur leur droit à l’erreur: est-il défendable lorsque l’outil d’apprentissage est une vie humaine ? Dans son livre , le Professeur Éric Vibert le défend, comme il plaide pour la reconnaissance de ces erreurs dans un but pédagogique, afin qu’elles ne soient plus reproduites. La banalisation de la communication des médecins sur les erreurs qu’ils commettent pourrait permettre aux internes de se sentir libérés d’un poids. «S’autoriser» l’erreur, tout en cherchant évidemment à la minimiser au maximum, pourrait permettre de diminuer cette anxiété qui les paralyse dans leurs prises en charge.

Difficulté liée à l’organisation du travail

Au-delà du travail intrinsèque fourni en garde aux urgences, les conditions dans lesquelles ce travail est effectué jouent un rôle important pour le bon vécu de la garde.
J’ai été surpris par l’importance donnée par les internes interrogés aux rapports entretenus avec l’équipe soignante dans son ensemble. A plusieurs reprises, j’ai pu constater que les internes appréciaient de pouvoir tisser des liens avec l’équipe qui dépassaient la simple relation de travail. Les moments partagés dans la bonne entente générale jouent vraisemblablement un rôle de soutien moral et de réconfort, comme souligné par Séjourné dans sa thèse . Le postulat inverse voudrait qu’une équipe peu soutenante, indifférente voire hostile rajoute une dimension supplémentaire à une situation déjà difficile pour l’interne.
Dans leurs réponses se rapportant à l’équipe soignante, les internes ont également souligné l’intérêt d’une bonne organisation du service. La méconnaissance des lieux, des protocoles et des équipes a été rapportée à plusieurs reprises comme facteur compliquant la garde, l’interne doit en plus de son travail de médecin consacrer une partie de sa concentration et de son énergie à évoluer dans ce milieu inconnu. Crémière et Codron décrivent cette difficulté d’adaptation comme étant un facteur de stress supplémentaire.
Plusieurs facteurs ont été cités comme impactant le travail en garde. Avoir à ses côtés une équipe organisée et compétente, des locaux adaptés, des places d’hospitalisation disponibles, sont autant d’éléments qui se répercutent sur la fluidité et la facilité de la garde lorsqu’ils sont présents, et d’embûches à surmonter lorsqu’ils sont absents.
Dans les fonctions attribuées à l’interne de garde, j’ai pu relever deux tâches de nature à influencer le bon vécu de la garde.
Avoir à gérer les appels des services d’hospitalisation conventionnelle a été cité à la fois comme une tâche appréciée et redoutée. Dans un contexte de travail parfois ininterrompu en garde, un appel dans les étages est une occasion de prendre une pause avec l’activité des urgences, de se détacher l’esprit des prises en charge en cours, de pratiquer une autre forme de médecine. La rançon de cette « pause » est le risque d’avoir à prendre en charge une pathologie grave, dans un milieu dans lequel l’interne peut avoir la sensation d’être plus isolé que dans la « fourmilière » des urgences.
Le recueil de transmissions lors de la relève de la garde a été unanimement rapporté comme un exercice redouté. Les internes ont cité comme principales sources de difficulté le manque de compréhension dans le cheminement de la prise en charge, le manque de confiance voire le désaccord avec les examens réalisés, autant de sources d’inquiétude qui peuvent amener l’interne à tergiverser, voire à reprendre la prise en charge depuis le début.

Le recours à la séniorisation, réaction privilégiée par les internes en réponse à cette angoisse

Ayant dans ma propre expérience été mis en difficulté du fait d’un médecin référent trop peu présent, je m’attendais à ce que la question de la supervision par un médecin sénior soit abordée lors de certains entretiens. Je suis toutefois interpellé par le fait que le sujet ait été évoquée spontanément par l’intégralité des sujets interrogés dans cette étude. Dans les situations de mise en difficulté et d’incertitude, quand l’interne a besoin de réassurance, le médecin sénior devient sa ressource préférentielle, sa disponibilité et la qualité de sa supervision sont la plupart du temps le principal curseur du bon déroulé de la garde. Dans les faits, plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer les fluctuations dans la qualité de la supervision ressenties par les internes.
Sur un plan individuel, tous les internes ne sont pas en demande du même degré d’autonomie. Si tous souhaitent pouvoir progresser avec un certain niveau de liberté, une partie apprécie un encadrement rapproché, tandis que d’autres préfèrent n’avoir l’avis de leur supérieur que s’ils le sollicitent. Il peut être difficile pour les médecins référents de s’adapter individuellement aux attentes des nombreux internes qui passent en garde aux urgences.
De l’autre côté de la chaine, les urgentistes sont des médecins avant d’être des enseignants, et ne reçoivent pas de formation à la pratique particulière de la supervision des internes. Il paraît donc normal de retrouver des médecins référents plus ou moins à l’aise et compétents dans cet exercice de compagnonnage. Leur expérience personnelle y joue un rôle important ; on peut supposer l’existence d’un fossé générationnel, la formation dans les années 1980 étant réputée plus dure et l’internat ayant été réformé à plusieurs reprises depuis. Dans le contexte actuel de «crise des urgences», les médecins séniors sont vraisemblablement eux aussi soumis à une importante pression, pouvant retentir sur leur tâche d’enseignement et de supervision des internes.
Sur le plan organisationnel, les rôles et missions de l’interne et du médecin le supervisant sont mal définis, et très dépendants de l’organisation propre à chaque service.
Malgré la sévérité dont font preuve les internes dans leur critique des médecins séniors, Viard fait état dans son étude d’une disponibilité satisfaisante du médecin référent pour 75% des internes interrogés, même si 41% d’entre eux affirmaient que leurs dossiers n’étaient pas tous supervisés. Il semble donc que la majorité des gardes se déroulent avec une séniorisation satisfaisante, mais que les internes soient particulièrement marqués par leurs quelques mauvaises expériences, puisque tous le citent spontanément comme un facteur crucial de réussite de leurs gardes.

Table des matières

I. INTRODUCTION
A. Expérience personnelle
B. Actualité
II. DEFINITIONS
A. Qui sont les internes de médecine générale ?
B. Modalités de formation et place des gardes
III. ENJEUX 
IV. QUESTION DE RECHERCHE ET OBJECTIFS
V. MATERIEL ET METHODE
A. Choix du type d’étude
B. Population
1. Recrutement
2. Critères de sélection
3. Taille de l’échantillon
C. Recueil des données
1. Guide et type d’entretiens
2. Réalisation des entretiens
D. Analyse des données
E. Recherche bibliographique
VI. RESULTATS
A. Population
1. Descriptif de l’échantillon étudié
2. Descriptif des entretiens réalisés
B. Motifs d’inquiétude et de déstabilisation
1. Peur de mal faire
2. Désir de faire ses preuves
3. Rôle particulier de l’interne étudiant-médecin
4. Confrontation à la mort
C. La séniorisation, curseur principal au déroulement des gardes aux urgences
1. Disponibilité du médecin référent
2. Qualité de la supervision
3. Relationnel avec le référent
D. Autres sources de réassurance
1. Organisation personnelle
2. Soutien externe
E. Importance du cadre de la garde dans le ressenti
1. Connaissance ou non du cadre de travail
2. Influence de l’équipe soignante
a) Relationnel
b) Organisationnel
3. Patients
4. Affluence
a) Répercussions sur le travail
b) Répercussions sur le ressenti
5. Modalités pratiques de la garde
F. Rythme de travail
1. Rythme pendant la garde
2. Gestion du sommeil pendant la garde
3. Fréquence des gardes
G. Une grande variété de nuances dans le ressenti des gardes et leurs répercussions
1. Répercussions psychologiques des gardes
a) Avant la garde
i. Anxiété anticipatoire
ii. Autres conséquences
b) Pendant la garde
c) Dans les suites immédiates de la garde
d) A long terme
e) Contexte particulier de la crise COVID-19
2. Répercussions des gardes sur le plan matériel
a) Rémunération
b) Temps libre en repos de garde
3. Fatigue induite par les gardes
4. Amélioration des compétences
5. Avis quant au caractère obligatoire des gardes
VII. DISCUSSION
A. Critique de l’étude
1. Forces
2. Faiblesses
B. Analyse des résultats, comparaison à la littérature
1. Les gardes aux urgences, source d’une anxiété majeure
a) Le soin aux malades, une tâche difficile et anxiogène
b) Difficulté liée à l’organisation du travail
c) L’internat, un rôle hybride et une transition brutale
2. Le recours à la séniorisation, réaction privilégiée par les internes en réponse à cette angoisse
3. Répercussions
a) Ecueils
b) Bénéfices
C. Perspectives
VIII. CONCLUSION
IX. BIBLIOGRAPHIE
X. ANNEXES
A. Annexe 1 : Guide d’entretien
XI. LISTE DES ABREVIATIONS 

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