Une révolution scientifique au XVIIe siècle ?

Une révolution scientifique au XVIIe siècle ?

La « science classique » et la « révolution scientifique », des objets historiques désuets ? Le concept de science classique est une dénomination commode pour couvrir l’évolution des savoirs entre deux grandes charnières, depuis la « révolution copernicienne » jusqu’au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle. La science classique prend donc grosso-modo place aux XVIIe et XVIIIe siècle, et c’est elle qui fonde le cœur du programme. Elle se met en place à l’occasion d’un renouvellement de l’ensemble des cadres conceptuels anciens, de l’ensemble des savoirs et des pratiques. Elle prend aussi place dans un contexte d’évolution extrêmement importante de la société, notamment d’un point de vue religieux : Réforme protestantes et Réforme catholique renversent en partie le regard posé par les Églises sur les sciences et les techniques ; l’étatisation et l’absolutisme, notamment en France et en Angleterre, font de la science un outil politique rapidement institutionnalisé, ce qu’elle n’était pas avant (Blay 1999, p. 5). Cette science classique a un défaut historiographique auquel il est difficile d’échapper, mais qui peut avoir du sens : c’est l’héroïsation des scientifiques qui la mènent et l’emmènent. On a un peu l’impression quand on aborde la question de la science classique que ces savants ont eu une illumination qui leur a permis de sauver leurs contemporains des ténèbres dans lesquels ils sombraient. C’est justement là tout le défi de la contextualisation et de l’approche externe prônée par la question : il s’agit de montrer à la fois l’origine de ces « découvertes » et leur ancrage dans une époque, face à des détracteurs potentiels, à des individus intéressés et ou adversaires des théories avancées. La notion de révolution scientifique relève un peu plus du mythe historiographique que de la simple appellation consensuelle (cf. supra). Or, c’est le XVIIe siècle qui est habituellement tenu pour le siècle de révolution scientifique de l’âge moderne. Cette révolution, ce serait une rupture décisive entre les formes de la pensée scientifique revêtues à la Renaissance et les formes qu’elle va revêtir au XVIIIe siècle. La science aristotélicienne aurait définitivement perdu de son prestige, déjà bien entamé. Les croyances un peu « merveilleuses » des cabinets de curiosités auraient laissé la place à une rationalité totale. Les Anciens ne seraient que très peu lus. Sur le plan de la méthode, l’expérience se serait imposée comme la voie royale de la constitution de la science. La science « connaissance » laisserait la place à une science « pratique », qui aurait pour but une transformation pratique de la nature par le biais de la technique et dans le sens d’une meilleure satisfaction des besoins humains. Cette vision des choses, désuète quand elle est contextualisée, doit être rappelée ici : elle pose encore son empreinte un peu partout dans les manuels et les ouvrages spécialisés (Romano 2015 ; Mazauric 2009, p. 101). D’où sa présence comme questionnement de cette seconde partie : le XVIIe siècle est-il à placer à part dans l’histoire des sciences ? Existe-t-il ne serait-ce que l’ombre d’une transformation profonde de la manière de faire et percevoir la science au XVIIe siècle ?

À l’origine de profondes mutations : le second XVIe siècle

Une Europe marquée par les ruptures confessionnelles (1520-1620) Le savoir officiel est profondément affecté par les bouleversements théologiques du XVIe siècle. Les réformes ouvrent un temps de doute et de remise en cause des vérités anciennes. Surtout, elles entraînent un processus de confessionnalisation des individus : concrètement, la religion tient une place beaucoup plus importante à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle qu’auparavant. Cette confessionnalisation est particulièrement marquée quand on regarde les clivages politiques de la période, avec les guerres de religion en France mais aussi des conflits européens à caractère confessionnel, comme la Guerre de Trente Ans. Les ruptures confessionnelles sont même marquées par l’essor (très relatif !) d’un mouvement d’incroyance en Europe. L’athéisme fait son apparition en Europe. Des pensées sceptiques sont développées par des auteurs savants, depuis Rabelais jusqu’à Descartes. Le dieu de ces hommes n’est plus tout à fait le même que celui de l’Église, ce qui leur vaut d’ailleurs des problèmes, ainsi Giordano Bruno Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés à l’époque moderne Synthèse chrono-thématique 40 avec l’Inquisition. L’émergence du scepticisme religieux, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, induit un lent processus de transformation des consciences, marqué par l’affirmation des courants libertins (cf. « Sciences, techniques et religion »). Côté catholique, la Réforme se matérialise par des effets différents, et parfois paradoxaux. D’un côté, la Réforme, retour au christianisme des origines, ne peut plus accepter certaines remises en question qu’elle aurait laissé passé auparavant. De l’autre, la Réforme tend à impulser une science compatible avec ses valeurs, surtout par l’intermédiaire des Jésuites et de leurs collèges. Ce que l’on peut voir alors comme une science d’Église est donc mue par deux mouvements parallèles, dont les orientations peuvent parfois diverger, mais globalement tout à fait compatibles aux yeux des contemporains. Plus en détails, les pères de la Réforme tridentine ont mené deux tâches, l’une doctrinale, l’autre réformatrice. L’œuvre doctrinale du Concile de Trente a été conçue essentiellement en réponse aux thèses protestantes. L’autorité du texte biblique est redéfinie, le contenu authentique en est fixé. La question de la traduction n’est pas particulièrement abordée, mais l’édition des Écritures doit s’accompagner d’une tradition non-écrite donc l’Église se fait le dépositaire. Le concile définit également les doctrines relatives au péché originel et à la justification, à la transsubstantiation et à la question des saints. Sur la plupart des questions doctrinales, le concile utilise successivement deux langages, qui se recoupent et se confortent. D’abord, il expose la doctrine catholique de manière didactique, en citant ses arguments scripturaires. Ensuite, reprenant les unes après les autres les propositions qui nient ce qu’il vient d’affirmer, le concile les condamne avec véhémence ; chaque canon rappelle la règle, mais aussi la punition en cas de refus de s’y plier. Sur le plan disciplinaire, c’est l’esprit surtout qu’il faut retenir. Le Concile de Trente réoriente toute l’institution ecclésiastique dans la perspective du salut des âmes. Le clergé est donc rappelé à sa tâche pastorale. Ensuite, le concile concentre toute cette mission pastorale entre les mains des évêques. Par là se dessine une pseudo défaite politique des ordres religieux, dont le statut dans l’Église a été confirmé en principe, mais dont l’action est davantage subordonnée à l’autorité des évêques (Mayeur, Pietri, Vauchez et Venard 1992, p. 241-247).

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