Utilisation des réseaux sociaux chez des adolescentes avec une anorexie mentale

Utilisation des réseaux sociaux chez des adolescentes avec une anorexie mentale

INTRODUCTION 

L’utilisation des réseaux sociaux (RS) est devenue l’activité la plus populaire auprès des adolescents (1) comparativement à l’utilisation des médias traditionnels tels que les magazines ou la télévision (2). Ainsi, parallèlement à l’augmentation exponentielle de l’utilisation d’internet et des moyens de connexion chez les adolescents français de 12 à 17 ans (3), le pourcentage de ces adolescents possédant un profil sur les RS a fortement et rapidement augmenté : de 23 % en 2003 à 77% en 2013 (4). Un réseau social peut être défini comme « une plateforme de communication en réseau dans laquelle les participants ont des profils identifiables uniques et peuvent interagir avec des flux de contenu générés par d’autres utilisateurs » (5). Chez les jeunes, les RS sont ainsi devenus un lieu privilégié pour la gestion des relations sociales et la construction identitaire adolescente passe maintenant par les interactions en ligne (6). Dans ce contexte de popularisation des RS, des auteurs se sont intéressés à leur retentissement sur la santé des adolescents (7), (8). Au niveau de la santé mentale globale tout d’abord, une augmentation des risques de dépression et de troubles anxieux (9) ainsi qu’une altération de la quantité et la qualité du sommeil (10) sont décrites lorsque le temps d’utilisation des RS est important. Cet hyper investissement a soulevé la question de l’existence d’une « dépendance » à Internet ou aux RS (4). Les terminologies du type usage excessif ou usage problématique d’Internet (UPI) sont préférables à celles de dépendance ou d’addiction car il n’y a pas de consensus international sur le concept d’addiction à Internet au sein de la communauté scientifique (11). Plusieurs travaux ont été effectués depuis une vingtaine d’années pour confirmer l’existence d’UPI (12) ou des RS (13). Chez les adolescents, l’utilisation problématique d’Instagram est montrée associée à la solitude, la dépression, l’anxiété généralisée/sociale ; et l’insatisfaction corporelle médie en partie ces associations (14). De plus, la nature personnalisée et les possibilités accrues d’interactions entre pairs sur les RS 4 semblent expliquer le lien plus fort entre l’insatisfaction corporelle et les RS qu’avec les médias traditionnels (8). Enfin, le fait d’exposer et d’être exposé massivement à des photos du corps sur les RS semble pouvoir induire une insatisfaction corporelle ou des altérations des habitudes alimentaires jusqu’à l’apparition possible d’un trouble du comportement alimentaire (TCA) (15), (16). Parmi les TCA, l’Anorexie Mentale (AM) concerne 1% des filles et 0,03% des garçons entre 12 et 17 ans (17). Du fait de ses complications somatiques graves et de son taux de suicide élevé, elle reste le trouble psychiatrique le plus mortel avec un taux de décès à 1% par année d’évolution de la maladie (18). Outre une peur intense de prendre du poids malgré un poids insuffisant ; une faible estime de soi et une distorsion de l’image corporelle, appelée également dysmorphophobie, caractérisent ce TCA. Concernant les liens entre RS et risque de TCA, l’hypothèse principale a longtemps été que les comportements des adolescents sur les RS pouvaient affecter l’image corporelle et prédisposer à des TCA (15), (19) mais Casili et Tubaro en 2016, ont relativisé cet effet (20). Si on s’intéresse ensuite, aux liens des adolescents souffrant d’AM avec les RS, il faut évoquer les sites « pro ana », espace dans lequel ils interagissent avec leurs pairs. Ces dernières années, la communauté « pro-ana » a migré des sites Internet, statiques et fortement modérés vers des plateformes plus visuelles, plus ouvertes et plus difficiles à modérer (Facebook, Instagram, Snapchat) (21). Casilli et Tubaro, en 2016 (20) observaient également que les adolescents atteints d’un TCA avaient une utilisation dynamique et non statique des RS c’est à dire qu’ils changeaient d’attitude à l’égard de la maladie et du contenu en ligne en fonction des stades de leur maladie et de leurs motivations. Ainsi, leurs activités variaient de la recherche d’informations, à la consultation passive des contenus en ligne liés aux TCA, à la participation active sur les RS et jusqu’à la recherche de soins. En outre, certains patients ont pu déclarer que l’utilisation des RS remettait en question leur processus de rétablissement car certains RS 5 mémorisaient leurs comportements en ligne précédents et proposaient alors un contenu personnalisé indésirable puisque le processus de la maladie, est également dynamique et non statique (22). S’il est ainsi aisé de comprendre que les liens entre AM à l’adolescence et RS sont complexes, de nombreux aspects de ces liens restent encore insuffisamment documentés. Ainsi les liens entre les caractéristiques cliniques des adolescentes avec AM et le type de réseau social utilisé, le temps d’utilisation, le nombre de correspondants et le caractère problématique de cette utilisation ainsi qu’avec les activités pratiquées, n’ont pas à notre connaissance encore été explorés. Parmi ces caractéristiques cliniques, les symptômes spécifiques de l’AM, les troubles du sommeil (23), la dépression (24) et les troubles anxieux (25) seront particulièrement investigués. 

MATERIELS ET METHODES

 Participants

 Nous avons étudié 131 adolescentes, âgées de 11 à 18 ans, souffrant d’AM et prises en charge en ambulatoire ou en hospitalisation à temps plein au Centre Hospitalier Universitaire Salvator à Marseille (France) de mars 2019 à mars 2022. Un total de 162 adolescentes a été évalué au cours de cette période, mais seules 140 ont complété la totalité des évaluations et questionnaires sur les conduites alimentaires, le sommeil, l’anxiété et la dépression. Nous avons décidé d’exclure les 9 garçons car ce petit échantillon n’était pas significatif pour être étudié séparément et que les différences de comportement vis-à-vis des RS décrites entre filles et garçons ne permettaient pas d’étudier un échantillon mixte. 

 Procédure 

Le diagnostic d’AM a été posé par un psychiatre spécialisé dans les TCA, selon les critères de la 5eme édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). L’évaluation initiale de l’adolescente à l’hôpital a permis de recueillir des données cliniques (sexe, âge, IMC) ainsi que psychométriques. Le consentement éclairé des participantes et de leurs parents a été obtenu pour tous au moment de l’expérimentation. Celle-ci était conforme à la Déclaration d’Helsinki et les procédures expérimentales ont été approuvées par le Comité d’éthique d’Aix-Marseille Université (Numéro d’approbation 2020-10-08-001) et par le règlement général sur la protection des données. L’évaluation de l’utilisation des RS a été réalisée par un questionnaire média, formulé à partir de plusieurs autres questionnaires. Une première partie recueille la durée d’utilisation et le nombre de correspondants par jour (en semaine et week-end) sur différents RS au cours des quatre dernières semaines. Nous avons calculé une durée moyenne d’utilisation et un nombre moyen de correspondants par jour en additionnant les données des différentes plateformes. Nous avons différencié 4 groupes de patients en fonction de leur durée moyenne d’utilisation journalière des RS (<1h ; de 1h à <3h ; de 3h à <5h ; >=5h) à l’image de Kelly et al en 2018 (26). Une deuxième partie s’intéresse à l’intensité d’utilisation des RS dans différentes activités que peut pratiquer l’adolescente sur ces plateformes. En l’absence d’échelle française validée, nous avons utilisé une traduction française de l’échelle SNAIS (27), composée de quatorze items notés sur 5 points et de deux sous-échelles : « Intensité d’utilisation des fonctions sociales (SFUI) » et « Intensité d’utilisation de la fonction divertissement (EFUI) ». Une troisième partie évalue l’UPI via le questionnaire PIUQ12, adaptation française validée du Problematic Internet Use Questionnaire (PIUQ) (28). Il comporte douze questions explorant quatre dimensions : les conséquences négatives, l’auto contrôle, le sevrage psychologique et les préoccupations de l’utilisateur d’Internet sur les 7 jours précédents (29). Les réponses suivent une échelle de Likert 7 en 6 points. Le score total permet d’indiquer s’il existe un UPI et son intensité : usage abusif ≥ 42 et tendance addictive si ≥ 52. Plus le score total est haut, moins les capacités d’autocontrôle sont mobilisées, et plus les conséquences négatives, les signes de sevrage psychologique et les préoccupations liées à Internet sont présents chez le patient. La symptomatologie alimentaire a été évaluée par l’ Eating Disorder Inventory 2 (EDI-2) (30), un auto questionnaire comportant 91 items cotés selon une échelle de Likert en 6 points et évaluant les attitudes et comportements alimentaires. Nous avons calculé un score EDI-2 total, correspondant à la somme des scores des différentes dimensions. Un score plus élevé indique une psychopathologie alimentaire plus importante (31). Le Body Shape Questionnaire (BSQ) (32) a permis d’évaluer l’insatisfaction corporelle et les préoccupations envers le poids et la forme du corps. Cette auto-évaluation de 34 items est validée en français (33), (34). Les éléments dépressifs ont été évalués par la Children’s Depression Inventory (CDI) (35), une auto-évaluation constituée de 27 items côtés de 0 à 2 et validée chez l’enfant et l’adolescent ainsi qu’en français (36). Le seuil pathologique est à 15. Nous avons également utilisé la State-Trait Anxiety Inventory (STAI-Y), une échelle d’autoévaluation de l’anxiété (37) qui a été adaptée en français (38). Elle se décompose en deux souséchelles de 20 items chacune, l’Anxiété-Trait et l’Anxiété-État. Les scores observés pour les deux sous échelles varient entre 20 et 80. Le sommeil a été évalué par le Pittsburg Sleep Quality Index (PSQI) (39), un auto-questionnaire évaluant la qualité et les troubles du sommeil sur une période d’un mois. Dix-neuf éléments génèrent des scores à 7 composantes : qualité subjective du sommeil, latence du sommeil, durée du sommeil, efficacité du sommeil habituel, perturbations du sommeil, utilisation de somnifères et dysfonctionnement diurne. L’Insomnia Severity Index (ISI) (40), ensuite, comprend 7 items évaluant la gravité des difficultés d’endormissement et de maintien du sommeil, la satisfaction à l’égard de la structure actuelle du sommeil, l’interférence avec le fonctionnement quotidien, 8 la perceptibilité de la déficience attribuée au problème de sommeil et le degré de détresse ou d’inquiétude causé par le problème de sommeil. Chaque élément est évalué sur une échelle de 0 à 4, le score total allant de 0 à 28. Un score plus élevé suggère une insomnie plus sévère.

Table des matières

TABLE DES ILLUSTRATIONS
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
Participants
Procédure
Analyses statistiques
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ABREVIATIONS

projet fin d'etude

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