Analyse des modifications apportées par l’avant-projet de réforme du livre 1er du Code pénal

HISTORIQUE

A.- LA LOI LEJEUNE DU 31 MAI 1888 En 1888, sur initiative du ministre de la justice Jules Lejeune, la Belgique a introduit dans son système pénal la libération conditionnelle et la condamnation conditionnelle1. Cette loi représentait une grande innovation pour l’époque car elle fut la première à instaurer la condamnation conditionnelle – qui est en réalité l’ancêtre du sursis à l’exécution des peines que nous connaissons actuellement – sur le continent européen. Elle fut d’ailleurs source d’inspiration pour nos chers voisins français, qui adoptèrent le 26 mars 1891 une loi communément appelée la loi Béranger introduisant aussi le sursis dans leur système pénal2. L’objectif de cette loi était de lutter contre les courtes peines qui sont bien souvent nuisibles et inefficaces3. Les travaux préparatoires dénonçaient par exemple les effets néfastes de l’incarcération tels que le déshonneur devant les proches, la perte d’estime de soi-même, la ruine financière prédisposant à la récidive4. De plus, les travaux préparatoires remarquèrent que tous les délinquants, aussi différents soient-ils, subissaient le même traitement : la condamnation pure et dure5.

Or, pour certains délinquants primaires et occasionnels débutant dans la délinquance, il y avait des raisons de croire que ceux-ci ne récidiveraient pas et ce même sans avoir subi de peine et que donc un emprisonnement se révélerait inutile et inefficace6. Dans ce cas, il serait judicieux de les laisser en liberté afin d’éviter les effets négatifs de la prison7. Comment accepter cette pratique nouvelle qui s’écartait totalement des traditions judiciaires de l’époque ? Le législateur raisonna ainsi : mieux vaut « donner au jugement le caractère d’une menace » lorsque cette menace constitue une répression suffisante8. C’est ainsi que les cours et tribunaux furent autorisés à prononcer le « sursis-faveur »9 à l’exécution des peines lorsqu’ils prononçaient une peine ne dépassant pas six mois d’emprisonnement et que le condamné n’avait encouru aucune condamnation antérieure10. Dans ce cas, la condamnation était considérée comme non avenue pour autant que de nouveaux faits ne soient pas commis durant un délai fixé par le juge11.

B.- LOI DU 14 NOVEMBRE 1947 Après une période d’adaptation à la condamnation conditionnelle, les magistrats étaient unanimes quant aux bienfaits de ce système dont s’était dotée la Belgique une cinquantaine d’années plus tôt12. Suite à ces résultats positifs, il semblait indispensable d’élargir les horizons et la portée du sursis. La loi du 14 novembre 1947 donne alors un nouveau souffle au « sursis- faveur » en élargissant son champ d’application13 ; dorénavant, il pourra être accordé lorsque le juge prononce une peine d’emprisonnement qui n’excède pas deux ans, même si le délinquant a déjà été condamné auparavant à une peine d’emprisonnent inférieure à trois mois14. Il convient de remarquer que ces innovations ne sont pas dans le prolongement de la pensée des initiateurs de la loi de 1888. En effet, originellement, Monsieur Lejeune souhaitait voir le sursis s’appliquer uniquement aux courtes peines et aux délinquants commettant une infraction pénale pour la première fois15.

En réalité, une nouvelle aspiration et un nouvel objectif semblaient s’être dégagés de la pratique : l’individualisation de la peine. Or, adapter une peine au délinquant et à sa responsabilité personnelle était de l’ordre de l’impossible avec des conditions d’octroi de sursis telles qu’elles l’étaient à l’époque16. De manière récurrente, les praticiens du droit se trouvaient face à un dilemme : soit ignorer la gravité du fait et prononcer une peine inférieure à six mois afin de pouvoir faire application du sursis, soit respecter la gravité de l’infraction tout en privant un homme parfois amendable de la mesure de faveur17. De plus, trop souvent, les magistrats se voyaient dans l’impossibilité de prononcer un sursis à cause de condamnations légères antérieures dans le chef du condamné alors qu’il était évident que ces condamnations n’étaient pas significatives d’un profil de délinquant18. Ce sont ces difficultés qui ont poussé à l’élargissement du champ d’application du sursis, les travaux préparatoires concluant que : « À notre sens, rien ne doit être plus souple que la loi pénale parce que rien n’est plus varié ni relatif que la responsabilité des hommes19».

1) Les projets de 1948 et de 1952 Ces deux premiers projets présentent beaucoup de similitudes. Ils aspirent tous les deux à élaborer et à aménager le sursis prévu par loi Lejeune de 1888. En effet, il y était prévu que le juge puisse imposer à la personne bénéficiant du sursis, des conditions individualisées qu’il aurait à respecter sous peine de déchéance de la mesure de faveur. Le but de cet aménagement était d’une part, de pouvoir surveiller le délinquant et d’autre part, par le biais du respect des conditions, de l’encourager à s’amender et à se réintégrer dans la société, plutôt que de le laisser simplement en liberté, voué à lui-même, comme c’était le cas auparavant20. Afin d’opérer la transition du « sursis-faveur » de 1888 au « sursis-surveillé », les projets prévoyaient aussi de nouveaux concepts et institutions. On permet au magistrat de procéder à une enquête sociale afin de mieux comprendre le comportement et le milieu de vie de l’inculpé De telle sorte, le juge mieux informé est plus à même de prononcer une peine et des conditions adéquates et individualisées au cas d’espèce21.. Ensuite, ces projets signent aussi la création des agents de probation chargés de surveiller les condamnés durant leur délai d’épreuve et des commissions de probation22.

Ces commissions ont un rôle crucial : il s’agit d’organes de surveillance qui, en outre, en se basant sur des rapports réguliers rédigés par les agents de probation, ont le pouvoir de modifier, d’aménager ou même de suspendre les conditions assorties au sursis23. Ces deux premiers projets entendaient introduire dans le droit belge le système de « probation » existant dans le droit anglo-saxon. Lors des discussions à propos de leur adoption, beaucoup soulignèrent la timidité et le manque d’ambition de cette réforme. De fait, en plus de la « probation », le système anglo-saxon connaissait une autre institution permettant le reclassement des délinquants : le binding over (ou recognizance), autrement dit la suspension du prononcé24. La Commission de la Justice estimait qu’il s’agissait là de « l’aspect essentiel de la méthode anglo-saxonne » et souhaitait vivement que la suspension soit intégrée dans la réforme proposée. Malheureusement, à cette époque, le Gouvernement n’avait pas jugé bon de l’adopter de peur de bouleverser nos traditions et nos habitudes judiciaires25. Pour cette raison ainsi que pour cause de caducité suite à la dissolution des Chambres pour le projet de 195226, ces projets n’ont pas abouti et ont été retravaillés de façon conséquente ultérieurement.

2) Le projet final de 1956 Ce projet, déposé devant le parlement le 20 novembre 195627, et beaucoup plus audacieux que les deux précédents, répond aux critiques émises par la Commission28, et prévoit enfin l’introduction de la suspension du prononcé de la condamnation et de la probation dans le cadre légal belge, toutes deux inspirées du système anglo-saxon29. Ce projet s’articule comme suit : le sursis et la suspension cohabiteront et seront régulés par le même texte30. La suspension peut être définie comme un « avertissement solennel qui fera comprendre au délinquant à la fois la portée de la faveur dont il bénéficie et la précarité de celle-ci au cas où il s’en montrerait indigne »31. Ces deux mesures pourront être accompagnées de mesures probatoires si nécessaire. En effet, sans dénigrer le succès connu par le « sursis-faveur », il faut reconnaître que laisser un ancien délinquant en liberté, sans aucune contrainte ni limitation est très optimiste et ne permet aucune rééducation sociale de ce dernier. La situation antérieure à ce projet était assez paradoxale : la seule mesure permettant de soumettre un délinquant à une rééducation était la prison, alors qu’au contraire, depuis 1888, l’objectif était de l’éviter pour les courtes peines afin de ne pas être confronté à tous les effets négatifs qu’un emprisonnement pouvait engendrer32.

Table des matières

INTRODUCTION
I.- PREMIERE PARTIE : APERÇU HISTORIQUE
A.- LA LOI LEJEUNE DU 31 MAI 1888
B.- LOI DU 14 NOVEMBRE 1947
C.- LA LOI DU 29 JUIN 1964
1) Les projets de 1948 et de 1952
2) Le projet final de 1956
II.- DEUXIEME PARTIE : DROIT POSITIF
A.- LA SUSPENSION DU PRONONCE
1) Notion
2) Conditions
a) L’accord de l’inculpé ou du prévenu
b) L’infraction doit être déclarée établie
c) Critère de gravité des faits
d) Antécédents judiciaires
e) Cas particulier de la suspension prononcée par une juridiction d’instruction
3) Effets
B.- LE SURSIS A L’EXECUTION DES PEINES
1) Notion
2) Conditions
a) Antécédents judiciaires
b) Gravité des faits
c) Une condamnation
3) Effets
C.- LA PROBATION
D.- LA REVOCATION DU SURSIS ET DE LA SUSPENSION DU PRONONCE
1) Introduction
2) Révocation du sursis
3) Révocation de la suspension du prononcé
E. APERÇU DU SYSTEME JURIDIQUE ANGLAIS
1) Mesures analogues au sursis et à la suspension du prononcé belges
a) Sursis au prononcé de la peine
b) Sursis à l’exécution de la peine
c) Sursis au verdict sur la peine
2) Particularité procédurale : la césure du procès
III.- TROISIEME PARTIE : AVANT-PROJET DE REFORME DU LIVRE 1ER DU CODE PENAL
A.- INTRODUCTION
B.- MODIFICATIONS APPORTEES AU REGIME DU SURSIS A L’EXECUTION DE LA PEINE
1) Introduction
2) Analyse des modifications apportées par l’avant-projet de réforme du livre 1er du Code pénal
a) Suppression d’exigences relatives aux condamnations antérieures
b) Modification du régime de la révocation du sursis
c) Transfert des compétences des commissions de probation au tribunal de l’application des peines
C.- MODIFICATIONS APPORTEES AU REGIME DE LA SUSPENSION DU PRONONCE
1) Critiques émises par le projet de réforme à propos de la suspension
2) Suppression de la suspension simple au profit de la déclaration de culpabilité
a) Notions
b) Comparaison entre la simple déclaration de culpabilité et la suspension du prononcé simple
c) La déclaration de culpabilité dans l’avant- projet de réforme du livre 1er du Code pénal
3) Suppression de la suspension probatoire au profit de la peine de probation autonome
a) Notions
b) Comparaison entre la peine de probation autonome et la suspension probatoire
c) La peine de probation autonome dans l’avant-projet de réforme du livre 1er du Code pénal
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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