Approche historique des identités montagnardes à travers les mobilités professionnelles et familiales

Approche historique des identités montagnardes à
travers les mobilités professionnelles et familiales

– L’historiographie alpine Au carrefour de la géographie, l’histoire et l’anthropologie C’est bien aux carences de l’histoire de la province que la Nouvelle Histoire du Dauphiné publiée en 2007 par les historiens de l’UPMF avec la collaboration de la Bibliothèque Municipale de Grenoble et le Musée Dauphinois, a fourni l’occasion à ses auteurs de remédier, notamment pour les XIXe et XXe siècles45 tout en faisant le tour des grandes questions spécifiques de l’Histoire Alpine et de leur évolution dans le temps long : celle des frontières et des recompositions territoriales, des cadres sociaux et des reconversions économiques et sociales. Cet ouvrage établit donc un lien fondamental entre l’histoire régionale traditionnelle et l’état des recherches et des questionnements les plus actuels, en nous confortant dans la nécessité d’interroger toujours de manière réversible, la mémoire recensée au présent et le passé des populations installées dans ces espaces montagnards, mise en perspective qui revient également à se faire une idée de l’avenir tel qu’il s’est profilé pour ces populations au fil des générations. Nous aurons l’occasion de revenir à quelques unes des contributions de cette Nouvelle Histoire du Dauphiné lors de la présentation du cadre de la chaîne ou massif de Belledonne. L’objet « paysage » entre nature et culture Pour les historiens comme les géographes, le paysage et en particulier le paysage rhône alpin est donc bien cet objet intermédiaire composite, fait de nature et de culture, qui permet (comme artefact ?) de penser ou d’interpréter la physionomie d’un territoire en l’articulant à son histoire, à la façon dont les hommes l’ont occupé en le transformant dans la longue durée. Dans leur présentation du colloque sur le paysage et l’identité qui eut lieu à Valence en 199746, Chrystèle Burgard et Françoise Chenet » évoquent ce « dur désir de durer » qui peut toucher à la fois au sublime et à l’ordinaire, et n’y vont pas par quatre chemins pour planter le cadre de la problématique actuelle. « C’est peu de dire que le paysage est devenu un enjeu de société, miroir de notre civilisation; il est traversé comme elle de crises diverses -perte des repères, éclatement de l’espace, fragmentation et dispersion du tout, mort annoncée du sujet qui entraînerait celle du paysage, de toute façon atteint en tant que représentation, par la crise de la perspective… doublement menacé par la dégradation des entrées de villes, les transformations de l’agriculture, le développement des transports…un tableau apocalyptique qui contraste avec le discours euphorique de la publicité touristique et les nostalgies romantiques… » D’après la géographe Anne Sgard47 « aborder le paysage par l’analyse des représentations déplace l’objet. Ce n’est plus le territoire que l’on analyse mais les discours sur le territoire au sens le plus large du terme (oral, écrit, iconique). Ces discours amènent à se plonger dans l’imaginaire du promeneur, dans la subjectivité de l’usager quotidien, dans les rêves du touriste… » Denis Bonnecase va dans ce sens quand il préface La Montagne dans tous ses états48, un ouvrage collectif de doctorants grenoblois consacré aux représentations culturelles en Rhône-Alpes, dont les objectifs décloisonnés reflètent cet appétit interdisciplinaire suscité par l’histoire alpine : « La montagne a une histoire, et la manière dont on la perçoit au cours des siècles relève puissamment de l’imaginaire tout en suscitant sa résilience… L’homme en effet, façonne l’espace montagneux en un espace montagnard (dès l’âge du fer ne l’habite-il pas ?) il le pense et l’organise, en arpente et en explore les étendues sauvages mais aussi l’adapte et le transforme, tout en conservant le mystère qui nourrit ses rêveries et ses mythologies. » Comme l’indique le titre de cet ouvrage, les contributions y sont extrêmement variées et passent allègrement d’une époque, d’une montagne et d’un thème à l’autre, en livrant des regards inédits. Ainsi concernant la montagne au passé, la Chartreuse et son identité sacrée qui trouva signification à l’exploitation des ressources pour conditionner son existence de lieu contemplatif. Concernant la montagne au futur, une vision prospective du développement de l’urbanisation de la vallée du Grésivaudan des années 1970 aux années 2030-40 par Yann Kohler Penser et organiser l’espace vers des territoires interconnectés ; ou la montagne hors du temps, onirisme et imaginaire par Marie-Jeanne Mathelet Carle qui évoque le Locus Terribilis, milieu terrestre extrême décrit par Giono et Charles Ferdinand Ramuz. Toutes ces communications font état de diverses expériences pour habiter la montagne et y vivre de manière « socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comportent normalement le risque grave d’une issue négative » Depuis la question élargie des risques, qu’ils soient naturels ou sociaux jusqu’à diverses formes de résistance (à l’occupation allemande, à la globalisation des économies et des discours) la notion  à 34. 48 36 de résilience apparaît dans tous les cas comme une composante caractéristique de l’histoire des hommes dans l’espace montagnard49. De la spécificité montagnarde Cette question de la spécificité montagnarde autour de laquelle travaillent régulièrement les historiens du LARHRA grenoblois a été posée dans un dossier Montagnes sur les représentations et appropriations, entre autres par l’historien suisse Jon Mathieu50 qui se penche sur les conditions historiques de cette spécificité, sur la mesure de l’espace et des indicateurs de productivité, en reprenant la vision du géographe qui « met bien souvent en exergue l’adaptation de l’homme à la nature alpine ». Car enfin, sans aller jusqu’à sacrifier au déterminisme, il faut bien poser la contrainte physique et matérielle comme une donnée fondamentale du milieu montagne. Toute la question est de savoir comment les hommes vont se tirer de ces défis, ce pourquoi ils désertent ou occupent tels ou tels espaces et comment d’un point de vue historique, « l’adaptation s’effectue en quelque sorte sur elle-même, au fil du temps ». Laurence Fontaine51, spécialiste de l’histoire du colportage et des migrations alpines s’est aussi penchée de manière récurrente sur ces spécificités montagnardes qui depuis l’aspect économique l’ont d’ailleurs amenée à se tourner plus récemment vers l’histoire du commerce (enseignement à l’École Normale Supérieure et l’EHESS). Dans un dossier de la Revue d’histoire moderne et contemporaine où elle étudie les migrations de travail à travers le monde, elle met précisément en avant l’importance de la connaissance économique de l’origine des réseaux montagnards pour lutter contre ce préjugé bien établi selon lequel la montagnes serait « Lieu de l’immobile, conservatoire de religions et de coutumes » ou « l’équivalent européen des « peuples sans histoire ». Elle souligne également que le fait de repérer ailleurs les mêmes caractéristiques que celles de la montagne –notamment en zones de rupture écologique (bords de mer et confins du désert)– n’implique pas que des mises à jour locales soient inutiles ou sans intérêt d’un point de vue heuristique. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de prouver le caractère exceptionnel d’un phénomène pour que son étude plus approfondie serve les sciences humaines à travers la connaissance historique. Nous faisons le choix de nous caler sur cette posture raisonnée et cohérente développée par ailleurs par les historiens grenoblois. La question posée par Laurence Fontaine en particulier, est de savoir si l’espace montagnard, abordé le plus souvent par les thèmes de la famille et de l’émigration, imposerait des modalités spécifiques au peuplement, en reconsidérant les migrations « comme une partie intégrante des sociétés et pas seulement comme une soupape régulatrice de la relation des hommes et des ressources ». Immobilisme et mobilités, retard et progrès Le chercheur se trouve face à une série d’associations de paramètres dont le contour n’est pas facile à circonscrire. L’immobilisme doit-il être associé au retard, et les mobilités au progrès ? Peut-il y avoir synchronie ? Proposer l’écoute des dires et la lecture des faits revient alors à se mettre en posture d’apprécier des valeurs subjectives. C’est toute une conception d’un progrès de la civilisation posé comme un idéal absolu au terme d’une historicité linéaire, qui est ainsi questionnée et remise en cause dans Les cahiers du monde alpin et rhodanien, Revue régionale d’ethnologie52. Dans une série d’articles traitant chacune d’une problématique particulière du XVIe siècle à l’an 2000, les auteurs s’opposent à la vision caricaturale d’un prétendu enfermement rural et montagnard générateur de « crétins des Alpes », calqué sur la fermeture géographique de l’horizon des vallées ; ou à une certaine forme de survalorisation de l’arrière-pays détaché de toutes ses formes intermédiaires54. Cette vision du progrès et du retard participe d’une sélection des valeurs éditées en divers lieux centraux, sélection qui peut contribuer à fabriquer localement des figures de notables, plus ou moins imposées dans le paysage économique et culturel, comme celle de l’ingénieur moderne opposée au montagnard attardé55. Elle rend ainsi obsolètes des pans entiers de culture ancestrale, dont le deuil finit par s’imposer comme une chape sur des populations qui jusqu’à des époques variables, se montraient plus sensibles au renouvellement des saisons qu’à l’historicité de leurs sociétés56. Cette évaluation d’un seuil de prise de conscience invite bien sûr à se poser de nombreuses questions sur les sociétés et espaces concernés.

Table des matières

PARTIE 1 – LES SOCIABILITÉS MONTAGNARDES, ENTRE L’HISTOIRE DES REPRÉSENTATIONS ET LA
CONSTRUCTION TERRITORIALE
Chapitre 1 – Mentalités et représentations culturelles, le risque de l’éparpillement ?
Un siècle de mutations favorable aux mentalités
Orientations universitaires
La source judiciaire et la source orale, dépositaires de la parole ordinaire
Les questions d’échelle
Chapitre 2 – L’historiographie alpine
Au carrefour de la géographie, l’histoire et l’anthropologie
L’objet « paysage » entre nature et culture
De la spécificité montagnarde
Immobilisme et mobilités, retard et progrès
Chapitre 3 – Les différents visages du patrimoine
Des biens, des valeurs et de l’appartenance
Patrimoine et territoire
L’individu au cœur du changement
Des liens entre patrimoine et démocratie
PARTIE 2 – DES MATÉRIAUX POUR L’ÉTUDE DES SOCIABILITÉS
Chapitre 4 – La documentation officielle des structures de développement
La communauté de communes du Balcon de Belledonne
L’Espace Belledonne, un type d’archives très particulier, bonne matière première pour une étude de sciences politiques
Le Pays du Grésivaudan.
Chapitre 5 – Les ouvrages d’histoire locale, une mine d’informations de proximité
Paul Perroud à La Combe de Lancey : deux ouvrages de références
« Laval autrefois, histoire d’une commune de Belledonne en Isère »
Georges Salamand et les industries de la région d’Allevard
Chapitre 6 – Les archives écrites : traces distanciées de l’existence et des activités
Trois types d’archives
Méthode d’approche face à des sources pléthoriques
Chapitre 7 – Les sources orales
Les archives locales
Récits de vie d’habitants, le corpus « identités montagnardes » élaboré pour cette recherche
Récits et témoignages de mobilités montagnardes extérieures à Belledonne
Entretiens réalisés en vallée du Grésivaudan
PARTIE 3 – BELLEDONNE COMME ELLE SE PRÉSENTE
Chapitre 8 – Un espace intermédiaire (physionomie, axes et pôles)
Belledonne, une montagne à part ?
Le choix du cadre et de l’échelle
Découpages territoriaux et logiques de vallées
Chapitre 9 – L’histoire transmise ou les lieux communs
Activités économiques anciennes et actuelles
Mémoire villageoise et pratiques rurales
Espaces résidentiels et navetteurs
La gestion de l’espace par étages, reflet des réseaux
PARTIE 4 – ANALYSE COMPARATIVE DES MATÉRIAUX ET DES REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES
Chapitre 10 – À l’entresol
Chapitre 11 – Problèmes de méthode pour traiter la diversité
Chapitre 12 – Permanences patrimoniales et construction territoriale
Comment opère la sélection des valeurs ?
Glissements progressifs vers la rurbanité
Chapitre 13 – Retrouver la dualité par le démontage des représentations
Dissocier pour mieux comprendre
De l’analyse critique
Repositionnement des acteurs
Chapitre 14 – La mobilité pour interroger le relativisme des valeurs
Origines et parcours /Déroulé diachronique des récits de vie
Hier et aujourd’hui, des exemples de mobilités montagnardes extérieures à Belledonne
Chapitre 15 – L’opérationnalité identitaire dans le présent du territoire
Quelle modernité pour la montagne ?
La quête du chercheur et de l’historien entre acteurs et experts

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