Dématérialisation du circuit des chimiothérapies

Dématérialisation du circuit des chimiothérapies

Contrôles « in process »

Les contrôles dits « in process » sont réalisés au cours de la fabrication, ils permettent de s’assurer de la conformité de celle-ci et d’intercepter les éventuelles non-conformités avant la fin de la fabrication, évitant ainsi une nouvelle fabrication en cas de non-conformité.

Le double contrôle visuel

Le contrôle visuel représente le premier niveau de contrôle de qualité recommandée par l’ANSM et l’ASHP (American Society of Health-system Pharmacists) [15] pour la réalisation des préparations de cytotoxiques. C’est une méthode de contrôle simple qui fait intervenir une personne qualifiée autre que le manipulateur. Son rôle est d’observer les étapes critiques réalisées par le manipulateur au cours de la fabrication et de vérifier la concordance des différentes étapes par rapport à celles décrites dans le mode opératoire de la fabrication. Le double contrôle visuel permet d’effectuer un contrôle qualitatif par reconnaissance visuelle des flacons de principe actif et de solvant ainsi qu’un contrôle quantitatif par reconnaissance visuelle des volumes prélevés. La traçabilité du contrôle est effectuée par la signature manuscrite ou informatique de la personne en charge du double contrôle. Cette méthode présente l’avantage d’être simple et adaptée à tout type de préparation, elle ne nécessite pas de matériel supplémentaire, mais l’inconvénient majeur est le facteur humain qui impacte la robustesse et la fiabilité de la méthode. En effet, il existe des limites inhérentes à l’humain, comme la lecture des petits volumes dans une seringue [16] ou la capacité à maintenir son attention en étant occupé à ses propres tâches [17]. La disponibilité en temps humain reste également un facteur limitant pour ce type de contrôle toute au long du process de préparation. 25 

Le contrôle gravimétrique

Cette méthode de contrôle repose sur la comparaison de la pesée obtenue à celle de la pesée attendue. La connaissance de la densité du cytotoxique est donc indispensable afin de définir un poids théorique. Elle s’effectue à l’aide d’une balance électronique qui est positionnée à l’intérieur de l’isolateur (ou sous hotte si préparation sous hotte à flux laminaire). Le contrôle gravimétrique peut être réalisé à la fin de la préparation, il est donc prélibératoire. La pré-libération permet de vérifier la concordance du poids théorique à celle du poids obtenu en ne prenant en compte que la masse de principe actif (cytotoxique, anticorps…) ajoutée. L’obtention du poids final doit tenir compte de plusieurs paramètres : – Le poids du contenant (poche, diffuseur, seringue, casette), – Le poids du solvant de dilution, – Le poids du perfuseur ou du prolongateur, – Le poids du dispositif de sécurisation le cas échéant, – Ensuite une tare de l’ensemble doit être effectuée. Le volume de principe actif souhaité est alors prélevé puis ajouté au solvant de dilution et pesé. L’étiquetage peut être réalisé avant ou après l’injection du principe actif selon les procédures locales. Dans le premier cas, le poids de l’étiquette sera donc compris dans la tare. Le contrôle gravimétrique peut être effectué tout au long de la préparation, à l’aide d’un assistant numérique. Le système CATO® (Computer Aided Therapy of Oncology) est une version informatisée du contrôle gravimétrique (couplé à un contrôle vidéonumérique) qui permet une assistance du préparateur tout au long de la fabrication. En effet, l’ensemble du processus de préparation est contrôlé et validé étape par étape. Il s’agit d’étapes limitantes car l’absence de validation d’une de ces étapes entraîne un blocage du processus de préparation. Dans la plupart des cas, l’utilisateur ne doit pas envoyer de commande à l’ordinateur, un processus de préparation efficace et rapide est ainsi garanti. D’une part, ce contrôle gravimétrique 26 permet de s’assurer que le volume adéquat a été prélevé, d’autre part une caméra permet l’identification du principe actif utilisé. D’après l’étude menée par Carrez L et al. [18], la méthode de contrôle gravimétrique permet la détection des erreurs de dose dans la totalité des cas avec une exactitude des doses mesurées équivalente à toutes les méthodes de contrôle (p = 0,63 Kruskal-Wallis). Le système CATO® se présente comme une des méthodes de référence du contrôle gravimétrique. Ce contrôle est réalisable grâce à l’interfaçage du système avec le logiciel de préparation dans le cadre d’une préparation assistée par ordinateur. 

Le contrôle vidéonumérique

C’est une méthode qui repose sur le contrôle de la préparation par une ou plusieurs caméras. Le préparateur bénéficie d’une assistance vidéo tout au long de la réalisation de la préparation. C’est le centre hospitalier de La Rochelle qui est à l’initiative du projet de surveillance vidéonumérique le plus répandu, le système Drugcam® qui permet à l’aide de trois caméras situées à l’extérieur de l’isolateur, d’assister le préparateur en permanence avec un contrôle des points suivants : – L’identification des principes actifs par reconnaissance vidéo des flacons – La reconnaissance des volumes de seringues Ce système possède néanmoins des écueils. En effet, les médicaments expérimentaux conditionnés sous la forme de flacons ne sont pas présents dans la base de donnée et nécessitent un paramétrage manuel. De plus, le contrôle du volume final d’une seringue n’est pas toujours garanti. En effet, ce système ne fait pas la différence entre l’air et le principe actif incolore dans une seringue, la caméra ne se fiant qu’à la position du piston de la seringue. Enfin, les molécules colorées (ex : anthracyclines) constituent une difficulté de lecture, tout comme la lecture de volume prélevés dans les seringues opaques colorées résistantes aux UV. 

Le contrôle par Datamatrix

Le Datamatrix est un code matriciel bidimensionnel se présentant généralement sous la forme d’un carré. Il s’agit de la forme la plus utilisée car elle permet d’encoder le plus grand nombre de données selon la norme ISO/IEC 16022 [19]. Cette méthode repose sur la vérification du Code Identifiant de Présentation (CIP) 13 d’une spécialité afin de contrôler le nom du produit, le numéro de lot la date limite d’utilisation et ainsi assurer l’adéquation entre le flacon et la prescription. La méthode par contrôle Datamatrix a été évaluée au sein du Centre de Lutte Contre le Cancer Oscar Lambret de Lille et les résultats ont démontré un avantage certain en terme de sécurisation de la préparation des anticancéreux injectables [20]. En effet, d’après les résultats de l’étude portant sur la fiabilité de l’identification du flacon par code Datamatrix, sur 1400 préparations effectuées, aucune erreur de sélection du flacon n’a été relevée. Cependant, il existe un inconvénient non négligeable qui reste le ré-étiquetage manuel des flacons, le Datamatrix étant souvent présent sur le boitage des médicaments, mais plus rarement sur l’étiquette du flacon lui-même. Ce réétiquettage est une étape chronophage impliquant des ressources humaines supplémentaires et présentant un risque d’erreur important sur une étape critique du process de préparation. Une erreur peut entraîner la survenue d’une mauvaise identification du principe actif et par conséquent un blocage complet de la préparation ou l’administration de la mauvaise molécule à un patient. La majorité des flacons étant à ré-étiqueter, les laboratoires s’inscrivant dans une démarche d’étiquetage par Datamatrix devraient être préférentiellement sélectionnés lors de la mise en place d’un nouveau marché. Afin d’assurer le contrôle des solvants (de reconstitution, de dilution), la présence d’une identification Datamatrix devrait être privilégiée. A ce jour, aucun fabricant ne propose une identification complète (identité, date de péremption, numéro de lot) sur les poches de solvants utilisées disponibles sur le marché français (Avril 2020). En ce qui concerne l’identification des dispositifs utilisés (seringues, diffuseurs…), aucune identification fournie par le fabricant n’est disponible à ce jour (Avril 2020). 28 Tableau IV : Comparaison des types d’analyse des contrôles in-process Analyse Qualitatif Quantitatif Double contrôle visuel X X Contrôle gravimétrique X Vidéonumérique X X Datamatrix X 

Contrôles « post process »

Les contrôles dits « post-process » sont réalisés après la fabrication, ils sont couplés aux contrôles « in-process ». Ils permettent de s’inscrire dans un processus d’amélioration de la qualité d’une préparation via l’ajout d’un contrôle supplémentaire. I.3.2.1 Le contrôle analytique Le contrôle analytique permet le dosage quantitatif et qualitatif des préparations de chimiothérapie par l’identification du principe actif et la nature du solvant utilisé. Il est nécessaire d’effectuer un prélèvement sur le produit fini. I.3.2.1.1 La chromatographie : Le principe de la chromatographie repose sur la séparation des constituants présents dans un mélange par un phénomène de migration différentielle. Les deux techniques les plus utilisées sont : la chromatographie sur couche mince haute performance (CCMHP) et la chromatographie liquide à haute performance (CLHP). Elle permet d’une part, une analyse qualitative par l’identification des molécules en fonction de leur caractère physico-chimique via leur facteur de rétention, et d’autre part une analyse quantitative, grâce à la détermination du dosage par le calcul des aires des pics obtenus sur le tracé du dosimètre. 

Injection en flux continu ou FIA (Flow Injection Analysis)

Cette technique consiste en l’injection d’un petit volume (100 μl) d’échantillon dans un fluide en mouvement transporté vers un détecteur qui enregistre les variations des paramètres physico-chimiques. La détection du signal par absorbance UV (ultraviolet)-visible permet alors l’identification selon le temps de rétention et le profil d’absorbance par comparaison à une bibliothèque enregistrée au préalable dans l’automate. La validation s’effectue sur le produit fini, avant sa libération. Cette technique, nécessitant un personnel qualifié, permet l’identification et le dosage d’une majorité des molécules anticancéreuses mais souffre cependant d’un manque de spécificité. En revanche, il s’agit d’une méthode rapide (temps d’analyse d’environ 3 minutes) effectuée en circuit fermé limitant ainsi toute contamination chimique de l’opérateur. Le couplage à une méthode de séparation HPLC permet de contrôler une proportion plus importante de molécules mais rend l’ensemble beaucoup plus difficile à mettre en œuvre [21].

La spectrométrie

La spectrométrie repose sur l’étude des variations de grandeurs spectrales d’une molécule après son exposition à un rayonnement Elle va dépendre de l’absorbance, c’est-à-dire la capacité de la molécule à absorber les longueurs d’ondes. Il existe différentes méthodes en fonction du spectre utilisé pour analyser les préparations cytotoxiques : spectres de l’UV (185-400 nm), du rayonnement visible (400-700 nm), et de l’infrarouge (IR) (700-1500 nm). Les molécules absorbent les photons de la source lumineuse, l’énergie est alors captée par les électrons superficiels ce qui entraine une modification des états énergétiques. Le dosage par spectrophotométrie d’absorption repose du la loi de Beer-Lambert. L’intensité de la lumière monochromatique émise (I0) est connue. À partir de la mesure de l’intensité de la lumière transmise (I), l’appareil donne l’absorbance (A) selon la formule suivante : A = log(I0/I) 30 Il existe différents systèmes d’application utilisés en France pour le dosage des chimiothérapies : L’automate Multispec® Le Multispec® de la société Microdom est un automate qui repose sur la combinaison de la spectroscopie UV-visible et infrarouge. Il permet une analyse quantitative et qualitative de la molécule étudiée. La quantification est basée sur la loi de Beer-Lambert, l’échantillon est détecté par une barrette de diodes pour l’UVvisible. L’identification de l’échantillon est réalisée à partir d’une base de données de spectres IR, l’échantillon est détecté par un détecteur DTGS (Deuterated Triglycine Sulfate). L’analyse statistique utilise la méthode de la régression linéaire multiple, elle permet de réaliser une corrélation entre les données théoriques et mesurées pour chaque molécule. En 2007, Lelièvre et al. ont réalisé une étude au CHU de Rouen portant sur les contrôles qualitatifs et quantitatifs des chimiothérapies avant leur administration, ce qui a permis de démontrer l’intérêt et l’efficacité de l’automate Multispec® en termes de rapidité et de reproductibilité, mais également de relever les trois principales limites : quantitatives, de détection et de dosage [22]. L’étude a démontré la nécessité de mettre en place une formation du personnel afin de corriger les limites de dosages en privilégiant les techniques de reconstitution, d’homogénéisation et d’échantillonnage. Les limites de dosage étant représentées par les points suivants : – La limite du volume (1,2 mL) requis à la détection par l’automate est importante pour les préparations avec des petits volumes (bolus, pédiatrie, intrathécale), – Une mauvaise homogénéisation (manipulateur dépendant, produit visqueux, rinçage de la seringue) entraîne une variation de 15% de la concentration théorique dans 4,5% des cas, – Une variation de 15% de la concentration théorique suite à des procédures de reconstitution de poudre : temps de dissolution, expansion du volume de solvant. 31 D’autres limites ont été détectées par Camus et al. en 2009, au CHU de Metz. En effet, afin de remplir la base de données spectrale il est nécessaire d’effectuer l’importation manuelle des formules des préparations et des résultats des dosages ce qui rajoute une étape supplémentaire, chronophage et à risque d’erreur. De plus, après ce long travail d’appropriation, des carences dans le manuel utilisateur fourni par le fabriquant sont constatées : – Absence de définitions claires des termes importants et techniques (librairie, bibliothèque, paramètres des étalonnages), – Absence d’explications sur les liens dynamiques entre les différents fichiers actifs, – Principe de fonctionnement, – Description des sources d’erreur possible à chaque étape [23]. L’équipe de Bazin au CHU de Créteil a constitué sa propre bibliothèque spectrale suite à un pourcentage de reconnaissance très insuffisant (35%) et à l’augmentation croissante de l’utilisation des anticorps monoclonaux. Grâce à la discrimination entre anticorps par leur formulation des excipients, cet hôpital a contrôlé 100% des anticorps disponibles au livret en 2010 [24]. La société a arrêté la commercialisation du Multispec® étant donné que le fabricant n’a pas pris en compte ces différentes contraintes, ce qui entraîne peu à peu un remplacement de ce système dans les PUI par le QC Prep®, un système de spectrométrie d’absorption UV couplé à un système de spectrométrie d’émission Raman .

Table des matières

Introduction
I Première partie : Préparation des Chimiothérapies : contexte réglementaire et enjeux de la dématérialisation
I.1 Aspects réglementaires de la préparation des cytotoxiques
I.2 Les erreurs médicamenteuses
I.2.1 Définition
I.2.2 Erreurs médicamenteuses en chimiothérapie
I.2.3 Les principales sources d’erreurs des préparations
I.3 Les contrôles des préparations des chimiothérapies
I.3.1 Contrôles « in process »
I.3.1.1 Le double contrôle visuel
I.3.1.2 Le contrôle gravimétrique
I.3.1.3 Le contrôle vidéonumérique
I.3.1.4 Le contrôle par Datamatrix
I.3.2 Contrôles « post process »
I.3.2.1 Le contrôle analytique
I.3.2.2 La libération
I.3.3 Comparaison des différentes méthodes de contrôle
I.3.3.1 Aspect financier des méthodes de contrôle
I.3.4 Conclusion
I.4 La dématérialisation
I.4.1 Introduction
I.4.2 Définition
I.4.3 Les enjeux et les objectifs
I.4.3.1 Les enjeux
I.4.3.2 Les objectifs
I.4.4 Les différentes étapes de mise en place d’un projet
I.4.4.1 Définir les objectifs
I.4.4.2 La planification
I.4.4.3 La réalisation
I.4.4.4 L’évaluation du projet
I.4.5 Intérêts de la dématérialisation du circuit des chimiothérapies
II Deuxième partie : Etat des lieux au CHU de Caen et faisabilité de la dématérialisation du circuit des chimiothérapies
II.1 Présentation de l’Unité de Préparation des Chimiothérapies
II.1.1 Fonctionnement
II.1.1.1 Organisation
II.1.1.2 Equipement et entretien
II.1.1.3 Prescription et Analyse pharmaceutique
II.1.1.4 Etapes de fabrication
II.1.1.5 Administration
II.1.1.6 Outils informatiques
II.2 Balance Cytocontrol®
II.3 La traçabilité
II.3.1 Code-barres
II.3.2 RFID (Radio Frequency IDentification)
II.4 Mise en place de la dématérialisation au CHU de Caen
II.4.1 Objectifs
II.4.2 Matériel et Méthodes
II.4.3 Résultats
II.4.3.1 Rétro planning
II.4.3.2 Les équipements requis pour la dématérialisation
II.4.3.3 Le circuit dématérialisé proposé
II.4.4 Discussion/Conclusion
II.4.4.1 Contraintes identifiées avant le début de la mise en place du projet de dématérialisation
II.4.4.2 Les modifications apportées par la dématérialisation
II.4.4.3 Conclusion
III Troisième Partie : Mise en œuvre et évaluation du projet de dématérialisation
III.1 Objectifs
III.2 Matériel et méthodes
III.3 Résultats
III.3.1 Installation de l’équipement
III.3.2 Test de la balance Cytocontrol® avec la société LDI®
III.3.3 Connexion de la balance à CHIMIO® en base test
III.3.4 Configuration de la gravimétrie sur le logiciel CHIMIO®
III.3.4.1 Pré requis à la fabrication par gravimétrie
III.3.4.2 Création des scénarios
III.3.5 Test du contrôle gravimétrique
III.3.5.1 Contrôle des codes Datamatrix
III.3.5.2 Tests de préparation en gravimétrie avec la balance Cytocontrol®
III.3.6 Les changements des étapes du circuit de préparation en pratique
III.4 Discussion
III.4.1 Les contraintes rencontrées au cours du projet de dématérialisation
III.4.2 Changement de l’organisation actuelle
III.4.3 Avant / Après la dématérialisation, quel est l’impact sur le circuit des chimiothérapies?
III.5 Perspectives
III.5.1 Développer un suivi de l’acheminement et de l’administration
III.5.2 Checklist de fin de fabrication et de libération pharmaceutique
III.5.3 Production en routine et évaluation

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