Diversité des lymphocytes T périphériques conventionnels

Diversité des lymphocytes T périphériques conventionnels

Lymphocytes T non conventionnels T CD4+ CD8dim.

Chez certains patients, nous avons pu remarquer un double pic de distribution d’intensité de fluorescence du CD8 sur les lymphocytes T (fig 3.9). Le pic supplémentaire correspondait à une très nette diminution de l’intensité de fluorescence (médian 5.0 ± 4.1) comparée aux cellules conventionnelles (24.8 ± 5.4). En valeur absolue, cela correspondait à une diminution de la densité de surface des molécules CD8 qui étaient entre 11 000 et 17 000 molécules par cellule sur les lymphocytes à faible CD8 comparés aux lymphocytes conventionnels (96 000 à 128 000 molécules par cellule). Ces lymphocytes T (CD3 positif) CD8dim exprimaient également le CD4, à intensité comparable aux lymphocytes T CD4 et sont subséquemment nommés lymphocytes T CD4+ CD8dim. La présence d’un groupe apparent de ces lymphocytes T CD4+ CD8dim était clairement observée chez les patients analysés en routine (38/156 patients VIH positifs ou transplantés rénaux). En quantifiant systématiquement la région correspondante, cette population était détectable dans tous les échantillons mais à des taux très variables (de 2 à 155 cellules par µL). La majorité (77%) était regroupée en dessous de 20 cellules par µl et plus difficilement identifiable. Ceci explique que la population ne soit initialement observée que chez certains patients (23%) mais sa définition était arbitraire, dépendante de la représentativité relative aux autres populations.Nous avons testé des donneurs de sang en bonne santé. La distribution était à nouveau très hétérogène, la majorité des échantillons étant groupée au dessous de 20 cellules T CD4+ CD8dim/µL. La population non conventionnelle apparaissait clairement chez 8/31 donneurs testés et correspondait à des valeurs > 20 cell/µL. Nous avons donc choisi de définir cette valeur objective comme seuil «d’élévation» de la population T CD4+ CD8dim. La fréquence observée chez les donneurs de sang (25.8%) était comparable à celle des patients (VIH+ : 19.2%) et transplantés rénaux (29.5%). Nous avons également analysé une cohorte de 21 patients âgés convalescents de plus de 70 ans : 7 patients (33.3%) avaient plus de 20 cellules par µl CD4+ CD8dim. La répartition des fréquences était significativement différente (p = 0.037, test du chi2). Cependant, nous n’avons pas trouvé de corrélation avec l’âge.Nous avons cherché à caractériser ces lymphocytes T non conventionnels. Ces cellules n’exprimaient pas de marqueur précoce d’activation lymphocytaire (CD69). Nous n’avons pas pu mettre en évidence d’expression de CD25 sur dix cas testés. Tous ces lymphocytes exprimaient l’isoforme αβ du TCR. Par contre, la molécule CD8 était uniquement composée de la chaîne alpha (probablement isoforme homodimèrique CD8aa). La concentration des lymphocytes T CD4+ CD8dim dans le sang n’était pas corrélée à la concentration des lymphocytes T CD4+ ni des lymphocytes T CD8+. De même, nous n’avons pas trouvé de corrélation avec le taux de lymphocytes Tγδ. Dans certains cas, la population T CD4+ CD8dim semblait très homogène en terme de densité d’expression des marqueurs CD4 et CD8. Nous avons recherché si cela correspondait à une restriction clonale. Nous avons observé une très forte restriction de distribution des chaînes Vβ, les chaînes Vβ2, Vβ3, Vβ13.1, Vβ5.2 et Vβ1 étant les plus fréquemment exprimées. Surtout, chez 26 et 29 patients, nous avons pu observer la prédominance d’une chaîne Vβ (de 18 à 94% des lymphocytes TCD4+CD8dim), suggérant que cette population soit composée d’un contingent monoclonal. Les chaînes les plus fréquemment observées étaient Vβ8, Vβ2, Vβ13.1 ou Vβ21. Dans les trois autres cas, nous avons observé un « trou phénotypique » avec une somme des nombres de chaînes Vβ observées inférieure à 20% suggérant qu’une des chaînes non testées puisse être largement prédominante. 

Discussion 

 Une telle population a déjà été occasionnellement rapportée dans la littérature (Ortolani, 1993 ; Warrington, 2001 ; Prince, 1994). Elle a également déjà été rapportée chez l’animal (Zuckermann, 1999). Nous avons démontré que cette population avait un phénotype (CD8aa) comme les lymphocytes intra-épithéliaux observés chez le rat (Imhof, 2000 ; Yamada, 1999 ; Helgeland, 1999). La consultation des antériorités de quelques dossiers nous permet de dire que cette symptomatologie reste généralement présente plusieurs années. La signification immunologique de ces cellules dans le sang périphérique n’est pas encore clairement élucidée. Dans les conditions expérimentales, ces lymphocytes ont un profil fonctionnel de type TH1 (producteurs d’interleukine IL-2 et IFNγ) et peuvent avoir une activité cytotoxique (Yamada 1999, Richard 1992, Sala 1996, Suni 2001, Pittet 2000). Ils ont pu être impliqués dans une réponse antitumorale (Bacot 1991). Pour l’instant, nous n’avons pas retrouvé d’association avec un processus tumoral ou un état d’immuno-dépression. Du point de vue ontogénique, ces lymphocytes ont un phénotype mature. Il est peu probable qu’ils correspondent à des thymocytes car l’activité thymique chez l’adulte est négligeable en dehors de conditions drastiques et les thymocytes expriment un phénotype immature (CD45RA, CD62L). De plus les doubles positifs sont largement minoritaires et expriment le CD4 et CD8 à intensités égales. Inversement, il semblerait que des lymphocytes T CD4+ authentiques puissent dans certaines conditions, ré-exprimer en périphérie, de faibles taux de CD8 (Souni, 2001 ; Luhtala, 1997). Il a été récemment proposé que la population CD4+CD8dim pouvait être une transition entre un lymphocyte T initialement CD4+ qui se convertit en d’authentiques CD4 – CD8+ dans le thymus (Bosselut 2003), un phénomène « trans-isotypique » en quelque sorte. Est-ce que ce phénomène est transposable dans les lymphocytes T périphériques ? Leur phénotype acquis CD8aa suggère qu’ils aient été sollicités au niveau des muqueuses ou de la peau. La raison pour laquelle ces lymphocytes ont eu besoin de l’expression de CD8, particulièrement l’isoforme αα n’est pas claire. Ont-ils acquis une nouvelle capacité de reconnaissance d’antigène, peutêtre non peptidique présenté par des molécules MHC non classiques ? Cette nouvelle spécificité est-elle due à une réaction croisée du récepteur TCR ou bien à l’expression d’un second récepteur d’expression différente ? Nous avons montré que la distribution de ces lymphocytes non conventionnels était très restreinte. Les données expérimentales montrent qu’une expansion lymphocytaire réactionnelle est rapidement suivie d’une contraction, à moins d’une persistance active de l’antigène. Est-ce que la persistance de ce contingent lymphocytaire reflète une stimulation chronique par un antigène ? Il pourrait ainsi être le stigmate d’une sollicitation prolongée par exemple au niveau de l’appareil digestif (intestin, foie) et bronchique. Il est possible que la restriction à un clonotype puisse être due à une stimulation prolongée non pas par un peptide très spécifique mais un super-antigène commun à un isotype Vβ. Cependant, cette éventualité est peu probable ici car elle induirait plutôt une activation lymphocytaire (CD25+, CD69+) avec induction d’apoptose et perte du clonotype correspondant. Un mécanisme alternatif pourrait être une autonomisation de la prolifération de ces lymphocytes comme elle est observée dans les leucémies lymphoïdes chroniques. Cette maladie peut en effet concerner des lymphocytes T dont le phénotype est alors mature, CD4 et/ou CD8, proche de celui que nous décrivons ici. Ce contingent représente-t-il alors une forme précoce ou lente d’un syndrome lympho-prolifératif ? Se pose alors le problème de la zone frontière entre les deux états et d’éventuels critères pronostiques. Un phénotypage complémentaire (CD5, CD7, CD103, CD27, CD28…) pourrait permettre de mieux comparer les caractères phénotypiques de ces populations avec les phénotypes lymphomateux ou leucémiques. Une étude de suivi longitudinal de cohorte à long terme devrait permettre de répondre à cette question et éventuellement de déterminer les facteurs prédictifs. Par analogie au syndrome de dysglobulinémie monoclonale de signification indéterminée, nous émettons l’hypothèse qu’une partie au moins de ces fractions lymphocytaires puisse éventuellement évoluer vers un syndrome lympho-prolifératif à plus ou moins long terme. Nous avons proposé de nommer cette entité « clonopathie oligoclonale de signification indéterminée » (OCUS). Nous avons choisi le terme oligoclonal car la prépondérance d’une chaîne Vβ ne suffit pas pour affirmer la vraie monoclonalité que nous n’avons pas pu pour l’instant confirmer par étude du transcrit. Le terme clonopathie a été également discuté car aucune signification pathologique clinique n’a encore été associée à ce phénomène. Il nous paraît donc, dans l’état actuel de nos connaissances, souhaitable de suivre l’évolution de cette entité chez les patients.

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