Étude critique d’une reconstruction des Premiers Analytiques

Étude critique d’une reconstruction des Premiers Analytiques

Limites du modèle proposé par Malink

On l’a mentionné à plusieurs reprises au cours de cette étude, le fait de comparer son article (2005) à son livre (2013) n’était pas innocent. En effet, l’objectif était de chercher les éventuels changements ainsi que leurs conséquences sur l’ensemble du système. Ainsi, on a pu remarquer que Malink modifie la définition de la nécessité. Cette définition pose problème car elle n’explique rien par elle-même152. On  ne cherche  pas à  dire  ce  qu’Aristote aurait  pu  penser mais  à  reproduire l’ensemble des résultats obtenus au sein des Premiers Analytiques. Cependant, il semble tout de même considérer que sa reconstruction est plus proche de la pensée Aristotélicienne. C’est cette considération qui conduit Malink à formuler un reproche à l’égard de la lecture  de re. Dans le contexte de la validité de  Barbara-NXN, l’interprétation  de re  est certes conclusive, mais  rien ne garantit « qu’Aristote avait cette lecture à l’esprit lorsqu’il assertait la validité de Barbara-NXN153 ». Car le texte d’Aristote ne mentionne pas la distinction de re/de dicto. De plus, la lecture de re sous-entend une interprétation orthodoxe du dictum de omni  (à laquelle Malink s’oppose). 152. Bien   sûr, la   notion  de   nécessité  renferme   des   propriétés   déterminantes   pour le   raisonnement  de  Malink. Cependant, ça n’est pas la définition de la nécessité qui explicite des propriétés d’une reconstruction des Premiers Analytiques C’est cette exigence de proximité avec la « pensée aristotélicienne » qui a conduit à cette étude du travail de Malink. Car certaines parties fondamentales de sa reconstruction semblent indifférentes à la proximité que son modèle peut avoir avec ce qui est sous-entendu dans les Premiers Analytiques. Faire de la nécessité une notion primitive est un exemple de cette indifférence. Il renonce à donner la signification de l’expression « il est nécessaire que », alors qu’elle était considérée comme un équivalent à la prédication essentielle dans son article. En effet, cette équivalence était en tension avec la notion d’accident par soi. Un certain nombre de définitions de son système se trouvent confrontées à ce problème. C’est notamment le  cas  des  propositions  particulières  nécessaireq  affirmatives  et  négatives  que  nous étudierons en première partie. Ce sont des définitions formées à partir des relations primitives N et �. Mais celles-ci sont reformulées lorsque Malink les confronte au corpus aristotélicien. Ces ajouts semblent être ad hoc. En deuxième partie, on étudiera les choix d’interprétations que fait Malink. La lecture qu’il fait du dictum de omni apodictique équivaut à Barbara-NXN. On peut tout à fait objecter que c’est plutôt un équivalent à Barbara-NNN. On discutera également de la notion de « copule modale » dont il affirme qu’elle correspond à la notion de modalité que l’on trouve au sein des Premiers Analytiques. On s’attardera enfin sur les éventuels travaux à entreprendre. On s’interrogera sur l’intérêt d’une poursuite des travaux de Malink. Car, on peut tout à fait juger que la notion d’essence soit inadaptée dans l’optique d’une reconstruction de la partie modale des Premiers Analytiques.  La mise en évidence de toutes ces difficultés nous conduira à défendre la thèse selon laquelle la reconstruction  de Malink  serait  encore trop  formelle,  d’un  point  de  vue  historique. Bien  qu’il parvient à  reproduire l’ensemble  des chapitres  1 à  22  des  Premiers Analytiques,  de  nombreux éléments semblent indiquer que son système est le fruit d’une adaptation progressive avec le texte d’Aristote. 1. Une adaption du système de Malink A. La nécessité comme notion centrale pour le reste des modalités Comme on a pu le constater en deuxième partie, la nécessité est une modalité centrale pour définir le  reste du  système. La définition de l’impossibilité est  formulée à partir de la  relation d’incompatibilité notée K, dans laquelle on affirme la disjonction totale entre deux termes en raison de leur appartenance à des catégories différentes. Appartenir à une catégorie implique d’être le sujet d’une prédication nécessaire. La notion d’incompatibilité, au niveau sémantique, dépend bien de la 65/79 Étude critique d’une reconstruction des Premiers Analytiques notion de nécessité. Cependant, c’est moins explicite que du point de vue syntaxique. En effet, on peut définir l’impossibilié comme nécessité négative : « il est nécessaire que cela ne soit pas le cas ». Kab =df Ca    ∧ Cb ∧ (Σa ∨ Σb) ∧ ∃ ¬ z((�az ∧ � bz) La  définition de la contingence consiste à  nier la  nécessité et l’impossibilité. La gauche de la première   conjonction   empêche   que   les   deux   termes   soient   des   essences   (condition   de l’impossibilité), et la droite nie la prédication nécessaire peu importe la fonction des deux termes. Πab =df ¬(Ca    ∧ Cb) ∧ ¬Eab ∧ ¬Eba   (( ∧ Σa    ∨ Σb) → ∃z((�az ∧ � bz)) La possibilité est quant à elle définie comme une notion plus large que la nécessité. P peut signifier contingent, ou prédiqué dans son sens le plus général. Ma ab = Ɐx(�bx → Pax) C’est la notion de possibilité notée  P qui intrduit la subordination dans son système (puisque la nécessité y est définie comme un type  spécifique de prédication, nécessaire implique bien une prédication   au   sens   général),   bien   qu’elle   ne  soit   pas   explicitement  mentionnée   dans  le  texte d’Aristote. C’est   un   principe   qui   est   également   discutable   dans   le   cadre   d’une   sémantique   des   mondes possibles. On peut, en effet, s’interroger à propos de la subordination de la possibilité par rapport à la nécessité. Comme nous l’avions mentionné en première partie, il est possible de penser la notion de   modalité   comme   une   quantification   portant   sur   un   ensemble   de   mondes   possibles.   Or,   si l’ensemble des mondes possibles est un ensemble vide « toute proposition nécessaire est vraie ». Cependant, cela n’implique pas que « toute proposition possible soit également vraie ». Car une proposition nécessaire n’implique pas toujours sa correspondante assertorique. Pour que ce principe soit vrai, il faut donc présupposer que l’ensemble des mondes d’un modèle soit toujours non vide. Ainsi, si une proposition est nécessairement vraie, alors elle est vraie dans tous les mondes possibles. Dans ce contexte « nécessaire » implique « être le cas » et être le cas implique également « possible ». Cette  règle  n’est   pas  intuitivement  valide,  elle   aurait   dû  être   explicitement   formulée   dans  les Premiers Analytiques. De  plus, elle  aurait  été très  utile  pour  établir la  validité  de  syllogismes comportant une prémisse nécessaire. 66/79 Étude critique d’une reconstruction des Premiers Analytiques Comme le remarque Malink154, la subordination pourrait être utile pour la preuve de Barbari-QNQ. Aristote a déjà prouvé la validité de  Barbari-QXQ, à ce stade du texte. La subordination d’une prémisse assertorique par rapport à sa corresponante nécessaire étant admise, on aurait pu effectuer une réduction à Barbari-QXQ pour établir la preuve de Barbari-QNQ.     Preuve de     Barbari-QNQ   par subordination  : p1. Q a pm p2. N a sm c. Q i sp On applique la subordination à p2. p2. X a sm On a déjà prouvé cet ensemble de prémisse (Barabari-QXQ) 155. Par conséquent, Barbari-QNQ est valide. Cependant, cela n’est pas de cette manière qu’Aristote valide Barbari-QNQ ni aucun des modes ne comportant   qu’une   seule   proposition   nécessaire.   Pour   notre   exemple,  Aristote   se   sert   d’une réduction à Darii-QNQ pour valider Barbari-QNQ. Comme  nous  pouvons le  constater, toutes les modalités  sont  définies  à  partir  de la  notion  de nécessité. Pour éviter la circularité, on doit donc donner une définition qui fait appel à une notion autre que la nécessité elle-même. Sinon, rien n’empèche de construire l’ensemble des modalités autour   d’une   autre   notion.   On   peut,   par   exemple,   définir   l’impossibilité   par   négation   de   la possibilité et la nécessité par négation de la possibilité de ne pas être le cas. B. La signification de la nécessité Dans l’article de Malink, la nécessité est définie à partir de la relation E qui est primitive. C’est-à-dire qu’elle n’est pas définie. Elle vient en « premier » et constitue la base de son système. Une définition fait toujours appel à d’autres notions qui doivent être à leur tour définies. Pour éviter une régression à l’infini, on a donc besoin d’une notion première qui permettra de définir toutes les autres. On pourrait penser que l’on reporte le problème de la circularité sur une autre notion. Cependant, il est tout à fait possible d’établir un lien entre la relation E et la notion d’essence que l’on trouve dans le corpus aristotélicien. C’est ce que fait Malink lorsqu’il démontre la transitivité de la proposition  d’une reconstruction des Premiers Analytiques universelle nécessaire. La transitivité est, en effet, une propriété de la prédication essentielle que l’on déduit de sa défintion. Néanmoins, cette notion pose problème car elle est en tension avec le corpus aristotélicien. Dans son livre, Malink définit la nécessité comme suit : N a sp =df Nsp La définition de la nécessité se construit à l’aide de la relation primitive N. L’appendice B156 précise que la relation N signifie « nécessairement prédiqué de tout ». La nécessité semble donc être définie par elle-même. La nécessité est la notion primitive à partir de laquelle on construira toutes les autres modalités. On peut douter du caractère fondamental de la nécessité par rapport aux autres modalités, dans ce contexte. On aurait pu définir la proposition Ma sp =df Msp et donner la définition des autres modalités à partir de la relation primitive M. Mais Malink n’abandonne pas la notion d’essence pour autant. C’est l’essence qui détermine le rôle fondamental de la nécessité (par l’intermédiaire de l’énoncé S11). Toute prédication nécessaire a pour propriété d’avoir pour sujet un genre ou une espèce qui ne se prédique qu’essentiellement de ses  sujets. La  relation  N  reste  primitive  car  on emploierait  pas  cette  propriété  pour  donner la définition  de la  nécessité. C’est  cependant  ce  qui justifie la  place  fondamentale  qu’occupe la nécessité au sein du système. Ce changement au sein du modèle a néanmoins un coût. La reconstruction de Malink semble moins proche  du texte  des  Premiers Analytiques. À l’inverse  de la  notion d’essence, il n’y a  pas de définition claire de la nécessité, si l’on fait abstraction de la définition donnée dans la Métaphysique qui ne permet pas de justifier la transitivité de la nécessité. C’est en confrontant son système (celui de l’article) au corpus aristotélicien que Malink a remarqué une incompatibilité entre sa définition de la nécessité (équivalent à la notion d’essence) et la notion d’accident  par soi. Cependant, la notion d’essence était centrale pour son système. La notion de nécessité que Malink propose dans son livre est le fruit d’une adaptation de son système par rapport au texte des Premiers Analytiques. S11 est une explication ad hoc dont Malink n’aurait pas eu besoin s’il n’existait pas de déclaration d’Aristote s’opposant à l’équivalence entre nécessaire et essentiel. Car S6 est déjà très proche de la structure de Barbara-NXN. Le modèle proposé par Malink a certes été formé à partir des Topiques  d’une reconstruction des Premiers Analytiques Cependant, un certain nombre de déductions qui s’y produisent entrent en contradiction avec le texte. Comme nous allons le voir ce problème concerne un certain nombre de définitions que l’on déduit naturellement de son système. 

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