La délégation de tâches du médecin généraliste à l’infirmier libéral

Le problème de la démographie médicale

Nous observons un paradoxe au niveau de la démographie médicale française : bien qu’il n’y ait jamais eu autant de médecins sur le territoire français, nous observons parallèlement l’émergence inquiétante de «déserts médicaux».
D’après l’Atlas de la Démographie Médicale 2016 du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) : au 1er Janvier 2016, 285 840 praticiens étaient inscrits au tableau de l’Ordre des Médecins dont 88 886 spécialistes en médecine générale exerçant en activité régulière tous modes d’exercice confondus. Sur la période 2007/2016 les effectifs ont diminué de 8,4%. Depuis 2007, le nombre de médecins retraités conservant une activité est en forte augmentation (+ 87,7%). On chiffre la perte nette d’un médecin généraliste sur quatre sur la période 2007-2025.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer : La diminution des installations en libéral de jeunes médecins à la fin de leur cursus universitaire, L’augmentation du nombre de médecins dits « remplaçants » (sans activité «régulière») et de médecins salariés au sein de structures hospitalières.
La médecine générale libérale attire moins la nouvelle génération, moins encline à s’engager sur un mode d’exercice qui n’est pas forcément en adéquation avec ses aspirations professionnelles. La nouvelle génération, plus citadine, ne souhaiterait pas prendre la place des anciens médecins «de campagne». Les écarts en termes d’offres de soins primaires selon les territoires augmentent en conséquence.

La délégation de tâches

La délégation de tâches du médecin généraliste à l’infirmier diplômé d’état (IDE) continue de faire partie intégrante de l’arsenal d’outils servant la lutte contre la désertification médicale ; celle-ci étant envisagée comme une solution viable pouvant permettre la libération de temps médical et la meilleure prise en charge d’une patientèle en demande constante de soins.
Lors d’un entretien paru en 2007, le Pr Yvon BERLAND définissait la délégation et le transfert de la manière suivante : «Dans la délégation, les médecins transfèrent à d’autres professionnels de santé un certain nombre d’actes techniques et/ou intellectuels, mais ils en gardent la maîtrise, en particulier en termes de responsabilité juridique. Dans le transfert proprement dit, ils ne conservent pas l’entière maîtrise de ces actes dont, en conséquence, la responsabilité juridique est elle aussi transférée.»

Délégation de la vaccination du médecin à l’infirmier

Transférer la prescription, la réalisation et le suivi de la vaccination obligatoire et recommandée de l’ensemble de la population est la suggestion clé de ce groupe de discussion. Plébiscitée par l’ensemble des participants, qu’en est-il son application dans la vraie vie ?
Les infirmiers, dans leur rôle propre, peuvent réaliser des actes de vaccination sur prescription médicale. Le décret N°2008-877 du 29 Août 2008, relatif aux conditions de réalisation de certains actes professionnels, autorise les infirmiers à réaliser des injections de vaccination antigrippale sans prescription médicale, exceptions faites de la primo-vaccination et de la vaccination des femmes enceintes.
En 2014, l’arrêté n°DOSMS 2014/118 de l’ARS Ile-de-France, au travers de l’article 51 de la loi HPST du 21 juillet 2009 et de l’avis N° 2013.0051/AC/SEVAM du 29 mai 2013 de l’HAS , autorise l’application d’un protocole nommé « Consultation, décision et prescription de vaccination pour les usagers par un(e) infirmier(e) en lieu et place d’un médecin ».
Ce protocole permet à des infirmiers de la région Ile-de-France mais aussi de Haute-Normandie, après une formation théorique et pratique, de pouvoir prescrire un vaccin, réaliser l’injection et mettre à jour le carnet de vaccination du patient.
L’infirmier peut demander conseil à un médecin, qui reste le responsable, se trouvant obligatoirement à moins trente minutes du centre de vaccination. L’application de ce protocole a pour but à terme d’améliorer la couverture vaccinale des patients concernés et de diminuer les délais d’attente. Aucune évaluation, aucun retour sur ce protocole n’a été publié à ce jour.

L’introduction lente de la délégation de tâches dans l’organisation des soins primaires

Les soins primaires en France sont peu organisés en France alors que le temps médical disponible s’amoindrit. Une restructuration des soins primaires doit passer « par la formation et la recherche réorientées vers les soins de santé primaires et de nouveaux modes d’exercice coopératifs répondant aux aspirations des professionnels de terrain » .
Concernant la coopération, en dehors des considérations légales et politiques, l’adhésion des professionnels de santé n’est pas totalement acquise.
Du coté des médecins, le risque de perte de revenus en délégant des consultations « rentables » comme les renouvellements d’ordonnances et le mode de rémunération des IDE rend difficile la mise en place de la délégation de tâches. Du coté infirmier, une consultation lancée entre novembre et décembre 2012 par le Syndicat National des Professionnels Infirmiers révèle que 87% des infirmiers sondés sont hostiles aux modalités des protocoles de coopération. Ces derniers soutenaient que la formation reçue en vue des différents protocoles n’était pas validant, que les nouveaux actes étaient pratiqués sans reconnaissance statutaire ou salariale et que l’extension des protocoles à d’autres régions se faisait sans évaluation au préalable de ceux déjà en cours.
Tous ces éléments peuvent expliquer la lenteur des processus concernant l’intégration de la délégation de tâches pour l’amélioration et la restructuration de l’offre de soins primaires.

L’infirmière de Pratique Avancée

L’entrée en 2009 dans le système LMD de la formation infirmière est un premier pas dans le sens d’une uniformisation du socle de la formation des professionnels de santé. Un niveau intermédiaire, évoqué dans le rapport Berland mais aussi dans le rapport Cordier de 2013 « Un projet global pour la stratégie nationale de santé – 19 recommandations du comité des «sages» » , correspondant à celui de l’infirmière de Pratique Avancée.
Cette IDE spécialisée est de niveau Master 2 (Bac +5) et « a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession.
Les caractéristiques de cette pratique avancée sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. » selon la définition faite par le Conseil International des Infirmières. Son champ d’action peut se diviser en deux rôles :
L’infirmière clinicienne spécialisée et l’infirmière praticienne qui par dérogation aux conditions légales d’exercice peut exercer des activités jusqu’alors réservées au champ médical. A l’étranger, ce poste est reconnu et éprouvé depuis de nombreuses décennies (depuis les années 60 aux Etats-Unis pour les nurse practitioners par exemple) et les évaluations faites montrent que «le recours aux infirmières en pratique avancée peut améliorer l’accès aux services et réduire les temps d’attente pour l’ensemble des services qu’ils fournissent. Elles montrent aussi que les infirmières en pratique avancée sont capables d’assurer la même qualité de soins que les médecins dans une gamme de services qui leur sont transférée (par exemple, suivi de routine des patients souffrant de maladies chroniques, premier contact pour les personnes atteintes d’une affection mineure), dès lors qu’elles ont reçu une formation appropriée. La plupart des évaluations constatent un haut taux de satisfaction des patients pour les services fournis par les infirmières en pratique avancée, souvent supérieur au taux de satisfaction enregistré pour les services similaires fournis par les médecins» selon une étude faite en 2010 pour l’OCDE sur les pratiques infirmières avancées à l’étranger.
En France, seuls quelques masters II (UFR Université Marseille Méditerranée et UFR des sciences de la santé de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) et des protocoles de coopération par dérogation temporaire de l’ARS permettent l’existence de pratiques avancées en soins infirmiers.

Table des matières

1. Introduction 
2. Matériels et méthodes 
2.1. Etude qualitative : La méthode du focus group
2.2. Composition du groupe de parole
2.2.1. Contexte : Journée de formation « Médecins – Infirmières »
2.2.2. Les membres du groupe
2.3. Matériels
2.3.1. Conditions de réalisation de l’entretien de groupe
2.3.2. Enregistrement
2.3.3. Retranscription et analyse
3. Résultats et analyse
3.1. Les tâches évoquées par le groupe
3.1.1. Dépistage et Prévention
3.1.2. Prescrire
3.1.3. Certificats médicaux
3.2. Les problématiques rencontrées lors du focus group
3.2.1. L’encadrement légal
3.2.2. La relation avec le patient
3.2.3. La formation
3.2.4. Rémunération
3.2.5. L’exemple de ce qui se fait à l’étranger
3.3. Synthèse
4. Discussion
4.1. Limites de l’étude
4.1.1. Limites de la méthode
4.1.2. Limites organisationnelles
4.2. Forces de l’étude
4.2.1. Originalité
4.3. Les tâches déléguées en expérimentation
4.3.1. Délégation de la vaccination du médecin à l’infirmier
4.3.2. Le suivi des maladies chroniques en coopération.
4.4. Définir les contours d’un nouveau métier
4.4.1. Formation
4.4.2. L’infirmière de Pratique Avancée
4.4.3. Le changement du cadre légal
4.5. L’introduction lente de la délégation de tâches dans l’organisation des soins primaires
5. Conclusion
6. Bibliographie 
7. Liste des abréviations 

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *