La forme patrimoniale

La forme patrimoniale

La forme patrimoniale répond à des critères stricts de construction, qui résultent d’une demande sociale avérée à laquelle correspond une réponse matérielle et technique qu’autorisent des procédés et des ressources identifiés. (Fig. 2) La forme patrimoniale dans sa morphologie initiale se comprend donc comme une résultante de circonstances précises. Néanmoins une série de discordances peuvent survenir (manque de fonds, troubles intérieurs…) qui soit freinent, voire même interrompent la construction. Dans ce cas fréquent, les conditions initiales de la demande peuvent varier ou encore disparaître, par exemple la Sagrada Famίlia (Barcelone, Catalogne, Espagne) dont l’élaboration demeure à ce jour inachevée. Il devient alors rare et très peu probable, que la forme patrimoniale actuelle, résulte d’une demande sociale linéaire et ininterrompue, elle peut donc combiner des influences variées. Il devient donc possible de poser qu’une forme patrimoniale initiale perdure (continuité), tant que les conditions de la demande sociale qui ont présidé à son affectation se maintiennent. Si celles-ci mutent, elles entraînent des ruptures (bifurcations), qui déterminent irréversiblement une évolution de la forme patrimoniale. Ainsi ne revient-on jamais intégralement à une forme patrimoniale initiale : chaque changement d’affectation devient donc signifiant. « Deux cas sont alors possibles. Soit l’inadéquation entre la forme et les nouvelles fonctions créé des dysfonctionnements dans l’organisation de la ville. Dans ce cas de nouvelles fonctions amèneront une modification de la forme. Les fonctions sont alors un moteur de construction et de reconstruction formelle des villes. Soit les nouvelles fonctions ont la faculté plastique de s’adapter aux formes précédemment existantes : on pourra parler de recyclage de la forme. Celle-ci a une nouvelle utilisation qui permet aux fonctions urbaines à l’œuvre de se maintenir. » Ainsi toute forme patrimoniale visible actuelle résulte d’une succession de variations provenant des mutations de la demande sociale. Il peut donc devenir pertinent de distinguer les phases d’élaboration de la forme patrimoniale et leur étalement dans le temps, ceci afin de déterminer son originalité et son intégration dans une civilisation. La forme patrimoniale provient d’une recherche d’adéquation entre une demande sociale avérée et une offre réalisée. Cependant, un objet patrimonial peut également avoir changé d’affectation au gré des conjonctures (laïcisation de bâtiments religieux, transformation de monastères en prison…), il n’en conserve pas moins ses caractéristiques originelles majeures, auxquelles s’adjoignent des éléments nouveaux qui répondent à une demande sociale renouvelée. Il convient alors de restituer ces variations, sans omission ni ajout, afin de retracer le plus fidèlement possible les variations de la forme patrimoniale. Dans le cas précis d’un objet patrimonial à vocation initiale cultuelle, les changements de pouvoir sur un territoire qui l’inclut peuvent affecter sa forme initiale, mais sans la dissoudre. Une église est transformée en mosquée : Aya Sofia à Istanbul (Turquie), ou l’inverse une mosquée est transformée en église : Agios Titos à Héraklion (Crète) ; Mezquita de Cordoue (Andalousie). Ces mutations restent comme autant de signes d’une demande sociale qui évolue au gré des conjonctures géopolitiques de l’espace circum méditerranéen. Leur résultante constitue, en même temps que l’originalité de chaque forme patrimoniale son inscription dans un courant plus vaste, par un changement d’échelle pertinent. La fonction actuelle d’un objet patrimonial, nous renseigne utilement sur la demande sociale. Par exemple, la fonction culturelle ou muséographique d’un objet patrimonial (arènes, théâtre, lieu de culte…), correspond à une volonté publique de préservation dans une perspective de constitution et de transmission d’une ressource patrimoniale d’un espace urbain donné. Or, cette vocation peut ne pas être unique et se combiner avec une demande sociale élargie à la sphère du spectacle et à celle du tourisme culturel : ainsi la cour d’honneur du palais des Papes à Avignon (Vaucluse) devient, l’espace de quelques semaines, la scène privilégiée du Festival international de théâtre d’Avignon. Cependant il peut s’avérer que la forme patrimoniale et la fonction initialement affectée à l’objet patrimonial restent linéaires sur une très longue durée : le mur des Lamentations (Israël), Ulu Cami de Bursa128 (Turquie). Cela peut indiquer une série de continuités majeures qui, bien que la forme patrimoniale de l’objet patrimonial reste quasi inchangée, n’en porte pas moins des changements infimes de la demande sociale.

Le réseau patrimonial

La forme patrimoniale actuelle d’un objet patrimonial ne peut s’extraire d’un réseau de formes plus vaste, qui peut se voir qualifier de réseau patrimonial (Fig. 2).Ce dernier rend compte d’une demande sociale complète et complexe, dans un contexte donné de civilisation. Il convient donc d’inscrire toute forme patrimoniale d’un objet patrimonial dans un réseau plus large, contigu sur le plan spatial, ou non, qui souvent porte une charge signifiante. Ce réseau patrimonial peut se comprendre comme un système ouvert, tant dans sa forme initiale, que dans la demande sociale qui l’a présidée. Bien entendu les relations réticulaires peuvent se distendre : destructions, affectations successives discordantes, transformations majeures. Il n’en reste pas moins qu’initialement la forme patrimoniale s’inscrivait dans un réseau patrimonial qu’il importe de tenter de restituer. A cet égard, il est possible de citer le complexe de Muradiye (Bursa, Turquie). Celuici associe dans un périmètre restreint, une série de bâtiments cultuels et nécrologiques, dont la construction remonte à la seconde moitié du XVe siècle. Ce complexe comprend une mosquée, des bains, un hospice, des fontaines, une medersa, une nécropole impériale129 (Fig. 3). Cet ensemble de forme homogène, de matériaux comparables, semble indiquer une intention de répondre à une demande impériale de marquage d’un espace dynastique, dans un souci de sacralisation du territoire urbain. L’émergence de la forme patrimoniale du complexe de Muradiye, cet objet patrimonial, prend place dans un processus d’appropriation territoriale d’un espace dynastique ottoman, du XVe s. au XVIe s. La phase d’expansion de l’espace impérial sous l’effet d’un processus centrifuge, accompagne l’émergence de formes architecturales précises. La Méditerranée peut se voir qualifiée de lac ottoman : les conquêtes successives de la Syrie et de l’Egypte (1516-1517), de l’Algérie (1516), des îles de Rhodes (1522), Chypre (1571), Crète (1669), constituent autant d’indices que l’empire se méditérranéise130. Le déplacement du centre de gravité de l’espace impérial, sa contraction au cours d’une phase centripète, par la perte des provinces balkaniques, européennes et moyen-orientales : Grèce (1821), Chypre (1878), Egypte (1822), Tripolitaine (1911), Crète (1912), Macédoine (1912), Rhodes (1918), recentre le territoire turc sur l’Anatolie. Cela se concrétise, pour l’encadrement territorial, par l’avènement de l’Etat-Nation de la République de Turquie en 1923, au cours de l’affirmation du principe de nationalité au début du XXe s.

La patrimonialisation : un processus d’appropriation territoriale du patrimoine

Le verbe d’action, « patrimonialiser », signifiait : « rendre patrimonial un bien national par traité avec le dépossédé – inusité. » 134 Il parait manifeste que le contexte de mise en place du patrimoine national, consécutif à la Révolution marque cette définition. Plus récemment le verbe ne figure pas dans le Petit Robert, cependant une nouvelle acception émerge : l’acte reste collectif, mais il n’est plus coercitif et se rattache davantage à une pratique sociale. L’action de patrimonialiser se caractérise par l’affectation d’un ensemble de signes, de sens et de valeurs collectives à un objet patrimonial, qui se définit comme l’unité de base du patrimoine. Le processus de patrimonialisation, trouve son origine dans une succession de cycles longs interrompus par de brusques ruptures. Il nécessite, comme préalable, la constitution progressive et l’inscription territoriale, d’une ressource patrimoniale. Cette ressource patrimoniale se définit comme un système ouvert au sein duquel des objets patrimoniaux remarquables d’un centre ancien donné, peuvent se voir mobilisés pour concourir à un processus de renouvellement urbain. Le réseau patrimonial rend compte d’une demande complète et complexe dans un contexte donné de civilisation. Il peut s’entendre comme un ensemble homogène, tant dans sa structure initiale que dans la demande qui l’a présidée. Les interactions qui proviennent d’objets patrimoniaux intégrés au sein de réseaux patrimoniaux déterminent la notion de densité patrimoniale. 

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