LA LANGUE À LA LOUPE DES RÈGLES GRAMMATICALES ET LEXICALES

LA LANGUE À LA LOUPE DES RÈGLES GRAMMATICALES ET LEXICALES

A qui appartient la langue d’un manuscrit ?

Lors de l’analyse d’un texte, la question qui se pose est la suivante : quelle est la langue de cette œuvre ? La conclusion, comportant des mérites et des démérites, est généralement attribuée au poète, hormis les endroits où les corrections et/ou les rajouts des scribes sont manifestement visibles. Alors qu’en sanskrit ces derniers sont plus facilement repérables en raison de la « stabilité » phonétique et grammaticale de la langue, en prakrit, c’est une tâche beaucoup plus complexe et difficile. Premièrement, entre la date où les textes ont été écrits (racita) par l’auteur et celle où ils ont été copiés (likhita), le plus souvent, des siècles se sont écoulés. Le prakrit que l’auteur a appliqué comme langue « correcte » à son époque peut être désigné a posteriori comme « incorrecte ».  Deuxièmement, les scribes pouvaient changer facilement et à leur gré, selon leurs connaissances approfondies ou non, et conformément à la « tendance » de leur lieu de résidence ou de leur époque, la phonétique des mots prakrits. Ces changements passent souvent inaperçus : pas de trace de gommage, de barre, etc. Il est très facile de transformer, lors de la copie, un texte écrit en śaurasenī en un autre en māhārāṣṭrī, et inversement. Troisièmement, les éditeurs ont souvent traité les textes prakrits « à la manière du sanskrit », et se sont efforcés de les modifier de manière à obtenir un texte homogène, cohérent et conséquent, effaçant ainsi la diversité phonétique du prakrit et faussant la source à étudier. Enfin, les savants eux-mêmes ne sont pas unanimes sur le traitement d’un texte en prakrit et ses règles grammaticales. Nous partageons l’avis d’Upadhye, selon lequel il faut conserver, le plus fidèlement possible, le texte d’un manuscrit dans son état original, et ne corriger les fautes que si c’est vraiment nécessaire et inévitable. Nous sommes également d’accord avec Ghosh, d’après qui les manuscrits les plus proches du temps et du lieu de l’auteur donnent l’image la plus authentique de la langue originale d’une œuvre. Évidemment, les récurrences des variantes dans les manuscrits tardifs indiquent également la même source, si nous les possédons. Malgré cela, nommer un seul dialecte prakrit comme étant la langue d’une œuvre demande de la prudence et certaines précautions. Il est plus prudent de parler de la langue d’un manuscrit que d’une œuvre

Quelle grammaire prendre pour modèle ?

Longtemps, le Prākṛtaprakāśa de Vararuci (IIe -IVe siècles) et le Nāṭyaśāstra de Bharata (IIe -IVe siècles) ont été en usage. Tous deux considèrent le « prakrit » comme un terme générique, mais, en pratique, il désigne la māhārāṣṭrī, vue comme la langue standard. Il existe néanmoins une différence remarquable au niveau du maniement de cette langue dans ces ouvrages. Alors que le prakrit du Nāṭyaśāstra est une « pure » māhārāṣṭrī, supprimant généreusement les occlusives non-aspirées intervocaliques, Vararuci permet, exceptionnellement, la sonorisation du t dental. De plus, certaines occlusives non-aspirées, au lieu d’être supprimées, sont irrégulièrement transformées en une autre consonne. Tandis que le Nāṭyaśāstra traite le prakrit comme une simple transformation phonétique du sanskrit, la grammaire de Vararuci comporte un grand nombre d’exceptions qui remontent souvent à une origine dialectale ou régionale (deśī). Les prakrits de Puruṣottama (XIIe siècle) et de Mārkaṇḍeya (XVe -XVIe siècles) sont proches de celui de Vararuci. Pour Hemacandra (XIe – XIIe siècles), le prakrit équivaut à la māhārāṣṭrī de Nāṭyaśāstra, car il n’accepte en aucun cas le t dental sonorisé dans cette langue. En revanche, Cet auteur est plus libéral (pakṣe) au niveau des variantes. Lakṣmīdhara (XIVe siècle), auteur de la Ṣaḍbhāṣācandrikā, suit Hemacandra. Malgré ces différences et le fait que les grammairiens mentionnent unanimement cette langue sous le terme générique de « prakrit », il s’agit de la langue « māhārāṣṭrī ». Toutes les différences dialectales sont indiquées par renvoi à cette dernière. Ainsi, nous allons la désigner par le terme de « prakrit standard » 1729 . Si quelques indications dialectales se trouvent dans le Nāṭyaśāstra, elles sont approximatives et grossières. Ce sont donc les derniers chapitres du Prākṛtaprakāśa, et son commentaire attribué à Bhāmaha, qui tentent, pour la première fois, de fournir une description plus approfondie. Il semble que les règles distinctives des dialectes ont augmenté durant les siècles. Ainsi, nous trouvons d’abondantes définitions, lesquelles sont de plus en plus précises, dans le Prākṛtānuśāsana de Puruṣottama, et surtout dans le Prākṛtasarvasva de Mārkaṇḍeya. Alors que les grammaires de Vararuci et de Hemacandra comportent peu de différences phonétiques et nombre de divergences grammaticales entre le prakrit standard et la śaurasenī, la différence phonétique a considérablement augmenté dans les œuvres de Puruṣottama et de Mārkaṇḍeya. Lakṣmīdhara rompt le processus de la multiplication des règles restrictives des dialectes et revient aux principes les plus fondamentaux de chacun. Il est manifeste que les grammairiens eux-mêmes n’étaient pas d’accord sur ce qui appartient au prakrit standard et à ses dialectes ; nous pouvons énumérer les divergences les plus importantes ci-dessous : a) Le prakrit standard du Nāṭyaśāstra est une māhārāṣṭrī « pure », supprimant généreusement les occlusives non aspirées intervocaliques ; b) Le prakrit standard de Vararuci est une māhārāṣṭrī « hybride » : t, k supprimés et sonorisés, r remplacé par l, libre choix entre un verbe tadbhava et un autre d’origine régionale ; c) Le prakrit standard de Hemacandra et de Lakṣmīdhara est une māhārāṣṭrī « pure », similaire à celle du Nāṭyaśāstra, amuissant systématiquement le t dental intervocalique et transformant le sk. th en h ;

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *