La limitation des courtes peines d’emprisonnement

La surpopulation pénale en maison d’arrêt

Les maisons d’arrêts sont destinées à recevoir les prévenus placés en détention provisoire ainsi que les condamnés dont la peine ou le reliquat de peine est d’au maximum deux ans.
Ces établissements pénitentiaires font l’objet d’une surpopulation carcérale depuis plusieurs années. Au 1er mai 2018, le nombre de personnes détenues est de 48 270 pour 33 952 places opérationnelles. Le taux d’occupation en maison d’arrêt s’élève à 142, 2%.
La correctionnalisation de certaines contraventions, la création de nouvelles incriminations, le développement des procédures de jugement rapide, sont autant de facteurs qui contribuent à l’inflation carcérale par le prononcé de courtes peines d’emprisonnement.
Malgré les différentes possibilités afin d’éviter l’incarcération, ces peines participent toujours et de manière importante à la surpopulation carcérale. Au 1er janvier 2017, 15 100 détenus
purgeaient une peine d’emprisonnent inférieure à 6 mois. Pour 11 700 condamnés la peine à effectuer était comprise entre six mois et un an .
D’une manière générale, les courtes peines exécutées en détention sont donc comprises entre six mois et un an. Cette affirmation est corrélée par le quantum moyen d’emprisonnement ferme prononcé qui était légèrement supérieur à huit mois en 2016. Bien que le recours à la peine d’emprisonnement ferme soit moins fréquent, la part des peines d’emprisonnement ferme comprises entre quatre mois et un an est celle qui a le plus progressée (31 % en 2004 contre 38% en 2016).
Le projet de loi actuel, dans le titre concernant le sens et l’efficacité des peines, poursuit notamment l’objectif de lutte contre la récidive et de diminution de la population carcérale. Pourtant, l’une des nouvelles dispositions veut que les peines d’emprisonnement au-delà d’un an soient automatiquement exécutées par l’incarcération. Ainsi, la portée de l’article 723-15 du Code de procédure pénale est considérablement réduite. Celui-ci permet au JAP d’étudier l’opportunité d’un aménagement pour les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à deux ans (le seuil est fixé à un en cas de récidive légale). Nous reviendrons sur cette procédure plus en détails dans le cadre de notre développement.

L’affirmation du principe de l’aménagement de peine

La loi du 9 mars 2004 avait déjà permis à la juridiction de jugement de prononcer une semi-liberté, un placement à l’extérieur ou un placement sous surveillance électronique ab initio. Toutefois, le législateur pénitentiaire va transformer cette faculté en un impératif.
D’une manière générale, la loi du 24 novembre 2009 souhaite faire de l’aménagement de peine, aussi bien avant mise à exécution, qu’au cours de celle-ci, un principe phare du droit de l’exécution des peines. En ce sens, l’article 707 du Code de procédure pénale est modifié : l’aménagement de peine n’est plus une faculté (« les peines peuvent être aménagées ») mais un principe (« les peines sont aménagées »). Concernant spécifiquement l’aménagement ab initio effectué par le juge correctionnel à la suite du prononcé de la peine, le législateur pénitentiaire crée effectivement un nouvel alinéa à l’article 132-24 du Code pénal, siège de l’individualisation des peines.
Par la suite, la loi du 15 août 2014 transfert ces dispositions à l’article 132-19 du Code pénal. L’ancien article est donc vidé de sa substance et sert d’introduction à la section portant sur les modes de personnalisation des peines. Cette modification a permis une meilleure lisibilité quant aux exigences à respecter lors du prononcé de celles-ci.
Enfin, la loi du 3 juin 2016 opère un nouveau changement de l’article 132-19. Auparavant, le tribunal devait spécialement motiver sa décision s’il prononçait une peine d’emprisonnement sans sursis ou non aménagée. Dorénavant, la conjonction de coordination «et» rend obligatoire les deux jeux de motivation. Le principe est donc, qu’en matière correctionnelle, une peine d’emprisonnement ferme ne doit être prononcée qu’en dernier recours. Nous étudierons plus en détails cet élément plus tard dans notre raisonnement. De plus, dans l’hypothèse où le juge déciderait de prononcer de l’emprisonnement sans sursis, il doit «si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle» faire bénéficier au condamné d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du Code pénal. Par renvoi à ces articles, nous constatons implicitement que le législateur fait référence aux courtes peines car les dites mesures : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, et fractionnement de la peine, correspondent à des temporalités courtes. L’aménagement ab initio est donc possible uniquement pour les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à deux ans48 et inférieures ou égales à un an pour les personnes condamnées en état de récidive légale.
Si la juridiction de jugement décide d’aménager la peine, la motivation n’est pas nécessaire. A contrario, en cas de défaut d’aménagement, elle est dans l’obligation de le justifier. Pour autant, cela ne signifie pas qu’une condamnation à de l’emprisonnement ferme sera automatiquement mise à exécution par l’incarcération. La procédure de l’article 723-15 du Code de procédure pénale apparaît comme une soupape de sécurité. Le JAP étudiera à son tour la possibilité d’aménager la peine, notamment après avoir recueilli des éléments sur la situation du condamné.

La volonté de réduire le recours à l’emprisonnement

Cette volonté se manifeste à deux niveaux. D’abord, le législateur veut réduire le prononcé des courtes peines d’emprisonnement en recherchant constamment des alternatives à cette peine. Ce n’est que secondement qu’il s’atèle à faire de l’emprisonnement ferme une peine de dernier recours en renforçant l’exigence de motivation .

La recherche constante d’alternatives

Le législateur souhaite limiter le recours à l’emprisonnement en recherchant sans cesse des alternatives afin d’inciter les juges à ne pas recourir à une telle peine. Plusieurs justifications peuvent être avancées : influence des textes européens et internationaux, inefficacité du milieu carcéral dans la lutte contre la récidive, effets néfastes de la détention, coût d’exécution d’une peine de prison, augmentation de la surpopulation carcérale…
L’instauration du sursis simple, du SME ainsi que du sursis-TIG ont permis une véritable personnalisation de la peine à travers ses modalités d’exécution. Les sursis n’empêchent pas le prononcé d’une peine d’emprisonnement mais ils en suspendent la mise à exécution à la condition soit, de l’absence d’un nouveau délit entraînant une nouvelle condamnation, de la réalisation de différentes obligations dans une période de mise à l’épreuve, ou de l’accomplissement d’un TIG. En outre, le législateur a œuvré dans un «mouvement général de diversification des sanctions pénales» à travers la création de peines alternatives. Ces dernières ont été créés fin d’être prononcées par le juge à la place de la peine principale encourue. Dans le cadre de ce propos, nous étudierons uniquement les peines alternatives à l’emprisonnement. Sont donc exclues les peines qui se substituent à l’amende lorsque cette dernière est l’unique peine encourue (peines privatives ou restrictives de droit, sanction-réparation).
La peine de jours-amende pose difficulté car le texte ne mentionne pas si celle-ci intervient en remplacement d’une peine d’emprisonnement ou d’une peine d’amende (art. 131-5 C. pén.). Toutefois, il est précisé que celle-ci ne peut pas être prononcée de manière cumulative avec la peine d’amende (art. 131-9 C. pén.), ce qui laisse penser qu’elle est davantage une peine alternative à l’amende plutôt qu’à l’emprisonnement .

La motivation de l’emprisonnement ferme

Du Moyen-Age à l’Ancien Régime, il n’existe aucune obligation de motivation des décisions pénales. C’est lors de la Révolution française, avec le décret du 3 novembre 1789 (art.22) qu’est imposé une motivation quant à la déclaration de culpabilité mais il ne s’agissait pas de motiver le choix de la peine. Plus tard, le Code de 1810 n’impose pas de motivation tant le choix de la peine est davantage celui du législateur que celui des juges.
En 1824, l’instauration des circonstances atténuantes donne la possibilité aux magistrats de déroger aux contraintes légales ; pour autant ils n’ont pas toujours pas à se justifier. L’absence de motivation est alors justifiée par la peur que les juges contestent la sévérité du législateur en expliquant les raisons de leur bienveillance et par la croyance qu’une motivation de la peine porterait atteinte à l’autorité du juge. Le principe est donc que le choix de la peine est discrétionnaire. Ce n’est que de manière spécifique que le législateur impose une motivation. C’est le cas de la peine d’emprisonnement sans sursis, mais également en cas de prononcé d’une interdiction du territoire pour les étrangers (art. 131-30-1 C. pén.) et pour écarter la diminution légale de peine pour des mineurs de seize à dix-huit ans (art. 20-2 ord. 2 févr. 1945). Toutefois, ces cas particuliers n’ont pas remis en cause le pouvoir discrétionnaire des juges. La jurisprudence de la Cour de cassation était constante sur le fait de dire « qu’hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix de la sanction qu’ils appliquent dans les limites légales ». L’exigence de motivation de la peine d’emprisonnement sans sursis est présente dès l’introduction du nouveau Code pénal en 1994. Il est même étonnant de savoir que la Commission de révision du dit code avait proposé une obligation de motivation pour l’ensemble des peines d’emprisonnement assorties ou non de sursis, d’une durée inférieure ou égale à quatre mois. Déjà à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, le législateur avait pour intention de lutter contre les courtes peines d’emprisonnement.

Le choix de la peine d’emprisonnement ferme contrôlé rigoureusement

C’est la Cour de cassation, par son interprétation de l’article 132-19 du Code pénal concernant l’exigence de motivation de la peine d’emprisonnement sans sursis, qui va permettre de contrôler l’application effective du texte par les juges du fond. Comme il a été dit, s’il est louable que le législateur ancre de manière expresse dans le Code pénal sa volonté de voir la peine d’emprisonnement ferme devenir subsidiaire, demander aux juges une motivation spéciale peut s’avérer totalement inutile si les juges se contentent d’une motivation a minima.
Antérieurement à la loi pénitentiaire, la Cour de cassation rappelait de manière constante que «la détermination de la peine par les juges dans les limites prévues par la loi relève d’une faculté dont ils ne doivent aucun compte, et à laquelle l’article 132-24 nouveau du Code pénal n’a apporté aucune restriction».
Après le renforcement de l’exigence de motivation par la loi du 24 novembre 2009 et jusqu’en 2014, la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas homogène. Il est difficile de déterminer son niveau d’exigence. Ainsi, dans certains arrêts, la Haute juridiction procède à un contrôle  attentif. Elle casse partiellement des arrêts de cours appel sur la peine au motif que celle-ci soit «n’a pas justifié sa décision au regard des prescriptions légales» ; soit « a méconnu le sens et la portée du texte ».
Également, elle censure un arrêt d’appel pour insuffisance de motivation de la peine d’emprisonnement ferme alors même que le demandeur au pourvoir reprochait un défaut de motivation quant à l’impossibilité d’aménagement uniquement .
Malgré des arrêts de cassation, les attendus de principe ne permettent pas de connaître les exigences de la Cour de cassation quant au contenu à donner aux critères légaux. Quels sont les éléments factuels qui permettent de justifier la nécessité d’une peine d’emprisonnement et le caractère inadéquat de toute autre sanction ? Le plus souvent les juges du fond se contentent de mentionner uniquement la gravité des faits sans expliciter davantage ou ils se réfèrent seulement à des éléments de personnalité.
La loi pose comme critères au prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme la nécessité de cette peine mais également l’inadéquation manifeste de toute autre sanction. Ce second critère fait l’objet d’un contrôle aléatoire. Il est parfois oublié, la Cour de cassation mentionne seulement l’obligation de motiver la nécessité de l’emprisonnement sans sursis et l’impossibilité de son aménagement. Dans d’autres décisions, les juges estiment que le caractère inadéquat de toute autre sanction a pour conséquence de rendre la peine d’emprisonnement nécessaire, les deux critères sont liés.
La réception par la Cour de cassation de l’exigence de motivation apparaissait donc comme «contrastée».

Table des matières

Introduction
PARTIE I: Promouvoir l’aménagement des courtes peines
Chapitre 1 : La part importante des courtes peines exécutées en maison d’arrêt
Section 1 – Des peines difficilement aménageables en cours d’exécution 
§1. Des facteurs liés au contexte
A) La surpopulation pénale en maison d’arrêt
B) Le manque de suivi réel
§2. Des facteurs liés aux condamnés
A) Des profils délicats
B) La demande d’aménagement influencée par la durée d’incarcération
Section 2 – La lutte contre les sorties « sèches »
§1. L’automatisation de l’aménagement en fin de peine
A) La NPAP, annonciatrice d’un mouvement
B) La tendance confirmée
§2. La nécessité d’une véritable préparation à la sortie
A) L’amélioration des infrastructures
B) L’amélioration de l’accompagnement
Chapitre 2 : L’aménagement ab initio, un moyen d’éviter l’incarcération 
Section 1 – Le juge correctionnel, acteur de l’application des peines ?
§1. L’exigence de motivation relative au prononcé d’une peine ferme non aménageable
A) L’affirmation du principe de l’aménagement de peine
B) Le contrôle rigoureux de la Cour de cassation
§2. Une possibilité peu utilisée en pratique
A) Le manque d’informations sur la situation des prévenus
B) La redéfinition du rôle du juge correctionnel
Section 2 – Le juge d’application des peines, réel « orfèvre » de la peine
§1. L’efficience des courtes peines grâce aux aménagements
A) La recherche d’une mise à exécution rapide
B) L’occasion d’individualiser la peine
§2. Une procédure victime de son succès
A) L’élargissement des critères
B) Vers une suppression de l’article 723-15 ?
Conclusion intermédiaire
Partie II : Repenser le choix de la peine
Chapitre 1 : L’emprisonnement, l’indétrônable peine reine 
Section1 – L’incohérence du législateur 
§1. La volonté de réduire le recours à l’emprisonnement
A) La recherche constante d’alternatives
B) La motivation de l’emprisonnement ferme
§2. La mise en place d’une politique répressive
A) Le durcissement de la politique pénale
B) L’ubiquité de l’emprisonnement
Section 2 – La pratique judiciaire face à l’emprisonnement
§1. Des juges limités dans le choix de la peine
A) Le choix de la peine influencé par l’orientation procédurale du parquet
B) Le choix de la peine d’emprisonnement ferme contrôlé rigoureusement
§2. Des juges acteurs
A) Les juges correctionnels, partisans inconditionnels de l’emprisonnement ?
B) Une peine moins sévère mais plus juste
Chapitre 2 : L’incitation au prononcé d’autres peines
Section 1 – La redynamisation de l’ensemble des alternatives 
§1. Un usage inégal
A) Le recours conséquent à certaines alternatives
B) La désaffection du travail d’intérêt général
§2. Une recherche d’efficacité
A) L’ordinaire relance du travail d’intérêt général
B) La généralisation des enquêtes de personnalité
Section 2 – L’indispensable marginalisation de la peine d’emprisonnement
§1. L’ajout de « nouvelles »peines
A) La nouvelle désillusion quant à la probation
B) Le placement sous surveillance électronique en tant que peine autonome
§2. La nécessité d’empêcher le prononcé des courtes peines d’emprisonnement
A) L’insuffisance d’une simple réécriture de l’échelle des peines
B) L’interdiction de prononcer des courtes peines, un impératif regrettable
Conclusion
Bibliographie

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