L’action publique face au risque social

L’action publique face au risque social.

Le principe fondamental de l’action publique relative aux risques sociaux est d’offrir une protec- tion minimale aux membres de la société à la fois a priori, par la maîtrise du risque, et a posteriori, par la compensation des dommages subis. Plus précisément, quatre objectifs principaux peuvent être distingués, correspondant à autant de champs de l’intervention publiqueChacun de ces domaines comporte des logiques et des instruments d’intervention très différents selon la nature des risques. L’évaluation d’un risque local, d’une grande stabilité en termes de fréquence, comme certaines inondations, et celle de risques émergents, présentant de multiples facettes et posant des défis scientifiques importants, comme ceux liés aux nanotechnologies, n’ont guère que le nom en commun. La gestion de crise d’un risque à cinétique lente, tel que la sécheresse, a peu à voir avec celle d’un pandémie grippale. Le problème de l’indemnisation se pose en des termes très différents selon que la responsabilité des dommages est attribuable, comme dans le cas d’un accident industriel, ou non, ce qui est presque toujours le cas pour les catastrophes naturelles.De multiples guides méthodologiques à usage des décideurs publics ont en outre été proposés dans les différents domaines couverts au chapitre précédent depuis trois décennies, dont des exemples classiques sont la formalisation du processus d’évaluation des risques en santé-environnement (Na- tional Research Council, 1983) et de la liaison entre évaluation du risque et décision publique (National Research Council, 1996) par l’Académie des sciences aux États-Unis.Pour différents qu’ils soient, cependant, ces domaines de l’action publique gagnent à faire l’objet d’une analyse commune. En premier lieu, des tendances communes ont été à l’œuvre dans l’ensemble de ces domaines, qui nous semblent constituer la toile de fond de la décision publique en situation de risque social. Il s’agit, en premier lieu, du développement spectaculaire de la législation sur le risque, qui semble marquer, comme dans d’autres domaines, le passage de formes d’intervention publique directe vers l’établissement de « règles du jeu social ». Nous y consacrerons la première partie de ce chapitre.

Nous nous intéressons ensuite aux conséquences de la décentralisation des décisions à partir du cas des risques d’inondation, qui est illustratif de l’autonomie des forces sociales et des difficultés que peut avoir le décideur public à les diriger. Le second avantage de porter un regard transverse sur les risques sociaux est qu’il s’agit de cas de décision publique en situation d’incertitude ; une réflexion normative sur les modalités de cette décision peut donc être pertinente pour tous, de même qu’elle peut avoir avantage à considérer la diversité des situations. Nous en discuterons dans la dernière partie de ce chapitre. Les considérations précédentes nous amèneront à porter un regard circonspect sur la figure du décideur social bienveillant chère à la théorie économique normative, d’autant qu’elle se heurte également à d’importantes objections théoriques dans le cas du risque.La notion de risque a été au centre d’une activité législative et réglementaire considérable en France au cours des quinze dernières années. Cette évolution, suscitée pour partie par des initiatives de l’Union Européenne et par la jurisprudence des tribunaux européens, est fréquemment justifiée par des motifs de transparence et d’efficacité des politiques publiques. Des juristes tels qu’Alemanno (2008) considèrent ainsi que la réglementation européenne sur le risque est un outil à la fois contre le protectionnisme et pour assurer la « rationalité scientifique » de la réglementation. L’argument sous- jacent est que les méthodologies d’évaluation et de gestion du risque qui sont ainsi introduites dans le droit rendront les décisions publiques concernées à la fois mieux fondées et mieux proportionnées. Le développement de la législation sur le risque s’est doublé de mutations institutionnelles im-, a profondément réorganisé le système d’évaluation et de surveillance des principaux risques pour la santé humaine, qu’elle a fonctionnellement séparé de la gestion du risque, en plaçant au centre du dispositif d’évaluation cinq nouvelles agences sanitaires : l’Institut national de veille sanitaire (INVS), l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE).Il en est d’autant plus remarquable que le risque ne fasse l’objet d’aucune définition en droit français. Certes, un ouvrage de référence en matière de vocabulaire juridique propose : « le risque est l’anticipation de la survenue d’un événement défavorable dont la réalisation ou la date de réalisation est incertaine ; se dit aussi bien de l’éventualité d’un tel événement en général, que de l’événement spécifié dont la survenance est envisagée » (Cornu, 2007). Mais une telle acception est trop générale pour être véritablement opérationnelle. Les textes législatifs, et en particulier ceux cités dans le chapitre précédent, laissent pour leur part la notion de risque indéfinie.

En la matière, la loi française procède généralement sur la base de nomenclatures (de substances, d’activités, etc.) et par énumération de sources de danger. À titre d’exemple, le livre V du code de l’environnement, relatif à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances, commence par désigner les installations relevant de ses dispositions dans les termes suivants : « Sont soumisaux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique »que par énumération, la loi se prive des moyens et des opportunités de traiter de questions impor- tantes telles que les formes de prise en compte de l’incertitude ou de pondération des différents enjeux. La loi a tendance à définir les responsabilités face au risque par référence à des notions telles que les études de danger et les évaluations de risque, renvoyant de ce fait à des lexiques et des modes de gestion techniques et à l’arbitrage des tribunaux. Il peut être intéressant, à cet égard, de reconstituer la chronologie de l’apparition du concept de risque dans un cas comme celui de la réglementation sur les installations industrielles dangereuses., qui exigeait la réalisation d’une « étude exposant les dangers que peut présenter l’installation en cas d’accident et justifiant les mesures propres à en réduire la probabilité et les effets ». Le décret évitait donc une formulation en termes de risque, et bien qu’il mentionnait les probabilités et conséquences d’accident, ne mettait pas en relation ces termes et n’exigeait pas leur quantification. Il renvoyait par ailleurs à une nomenclature des installations classées établie par le décret du le décret du 20 juin 1953, qui reste la référence légale définissant les activités industrielles dangereuses de nos jours. Le décret de 1953 énumère 413 types d’installations industrielles selon leur production, en citant leurs « inconvénients » au nombre desquels l’« altération des eaux », les « émanations nuisibles accidentelles », et les dangers d’incendie ou d’explosion, mais aussi le « danger des mouches ».

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