L’aventure politico-légale du FIS l’opportunité de la voie électorale comme alternative à la violence

L’aventure politico-légale du FIS l’opportunité de la voie électorale comme alternative à la violence

Nul doute que les bouleversements institutionnels et politiques, survenus à la suite de l’explosion des émeutes d’octobre 1988, ne pouvaient que constituer des modifications majeures dans le « champ des possibles » pour les différentes tendances du courant de l’islamisme. Ainsi, si la première réforme constitutionnelle adoptée le 3 novembre 1988 a conduit à l’éclatement du pouvoir exécutif et à l’émergence d’un chef de gouvernement responsable devant l’assemblée713, c’est en revanche la deuxième réforme constitutionnelle adoptée le 23 février 1989, qui a transformé en profondeur le paysage politique algérien, en autorisant notamment la création des associations à caractères politique (ACP), ce qui, comme le notait A. Lamchichi, consacrait implicitement le multipartisme même si ce terme n’a pas été formellement mentionné714. Ce début d’ouverture politique a permis aux différentes tendances islamiques de s’affranchir de l’activisme clandestin et les a conduites à s’organiser dans un cadre politique formel. C’est à ce moment-là que la cartographie de différentes forces politiques appartenant au courant de l’islamisme est apparue plus clairement, d’autant plus que les rivalités qui animaient ces différentes tendances autour du leadership de la mouvance islamique mettaient à nu les frontières idéologiques et politiques qui séparaient les différents mouvements islamiques activant sur la scène politique. 

Le FIS, un rassemblement hétéroclite de tendances islamiques

Au-delà de la rivalité récurrente qui les animait, la majeure partie des mouvements islamiques organisés n’entendait pas se constituer en partis politiques, mais préférait plutôt s’activer dans un cadre associatif715. Ceci d’autant plus que ce cadre associatif venait d’être ouvert au champ politique. La logique dominante chez la mouvance islamique en général, était que le travail de prédication devait précéder l’action politique proprement dite716. Mais, les enjeux suscités par cette ouverture au champ politique ont fait émerger plusieurs questions cruciales qui ont fait débat au sein des différentes tendances de l’islam politique algérien : la première nous semble être d’ordre éthico-politique et reflétait la perception même du « faire de la politique » ; autrement dit, la question de savoir s’il était permis de procéder à une politisation de la religion, et pour reprendre l’expression de Myriam Ait Aoudia, d’entamer une requalification politique et partisane717 de la religion, ou alors, au contraire, de rester dans une optique de prédication religieuse et morale pour éviter que le politique ne vienne « souiller 718 » le religieux. Les trois courants islamiques les mieux connus et les mieux organisés à ce moment-là — en l’occurrence les tendances locales et internationales des frères musulmans, ainsi que la tendance nationaliste (Al Djazara) — s’étaient joints à une initiative plus globale portant à concrétiser une union sous l’égide de la Ligue pour la prédication islamique (Rabitat Al Da’awa Al Islamiyya) présidée par le cheikh Ahmed Sahnoun719. Mais les rivalités autour du leadership et l’organisation de cette ligue conduira à l’échec des tractations, notamment après que l’idée de la création d’un parti politique soit arrivée à un stade de maturation chez certaines figures de la Salafiya Harakiyya, le salafisme activiste720(comme Ali Benhadj, Hechemi Sahnouni et Kamal Guemazi), mais aussi, chez les militants du Groupe de l’Est (comme Abdelkader Boukhamkham, Ali Djeddi et Abdelkader Hachani)721. Ceci nous amène à la deuxième question fondamentale qui s’est posée pour la mouvance islamique : qui allait conduire le mouvement islamique en Algérie ? Cette question est en effet, à l’origine de la concurrence organisationnelle acharnée à laquelle se sont livrées les différentes tendances de l’islamisme. Chaque tendance voulait en effet s’imposer comme étant la représentante légitime de l’islamisme sur la scène politique algérienne. Cela dit, le poids décisif et l’assise populaire dont jouissaient certains prédicateurs salafistes ralliés à l’idée de créer un parti politique islamique, a définitivement convaincu les futurs fondateurs du FIS de créer leur parti et ce, malgré les réticences des plus grandes et anciennes figures dirigeantes de l’islamisme algérien, telles que Abdallah Djaballah et Mahfoud Nahnah, de même que la majorité des prédicateurs salafistes de tendance piétiste parmi lesquels se trouvait le Cheikh Farkous, Ahmed Sahnoun, Kamal Nour, Abdel Malek Ramdani et Salim Serrar. Mises devant le fait accompli, les plus importantes organisations islamiques existantes comme Al Irchad Wa Al Isalh724 et Al Nahda Al Khayria725 n’avaient pas d’autres choix que de se dissoudre à l’intérieur du FIS ou de créer leurs propres partis politiques. C’est ainsi qu’un grand nombre de militants appartenant au Groupe de l’Est proche de A. Djaballah ont fait le choix d’adhérer à titre individuel726 au parti du FIS naissant. De leur côté, M. Nahnah et A. Djaballah se résoudront à créer séparément deux partis politiques distincts, respectivement le Mouvement de la société pour la paix et le Mouvement Al Nahda.

 Les enjeux de la conquête du pouvoir local par le FIS (élections locales de juin 1990)

Si l’on croit les différents témoignages d’anciens dirigeants du FIS comme Sahnouni, Bouklikha et Merrani747, la participation aux élections locales ne constituait guère un enjeu majeur pour la direction du parti, du moins, avant qu’elle n’ait pris conscience de l’ampleur de son succès électoral. Néanmoins, il y avait là une opportunité historique inestimable de convaincre la base militante du parti islamique naissant, que la conquête du pouvoir qui apporterait un changement par la voie légale était désormais envisageable. Le fait que les dirigeants les plus en vue et les plus connus au moment de la création du parti, étaient de tendance salafiste, pouvait permettre d’absorber la fougue des militants imprégnés de la pensée du salafisme djihadiste comme nous l’expliquait cet ancien militant très actif au sein du FIS : « le front des djihadistes était bouillonnant, la plupart étaient relativement jeunes et n’avaient pas la même philosophie que les anciens chouyoukh (leaders et guides spirituels). Ils étaient relativement peu nombreux en comparaison avec la totalité de la base, mais ils étaient très fougueux (Moutahamissin). Cela se comprend, certains revenaient d’Afghanistan, d’autres avaient pris les armes avec Bouyali ou l’ont aidé indirectement, ils savaient que les temps avaient changé en constatant que les Russes n’avaient rien pu faire contre de simples moudjahidines légèrement armés. Ils ont aussi vu la chute du Chah d’Iran (…). L’équation était simple, soit on accède au pouvoir par une mobilisation générale pacifique, ce qui pour eux était du ressort du FIS, soit on les en empêchait et ils engageaient le djihad (…). Heureusement que des personnalités, que Allah les préserve, comme Ali Benhadj, Abassi Madani, Sahnouni et les autres étaient là pour leur montrer le chemin » 748 . Cela dit, en réalité, la question de la participation aux élections locales de juin 1990 ne relevait pas de l’évidence en ce qui concerne le FIS. Le salafisme pieux749, se prononce traditionnellement contre toute participation à un jeu politique régi par des lois positives (voir le tableau ci-dessous). Or, la base militante drainée par les prêches des différents imams majoritairement salafistes affiliés à ce parti, était elle aussi essentiellement salafiste750 , même si le salafisme dont on parle ici n’était pas réellement présent au sein de ces masses sous une forme idéologique cohérente et structurante, mais dans un état diffus.

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