Les bivalves filtreurs Astarte moerchi : modèle biologique pour l’étude des écosystème marins arctiques

Les bivalves filtreurs Astarte moerchi : modèle
biologique pour l’étude des écosystème marins arctiques

Les écosystèmes marins arctiques : introduction

La notion d’écosystème a été proposée par Tansley (1935) pour désigner les « unités de base de la nature » qui peuvent être identifiées du point de vue de l’écologue, unités entendues comme un système intégré impliquant les composantes abiotiques d’un environnement et des interactions entre organismes vivants (Tansley 1935). L’écosystème qu’on qualifie « Arctique » fait référence à une unité géographique situé autour du pôle Nord et dont il est possible d’identifier les limites de différentes manières (Frenot 2007). Le cercle polaire arctique (66°33’ N), latitude sous laquelle le Soleil ne se lève pas le jour du solstice d’hiver et ne se couche pas le jour du solstice d’été, est parfois considéré comme délimitant l’écosystème arctique. Néanmoins, d’un point de vue biologique, cette délimitation n’est pas pertinente, ne permettant pas d’identifier des processus écologiques qui sont propres à ce milieu (Frenot 2007, Thomas et al. 2008). Une autre possibilité est de définir l’ « Arctique » par l’isotherme de +10°C ou ligne de Köppen : la ligne au-delà de laquelle la température moyenne du mois de juillet ne dépasse pas 10°C. Cette délimitation correspond approximativement à la ligne de croissance des arbres, qui définit la zone à partir de laquelle la forêt boréale (taïga) laisse la place à la toundra : cette délimitation de l’écosystème arctique semble déjà plus pertinente pour la biologie, du moins en ce qui concerne l’écologie des milieux terrestres. Pour le milieu marin, quand on parle d’ « écosystèmes marins arctiques », il est fait généralement référence à des systèmes qui peuvent être identifiés au sein de l’Océan Arctique ou de ses mers épicontinentales, même s’il n’y a pas une définition géographique précise et différentes démarcations concernant les limites sud peuvent être trouvées dans la littérature (Piepenburg 2005 ; Fig. 1). Avec une surface d’environ 14 millions de km2 (2% du volume océanique global), l’Océan Arctique communique avec l’Océan Pacifique à travers le détroit de Bering et la Mer de Chukchi, et avec l’Océan Atlantique à travers le détroit de Fram, la Mer de Norvège et de Barents, l’Archipel Canadien et la Baie de Baffin (Carroll & Carroll 2003). Il se caractérise par un bassin central profond (> 5000 m) traversé par la Dorsale de Lomonossov, qui sépare le bassin eurasien du côté Atlantique du bassin Canadien du côté Pacifique (Carroll & Carroll 2003, Fig. 2). La zone des plateaux continentaux présente une très large étendue, représentant environ 31% des plateaux du monde (Gradinger et al. 2010).  

Facteurs abiotiques

Les écosystèmes marins arctiques se caractérisent par une extrême saisonnalité des paramètres abiotiques et notamment la lumière, la couverture de glace, les apports fluviaux et la salinité (Gradinger et al. 2010). Le couvert de glace se répartit sur tout l’Océan Arctique en hiver avec une étendue maximale en février ; lors de la fonte annuelle la banquise « saisonnière » disparaît (environ 40%) et seulement la banquise « pluriannuelle » demeure (Carroll & Carroll 2003, Gradinger et al. 2010, Fig. 3). Les apports d’eau douce issus des grands fleuves arctiques et de la fonte des glaces contribuent à la stratification de la colonne d’eau au printemps et en été (Grebmeier & Barry 1991, Canobbio 2007), jouant un rôle majeur dans les processus océanographiques à la fois à l’échelle de l’Arctique et de la planète (Wassmann et al. 2011). Les rivières apportent également des sédiments inorganiques (avec des contenus variables de vase, sable et matériel rocheux) dans les mers marginales et dans le bassin central arctique (Grebmeier & Barry 1991). Les concentrations en nutriments inorganiques présentent des gradients importants, pouvant aller de régions riches en nutriments comme les plateaux continentaux de la mer de Chucki à des conditions oligotrophes au sein de la Gyre de Beaufort (Gradinger et al. 2010)

Producteurs primaires

Ces facteurs abiotiques caractéristiques du milieu arctique (lumière, couverture de glace, apports fluviaux, etc.) influencent les patrons biologiques et tout d’abord les dynamiques de la production primaire, dépendantes principalement des conditions de lumière et de la disponibilité en nutriments (Gradinger et al. 2010). L’extrême saisonnalité des conditions de lumière et du couvert de glace se traduit dans une période de production primaire restreinte sur seulement quelques mois au printemps et en été (Carroll & Carroll 2003). Il est généralement admis que les producteurs primaires principaux en Arctique sont les algues de glace (ou algues « sympagiques ») et le phytoplancton (Legendre et al. 1992 ; voir également l’introduction de la thèse de Gaillard (2016) pour une revue de la littérature). Les algues sympagiques, principalement des diatomées, commencent à se développer en dessous ou au sein de la banquise dès que les conditions de lumière le permettent, généralement vers mi-mars, jusqu’à la fonte du substrat (Legendre et al. 1992, Hegseth 1998). La production liée aux algues de glace varie fortement selon les gradients latitudinaux et les dynamiques régionales, pouvant représenter 25% de la production primaire totale annuelle dans les eaux couvertes de glace de manière saisonnière (Legendre et al. 1992) et jusqu’à 50% dans la partie centrale de l’Arctique où la banquise est pluriannuelle (Gosselin et al. 1997, Gradinger et al. 2010). Les efflorescences phytoplanctoniques suivent celles des algues de glace et sont généralement limitées aux eaux ouvertes, même si elles peuvent avoir lieu également sous la banquise si les conditions de lumière sont suffisantes (Leu et al. 2011, Arrigo et al. 2012, Mundy et al. 2014). La période de ces « blooms », également variable selon les régions et la latitude, commence généralement en avril et s’arrête en septembre, avec des pics de productions primaire en juin ou juillet (Sakshaug 2004, Gradinger et al. 2010, Leu et al. 2011). L’intensité de ces efflorescences dépend des disponibilités de nutriments en Arctique, généralement limitées (Wassmann & Reigstad 2011), mais occasionnellement plus abondantes (Grebmeier et al. 2006). À côté des algues de glace et du phytoplancton, considérés comme les producteurs primaires principaux dans les écosystèmes marins arctiques, les microalgues benthiques (microphytobenthos) et les macroalgues peuvent également Introduction générale  représenter une contribution importante à la production primaire totale (Glud et al. 2002, Renaud et al. 2015a). Le microphytobenthos, composé principalement de diatomées pennées (Karsten et al. 2012), peut se développer dans les zones euphotiques en Arctique et dans certaines régions sa production est estimée comme étant comparable à celle du compartiment pélagique (Glud et al. 2009, Woelfel et al. 2010, McTigue et al. 2015). Ces fortes productions pourraient être dues au fait que, se développant à la surface des sédiments, le microphytobenthos utilise des nutriments issus des processus de réminéralisation (Glud et al. 2009), nutriments qui sont un facteur limitant en Arctique. Les macroalgues peuvent également représenter des contributions importantes par rapport à la production primaire totale. Par exemple, dans le fjord du Young Sound (nord-est du Groenland), la contribution des macroalgues a été estimée comme s’élevant à 20% de la production primaire totale (Glud & Rysgaard 2007). Par ailleurs, des études récentes ont montré que ces sources benthiques jouent un rôle important, même si jusque-là négligé (Renaud et al. 2015a), dans les réseaux trophiques côtiers en Arctique (Fredriksen 2003, McMeans et al. 2013, Renaud et al. 2015a, Gaillard 2016)

Un processus-clé : la relation trophique entre producteurs primaires et consommateurs benthiques Parmi les interactions nombreuses et complexes ayant lieu au sein des écosystèmes marins arctiques, un processus-clé peut être identifié auquel se réfère l’expression « couplage pélagos-benthos ». Cette expression peut indiquer l’ensemble des interactions complexes pouvant avoir lieu entre le compartiment pélagique et benthique (p. ex. cycles biogéochimiques et cycles de reproduction bentho-pélagiques des invertébrés), mais certains auteurs l’utilisent de façon plus spécifique pour désigner uniquement le flux « vertical » de matière organique de la colonne d’eau (producteurs pélagiques) jusqu’aux consommateurs benthiques (Grebmeier & Barry 1991, Wassmann et al. 1996, Richardson & Cedhagen 2001, Piepenburg 2005, Gaillard 2016). Il est admis que les apports en nourriture affectent de nombreux patrons et processus relatifs aux communautés benthiques, par exemple la distribution biogéographique, la diversité, les densités populationnelles et les biomasses (Piepenburg 2005). Ces patrons affectent à leur tour les niveaux trophiques supérieurs (Kedra et al. 2015) : en Arctique, les Introduction générale – 22 – organismes benthiques représentent la source de nourriture pour les consommateurs comme les oiseaux (en particulier de la famille des Merginae), les phoques barbus (Erignathus barbatus), les morses (Odobenus rosmarus) et les baleines grises (Eschrichtius robustus). En raison de cette influence sur l’ensemble des réseaux trophiques, le « couplage pélagos-benthos » est considéré comme un processus-clé dans les océans (Wassmann et al. 1996). Dans cette thèse nous avons choisi d’utiliser, pour désigner ce processus-clé, l’expression de « relation trophique entre producteurs primaires et consommateurs benthiques ». Cette expression a l’avantage de préciser que, parmi l’ensemble des interactions complexes pouvant avoir lieu entre le compartiment pélagique et benthique, l’intérêt porte spécifiquement sur des interactions trophiques. De nombreux facteurs associés à la colonne d’eau influencent la quantité et la qualité de la matière organique, d’origine pélagique ou sympagique, qui sédimente sur le fond de la mer et devient donc disponible pour les consommateurs benthiques : la composition spécifique des algues de glace et du phytoplancton, le broutage du zooplancton, l’intensité de la boucle microbienne, la profondeur, la stratification et la turbidité de l’eau (Wassmann 1998, Dunton et al. 2005). Par exemple, les densités faunistiques des communautés benthiques arctiques diminuent généralement avec la profondeur, l’apport de matière organique atteignant le fond étant moins important (Klages et al. 2004, Gradinger et al. 2010). Des grandes biomasses benthiques sont présentes dans certaines régions des plateaux continentaux, comme par exemple dans la mer de Béring et de Chukchi et dans des zones de l’Archipel Canadien et de la mer de Barents, où le « couplage pélagos-benthos » est étroit (Grebmeier & Barry 1991). 

Table des matières

LISTE DES ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Résumé de la partie « Introduction générale »
Les écosystèmes marins arctiques : introduction
Facteurs abiotiques
Producteurs primaires
Un processusclé : la relation trophique entre producteurs primaires et consommateurs benthiques
Des écosystèmes en changement
Un modèle biologique d’étude prometteur : les bivalves filtreurs
Méthodes d’étude pour l’approche synchronique : acides gras, isotopes stables, isotopes sur acides gras .
Méthodes d’étude pour l’approche diachronique : sclérochronologie et sclérochimie
Les bivalves du complexe Astarte borealis
Sites d’étude
Objectifs et structure de la thèse
PARTIE I. APPROCHE TROPHIQUE MULTIMARQUEURS
Introduction générale de la Partie I
Chapitre 1. Plasticité trophique chez le bivalve Astarte moerchi caractérisée par une étude
multimarqueurs dans deux fjords arctiques
Résumé du chapitre 1
Abstract chapter 1
1. Introduction
2. Material and methods
3. Results
4. Discussion
5. Acknowledgments
6. Supporting information
Chapitre 2. Composition en acides gras dans les glandes digestives et les muscles adducteurs du bivalve arctique Astarte moerchi : influence des contraintes
environnementales
Résumé du chapitre 2
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
5. Tableaux supplémentaires
PARTIE II. SCLÉROCHRONOLOGIE ET SCLÉROCHIMIE
Introduction générale de la Partie II
Chapitre 3. Analyse des ratios élémentaires et de la croissance dans la coquille des bivalves
Astarte moerchi : comparaison d’un fjord arctique et subarctique
Résumé du chapitre 3
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
5. Conclusions
Chapitre 4. Potentiel des bivalves fossiles d’Astarte moerchi pour la paléoécologi
Résumé du chapitre 4
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Résumé de la partie « Conclusion et perspectives »
Synthèse des résultats obtenus avec le couplage des deux approches
Développement du modèle et perspective
Les bivalves filtreurs : des modèles biologiques « in situ »
RÉFÉRENCES

projet fin d'etude

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