L’interface terre-mer comme sphère d’activités économiques

L’interface terre-mer comme sphère d’activités économiques

L’analyse de l’interface par l’organisation des complexes portuaires

La diversité des cargaisons, des navires et des modes d’acheminement a eu un impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur15 où la rationalité logistique a été particulièrement recherchée. Dans ce contexte ultra-compétitif, la concurrence entre les grandes compagnies maritimes et les transporteurs a stimulé l’innovation technique, avec le développement de nouvelles technologies de gestion des chaînes logistiques et de plateformes multimodales qui fluidifient le trafic et améliorent les connexions avec l’hinterland16 (Cheng, Zhu, 2011 ; Fan et al., 2013), ainsi que des dispositifs multimédias (Schön et al. 2013). Avant la révolution du conteneur, 75 % du coût final de la marchandise était dépensé dans le travail des dockers, alors que les frais de douane ne représentaient que 7% de celui-ci (Levinson 2006). Le conteneur a permis de réduire de manière radicale les coûts de transport et, par là même, d’accentuer le caractère concurrentiel et interchangeable des ports (Guillaume 2016). De plus, le mouvement d’intégration verticale et horizontale des grandes firmes de l’intermédiation portuaire a également participé à exercer une pression internationale forte. Ce gain de compétitivité a été un véritable bouleversement dans « l’économie bleue » (La documentation française 2014) puisqu’avec quelques porte-conteneurs d’aujourd’hui, il est possible de transporter autant de marchandises que des centaines de cargos au milieu du siècle dernier. La conteneurisation des marchandises se révèle être un autre atout de taille, qui viabilise le recours aux plateformes multimodales (Bouchery et Fransoo 2014) par un grand nombre d’acteurs professionnels. La révolution du conteneur n’est pas le seul mouvement de grande ampleur qui a bouleversé la logistique des échanges maritimes internationaux (Lévêque et al. 2013) : toute la chaîne logistique a connu de profondes mutations organisationnelles, dans le but d’accroître la compétitivité des territoires portuaires. Les connexions avec l’hinterland sont primordiales, il ne faut donc pas isoler le contexte portuaire ou le transport maritime de l’ensemble de cette chaîne (Bouchery 2014). Les ports maritimes deviennent ainsi les clés de voûte de ce long maillage territorial qui peut transporter de grandes quantités de marchandises à faible coût, au fil de l’eau jusqu’au point de débouché final (Frémont 2015). L’enjeu de la localisation des sites de stockage est donc aujourd’hui révolutionné, notamment par rapport au caractère multimodal de l’acheminement (Notteboom 2008 ; Guihéry et Laroche 2015).

L’analyse de l’interface par l’évolution du travail et des relations professionnelles

Comme l’a noté Polanyi (1963), l’existence de ports de commerce est un phénomène très ancien. La Méditerranée est l’une des zones géographiques les plus anciennes dans le développement de ces activités. Cet héritage représente à la fois un atout et un handicap. C’est un atout dans la mesure où de grandes infrastructures et de grandes compagnies maritimes ont été mises en place depuis des siècles. C’est aussi un handicap car les progrès technologiques de la logistique se heurtent à la résistance sociale. Le travail sur les quais était physiquement dur et exigeait de la dextérité, il était dangereux et faisait appel à beaucoup d’aléas, au niveau des plans de livraison. Les armateurs ont délégué la gestion de l’emploi et du travail aux autorités portuaires, car ces activités étaient basées sur des marchés du travail de cooptation et un syndicalisme fort. Le secteur des docks a été autorégulé pour réagir aux choix de livraison, avec une classe centrale qui avait priorité sur le travail et une deuxième classe de travailleurs temporaires (Saundry et Turnbull 1996 ; Domenichino et al. 1999). Les salaires et les conditions de travail étaient négociés en détail par les syndicats (Lovell 1969 ; Hill 1976 ; Pigenet 2001). Avec la numérisation des conteneurs et la robotisation du travail des hommes, les ordinateurs ont réduit le poids économique du travail à quai, en optimisant les opérations de grue et d’entreposage. A travers toutes ces innovations, le transport maritime a connu un gain de compétitivité important et une forte évolution de la division du travail. Pour prendre en compte ces évolutions, les sciences sociales se sont schématiquement divisées en deux types d’approches. L’approche des sciences de gestion a consisté à soutenir techniquement l’innovation logistique (El Khayat 2008 et 2014 ; Lyridis et Stamatopoulou 2014). L’histoire et la sociologie ont davantage rédigé une longue chronique des conflits du travail et des grèves (Turnbull 1992 ; Barzman 2012 ; Turnbull et Wass 1997 ; Decoene 2007), ainsi qu’une analyse des réformes des régimes professionnels (Noyer et Patillon 2012 ; Charbonneau 2013). Il en résulte que l’on sait toujours peu de choses sur les nouvelles professions en programmation et en 45 gestion logistique et sur leurs transactions avec les transporteurs, comme sur toutes les professions d’intermédiation qui interviennent sur la chaîne logistique. Le même processus est perceptible dans les études sur le travail maritime. Depuis les travaux de Norbert Elias sur la genèse de la profession navale (Elias 1950), l’attention portée à cette profession s’est principalement concentrée sur les statuts et les hiérarchies, et sur la façon dont l’emploi et les carrières ont été affectés par les changements d’accords sur les pavillons de complaisance (Hannigan 1984 ; Delaban 2006 ; Mac Connell, 2011) et la mondialisation (Honore 2008 ; Delanoe et al. 2012). L’étude du travail à bord demeure principalement axée sur la prévention des accidents (Mac Farlane 1970 ; Petersen et Nielsen 2001 ; Koester 2001) et du harcèlement (Charbonneau 2014), mais la préparation pratique des opérations de transit et de livraison, par les missions, les matelots et les équipes, est assez mal documentée18. De même, les travaux sur les terminaux pétroliers n’ont pas suscité l’intérêt des chercheurs, car la plupart des études sur la main-d’œuvre dans le secteur sont restées axées sur la perception des risques, sur les plateformes pétrolières offshore. Les professions les plus traditionnelles sont ainsi étudiées, sans compréhension détaillée des nouveaux débouchés de main-d’œuvre émergents, dans les chaînes de valeur et des changements subséquents, dans les frontières professionnelles. Pourtant, l’activité portuaire est précisément basée sur ce qu’Andrew Abbott appelle des écologies liées (Abbott 2003). De plus, on sait très peu de choses sur la gestion des transactions avec les autorités portuaires et les douanes (Cantens et Refas 2011), bien que cela soit crucial pour la création de valeur et les nouveaux gains de compétitivité.

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