Photographie de famille

 Photographie de famille

Approche iconographique

Parler de la dimension iconographique de la photographie de famille veut dire mettre en évidence les ressources esthétiques qui accompagnent la production photographique. Encore une fois les théories sur ce sujet sont multiples et les domaines intéressés abordent le sujet depuis des perspectives très différentes. Pourtant si on prête attention à l’article de Müller Iconography and Iconology as a Visual Method and Approach (2011) on trouve certains éléments qui peuvent nous aider à éclairer cette problématique de la photographie de famille. Ceci est une mise au point des théories autour de l’iconographie et son lien avec l’iconologie. Elle fait une révision de l’évolution historique et des différentes écoles de pensée qui analysent ces concepts. Il est intéressant pour nous dans cet article de voir les définitions que Müller donne d’iconographie et d’iconologie en s’appuyant surtout sur les travaux d’Erwin Panofsky et d’Aby Warbourg (Müller, 2011 : 287). Ainsi il faut comprendre que l’iconographie mais aussi l’iconologie sont basées sur l’analyse critique des sources visuelles et des sources textuelles (Müller, 2011 : 285). Mais quand même il existe, entre les deux notions, des différences au moment de traiter ces éléments. L’iconographie est une méthode de description qui vise l’objectivité et la neutralité, en plus d’une classification des motifs représentés (Müller, 2011 : 287). La recherche iconographique en photographie se focalise sur l’analyse des comportements d’interaction et les rôles sociaux (Müller, 2011 : 287). De son côté l’iconologie en tant que méthode qualitative vise l’interprétation du contenu visuel (Müller, 2011: 294). Elleaide à mieux comprendre d’une façon subjective et critique les significations des médias visuels de masse (Müller, 2011: 294). Elle se produit, de forme plutôt objective, au travers de la synthèse plus que de l’analyse (Müller, 2011 : 287). Selon Panofsky et Warbourg on doit comprendre l’iconologie comme la dernière étape de l’analyse iconographique (Müller, 2011 : 287) car elle est basée sur une recherche exhaustive des sources visuelles et textuelles, mais aussi sur l’interprétation contextualisée (Müller, 2011 : 288). C’est à dire que l’iconologie ne veut pas seulement utiliser l’objet visuel pour acquérir plus d’informations, mais elle s’intéresse aussi à la façon dont les éléments visuels ont été produits et utilisés (Müller, 2011 : 288) 44 Ainsi le contexte original a un rôle très important, car il aide à comprendre le cliché dans son ensemble (Müller, 2011 : 285). Celui-ci a une logique et une structure différente suivant le domaine de production, même si ces domaines se chevauchent (Müller, 2011 : 292). À propos de ces définitions ici on essaiera, à travers des analyses iconographiques et aussi iconologiques d’observer les moments photographiés qui sont socialement acceptables dans le contexte du privé et de la famille. Si on suit le type d’étude des clichés proposé dans l’article de Müller (2011 : 288) on s’inspirera de sa classification et de l’analyse des éléments fondamentaux : des figures, des poses, des gestes, des habits, des objets, des symboles. Pourtant on ne se limitera pas à ces concepts et on s’intéressera aussi à ce qu’il ne faut pas montrer sur la photographie de famille, le tabou. Ce point nous porte à penser à la convention sociale et à sa construction. Elle n’est pas nouvelle, et elle répond à des structures culturelles déjà préexistantes au moment où la prise de vue est réalisée. Enfin, on complètera avec un paragraphe dédié aux retouches et aux modifications qui peuvent être ajoutées aux clichés dans le but d’améliorer la représentation de soi et la mettre au goût de l’individu. Et même si la qualité du cliché peut différer à cause de l’appareil utilisé, pour la majorité des acteurs récepteurs le plus important est l’immortalisation du moment, car la prise de vue aide à construire l’indentification, le regard et l’appartenance au groupe familial. Ensuite on se penchera sur cette identification du groupe social à travers des questions esthétiques, dans le cas de la photographie de studio, mais aussi dans le cas de la photographie de campagne.

Des occasions spéciales

Il y a des occasions précises pour prendre des photographies, car tous les moments ne méritent pas de devenir des souvenirs. L’examen attentif de l’évolution de la photographie en milieu paysan en France révèle que dans les premiers temps de la photographie l’occasion de se faire photographier c’était lors d’une visite à la ville, où on pouvait en profiter pour aller au studio du photographe professionnel. Ainsi l’apparition des photographes ambulants transforme ce moment de prise de l’image : il devient possible de demander ses services pour capturer un moment qu’on voudrait mémorable. 45 Selon Bourdieu (1965a : 164), jusqu’aux années soixante ces moments spéciaux qui méritent d’être photographiés sont associés aux événements, aux célébrations et aux actes sociaux, parce que la photographie immortalise les moments les plus remarquables pour réaffirmer l’unité du groupe familial. Granet-Abisset dans son article « L’historien et la photographie » se questionne sur le rôle de la photographie et comment elle peut servir de source aux historiens (1995 : 23). Dans son écrit elle ajoute que la conscience du rôle des photographies de famille en tant que souvenir provoque le désir de ne montrer que les bons moments (1995 : 33). Ensuite on s’arrêtera à détailler certaines occasions qui méritent d’être discutées: la présence d’un photographe professionnel, le mariage, la présence des enfants, les vacances et les voyages. En plus on fera attention aux aspects esthétiques qui accompagnent la prise de vue : les décors, la pose et même les vêtements choisis. Tout cela fait partie d’une mise en scène très pensée, non seulement pour le photographe censé immortaliser le moment, mais aussi il y a un fort engagement et une participation active de ce pré-rituel de la part de l’individu photographié. 

La visite au photographe professionnel

Lorsque l’accès à la photographie était limité, il était habituel que les gens se présentent chez les photographes professionnels. Le lieu de travail de ceux-ci était le studio. Pour avoir un studio il fallait faire des investissements et construire des toits en verre qui laissaient passer la lumière naturelle, car à l’époque il n’existait pas d’autre système d’illumination artificielle (comme pourrait être l’autofocus aujourd’hui) face au processus d’exposition (Jonas, 2010a : 140). Dans l’étude de Werner en Afrique de l’Ouest, on trouve aussi une attention accordée au studio. En Côte d’Ivoire les photographes professionnels louaient un petit espace qu’ils divisaient en trois : le hall d’accueil, le studio où se réalisent les prises de vue et la chambre noire. Chaque partie avait une fonction différente et parfois le même studio était aussi la maison du photographe (Werner, 1996 : 90). Dans le hall il pouvait y avoir des productions précédentes à titre d’exemple pour montrer aux clients et présenter un style de photo que puisse le convaincre (Werner, 1996 : 90). Le studio per se se trouvait derrière le hall et il était séparé par un mur ou un rideau pour pouvoir garder l’intimité entre le photographe et le photographié (Werner, 1996 : 91). 46 Au sujet de la Moldavie on a pu lire le livre de Elena Ploşni ă ț Fotografia Basarabeana (2005) résultat d’une exposition sur la photographie réalisée en 2004 au Muzeul Na ional de Istorie a Moldovei (Chişinau). Ce livre, qui a une approche historique, nous ț parle de la photographie depuis son implantation en Bessarabie jusqu’en 1917. Les studios apparaissent d’abord à la capitale (Chişinau) et plus tard dans d’autres villes. Ils ont un grand succès et il y a de plus en plus d’ouvertures d’ateliers surtout à partir de 1870 (Ploşni ă, 2005 : 28). Ploşni ă expose des cas concrets de la fin du XIX ț ț e siècle dans lesquels elle nous montre comment les photographes investirent du temps et du capital pour construire des studios en ville (Ploşni ă, 2005 : 30). Au début du XX ț e siècle il y un grand phénomène d’ouverture des studios en zones rurales (Ploşni ă, 2005 : 117). ț Au début de son apparition, la photographie en Europe devient la concurrence directe des portraitistes des miniatures et autres types de peintres. La différence entre photographes et miniaturistes en France est clairement le prix: par exemple, quand André Adolphe Eugène Disdéri crée en 1854 la carte-de-visite il facilite la circulation des clichés pour 15 francs les douze images (Garat, 1994). Pourtant, cela reste cher pour les classes populaires à cause de ses revenus : « Salaire journalier d’un ouvrier: 2 francs 50 dans les mines; 1 franc 80 dans l’agriculture: la photographie ne concerne pas encore ces gens-là » (Garat, 1994: 67), mais cela ne tardera pas à arriver. Julia Hirsch a publié en 1981 Family photographs : Content, meaning, and Effect, une étude exhaustive sur la photographie de famille en Amérique du Nord. Dans son écrit Hirsch (1981 : 42) affirme que, avec la rapide évolution de la technique, en deux générations la photographie dépasse les miniaturistes et ce secteur entre en crise. Ce dépassement est compréhensible car esthétiquement, la composition du cliché fait au studio était très influencé par la peinture classique mais à un prix beaucoup plus accessible. La photographie construisait les différents éléments comme si c’était un tableau ou une miniature et les photographes proposaient aux clients les mêmes positions et les mêmes décors qu’on pouvait trouver sur des tableaux de la Renaissance (Hirsch, 1981 : 35). Ainsi, lorsque que les villageois allaient en ville, parfois ils en profitaient pour passer chez le photographe. La pose devait être très soignée : soit debout, soit assis, il faut préserver son image et rester dignes, sobres. L’individu veut renvoyer la meilleure image de lui même et le photographe est payé justement pour cela. L’individu est à la recherche de l’image idéale de soi, alors il collabore (Garat, 1994: 70-71). On cherchera 47 la distinction, mais il faut qu’en même temps le cliché nous ressemble et que les autres puissent nous reconnaître. Ainsi, tout cela était préparé très en avance car les gens n’avaient pas l’opportunité de se faire photographier souvent, alors il fallait en profiter. Pour s’accompagner et faire une bonne prise de vue le décor est un élément très récurrent. Il change selon l’époque, mais il est considéré comme indispensable pendant une longue période. Une chaise ; des fleurs sur une table haute ; un rideau ; une colonne, des toiles peintes standardisés ; des fausses fenêtres; un faux jardin (Garat, 1994 : 68). Ces éléments ont comme fonction d’ennoblir la figure de l’individu qui se trouve face à la camera et à même temps de s’approcher de l’idéal bourgeois (Garat, 1994 : 68). Par exemple s’accompagner d’un livre peut aider à ennoblir l’individu et envoyer une image de personne cultivée, éduquée. Ou se photographier avec des outils de laboratoire peut montrer qu’on est en lien avec les sciences (Tisseron, 1996 : 128). Actuellement les décors chez les professionnels sont beaucoup moins utilisés et d’autres pratiques se substituent à cet art, qui s’adaptent mieux aux nouveaux styles (Jonas, 2010a : 135). En Côte d’Ivoire, les décors sont aussi utilisés en studio. En général il ya des peintures murales ou des posters photographiques de grande taille qui représentent des paysages urbains ou naturels (Werner, 1996 : 97). Ceux-ci ont pour but de répondre au désir du client d’être ailleurs et d’améliorer la représentation de soi (Werner, 1996 : 97). Aussi il y a des accessoires qui nous rappellent ceux qu’on a déjà vu dans le cas de la France : « fleurs artificielles ou plantes vertes, grille métallique évoquant la balustrade d’un balcon, guéridon supportant un téléphone factice, voire l’appareil photo du praticien prêté pour l’occasion » (Werner, 1996 : 97). Selon l’auteur ces éléments ritualisés sont présents de forme transversale dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. En conséquence ils deviennent stéréotypés même si on peut trouver des variantes locales (Werner, 1996 : 97). Parfois, les photographes professionnels ont aussi un petit coin de verdure à l’entrée ou proche du studio pour proposer une prise de vue dans un extérieur arrangé. Werner (1996 : 98) considère cela comme une innovation qui est en lien avec l’introduction de la photo couleur.

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