Qu’est-ce qu’une émulsion cosmétique ?

Qu’est-ce qu’une émulsion cosmétique ?

La définition d’un produit cosmétique a été établie lors de la rédaction de la loi française de 1975 imposant une réglementation des produits cosmétiques à la suite d’une intoxication grave, puis a été reprise, sous la tournure ci-dessous, par la Directive cosmétique européenne 76/768, amendée depuis de nombreuses fois sans que la définition ne change (Martini, 2011): « On entend par produit cosmétique toute substance ou préparation destinée à être mise en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain (épiderme, système pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue exclusivement ou principalement de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect et/ou de corriger les odeurs corporelles et/ou de les protéger ou de les maintenir en bon état ».
Les émulsions sont des systèmes complexes et appartiennent à la famille des systèmes dispersés. Elles sont le résultat d’une dispersion d’un liquide, sous forme de fines gouttelettes, dans un autre liquide. Ces derniers sont non-miscibles. L’un est hydrophobe ou lipophile et est couramment appelé « phase huileuse » ou « phase grasse » et l’autre, hydrophile, est désigné en tant que «phase aqueuse». Le liquide sous forme de gouttelettes est qualifié de phase dispersée, phase discontinue ou encore phase interne tandis que l’autre liquide est la phase dispersante, phase continue ou phase externe. En fonction du domaine d’utilisation de l’émulsion (alimentaire, pharmaceutique, cosmétique ou autre), ces phases peuvent contenir différentes substances, lipophiles ou hydrophiles, distribuées entre elles suivant leur solubilité, pour conférer au produit diverses propriétés (augmentation de la durée de conservation, modification de la texture…). Il existe deux types d’émulsions dites simples, i.e. ne contenant que deux phases : les émulsions huile dans eau (H/E) pour lesquelles la phase grasse est dispersée dans la phase aqueuse, les émulsions eau dans huile (E/H) qui sont une dispersion de la phase aqueuse dans la phase huileuse.
La dispersion d’une phase dans l’autre nécessite l’ajout d’un émulsifiant, souvent des petites molécules amphiphiles appelées tensioactifs ou agents de surface, qui forme un film interfacial autour des globules de phase dispersée.

Stabilité et instabilité des émulsions

Du fait de leur nature, les émulsions sont thermodynamiquement instables. Les collisions, lors desquelles les gouttelettes peuvent soit rebondir soit s’agréger, ont des causes diverses selon les conditions dans lesquelles est placée l’émulsion.
Les phénomènes de déstabilisation fréquemment rencontrés dans les émulsions cosmétiques sont relativement nombreux et bien décrits dans la littérature:
le crémage ou la sédimentation provoquent une séparation gravitationnelle en fonction de la densité de la phase dispersée, la floculation est le passage d’un système dispersé à un système non-dispersé dans lequel existent des agrégats appelés flocs, elle peut être due : aux forces attractives présentes dans le système ; à un déficit en tensioactif, par exemple, ce qui induit une séparation de phase, encore appelée floculation par pontage ; à l’écoulement du solvant hors de la région entre deux gouttelettes du fait d’une différence de pression osmotique, c’est la floculation par déplétion, la coalescence consiste en la rupture du film présent entre deux gouttelettes au point
de contact et la formation d’une plus grosse gouttelette, le mûrissement d’Ostwald représente la diffusion du contenu des petites gouttelettes vers les plus grandes gouttelettes via la phase externe, à cause d’une tension interfaciale élevée, d’une phase dispersée soluble ou d’une différence de pression de Laplace élevée, jusqu’à disparition complète des petites gouttelettes qui entraîne une augmentation de la taille moyenne des gouttelettes dispersés dans l’émulsion, l’inversion de phase pour laquelle une émulsion E/H se transforme en H/E et inversement due à un mauvais choix de matières premières et notamment de tensioactif ou à une augmentation de la température.

L’étude de la microstructure des émulsions

L’étude de la microstructure des émulsions correspond à la description de leur organisation microscopique. Les paramètres principaux étudiés pour décrire la microstructure d’une émulsion sont la taille, la distribution de taille et l’organisation spatiale des gouttelettes de phase dispersée ou encore la compacité de leur empilement.
Taille des gouttelettes : Il existe diverses façons de définir la taille d’une particule sous l’appellation «diamètre». La sphère est la référence en granulométrie car il existe une définition non ambigüe de son diamètre. Cependant, une particule est difficilement caractérisable car sa surface, ses contours et ses dimensions sont souvent très irréguliers. La mesure de taille est alors exprimée par le diamètre qu’aurait la sphère théorique se comportant de la même manière que la particule considérée. Elle est appelée sphère équivalente et ses dimensions dépendent de la méthode de mesure employée . Il existe ainsi différents diamètres de sphère équivalente : en volume, en surface… caractérisés par leur diamètre moyen d1,0 (en nombre), d4,3 (en volume), d3,2 (en surface aussi appelé diamètre de Sauter, dS).
Ces derniers sont calculés à partir du modèle de la « Poudre Uniforme Equivalente ». Les systèmes sont rarement constitués de gouttelettes d’une seule et même taille mais sont composés d’une population de différentes tailles. La variation de taille d’une population est représentée sous la forme d’une distribution de taille granulométrique en tant que table ou graphique. Il y a trois types de distribution possibles selon le mode de distribution entre chaque classe (en nombre, en surface ou en volume) . Les distributions en nombre et en volume sont les plus courantes. La représentation en nombre insiste surtout sur les petits objets (les plus nombreux) présents dans l’émulsion. Ces objets sont les plus stables dans le temps. Ainsi la représentation en nombre caractérise la partie la plus fine de l’émulsion mais ne permet pas un suivi de la stabilité des tailles des gouttelettes. Au contraire, la représentation en volume met en évidence les gouttelettes qui occupent le plus de volume i.e. les plus grosses mais beaucoup moins nombreuses et permet ainsi un suivi de stabilité pertinent. Les deux types de représentation sont donc complémentaires. Les propriétés de surface des gouttelettes : En tant que système dispersé, une émulsion fait partie de ce que l’on appelle les systèmes colloïdaux complexes. Les phénomènes à l’interface des deux phases dépendent de la composition de l’émulsion (phase aqueuse, phase grasse et nature du tensioactif). Sous l’effet du mouvement brownien et éventuellement d’autres phénomènes hydrodynamiques (agitation, mélange…), les gouttelettes sont soumises à diverses forces, attractives (attraction de Van der Waals) et/ou répulsives (répulsion électrostatique et/ou stérique). En solvant polaire et en présence de charges (tensioactifs ioniques, polyélectrolytes…), les gouttelettes comportent des charges qui se répartissent en double couche électronique à leur surface. Cette double couche est constituée de la couche de Stern (contre-ions solidement adsorbés à la surface de la gouttelette) et d’une couche diffuse composée d’un cortège de co-ions et de contre-ions. Les co-ions et contre-ions du cortège sont attirés par la charge de surface qui se répartit selon les forces ioniques du solvant et les mouvements thermiques aléatoires.

L’analyse sensorielle de la texture des émulsions

L’analyse sensorielle : L’analyse sensorielle de la texture est l’examen des propriétés organoleptiques d’un produit par les organes des sens (Norme NF ISO 5492:2008, 2008). Elle constitue un outil de mesure fiable et indépendant qui permet, pour un produit donné, d’en étudier les caractéristiques, de le décrire, de le classer ou de l’améliorer de manière objective et rigoureuse. Ce type d’approche est à distinguer de l’approche plus subjective des épreuves hédoniques. Celles-ci consistent en effet à mesurer le plaisir qu’un produit cosmétique procure au consommateur lors de son utilisation.
Les applications de l’analyse sensorielle sont nombreuses : elle intervient lors de l’élaboration ou la reformulation de produits, elle sert comme outil de contrôle de qualité par l’évaluation de leur conformité par rapport au cahier des charges, elle permet de vérifier la stabilité des propriétés organoleptiques au cours du temps et, enfin, de positionner un produit dans la gamme des produits existants.
La texture : La texture, au niveau sensoriel, est définie comme étant l’ensemble des propriétés rhéologiques, mécaniques et de microstructure (géométrique et de surface) perçues par les mécanorécepteurs tactiles et éventuellement auditifs et visuels . Elle décrit l’état du produit selon ses qualités physiques et physico-chimiques au travers de la perception sensorielle .
La texture est une notion complexe et multidimensionnelle. En effet, le terme de texture peut s’appliquer aussi bien à la perception visuelle du produit avant l’application, la perception du produit sur les doigts lors du prélèvement ou de l’étalement, ou encore de la perception de la peau sous les doigts une fois l’application effectuée. C’est pourquoi, l’évaluation de la texture d’un produit cosmétique peut être divisée en 4 étapes qui correspondent à l’ensemble des propriétés visuelles, tactiles, kinesthésiques et sensorielles perçues au fur et à mesure de la manipulation : l’apparence (pour le produit avant toute manipulation), le pick-up (au moment où le produit est prélevé), l’application ou la pénétration (durant l’application), l’apparence résiduelle et la sensation au toucher (après l’étalement).
Les différents aspects qui permettent de définir globalement la texture peuvent ainsi être décrits plus précisément, selon leur phase d’évaluation respective. Les propriétés mécaniques de texture du produit, telles que sa viscosité, sa dureté, sa cohésion, son élasticité et son adhérence, sont ainsi logiquement étudiées en quantifiant la réaction du produit lorsqu’il est soumis à une contrainte, i.e. pendant les étapes du pick-up et de l’application du produit sur la peau. Au contraire, les propriétés géométriques, qui dépendent de la forme, de l’arrangement et dimensions des particules dans le produit, ainsi que les propriétés de surfaces, liées au type d’émulsion, au ratio phase aqueuse/phase grasse et à la concentration en émulsifiants employés dans le produit, pourront être perçues et seront analysées à chaque phase de l’évaluation.
La texture est ainsi caractérisée par des propriétés mécaniques, géométriques aussi bien que de surface à travers l’analyse sensorielle.

Nature de la phase grasse : polarité et longueur de chaîne

Une très grande variété d’ingrédients peut être utilisée pour constituer la phase grasse d’une émulsion : des huiles, graisses et/ou cires de diverses origines (végétale, animale, minérale et synthétique). Ces ingrédients sont caractérisés notamment par leur composition, leur polarité et leur longueur de chaîne. Différents types d’huile peuvent être utilisés dans les émulsions cosmétiques, notamment des alcanes et des huiles présentant des hétéroatomes. Les hydrocarbures sont apolaires mais se distinguent les uns par rapport aux autres : il existe des hydrocarbures apolaires faiblement solubles dans l’eau comme l’hexadécane et des huiles apolaires « relativement solubles » dans l’eau telles que le décane. Il existe également des huiles « polaires » et « solubles » dans l’eau comme le décanol.
La solubilité dans l’eau des huiles traduit leur capacité à diffuser dans l’eau. La solubilité dans l’eau des hydrocarbures, notamment, diminue lorsque la longueur de leur chaîne augmente.
Influence sur le comportement rhéologique de l’émulsion : Lorsque les ingrédients constitutifs de la phase grasse sont à l’état liquide à température ambiante, la nature de la phase grasse, que ce soit par sa polarité ou par sa longueur de chaîne, a peu d’impact sur la rhéologie de l’émulsion. Cependant, l’utilisation de certaines huiles, très ramifiées, favorise le compactage des gouttelettes d’huile, ce qui a pour résultat d’améliorer les propriétés viscoélastiques du système . L’ajout d’émollients de type cires, paraffines ou encore acides gras dans la composition de la phase grasse, en comparaison avec des émulsions H/E plus classiques entraîne une augmentation de la viscosité et du module élastique G’. En effet, la présence de ces ingrédients qui présentent une phase solide non négligeable à température ambiante provoque un épaississement des émulsions et une augmentation du comportement de type gel.
Influence sur la granulométrie : Il n’existe pas, à notre connaissance, de corrélation directe entre la polarité et/ou la longueur de la chaîne de l’huile et la taille des gouttelettes de l’émulsion. Néanmoins, la stabilité de la taille des gouttelettes, au cours du temps, dépend de la phase huileuse dispersée et de la nature de l’émulsifiant utilisés . Par exemple, une coalescence rapide est observée dans certaines émulsions liquides alimentaires quand l’huile est polaire. De plus, les émulsions à base d’huiles peu polaires et peu solubles dans l’eau résistent logiquement mieux au mûrissement d’Ostwald .
En outre, la viscosité de la phase grasse (en lien avec la présence d’ingrédients solides à température ambiante) peut impacter la granulométrie de l’émulsion : il a notamment été montré que la taille des gouttelettes augmente lorsque la viscosité de la phase grasse augmente .

Table des matières

Introduction 
Partie 1 : Etat des connaissances concernant les émulsions cosmétiques 
Chapitre 1 : Les émulsions cosmétiques 
1. Généralités sur les émulsions cosmétiques
1.1. Qu’est-ce qu’une émulsion cosmétique ?
1.2. Stabilité et instabilité des émulsions
2. Les propriétés des émulsions
2.1. L’étude de la microstructure des émulsions
2.2. L’étude de la macrostructure des émulsions
3. Conclusion du chapitre 
Chapitre 2 : Influence de la composition de l’émulsion sur ses propriétés
1. La phase grasse
1.1. Nature de la phase grasse : polarité et longueur de chaîne
1.2. La concentration de l’émulsion
2. L’interface huile/eau
2.1. Agent émulsionnant
2.2. Présentation de la gomme acacia
2.3. Influence sur le comportement des émulsions
3. La phase aqueuse
3.1. Qu’est-ce qu’un hydrocolloïde ?
3.2. Présentation du xanthane
3.3. Sa structure
3.4. En solution aqueuse
3.5. En émulsion H/E
3.6. Impact sur la perception de la texture des émulsions contenant du xanthane
4. Conclusion du chapitre 
Chapitre 3 : Relations entre microstructure, macrostructure et perception sensorielle 
1. Comment la microstructure impacte-elle la macrostructure des émulsions ? 
2. Effet de la macrostructure des émulsions sur leurs propriétés sensorielles
3. Mise en relation des propriétés sensorielles avec les propriétés de microstructure
4. Conclusion sur le chapitre
Partie 2 : Matériel et méthodes
Chapitre 1 : Matériels
1. Ingrédients utilisés
1.1. Phase grasse
1.2. Gomme acacia
1.3. Xanthane
2. Mise en solution des gommes
3. Composition des émulsions et des solutions 
3.1. Composition des émulsions
3.2. Composition des phases aqueuses
4. Protocole de formuation 
5. Stabilité physico-chimique et bactériologique 
5.1. Stabilité
5.2. Analyse bactériologique
6. Conclusion du chapitre 
Chapitre 2 : Caractérisation instrumentale 
1. Caractérisation de la microstructure 
1.1. Microscopie optique
1.2. Granulométrie laser
1.3. Potentiel zêta
2. Caractérisation rhéologique
2.1. Tests préliminaires
2.2. Ecoulement
2.3. Viscoélasticité en mode dynamique
2.4. Essais de fluage/recouvrance
2.5. Combinaison d’oscillations et d’écoulement
3. Caractérisation instrumentale de la texture
3.1. Pénétration
3.2. Compression
3.3. Analyse du filant
3.4. Etalement
4. Conclusion du chapitre 
Chapitre 3 : Analyse sensorielle
1. Etablissement du lexique sensoriel
1.1. Choix des descripteurs : définition et protocole d’évaluation
1.2. Elaboration de la liste des référents
2. Panel : recrutement et entraînement 
3. Evaluation des produits
3.1. Méthodologie des essais sensoriels descriptifs
3.2. Evaluation finale
4. Conclusion du chapitre 
Chapitre 4 : Analyse statistique des données 
1. Analyse unidimensionnelle
1.1. Présentation de l’analyse de la variance
2. Analyse multidimensionnelle 
2.1. Présentation de l’analyse en composantes principales
2.2. Présentation de l’analyse factorielle multiple
3. Validation des résultats de l’analyse sensorielle 
3.1. Amélioration des résultats par sélection de juges
3.2. Résultats des ANOVAs
4. Conclusion du chapitre 
Partie 3 : Résultats et discussion
Préambule 
Chapitre 1 : Impact de la teneur en phase grasse sur les propriétés de l’émulsion 
1. A l’échelle microscopique 
1.1. Organisation des gouttelettes
1.2. Taille des gouttelettes
2. A l’échelle macroscopique 
2.1. Propriétés viscoélastiques des petites amplitudes aux grande amplitudes de déformation
2.2. De la viscoélasticité à l’écoulement
2.3. Les propriétés en écoulement en fonction de la teneur en phase grasse
2.4. Impact sur les propriétés mécaniques
2.5. Impact sur la capacité de restructuration
3. Impact sur la perception des propriétés de texture 
4. Relations mises en évidence en rapport avec l’effet de la teneur en phase grasse
5. Conclusion sur ce chapitre
Chapitre 2 : Impact de la concentration en gomme acacia sur les propriétés de l’émulsion
1. A l’échelle microscopique 
2. Comportement de la gomme acacia à la surface des gouttelettes
2.1. Evolution des charges de surface en fonction de la teneur en gomme acacia
2.2. Comment les objets interagissent-ils en présence de gomme acacia ?
3. A l’échelle macroscopique
3.1. Propriétés viscoélastiques des petites amplitudes aux grande amplitudes
3.2. En écoulement
3.3. En analyse instrumentale de la texture
3.4. Capacité de restructuration après cisaillement
4. Conclusion sur ce chapitre
Chapitre 3 : Impact de la teneur en xanthane sur les propriétés de l’émulsion 
1. A l’échelle microscopique
2. A l’échelle macroscopique 
2.1. Propriétés viscoélastiques des petites amplitudes aux grandes amplitudes
2.2. Impact comparé de la teneur en xanthane en émulsion et en solution sur les propriétés en écoulement
2.3. Impact sur les propriétés de texture
2.4. Impact sur les propriétés extensionnelles
2.5. Impact sur la capacité de restructuration
3. Impact sur la perception des propriétés de texture 
3.1. Les propriétés de texture des émulsions
3.2. Quelle différence par rapport aux propriétés perçues pour les solutions de xanthane ?
4. Conclusion sur ce chapitre
Conclusion, discussion et perspectives
Références bibliographiques
Annexes

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