Être lecteur 

Être lecteur 

Afin d’ouvrir l’entretien, j’ai demandé à chaque enseignante (le choix des personnes interrogées se faisant sur la base du volontariat, il se trouve que je n’ai interviewé que femmes) de me donner le titre d’un conte qu’elles appréciaient particulièrement et de me dire ce que ça évoquait pour elles. Chacune, après parfois une hésitation, a donné un titre et a ensuite pu sans peine donner une image ou un sentiment amené par le conte. Le titre d’un conte que j’aime particulièrement ? (…) la Petite Fille aux Allumettes. Comment le dire simplement ? Ça m’évoque tellement de choses. (…) cette extrême pauvreté, proche de la mort puisqu’elle va même mourir. Et puis d’une allumette il y a plein de choses, plein d’espoirs qui finissent par l’emporter (…) elle meurt heureuse. C’est un conte que j’adore, mais je ne sais pas pourquoi, parce qu’il est triste… Je trouve qu’il est intéressant de relever ceci, car c’est exactement ce que nous devons faire avec les élèves: leur permettre de s’approprier le texte et de l’interpréter. Ce sont ces évocations, ces images et ces sentiments qui restent après notre lecture. C’est Tauveron (1999) qui nous rappelle que le texte est ouvert sur l’extérieur et que pouvoir faire le lien avec nos sentiments, notre vécu, notre culture c’est réellement le comprendre. Et on le constate, ce n’est pas l’intrigue, travaillée par des questions qui font plus appel à notre capacité à repérer les informations dans un texte, mais les liens que l’on a pu faire. N’y a-t-il pas un bon nombre de livres ou de contes, dont on serait aujourd’hui incapable de faire le moindre résumé, qui nous ont marqués et nous laisse un souvenir pourtant difficilement périssable ? Autre exemple d’une enseignante qui évoque, elle, le Petit Chaperon Rouge: Écoute, j’aime bien la fin parce que tout s’arrange et que dans la vraie vie ce n’est pas toujours le cas… Mais dans le conte j’aime bien cette fin-là… Parce que justement on arrive à tout résoudre et tout le monde va bien… Ici encore, il s’agit de faire des liens. Faire des liens avec la « vraie vie », faire des parallèles avec d’autres livres et d’autres histoires, affirmer des goûts. Et puis on peut observer cette prise de distance, un pas nécessaire à faire avec tous les élèves qui doivent entrer dans la culture écrite… « J’aime cette fin » est un goût ; je l’aime, mais elle n’est pas réaliste… En disant cela, on est à la fois dans l’histoire et à l’extérieur de celle-ci, car on la questionne et on se positionne. On voit bien que ces enseignantes ont développé des qualités de lectrices qui leur permettent de se distancier du texte pour prendre position. C’est ce que nous sommes appelés à faire avec nos élèves: les faire entrer dans le texte en l’investissant complètement, émettre un jugement de goût parfois, puis s’en détacher, s’en distancier pour faire des liens, donner son avis de lecteur.  

Le conte au cycle deux: utilité dans la classe

Si les enseignantes interrogées se font défenseuses de la lecture et de son importance capitale, le bilan à tirer sur l’utilisation du conte au cycle deux est plus mitigé. Certaines enseignantes le travaillent parce qu’il fait partie du curriculum prescrit et qu’il est présent dans les moyens d’enseignement: « Le conte pour moi c’est un type de lecture, et la lecture, c’est clair que moi elle est essentielle, au centre de tout ». C’est le point de vue de trois enseignantes interrogées sur six, qui disent cependant utiliser le conte en lecture-cadeau et proposer aux élèves de rédiger euxmêmes un conte après avoir étudié celui-ci. D’autres enseignantes mettent en avant l’avantage d’utiliser un conte pour travailler par exemple le schéma narratif. Une enseignante nous dit « (…) moi je les ai beaucoup lus et utilisés quand j’explique comment on construit un texte narratif, parce qu’un conte a une construction typique de texte narratif ». Deux enseignantes insistent principalement sur cet aspect, et relèvent également que le conte peut être un très bon outil pour travailler la conjugaison, notamment le couple imparfait-passé simple. On dira donc que le conte est un outil intéressant en comparaison à d’autres textes, pour travailler certaines notions en fonctionnement de la langue. Toutes les enseignantes évoquent par ailleurs l’utilisation du conte en lecture offerte. Cette lecture est avant tout une lecture-plaisir, un cadeau aux élèves, une récompense en fin de leçon ou au terme d’une journée. La lecture offerte n’a pas d’autre intention que de donner du plaisir ou alors, parfois, de servir de point d’entrée dans un nouvel apprentissage. Il peut s’agir de donner envie, de susciter de l’intérêt pour un nouveau livre ou un nouvel auteur que la classe va étudier. Marlène Lebrun (2010) nous propose également d’apprendre aux élèves à faire vivre un texte par des ateliers de lecture à haute voix et du tutorat. Certaines enseignantes pratiquant la lecture offerte mettent le doigt sur d’autres fonctions encore du conte… Pour moi, un enfant, ça doit être encore une personne qui peut rêver, qui peut imaginer, qui peut avoir un esprit le plus ouvert possible, parce qu’après la vie est déjà assez dure. Pour moi c’est essentiel je dirais, qu’ils gardent cette part de leur enfance (…). Le conte permet alors de s’évader ? Mais pour aller où ? Nous pouvons questionner ceci… Rappelons que beaucoup de contes traditionnels ne sont pas, à la base, destinés aux enfants. Ils sont des images, des métaphores pour des problèmes existentiels. Alors oui, les contes permettent effectivement de s’évader, mais pas pour aller dans un monde plus doux. Ils nous permettent d’approcher et d’imaginer des problèmes qui nous touchent tous et toutes. On retrouve notamment souvent la thématique du départ du foyer familial, la séparation, les obstacles à franchir avant de trouver sa place. Tant d’éléments qui effraient et que l’on peut approcher grâce au conte. Une autre enseignante nous dit: « j’aime plus l’utiliser pour réfléchir sur ce qui s’est passé ». Elle explique qu’elle se sert du conte pour avoir une réflexion sur des difficultés, des événements qui se sont produits en classe ou en dehors. Comme nous l’explique Boimare (2005), le conte est comme une métaphore qui nous permet d’approcher des peurs, des tabous par l’imaginaire puis d’en prendre distance… Imaginer donc, mais pour réfléchir, faire des liens avec notre vécu et le monde extérieur. Une autre enseignante interrogée encore parle quant à elle d’ « utilisations soignantes » du conte, lors de gérer par exemple certains conflits au sein de la classe. Même si Boimare (2005) parle plus du conte comme une thérapie contre la peur d’apprendre, on constate que dans les deux cas, celui-ci est un texte culturel propice à la réflexion, au questionnement de soi, des autres et du monde qui nous entoure. Le conte véhicule une culture, des normes, des valeurs. Ce qui est intéressant c’est de faire des liens: qu’est-ce que je garde du texte ? Qu’est-ce qui est similaire ou différent de ma culture ? Pour une majorité des enseignantes interviewée donc, le conte reste un texte parmi d’autres. Ce qui est primordial, c’est la lecture, sous toutes ses formes. Cependant, le conte présente l’avantage de permettre de travailler différentes notions par sa structure claire. Et cette structure claire serait également, selon Serge Boimare (2005) cette fois-ci un avantage pour avoir une médiation culturelle avec les élèves, car ceux qu’il appelle les « empêchés d’apprendre » ont grand besoin d’avoir une structure claire qui leur permet d’avoir des repères. Et de médiation, il en est aussi question pour certaines enseignantes qui défendent que le conte permet de réfléchir sur nous, sur le monde qui nous entoure, justement parce qu’il propose parfois d’aborder des questions existentielles et qu’il permet aux enfants d’imaginer pour faire des liens avec ce qui se passe autour d’eux. Un bilan mitigé pour le conte donc. Voyons maintenant comment les enseignantes du cycle deux travaillent le conte spécifiquement et quelles sont leurs intentions pédagogiques à ce propos.

L’importance de la lecture

Si toutes les enseignantes interrogées ne donnent pas la même place au conte dans leur classe, toutes s’accordent sur le fait que la lecture est extrêmement importante. Et chacune à sa manière cherche à y faire entrer les élèves. Ce qui me paraît essentiel encore par rapport à la lecture en général, c’est de la favoriser aussi en dehors de l’école… Moi j’invite vraiment toujours les parents en séance des parents à lire beaucoup… que ce soit eux qui lisent des histoires à leurs enfants … que ce soit les enfants qui lisent des histoires à leurs parents (…) et je le répète sans cesse aux parents parce que c’est finalement… ce n’est pas grand-chose et ça a une importance folle (…). On ne peut nier bien sûr le rôle que joue la famille dans l’entrée des enfants dans la culture écrite et il est évidemment important de sensibiliser les parents à cela. Cela paraît juste en effet de les impliquer là-dedans, et c’est quelque chose que je tenterai de faire avec mes futurs élèves. Simplement je pense, sans émettre de jugement, que certains parents seront plus sensibles à cela que d’autres. La question est de savoir quelle est la place de l’écrit dans leur vie à eux… En effet, certaines personnes, comme nous le dit Bernard Lahire (1993), ont un rapport oral pratique à la langue. L’écrit ne fait que peu ou quasiment pas partie de leur vie, tout ce qui est utile se transmet par des interactions orales et cela fonctionne très bien ainsi. Mais voilà qu’à l’école, nous avons un véritable rapport scriptural et scolaire à la langue. Tous les savoirs sont écrits, tout part de l’écrit… Comment faire alors pour aider ces enfants à franchir ce saut ? Ce n’est pas si évident… À nous de proposer des solutions qui puissent permettre aux enfants d’entrer dans la culture écrite, sans quoi leur scolarité s’avérerait difficile, même si ce sont de bons élèves. Cette même enseignante propose encore:  (…) c’est assez fréquent que s’il me reste dix minutes avant la fin de la journée, en plus comme ils sont en fin de matinée et qu’ils sont fatigués, qu’ils sont déconcentrés, je leur demande d’aller chercher un livre ou de continuer celui qu’ils ont dans leur banc. Il s’agit ici de favoriser les lectures personnelles des élèves. L’intérêt de cela est de mettre à disposition des élèves un corpus extrêmement varié et riche. Les élèves trouveront peut-être un livre qui les intéresse et y entrerons. C’est important au sens où certains enfants n’ont que très peu accès à des livres chez eux et il est essentiel que cela puisse se faire à l’école. Pour cela, la plupart des enseignantes interrogées ont dans leur classe une bibliothèque: « La bibliothèque, c’est le truc le plus important de la classe(…) et puis on a une bibliothèque ici dans l’école qui fonctionne bien et on y va plusieurs fois. Je fais la promotion de la lecture ». Nous pouvons noter que pour toutes les enseignantes interviewées, il est essentiel que les élèves aient la possibilité de fréquenter le plus de livres possible pour susciter un intérêt pour la lecture. Pour promouvoir encore la lecture, certaines enseignantes ont recours à la « bataille des livres » qui va permettre à la classe de découvrir d’autres textes et d’autres auteurs. De manière générale, il s’agit de donner à l’enfant un accès à la littérature par différents moyens, en suscitant un intérêt pour la lecture grâce à un corpus varié et de qualité.

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